L’Union européenne

Dossier : Libres ProposMagazine N°553 Mars 2000Par Dickran INDJOUDJIAN (41)

Celles des réformes précé­dentes de l’Eu­rope qui ont apporté des pro­grès sig­ni­fi­cat­ifs sont celles dont la pré­pa­ra­tion n’a pas été lais­sée au hasard des con­ver­sa­tions diplo­ma­tiques et inter­gou­verne­men­tales non pré­parées, mais celles dont la base de négo­ci­a­tion était un plan cohérent, élaboré par une per­son­nal­ité mar­quante prési­dant un comité de sages — et c’est pré­cisé­ment parce que cette leçon n’a pas été suiv­ie que le traité d’Am­s­ter­dam a été un semi-échec. Cette fois, sans aller — et il faut le déplor­er — jusqu’à charg­er un groupe de per­son­nal­ités com­pé­tentes d’éla­bor­er de véri­ta­bles propo­si­tions for­mant un tout homogène, un rap­port a été demandé :

  • par M. Romano Pro­di, prési­dent de la Com­mis­sion européenne à MM. J.-L. Dehaene, ancien pre­mier min­istre de Bel­gique, R. von Weizsäck­er, ancien prési­dent de la République fédérale d’Alle­magne et à Lord Simon, ancien min­istre du Roy­aume-Uni ; plus pré­cisé­ment il s’agis­sait pour eux de ” don­ner leur avis en toute indépen­dance sur les impli­ca­tions insti­tu­tion­nelles de l’élar­gisse­ment en vue de la prochaine con­férence inter­gou­verne­men­tale “. Il était pré­cisé qu’on ne leur demandait ” pas de for­muler des propo­si­tions précises ” (!) ;
     
  • et par le gou­verne­ment français au Com­mis­sari­at général du Plan, ce qui a abouti au ” Rap­port du groupe de réflex­ion sur la réforme des insti­tu­tions européennes “, groupe qu’a présidé le pro­fesseur Jean-Louis Quermonne.


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D’autres signes posi­tifs sont apparus et nous retenons ici :

  • les déc­la­ra­tions de M. Johannes Rau, prési­dent de la République fédérale d’Alle­magne au col­loque de l’In­sti­tut français des rela­tions inter­na­tionales (IFRI) qui ont fait l’ob­jet d’un arti­cle3 inti­t­ulé ” Une Con­sti­tu­tion fédérale pour l’Europe ” ;
  • celles, à la même occa­sion, de M. Mart­ti Ahti­saari, prési­dent de la République fin­landaise (arti­cle3 inti­t­ulé ” Face aux crises, logique et rapidité ”) ;
  • les inter­ro­ga­tions de M. Jacques Delors et les répons­es de M. Michel Barnier, ancien min­istre français des Affaires européennes, com­mis­saire européen, chargé pré­cisé­ment de la réforme des institutions.


Il serait trop long et hors de notre pro­pos de décrire le con­tenu de ces avis, sug­ges­tions et déc­la­ra­tions. L’im­por­tant est qu’ils met­tent bien en évi­dence, et de façon assez con­ver­gente, les ques­tions sur lesquelles les pro­grès sont indis­pens­ables et les plus urgents.

Toute­fois il sem­ble bien que, face à ces encour­age­ments, les atti­tudes des gou­verne­ments des États mem­bres, et notam­ment ceux des plus impor­tants, soient frileuses ; de la sorte, le max­i­mum de ce qu’on peut espér­er de cette nou­velle con­férence inter­gou­verne­men­tale est une solu­tion (pas néces­saire­ment très bonne) de toutes ou de cer­taines des ques­tions suivantes :

  • struc­tura­tion et mode de fonc­tion­nement de la Commission,
  • pondéra­tion des voix au sein du Con­seil des ministres,
  • exten­sion du vote à la majorité qualifiée,
  • insti­tu­tion­nal­i­sa­tion des coopéra­tions renforcées,
  • pro­grès en matière de sécu­rité et de défense, en par­ti­c­uli­er sur le plan de l’arme­ment4.


Quant à l’adop­tion d’un pro­jet de charte des droits fon­da­men­taux des citoyens de l’U­nion européenne, elle n’est pas cer­taine et il ne faudrait pas qu’elle soit seule­ment un ali­bi de car­ac­tère théorique pour faire oubli­er l’in­suff­i­sance des résul­tats réels.

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Il est d’ores et déjà cer­tain que la réforme en cours de négo­ci­a­tion man­quera pour le moins de hardiesse. Lais­sant plusieurs prob­lèmes mal réso­lus, elle con­duira, si l’on veut une Union européenne effi­cace — et qui, dans un quart de siè­cle, compte, comme les États-Unis d’Amérique, par­mi les 16 pays du monde de plus de 100 mil­lions d’habi­tants -, à envis­ager très vite de nou­velles réformes, caus­es de trou­ble à la fois pour le fonc­tion­nement même de l’U­nion et pour une opin­ion publique déjà égarée. Quel dilemme !

Se résign­era-t-on, selon la for­mule cru­elle que m’a pro­posée P. Goubaux (54), à ce que l’U­nion européenne soit ” un géant économique, un nain poli­tique et un cul-de-jat­te mil­i­taire ” ? Auquel cas l’éd­i­fice ris­quera de crouler au pre­mier choc impor­tant de nature économique, poli­tique, sociale ou militaire.


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Le véri­ta­ble objec­tif à se don­ner est celui d’un ” Pacte con­sti­tu­tion­nel européen “, respectueux des his­toires et des iden­tités nationales et élaboré de façon démoc­ra­tique. Ce pacte entr­erait en vigueur dès son appro­ba­tion par la majorité sim­ple des États, à la con­di­tion que ces États représen­tent au moins les deux tiers de la pop­u­la­tion de l’Union.

Y fig­ur­eraient les principes relat­ifs aux garanties fon­da­men­tales, aux sou­verainetés et com­pé­tences, et à la sub­sidiar­ité, ain­si que les traits essen­tiels de l’ar­chi­tec­ture insti­tu­tion­nelle : amélio­ra­tion du mode d’élec­tion du Par­lement européen, mesures assur­ant la cohérence du Con­seil5, meilleure pondéra­tion des voix, général­i­sa­tion du sys­tème com­mu­nau­taire, mesures assur­ant l’ef­fi­cac­ité et le car­ac­tère démoc­ra­tique de la Com­mis­sion. Par la suite, toute amélio­ra­tion du fonc­tion­nement respec­tant le Pacte se ferait sans la lour­deur des traités internationaux.

Tout cela, comme nous l’écriv­ions avec Robert Toule­mon6, sup­pose que les hommes d’É­tat inci­tent leurs conci­toyens à se deman­der à la fois ce qu’ils atten­dent de l’Eu­rope et ce qu’ils sont prêts à con­sen­tir pour elle.


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Encore faudrait-il, plus encore après les engage­ments d’Helsin­ki, inclure dans les réflex­ions et débats un exa­m­en libre et pro­fond des con­di­tions d’ad­hé­sion à l’U­nion européenne. En effet, pour des raisons his­toriques, la con­struc­tion européenne a com­mencé par la coopéra­tion économique ; une exten­sion, pour impar­faite et insuff­isante qu’elle soit, a été pos­si­ble à d’autres domaines en rai­son d’une assez grande com­mu­nauté de valeurs et d’une cer­taine homogénéité cul­turelle — et c’est notam­ment ce qui explique, avec le désir de paix, l’é­ton­nante réc­on­cil­i­a­tion franco-allemande.

Aus­si faudrait-il que, pri­or­i­taire­ment, l’U­nion européenne incite forte­ment, aides à l’ap­pui, les pays can­di­dats à créer entre eux des groupe­ments, par exem­ple de nature fédérale, et au sein desquels seraient pro­gres­sive­ment sur­mon­tées les oppo­si­tions résul­tant d’une longue histoire.

Tan­dis que, si l’ac­cep­ta­tion de l’ac­quis com­mu­nau­taire, le respect de cer­tains critères économiques et financiers, et de cer­tains principes démoc­ra­tiques sont jugés suff­isants pour l’ad­hé­sion d’un nou­veau mem­bre, de graves décon­v­enues — pour l’U­nion européenne comme pour le nou­veau mem­bre — risquent fort d’ap­pa­raître, faute de réelles sol­i­dar­ités cul­turelles, affec­tives et juridiques avec l’Eu­rope de l’Ouest.

Que l’on songe par exem­ple à ce que, en pays musul­man, exis­tent de fortes ten­dances à con­fon­dre le droit avec la religion.

Le com­porte­ment de beau­coup d’É­tats mem­bres s’ex­plique, en dépit de cer­tains dis­cours, par des con­sid­éra­tions pure­ment géopoli­tiques et l’ou­bli de con­sid­éra­tions poli­tiques ; et Jacques Delors a rai­son d’inciter à ne pas con­fon­dre — dans l’analyse et dans les solu­tions — géopoli­tique et poli­tique européenne.

Des con­di­tions de cette nature ne pour­raient d’ailleurs que faciliter le respect des autres critères, notam­ment économiques. Si l’U­nion européenne n’a pas le courage d’adopter claire­ment une telle démarche, les élar­gisse­ments suc­ces­sifs se traduiront au mieux, comme le souhait­ent cer­tains à l’in­térieur ou à l’ex­térieur de l’Eu­rope, par la réduc­tion de l’U­nion à une sim­ple zone de libre-échange, empêchant pour longtemps l’Eu­rope d’être un véri­ta­ble acteur sur la scène internationale.


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Pourquoi donc les États mem­bres ne marchent-ils pas résol­u­ment vers un Pacte con­sti­tu­tion­nel tel que nous l’avons défini ?

Parce que les hommes poli­tiques ont peur de ne pas être suiv­is par l’opin­ion publique.

Mais pourquoi l’opin­ion publique est-elle hési­tante et sou­vent réservée ?

Parce que trop peu de respon­s­ables lui exposent, avec calme et sérieux, les grands et graves prob­lèmes que ren­con­tre ou ren­con­tr­era bien­tôt l’U­nion européenne, notam­ment ceux de l’én­ergie, de la défense, des restruc­tura­tions indus­trielles (avec leurs con­séquences sur l’en­vi­ron­nement), du peu­ple­ment de l’Eu­rope en 2020.

Mais plusieurs de ces prob­lèmes, parce qu’ils sont à long terme, ne séduisent pas les hommes poli­tiques dont les prin­ci­pales préoc­cu­pa­tions, comme le souci des élec­tions, sont à court terme. En out­re ils sup­posent une com­pé­tence et un tra­vail d’ap­pro­fondisse­ment que l’on trou­ve aus­si dans d’autres cercles.

C’est parce que de telles com­pé­tences exis­tent bien sou­vent dans la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne que les mem­bres du groupe X‑Europe, sans chercher aucune­ment à se sub­stituer aux hommes poli­tiques face à l’opin­ion, veu­lent aider ceux-là à informer celle-ci.

Voilà pourquoi le groupe X‑Europe a rédigé un ” Man­i­feste ” qui définit son analyse et ses pro­jets d’action.

Tout lecteur de La Jaune et la Rouge qui le souhaite peut obtenir gra­tu­ite­ment7 ce Man­i­feste, de préférence en devenant (ou en renou­ve­lant sa qual­ité de) mem­bre du groupe X‑Europe. Qu’il donne à cette occa­sion non seule­ment son adresse postale et télé­phonique, mais aus­si son éventuel numéro de télé­copie ou, mieux, de cour­ri­er élec­tron­ique, car toute évo­lu­tion saine de l’opin­ion publique exige des débats que les moyens mod­ernes peu­vent, bien sûr, grande­ment faciliter.

Et ne nous las­sons pas de répéter avec Paul Valéry : ” Ce qui étonne dans les excès nova­teurs de la veille, c’est tou­jours la timidité. ” 

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2. Cf. par exem­ple mon arti­cle ” L’U­nion européenne, le traité d’Am­s­ter­dam et les grands prob­lèmes qui demeurent ” dans la livrai­son de jan­vi­er 1999 de La Jaune et la Rouge.
3. Ces deux arti­cles ont paru début novem­bre 1999 dans le jour­nal Le Monde.
4. Il est à cet égard piquant de con­stater que les mil­i­taires sem­blent avoir, face à l’évo­lu­tion de l’U­nion européenne, une atti­tude beau­coup plus pos­i­tive que les diplomates.
5. Alors qu’on souf­fre actuelle­ment de ce qu’il n’y a pas un Con­seil des min­istres, mais des Con­seils de ministres.
6. Cf. ” Une Con­sti­tu­tion pour l’Eu­rope ” (Com­men­taire n° 86, été 1999, p. 389–395).
7. Auprès de Chistophe Dumas, DGA, Cab­i­net du délégué, 4, rue de la Porte d’Is­sy, 00460 ARMÉES.

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