Le lac Nasser

L’irrigation : un apport majeur mais une expansion limitée

Dossier : Les eaux continentalesMagazine N°698 Octobre 2014
Par André NEVEU

Un rôle essentiel pour satisfaire les besoins alimentaires

L’irrigation per­met un accroisse­ment très sig­ni­fi­catif de la pro­duc­tion sur les ter­res insuff­isam­ment arrosées. C’est même le seul moyen d’obtenir une pro­duc­tion agri­cole dans un envi­ron­nement par­ti­c­ulière­ment hos­tile comme dans la val­lée du Nil en Égypte.

Dans les pays à cli­mat chaud, il est en out­re pos­si­ble de réalis­er, grâce à l’irrigation, plusieurs récoltes par an avec des ren­de­ments élevés.

“ Moins de 20 % des terres cultivées sont irriguées ”

Appli­quant des tech­niques sim­ples mais éprou­vées, l’irrigation est une pra­tique très anci­enne dans les zones arides du Moyen-Ori­ent. Elle s’est aus­si imposée très tôt en Extrême-Ori­ent, où elle per­met la riz­icul­ture très exigeante en eau.

En revanche, elle est très peu répan­due en Afrique subsaharienne.

Entre 1960 et 2000, les super­fi­cies irriguées se sont forte­ment accrues grâce à des poli­tiques de grands travaux dans de nom­breux pays. On estime actuelle­ment qu’un peu moins de 20 % des ter­res cul­tivées sont irriguées et qu’elles pro­duisent env­i­ron 40 % de la pro­duc­tion agri­cole totale.

Les équipements mis en œuvre sont de deux types. Il s’agit soit de for­ages indi­vidu­els ou col­lec­tifs très nom­breux en Inde, aux États-Unis mais aus­si en Ukraine et même dans notre Bassin parisien français, soit de périmètres amé­nagés en aval de bar­rages comme en Chine, au Pak­istan, en Turquie ou en Afrique du Nord par exemple.

REPÈRES

Le secteur agricole est le principal utilisateur d’eau, avec 70 % des quantités consommées, essentiellement par irrigation. L’irrigation par gravité (apport d’eau sans pression via un réseau de canaux et de rigoles) est le système de loin le plus utilisé (environ 75 % des zones irrigués), notamment dans les pays asiatiques pour la riziculture.
L’irrigation par aspersion, projection d’eau « en pluie », est généralisée pour les cultures du maïs et des légumes en Europe et aux États-Unis (environ 20 % des surfaces).
La micro-irrigation, ou goutte-à-goutte, permet un apport de faible débit au niveau des racines, ce qui économise l’eau ; elle est de plus en plus utilisée pour les cultures pérennes et les cultures fruitières (à peine 5 % des surfaces).

Une expansion fortement ralentie

Depuis une ving­taine d’années, en dépit de quelques réal­i­sa­tions pharaoniques comme le bar­rage des Trois-Gorges sur le Yang Tsé Kiang, le rythme des équipements nou­veaux s’est sen­si­ble­ment réduit.

À cela, plusieurs raisons. Tout d’abord, les sites les plus intéres­sants pour de futurs bar­rages sont main­tenant équipés et les nappes phréa­tiques peu pro­fondes sont déjà exploitées, par­fois exagéré­ment. Car, si l’on mul­ti­plie les for­ages, leur débit dimin­ue et le niveau des nappes phréa­tiques baisse comme au Pend­jab, en Inde. Il faut alors for­er de plus en plus pro­fondé­ment en util­isant les tech­niques mis­es au point dans l’industrie pétrolière.

“ L’accroissement des superficies irriguées devrait ralentir ”

Ensuite, le coût de la con­struc­tion des bar­rages est très élevé, et les gou­verne­ments, qui seuls peu­vent les entre­pren­dre, hési­tent devant la charge finan­cière qui en résulte. C’est pourquoi la plu­part des bar­rages récents ont une voca­tion mul­ti­ple : agri­cul­ture certes, mais aus­si indus­tries man­u­fac­turières, pro­duc­tion élec­trique, tourisme, besoins domestiques.

De plus, dans les régions où l’érosion est intense comme au Maghreb, la durée d’utilisation d’un bar­rage n’est pas infinie car les réser­voirs se rem­plis­sent d’alluvions dont il est dif­fi­cile, voire impos­si­ble, de se débarrasser.

Enfin, les effets col­latéraux de ces équipements soulèvent de nom­breux prob­lèmes : vil­lages noyés à recon­stru­ire, destruc­tion de sites archéologiques, réduc­tion de la pêche en aval des bar­rages, dégra­da­tion de la bio­di­ver­sité, etc. Des études d’impact des futurs bar­rages sont donc néces­saires, mais elles sont longues et coûteuses.

Dans ces con­di­tions, l’accroissement des super­fi­cies irriguées ne devrait pas se pour­suiv­re au XXIe siè­cle aus­si rapi­de­ment que dans la sec­onde moitié du XXe siècle.

En 2050, les ter­res irriguées pour­raient cou­vrir 300 à 310 mil­lions d’hectares, soit entre 18 % et 19 % de la sur­face cul­tivée totale prévis­i­ble. En valeur absolue, ce chiffre sera certes en aug­men­ta­tion par rap­port à la sit­u­a­tion présente, mais en valeur rel­a­tive, la part des ter­res irriguées ne se mod­i­fiera guère puisque le total des super­fi­cies cul­tivées va lui aus­si augmenter.

Les 300 ou 310 mil­lions d’hectares irrigués pour­raient tou­jours con­tribuer, comme aujourd’hui, pour env­i­ron 40 % de la pro­duc­tion agri­cole mon­di­ale. Ain­si, l’accroissement de la pro­duc­tion agri­cole devra résul­ter plutôt d’une amélio­ra­tion des ren­de­ments (en cul­tures irriguées et non irriguées) que d’une aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive des sur­faces équipées pour l’irrigation.

Le lac Nass­er. © ISTOCK

Mieux gérer les ressources en eau disponibles

Face à la rel­a­tive pénurie d’eau douce et à la con­cur­rence entre les util­isa­teurs, d’importants pro­grès dans la ges­tion des périmètres irrigués doivent être réal­isés. Ces pro­grès passent par la pro­tec­tion des sols (en évi­tant les remon­tées de sel par exem­ple) et surtout par des économies dans les quan­tités d’eau utilisées.

On prévoit en effet qu’en 2050 l’agriculture devra se con­tenter de 60 % de l’eau disponible, con­tre près de 70 % aujourd’hui.

ÉVOLUTION DES TERRES IRRIGUÉES DANS LE MONDE
(unité : mil­lion d’hectares)
1961 2000 2009 2030
(prévi­sions)
2050
(hypothèse de l’auteur)
Ter­res arables utilisées 1 351 1 506 1 533 1 600 1 660
dont ter­res irriguées 139 270 280 290 300 à 310
Part dans le total 10,3 17,9 18,3 18,1 18,1 à 18,7
Source : Nations unies (sauf année 2050).

Une telle économie est tout à fait pos­si­ble car près de la moitié de l’eau disponible est per­due en rai­son de l’absence de revête­ment des parois des canaux d’irrigation, de leur mau­vais entre­tien ou de sim­ple éva­po­ra­tion. Les tech­niques d’irrigation doivent aus­si s’améliorer, par exem­ple avec le goutte-à-goutte, en appor­tant au plus près de la plante exacte­ment la quan­tité d’eau dont elle a besoin et pas plus.

Enfin, il est pos­si­ble de rem­plac­er les cul­tures très gour­man­des en eau comme le riz par d’autres plus sobres telles que le maïs.

“ En 2050 l’agriculture devra se contenter de 60 % de l’eau disponible ”

Cette stricte ges­tion de l’eau disponible s’imposera partout dans le monde mais plus par­ti­c­ulière­ment dans les pays arides comme au sud de la Méditer­ranée et au Moyen-Ori­ent. Ne pou­vant assur­er, grâce à leur pro­pre pro­duc­tion agri­cole, la sat­is­fac­tion des besoins ali­men­taires de leurs pop­u­la­tions, ces pays seront dans une sit­u­a­tion de dépen­dance ali­men­taire crois­sante et devront s’approvisionner à grands frais sur les marchés mondiaux.

Leurs dif­fi­cultés risquent même de devenir dra­ma­tiques lorsque la crois­sance de leurs pop­u­la­tions se révélera plus rapi­de que leur capac­ité à accroître leur pro­duc­tion agricole.

L’agriculture irriguée con­tin­uera de jouer un rôle impor­tant dans le développe­ment de la pro­duc­tion agri­cole mon­di­ale puisqu’elle con­tribuera, comme aujourd’hui, à 40 % des quan­tités pro­duites. Toute­fois, pour de mul­ti­ples raisons, et en dehors peut-être de quelques réal­i­sa­tions spec­tac­u­laires, il est dou­teux que les super­fi­cies irriguées s’étendent beaucoup.

En revanche, les agricul­teurs devront faire de gros efforts pour économiser une eau tou­jours plus rare.

Le barrage des Trois-Gorges sur le Yang Tsé Kiang
Le bar­rage des Trois-Gorges, un des derniers grands barrages.
© ISTOCK

BIBLIOGRAPHIE

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  • Daniel Zim­mer, L’Empreinte eau, Édi­tions Charles Léopold May­er, octo­bre 2013.
  • Roger Cans, La Ruée vers l’eau, Édi­tions Folio, mars 2001.
  • A. Neveu, Retour des pénuries ali­men­taires ? Un nou­veau défi : nour­rir 9,5 mil­liards d’habitants en 2050, Édi­tions La France agri­cole, octo­bre 2014.

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