Marseille, itinéraire d’une rebelle

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°697 Septembre 2014Par : Franck LIRZIN (03), préface de Jean VIARDRédacteur : Gilles AOUIZERATE (03)Editeur : Éditions de l’Aube, coll. « L’urgence de comprendre » – 2013 – Rue Amédée-Giniès 84240 La Tour-d’Aigues Tél. : 04 90 07 46 60.

Quand on est mar­seillais, on croit tout connaître de sa ville : son his­toire, ses habi­tants, son équipe de foot, ses quar­tiers, ses sou­cis. Cha­cun a bien enten­du sa petite idée à soi sur la façon de les résoudre. Mais il suf­fit d’écouter ce qu’un estran­ger a à nous dire pour sou­dain s’apercevoir qu’on peut encore en apprendre et sur­tout en comprendre.

C’est un peu ce que réus­sit Franck Lir­zin avec son livre Mar­seille, iti­né­raire d’une rebelle : nous don­ner à com­prendre cette ville si particulière.

Rien ne des­ti­nait a prio­ri ce major de l’X à se pen­cher sur Mar­seille. Le hasard d’une affec­ta­tion a mis sur sa route cette « ville impos­sible ». Lui, le Pari­sien, le poly­tech­ni­cien éle­vé à l’école de la science et de la rai­son, a dû gérer l’ingérable et par­fois l’absurde dans une cité qui n’en fait qu’à sa tête, si farou­che­ment atta­chée à sa liberté.

On ima­gine bien que, pour un esprit car­té­sien, il était trop ten­tant de tirer de cette expé­rience un sujet d’étude. C’est ain­si qu’au-delà des mythes et des « men­songes bien racon­tés » sur Mar­seille et les Mar­seillais, Franck nous pro­pose un récit extrê­me­ment bien docu­men­té, une dis­sec­tion qua­si scien­ti­fique du tis­su éco­no­mique et social de la ville.

Tout passe à tra­vers le crible de l’analyse : les alliances tumul­tueuses avec Pho­cée, Rome et Paris qui ont assu­ré la sur­vie et la pros­pé­ri­té de la cité à tra­vers les âges, le drôle de rap­port à l’estran­ger de cette ville arle­quin, cla­nique, « struc­tu­rée par sa diver­si­té » où l’on ne s’intègre pas mais où « l’on s’ajoute », l’individualisme mar­qué d’une men­ta­li­té pro­fon­dé­ment libé­rale sans struc­ture col­lec­tive, où la liber­té des uns n’a de limite que lorsqu’elle se heurte à la liber­té des autres, l’OM « capable de créer un peuple », l’histoire d’une indus­trie à basse valeur ajou­tée de trans­for­ma­tion des matières pre­mières fraî­che­ment débar­quées du port, jadis flo­ris­sante grâce à la main‑d’œuvre bon mar­ché que consti­tuaient les immigrés.

Cette ville, nous apprend Franck Lir­zin, mon­dia­li­sée, qui semble vivre de manière presque insu­laire à l’écart de son voi­si­nage le plus proche, si dif­fé­rente de ses rivales que sont Nice et sur­tout Aix-en- Pro­vence, conti­nue à avoir le cœur rivé de l’autre côté de la mer vers son hin­ter­land per­du qu’étaient les colonies.

Cette ville, dont l’image sul­fu­reuse colle à la peau, est pour­tant en quête d’une nou­velle iden­ti­té. Elle se veut pôle tou­ris­tique, fer de lance de l’économie du savoir et capi­tale culturelle.

Une idée-force du livre est que cette recon­ver­sion néces­saire de la ville est vouée à l’échec si elle se fait au mépris de son his­toire, de sa socio­lo­gie, de ses valeurs, de son envi­ron­ne­ment, bref de soni­den­ti­té : aucun chan­ge­ment à Mar­seille ne peut se faire en bri­mant les forces cen­tri­fuges qui la consti­tuent, mais en les accompagnant.

En ce sens, Mar­seille-Pro­vence 2013 capi­tale euro­péenne de la culture nous per­met d’avoir de l’espoir, par son suc­cès « elle est d’abord et avant tout les retrou­vailles de Mar­seille avec les Mar­seillais », ce « n’est pas un abou­tis­se­ment, c’est un acte fondateur ».

À tous ceux qui déses­pèrent de voir cette ville se rele­ver du marasme dans lequel elle est embour­bée depuis trop long­temps, on ne pour­rait que conseiller la lec­ture de ce livre qui met en évi­dence les for­mi­dables facul­tés de rési­lience de la Cité pho­céenne et de ses habi­tants à tra­vers un por­trait sans conces­sion mais réso­lu­ment optimiste.

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