Lucien Coche (36) Un père de la sidérurgie moderne

Dossier : ExpressionsMagazine N°658 Octobre 2010Par Guy DOLLÉ (63)Par Pierre ÉMERY (42)

Né le 9 mars 1918 à Viroflay, alors que son père était encore au front, il n’avait que 18 ans quand il a été reçu major à Poly­tech­nique. À sa sor­tie il choisit le corps des Mines, mais l’é­cole d’ap­pli­ca­tion sera pour plus tard : après l’in­struc­tion dis­pen­sée à Fontainebleau, il a été affec­té comme sous-lieu­tenant au 15e rég­i­ment d’ar­tillerie sta­tion­né dans le Nord pen­dant la ” drôle de guerre “. En mai 1940 le rég­i­ment pénètre en Bel­gique pour se repli­er ensuite sur Dunkerque où il capit­ule le 3 juin 1940, après avoir détru­it les armes qui lui restaient. 

C’est alors la cap­tiv­ité dans un Offlag de Poméranie. Hos­tile à l’i­n­ac­tiv­ité stérile, Lucien Coche utilise ses loisirs for­cés à étudi­er la mécanique quan­tique avec des doc­u­ments envoyés de France. En mai 1941, heureuse sur­prise, l’Alle­magne libère les pris­on­niers dont le méti­er est la mine, y com­pris lui-même, bien qu’il ne soit qu’un futur mineur. 

Au ministère de la Production industrielle

Il se marie en août et rejoint l’É­cole des mines en octo­bre. En févri­er 1943 il est affec­té au ser­vice des mines de Mont­pel­li­er. Après la Libéra­tion il s’oc­cupe notam­ment de la nation­al­i­sa­tion des mines de char­bon de son secteur. En juin 1945, Albert Bureau (29), qui l’a con­nu en cap­tiv­ité, lui pro­pose de devenir son adjoint à la direc­tion de la sidérurgie au min­istère de la Pro­duc­tion indus­trielle. Les usines sidérurgiques français­es n’avaient pas été détru­ites pen­dant la guerre (à l’ex­cep­tion de celles de Nor­mandie), mais elles étaient vétustes et il y avait beau­coup à faire pour les mod­erniser. Grâce au plan Mar­shall deux laminoirs à larges ban­des ont été instal­lés, l’un dans le Nord, l’autre plus dif­fi­cile­ment dans l’Est. Un autre souci de la direc­tion de la sidérurgie était la ges­tion du min­erai lor­rain, con­sid­éré alors comme une richesse nationale mal­gré sa faible teneur en fer, et qu’il con­ve­nait de ménager. 

D’une industrie à l’autre


Le lab­o­ra­toire de l’IR­SID à Saint-Germain-en-Laye

En 1949, Hen­ri Mal­cor (24), prési­dent de l’IR­SID (Cen­tre de recherch­es cor­po­ratif de la sidérurgie française), pro­posa à Lucien Coche d’y pren­dre la direc­tion d’un ser­vice min­erais à met­tre en place. Il accep­ta, dis­ant adieu à la fonc­tion publique. Il fal­lait créer à par­tir de rien, ce qui était une tâche à sa mesure. Une équipe a été recrutée, des tech­ni­ciens ont été for­més, et un ensem­ble d’ap­pareil­lages instal­lés dans la halle d’une usine proche de Long­wy. En 1953 après avoir répon­du à la ques­tion pri­or­i­taire posée à l’IR­SID sur les pos­si­bil­ités d’en­richisse­ment des min­erais lor­rains, et con­clu qu’elles étaient mal­heureuse­ment médiocres, il quitte l’IR­SID (ce ne sera qu’un au revoir), pour ren­tr­er dans les BTP à la Société Générale d’Entreprise. 

Il fal­lait créer à par­tir de rien une tâche à sa mesure 

Il s’y occu­pera d’é­tudes sur le min­erai de fer au Sahara, la baux­ite en Guinée et sur un bar­rage à recon­stru­ire au Pérou. Puis après avoir été en charge de la direc­tion générale pneu­ma­tiques de Kléber-Colombes, il revient à la sidérurgie en 1965 pour Neuves-Maisons- Châtil­lon alors en grande dif­fi­culté. Il y cor­rige les défauts les plus man­i­festes et pré­pare la ces­sion de la société à un groupe belge. 

Retour à la sidérurgie

Une répu­ta­tion mondiale
Sous la direc­tion de Lucien Coche, l’IR­SID a pu apporter durable­ment une con­tri­bu­tion impor­tante à l’amélio­ra­tion des per­for­mances tech­niques et économiques de la sidérurgie française. Il est aujour­d’hui la base des cen­tres de recherch­es d’Arcelor-Mit­tal et béné­fi­cie d’une répu­ta­tion mon­di­ale par­faite­ment justifiée. 

Les événe­ments de mai 1968 avaient touché la sidérurgie comme les autres indus­tries français­es. Face à de lourds prob­lèmes de com­péti­tiv­ité, il était ten­tant de faire des économies en coupant dans les coti­sa­tions volon­taire­ment ver­sées à l’IR­SID, d’au­tant que les deux groupes français prin­ci­paux ne pra­ti­quaient pas la même stratégie à l’é­gard de la recherche. Le directeur général de l’IR­SID ayant dépassé l’âge de la retraite, il fal­lait lui trou­ver un suc­cesseur, con­nais­sant bien la sidérurgie tout en étant indépen­dant des deux grands groupes. L. Coche sol­lic­ité accep­ta, d’abord à temps par­tiel, ce retour au méti­er de ses débuts dans des con­di­tions par­ti­c­ulière­ment dif­fi­ciles, et ce fut une chance pour l’IR­SID, dont il assura la direc­tion jusqu’à sa retraite en 1982. En opti­misant les effec­tifs, tout en con­ser­vant les deux local­i­sa­tions de Saint-Ger­main-en-Laye pour l’é­tude des pro­priétés de l’aci­er et de Maiz­ières- lès-Metz pour celle des procédés de fab­ri­ca­tion, en resser­rant les liens entre les chercheurs de l’IR­SID et les ingénieurs d’u­sine, il rétablit un cli­mat de con­fi­ance et put faire approu­ver par les com­met­tants une charte qui pré­ci­sait les règles de fonc­tion­nement de l’In­sti­tut et assur­ait son finance­ment, quels que soient les aléas de la conjoncture. 

Un polyglotte


Vue aéri­enne de la sta­tion d’es­sais de Maizières-lès-Metz

Par­mi les divers­es activ­ités de Lucien Coche, il faut men­tion­ner la pra­tique de nom­breuses langues étrangères. Out­re l’anglais et l’alle­mand il avait appris l’es­pag­nol, le russe (suff­isam­ment pour lire Tol­stoï dans le texte), des élé­ments de langues régionales (occ­i­tan, cata­lan, bre­ton), puis le por­tu­gais avant de redé­cou­vrir le grec ancien. Il avait, dès la fin des années soix­ante, sen­ti l’im­por­tance qu’al­lait avoir le Japon et décidé d’ac­quérir un min­i­mum de con­nais­sance de la langue du pays. Il a pu ensuite nouer des rap­ports con­fi­ants, voire ami­caux, avec les prin­ci­paux dirigeants de la sidérurgie japon­aise et met­tre en place des échanges tech­niques avec les deux plus grandes sociétés, ce qui s’est avéré béné­fique pour tous. Il avait été fait mem­bre d’hon­neur de l’Iron and Steel Insti­tute of Japon. 

Un enchanteur

” Bon Papa l’en­chanteur “, comme l’avait surnom­mé une de ses petites- filles, la roman­cière Anna Gaval­da, dans une chronique du Jour­nal du Dimanche en 2004, était un grand-père et arrière-grand-père extra­or­di­naire qui, pen­dant les dimanch­es passés dans la pro­priété famil­iale de Coulombs, met­tait son imag­i­na­tion, sa curiosité, son habileté manuelle au ser­vice de ses petits et arrière-petits-enfants. Et par­mi l’ensem­ble excep­tion­nel de qual­ités dont il a fait preuve pen­dant toute sa vie, ce sont d’abord, pour ses amis et pour ses proches, à ses qual­ités de cœur que s’adressent leur recon­nais­sance et leurs très pro­fonds regrets. 

Tit­u­laire de la croix de guerre, Lucien Coche était offici­er de la Légion d’honneur.

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