L’internationalisation de l’École

Dossier : Les X étrangersMagazine N°559 Novembre 2000
Par Roland SÉNÉOR (58)

Comment internationaliser l’École et quelles sont les actions possibles ?

Comment internationaliser l’École et quelles sont les actions possibles ?

Les deux domaines d’ac­tion qui s’im­posent sont ceux qui définis­sent la réal­ité actuelle de l’É­cole : une insti­tu­tion de for­ma­tion et de recherche. Une bonne recherche est inter­na­tionale. Les lab­o­ra­toires de recherche sont donc bien évidem­ment un lieu pos­si­ble d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion. Les cycles de for­ma­tions sont aus­si des lieux naturels d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion entre autres par le mécan­isme élé­men­taire que représente l’ac­cueil d’élèves étrangers. L’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion de l’É­cole poly­tech­nique peut donc s’ef­fectuer par l’ac­cueil d’é­trangers dans les activ­ités de for­ma­tion et de recherche mais aus­si par des mou­ve­ments en sens inverse de représen­tants de l’É­cole, enseignants, chercheurs ou élèves se ren­dant dans des insti­tu­tions étrangères.

Une par­tie de cette mobil­ité peut s’in­scrire naturelle­ment dans les us et cou­tumes de la vie pro­fes­sion­nelle, c’est le cas de celle des chercheurs.

Une autre, à con­stru­ire, est celle des étu­di­ants et il y a une dis­tinc­tion à faire entre la for­ma­tion par ou pour la recherche, ou for­ma­tion doc­tor­ale, qui con­stitue le troisième cycle de l’É­cole et la for­ma­tion qui a fait et fait encore pour l’essen­tiel la répu­ta­tion de l’É­cole, le deux­ième cycle ou cycle poly­tech­ni­cien. Le 3e cycle est une struc­ture de for­ma­tion com­pat­i­ble et por­teuse d’internationalisation.

La présence d’élèves étrangers dans le 2e cycle est moins évi­dente et ne peut être que le résul­tat d’une volon­té poli­tique. C’est de la présence d’é­trangers dans ce cycle dont il a été ques­tion ce matin et dont je vais par­ler principalement.

L’international : du troisième cycle…

Je vais par­ler très rapi­de­ment du 3e cycle puisqu’il n’est pas l’ob­jet cen­tral de cette réu­nion. En effet s’ap­puyant sur la recherche, la par­tie 3e cycle de l’É­cole ressem­ble à celle de n’im­porte quelle bonne, très bonne, uni­ver­sité dans le monde. Dans ce genre d’idée, on sait que les chercheurs bougent beau­coup, et que lorsque les labos sont bons, il y a tou­jours des vis­i­teurs et des thésards étrangers. Pour vous don­ner une idée, env­i­ron un tiers des thésards de l’É­cole poly­tech­nique sont des étrangers. Ces thésards seront cer­taine­ment à terme des ambas­sadeurs de l’É­cole et un sup­port à son ouver­ture inter­na­tionale et l’idée de faire du troisième cycle le por­teur prin­ci­pal de l’ou­ver­ture inter­na­tionale de l’É­cole pour­rait faire l’ob­jet d’un débat.

L’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion du troisième cycle peut aus­si avoir pour source l’ou­ver­ture inter­na­tionale du sec­ond cycle. Une expéri­ence a débuté il y a cinq ou six ans. Elle a con­sisté à offrir à des élèves étrangers, orig­i­naires prin­ci­pale­ment de l’U­nion européenne, de venir suiv­re cer­tains des cours spé­cial­isés de la sec­onde année du 2e cycle de l’É­cole. L’É­cole accueille ain­si une trentaine d’élèves par an.

Cette action est une réus­site et une des car­ac­téris­tiques de ce suc­cès se mesure au niveau du 3e cycle puisque près d’un tiers d’en­tre ceux qui vien­nent suiv­re les cours de l’É­cole pen­dant six ou neuf mois (une ou deux majeures et le tra­vail de recherche) y restent pour faire un diplôme d’é­tudes appro­fondies (DEA) et ensuite une thèse, soit à l’É­cole poly­tech­nique, soit plus générale­ment en France. Cette action est vue à la fois comme une action d’ou­ver­ture de l’en­seigne­ment de l’É­cole et comme un proces­sus de sélec­tion s’é­ta­lant sur presque deux ans. En effet, après une sélec­tion sur dossier, les can­di­dats sont admis pour suiv­re les cours de l’É­cole puis, selon leurs résul­tats, ils peu­vent être admis à faire un DEA et enfin, en cas de suc­cès au DEA, il est pro­posé aux meilleurs d’en­tre eux de faire une thèse à l’É­cole. C’est une forme d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion réussie.

L’É­cole a ain­si joué le rôle d’une uni­ver­sité clas­sique et a util­isé au mieux les struc­tures de for­ma­tion et les moyens humains dont elle dis­pose. On peut par­ler, pour la par­tie ini­tiale de ce pro­gramme, d’une réelle inter­na­tion­al­i­sa­tion du 2e cycle, mais elle n’est qu’in­com­plète puisqu’elle n’aboutit pas à la délivrance du diplôme d’ingénieur de l’É­cole poly­tech­nique et à la for­ma­tion de ce qu’on appelle com­muné­ment un ” polytechnicien “.

… au deuxième cycle

Qu’en est-il de l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion com­plète du sec­ond cycle, celle qui con­duit à la délivrance du diplôme d’ingénieur à suff­isam­ment d’élèves étrangers ?

Pour s’at­ta­quer à ce prob­lème, l’É­cole s’est pro­gres­sive­ment appuyée sur une approche basée sur la réciproc­ité. De même qu’elle veut inter­na­tion­alis­er son sec­ond cycle en y faisant venir plus d’élèves étrangers, jusqu’à une cen­taine, de même, elle veut envoy­er un nom­bre équiv­a­lent d’élèves de l’É­cole faire, après leurs deux ans d’é­tudes à l’X, une spé­cial­i­sa­tion en école d’ap­pli­ca­tion à l’étranger.

Je rap­pelle pour ceux qui ne le savent pas que, con­traire­ment à ce que pour­rait laiss­er penser son nom, à l’É­cole poly­tech­nique, on n’en­seigne tou­jours pas de tech­nique, l’en­seigne­ment n’y est pas poly­tech­nique mais poly­sci­en­tifique. Cela sig­ni­fie que tout étu­di­ant est cen­sé durant sa sco­lar­ité cou­vrir tout le spec­tre des sci­ences fon­da­men­tales avec en plus l’amé­nage­ment du corps et de l’e­sprit grâce à des cours de langues étrangères, des cours d’hu­man­ités et de sci­ences sociales et la pra­tique de nom­breux sports.

La spé­cial­i­sa­tion pro­fes­sion­nal­isante, sci­en­tifique ou tech­nique, que pra­tique­ment tous les poly­tech­ni­ciens font depuis trente ou quar­ante ans, est soit une for­ma­tion recherche soit une for­ma­tion d’ingénieur dans l’une des écoles d’ap­pli­ca­tion agréées.

Pour per­me­t­tre à nos élèves de com­pléter leur for­ma­tion à l’é­tranger, nous avons élar­gi la liste des écoles d’ap­pli­ca­tion agréées, tra­di­tion­nelle­ment français­es, en y ajoutant des étab­lisse­ments étrangers.

Actuelle­ment, en plus de la ving­taine d’é­coles d’ingénieurs français­es, une cen­taine de for­ma­tions tech­niques sont pro­posées dans env­i­ron une douzaine de pays dif­férents. Cette dis­po­si­tion nous per­met de dire à nos col­lègues étrangers : ” Venez étudi­er à l’É­cole poly­tech­nique, la qual­ité et la spé­ci­ficité de la for­ma­tion y sont exceptionnelles.

Une for­ma­tion s’ap­puyant sur deux sys­tèmes édu­cat­ifs dif­férents, dans deux pays dif­férents, est une for­ma­tion adap­tée aux besoins de notre époque et nous offrons à vos étu­di­ants une des meilleures qui puis­sent être offertes en France. ” Enfin, si l’étab­lisse­ment auquel on s’adresse dis­pense des spé­cial­i­sa­tions agréées par l’É­cole, on peut ajouter : ” Si nous vous envoyons des élèves com­pléter leur for­ma­tion chez vous et que vous appré­ciez la for­ma­tion qu’on leur a don­née, alors il est nor­mal, pour équili­br­er nos échanges, que vous encour­agiez vos étu­di­ants à être can­di­dats pour étudi­er à l’École. ”

Comment faire fonctionner ce système ?

C’est assez dif­fi­cile ! Il est dif­fi­cile, vous allez le voir, de faire venir des étrangers à l’É­cole poly­tech­nique, mais c’est aus­si très dif­fi­cile d’en­voy­er des Français étudi­er à l’é­tranger pour une longue durée. Je vais main­tenant dévelop­per ces deux points en par­al­lèle en insis­tant sur la par­tie accueil d’élèves étrangers.

Les formations complémentaires à l’étranger

Les étrangers doivent venir à l’É­cole pour les deux ans que dure le cycle de for­ma­tion con­duisant au diplôme d’ingénieur. Symétrique­ment et par analo­gie avec la durée exigée dans les écoles d’ap­pli­ca­tion français­es, les Français doivent avoir des for­ma­tions dans les pays étrangers qui durent deux ans. Si on con­sid­ère ces derniers, il faut donc trou­ver des jeunes filles et des jeunes gens qui, étant don­né l’im­age de réus­site que représente l’É­cole dans la société française, les habi­tudes cul­turelles et la spé­ci­ficité de leur par­cours (plusieurs années d’une vie con­traig­nante) aient envie de par­tir pour une telle durée, de ten­ter cette aven­ture. La pre­mière année où il a été pos­si­ble de faire une for­ma­tion com­plé­men­taire à l’é­tranger (hors thèse) 4 élèves l’ont fait, l’an­née suiv­ante 18 et cette année 28 ! On voit qu’il y a pro­gres­sion, mais que la pro­gres­sion est lente.

L’admission d’élèves étrangers

Un nou­veau mode d’admission

L’É­cole admet depuis près d’un siè­cle des élèves étrangers, ceux qu’on appelle ” CP ” ou élèves de la caté­gorie par­ti­c­ulière pour les dis­tinguer des élèves français. Ces étrangers sont ceux dont il a été ques­tion ce matin, qual­i­fiés de ” faux ” étrangers, c’est-à-dire d’é­trangers ayant fait les class­es pré­para­toires en France, au Maroc ou en Tunisie ou bien même au Liban où il y a des pré­pa­ra­tions inté­grées. Ceux-là ont en effet vécu une véri­ta­ble inté­gra­tion cul­turelle préal­able­ment à leur arrivée à l’É­cole et sont en grande par­tie iden­ti­fi­ables à des élèves français, en tout cas en ce qui con­cerne la com­préhen­sion des grands modes de fonc­tion­nement intellectuels.

Depuis main­tenant trois ans, elle accueille d’autres étrangers provenant de divers­es insti­tu­tions du monde entier, de ” vrais ” étrangers par com­para­i­son avec ceux dont il a été ques­tion au-dessus. Du coup, on a raf­finé la dénom­i­na­tion : on appelle CP1 ceux qui ont fait les class­es pré­para­toires et qui ont été admis à l’É­cole à l’is­sue du con­cours tra­di­tion­nel et CP2 les autres.

Les étrangers dont il va être ques­tion main­tenant sont des jeunes gens et des jeunes filles qui pour cer­tains d’en­tre eux n’avaient jamais enten­du par­ler des pos­si­bil­ités de for­ma­tion en France, qui ne savaient pas ce qu’est l’É­cole poly­tech­nique et sou­vent qui n’avaient jamais quit­té leur pays. Qui plus est, ils ont reçu une for­ma­tion qui ne peut être définie que dans les grandes lignes, car étant don­née la diver­sité de leurs orig­ines, ils vien­nent d’à peu près partout, aucune de leurs for­ma­tions ne se ressem­ble réelle­ment. Ils se car­ac­térisent donc par l’ex­tra­or­di­naire diver­sité de leurs for­ma­tions initiales.

Pour pou­voir les sélec­tion­ner, nous avons mis en place un nou­veau mode de recrute­ment, une vari­ante du con­cours, car on ne ren­tre à l’É­cole poly­tech­nique que sur con­cours, que nous appelons la 2e voie du con­cours. Il n’y a en effet qu’un unique con­cours pour entr­er à l’É­cole poly­tech­nique, la pre­mière voie de ce con­cours étant la procé­dure d’ad­mis­sion tra­di­tion­nelle con­nue de tous.

La pre­mière par­tie de la deux­ième voie du con­cours, un exa­m­en du dossier académique et des let­tres de recom­man­da­tion, est l’équiv­a­lent des épreuves écrites de la pre­mière voie. La deux­ième par­tie con­siste en des épreuves orales avec pré­pa­ra­tion en math­é­ma­tiques et en physique, un peu dans l’e­sprit des colles, aux­quelles se rajoutent une éval­u­a­tion du niveau en français et un entre­tien per­me­t­tant d’ap­pro­fondir la cul­ture sci­en­tifique du candidat.

Un bon niveau de français n’est pas une con­di­tion néces­saire pour réus­sir au con­cours, mais par con­tre une con­nais­sance suff­isante du français est une con­di­tion néces­saire pour com­mencer ses études à l’É­cole poly­tech­nique puisque pra­tique­ment tous les enseigne­ments sont don­nés en français.

De ce fait, les étrangers, qui ne par­lent pas le français ou qui en ont une con­nais­sance insuff­isante, ont droit à un report d’une année de l’ad­mis­sion effec­tive, cette année sup­plé­men­taire leur per­me­t­tant d’ap­pren­dre ou de se per­fec­tion­ner dans notre langue.

Les premières données

Ce nou­veau mode d’ad­mis­sion a com­mencé il y a trois ans et pro­gressé tout douce­ment en nom­bre d’ad­mis, d’abord en admet­tant 12 élèves il y a deux ans, puis 18 élèves l’an dernier et enfin 26 cette année. La ques­tion de la maîtrise du français a fait que seule­ment 24 élèves CP2 sont présents physique­ment à l’É­cole cette année, et si on y ajoute les CP1, on arrive aux 15 % d’élèves étrangers dont a par­lé le directeur général ce matin. La moitié des CP2 est orig­i­naire de l’Eu­rope de l’Ouest et de l’Est, l’autre moitié d’Asie et d’Afrique. Nous avons pour l’in­stant un prob­lème réel en ce qui con­cerne les Amériques.

Quelles leçons peut-on tirer de l’expérience de ces trois années ?

Durant ces trois ans, nous avons vu se dessin­er ce qui fait la force du sys­tème que l’É­cole essaie de dévelop­per mais aus­si les hand­i­caps qu’elle doit surmonter.

Les points forts

L’idée de symétrie : ce qui est con­sid­éré comme un bon argu­ment pour faire venir les élèves étrangers à l’É­cole doit être aus­si val­able pour nos élèves, c’est-à-dire que nous devons les pouss­er à par­tir étudi­er à l’é­tranger. Nous ne sommes pas un lieu priv­ilégié, le reste du monde étant sans intérêt, nous devons partager, échang­er et nous nour­rir de la diver­sité du monde.

La spé­ci­ficité de la for­ma­tion : nous sommes déten­teurs d’une spé­ci­ficité qui sem­ble de plus en plus appré­ciée, en par­ti­c­uli­er, et c’est le plus éton­nant, dans les pays dévelop­pés. C’est l’idée que toute for­ma­tion d’ingénieur de haut niveau doit con­tenir une part très impor­tante de cul­ture sci­en­tifique générale. Dans n’im­porte quelle insti­tu­tion uni­ver­si­taire du monde, les deux pre­mières années des études supérieures sci­en­tifiques ou tech­niques sont des années général­istes ; on y apprend les bases des math­é­ma­tiques et de la physique et les années qui suiv­ent sont des années de spé­cial­i­sa­tion, même quand la final­ité des études est en sciences.

Si on pré­pare une maîtrise de math­é­ma­tiques à l’u­ni­ver­sité, durant les années 3 et 4 après la fin des études sec­ondaires on suit majori­taire­ment des cours de math­é­ma­tiques. On ne va pas appren­dre de la biolo­gie et de l’é­conomie alors que l’on doit faire une maîtrise de math­é­ma­tiques. C’est là qu’on mesure l’o­rig­i­nal­ité de l’É­cole qui est de pro­pos­er à ce même niveau un enseigne­ment non spé­cial­isé cou­vrant tous les domaines des sci­ences de base.

Nous pen­sons que ce type de for­ma­tion doit être la base de la for­ma­tion des ingénieurs de haut poten­tiel. Ce sont eux qui seront les plus à même, par leurs con­nais­sances sci­en­tifiques élevées, d’as­sim­i­l­er les change­ments tech­nologiques de demain.

En effet, les change­ments ou les évo­lu­tions de la tech­nolo­gie sont sou­vent les con­séquences des inno­va­tions sci­en­tifiques et il faut donc com­pren­dre les change­ments des sci­ences si on veut maîtris­er la tech­nolo­gie. L’in­no­va­tion peut provenir de n’im­porte quel domaine des sciences.

On a couram­ment des exem­ples d’en­tre­pris­es inté­grant des tech­nolo­gies nou­velles et y asso­ciant des jeunes cadres com­pé­tents avec face à eux des respon­s­ables de haut niveau totale­ment dépassés par cette inno­va­tion. La spé­ci­ficité de la for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne peut per­me­t­tre d’éviter ce désagrément.

La sélec­tion des étu­di­ants : ce dernier point est accep­té sans trop de dif­fi­culté mais sans que les insti­tu­tions étrangères en com­pren­nent les con­séquences qui en résul­teront, par exem­ple pour leurs étu­di­ants, quand ils suiv­ront la sco­lar­ité de l’É­cole polytechnique.

Il faut rap­pel­er que toutes les insti­tu­tions d’en­seigne­ment étrangères ont des proces­sus de sélec­tion. Les unes ont une sélec­tion préal­able qui peut être un con­cours nation­al comme en Chine ou en Inde pour les IIT, ou un con­cours spé­ci­fique, les autres font une sélec­tion pro­gres­sive par­ti­c­ulière­ment sévère durant les deux pre­mières années d’é­tudes, mais peu réalisent que le sys­tème des class­es pré­para­toires est un sys­tème qui intè­gre la sélec­tion con­tin­ue et la sélec­tion par con­cours. L’atout majeur de la sélec­tion est de per­me­t­tre, grâce à l’ho­mogénéité du corps étu­di­ant, un enseigne­ment d’un niveau et d’une den­sité exceptionnels.

À ces con­sid­éra­tions dont cer­taines sont des élé­ments impor­tants de notre com­mu­ni­ca­tion, il faut oppos­er les dif­fi­cultés liées à cer­taines des con­traintes imposées par l’É­cole. Voyons donc main­tenant ce qui passe mal.

Les handicaps

La durée : par­tir deux ans étudi­er à l’é­tranger, c’est long. Cette durée doit s’analyser avec un cer­tain recul. Le monde de l’é­d­u­ca­tion a com­mencé à bouger il y a à peu près une quin­zaine d’an­nées. Le pre­mier pro­gramme de mobil­ité de ce type en France date de 1986, année de démar­rage du pro­gramme Time de l’É­cole cen­trale de Paris.

Ce besoin de mobil­ité, d’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion des cur­sus, est ressen­ti un peu partout. Les pays européens ont été les pre­miers à le vivre, mais à sens unique, avec un déficit impor­tant vis-à-vis de pays comme les États-Unis, le Japon, le Cana­da ou l’Aus­tralie. Ces pays-là com­men­cent eux aus­si à chang­er. Aux États-Unis, l’idée de faire six mois ou un an à l’é­tranger pour des études sci­en­tifiques est plus couram­ment admise ; le Japon et cer­tains pays asi­a­tiques ont d’abord été à la mode, main­tenant cela sem­ble être le tour de l’Eu­rope, mais on est encore loin d’échanges équilibrés.

Pour se faire une idée du chemin à par­courir, d’après la com­mis­sion fran­co-améri­caine, il y a trois ou qua­tre ans, il y avait env­i­ron 10 000 Améri­cains venant en France chaque année pour y faire des études supérieures d’une durée de quelques mois à un an et par­mi eux seule­ment moins de 100 fai­saient des études sci­en­tifiques, les autres étant intéressés par l’his­toire, la lit­téra­ture, les arts, peut-être les human­ités. Cette sit­u­a­tion a prob­a­ble­ment évolué, mais on part de loin.

Le posi­tion­nement du cycle de for­ma­tion : l’É­cole poly­tech­nique pro­pose un cycle général­iste aux niveaux 3 et 4 des études supérieures, ce qui est tout à fait atyp­ique par rap­port à ce qui se fait dans les cycles de for­ma­tion d’ingénieur des pays étrangers, puisque ces années sont pré­cisé­ment les années de spé­cial­i­sa­tion ou de début de spécialisation.

Il y a donc un prob­lème lorsqu’un élève étranger venu suiv­re les cours de 2e cycle veut faire créditer auprès de son uni­ver­sité d’o­rig­ine le temps passé à l’É­cole poly­tech­nique. Il est vrai qu’il retourne chez lui avec le diplôme de l’É­cole, mais que vaut ce diplôme dans son pays d’o­rig­ine ? Vaut-il le diplôme qu’il n’a pu avoir s’il n’a pas fait créditer ces deux années passées en France ?

Plus générale­ment, si on vient étudi­er à l’É­cole poly­tech­nique, est-ce que, à l’is­sue de ces deux ans, on repart dans son pays d’o­rig­ine avec ce seul diplôme en poche ou bien peut-on en plus valid­er dans son insti­tu­tion d’o­rig­ine cer­tains ou la total­ité des cours suiv­is ? La ques­tion est impor­tante et il faut du temps et beau­coup d’én­ergie pour la gér­er. Il est évi­dent que l’ab­sence de réponse freine con­sid­érable­ment la venue des élèves étrangers.

Quelle stratégie faut-il suivre pour attirer des élèves étrangers à l’École ?

Ini­tiale­ment, lorsque s’est mise en place cette par­tie de l’ou­ver­ture inter­na­tionale, j’avais dans l’e­sprit qu’il allait être très dif­fi­cile de trou­ver des étu­di­ants ayant une for­ma­tion proche de celle don­née par la taupe, par­lant le français et accep­tant de venir en France, et donc que nous dimin­ue­ri­ons con­sid­érable­ment nos chances en nous restreignant à quelques établissements.

Notre prospec­tion s’est faite dans le monde entier sans dis­tinc­tion d’in­sti­tu­tions, toute insti­tu­tion dont on avait l’as­sur­ance qu’elle était d’un bon niveau dans le pays con­sid­éré pou­vant être une insti­tu­tion cible sus­cep­ti­ble d’être à l’o­rig­ine de can­di­da­tures intéres­santes. On n’a jamais pen­sé se limiter.

Par exem­ple, selon les normes améri­caines, Har­vard a un très bon niveau under­grad­u­ate. Pou­vait-on penser que tous les Améri­cains viendraient de Har­vard ou de quelques insti­tu­tions aus­si réputées ? Évidem­ment non, et l’ex­péri­ence nous mon­tre que cela aurait été un cul-de-sac puisque mal­gré de très bons con­tacts avec Har­vard nous n’avons eu aucun can­di­dat provenant de cette uni­ver­sité. Que feri­ons-nous d’ailleurs, si Har­vard venait recruter nos étu­di­ants en cours de scolarité ?

À cela s’a­joutait le fait que nous avions plutôt une bonne con­nais­sance des étab­lisse­ments réputés en ter­mes de 3e cycle et surtout que s’il fal­lait pass­er par des accords don­nant des équiv­a­lences, on devrait com­par­er dans le moin­dre détail nos cours avec les cours don­nés dans cha­cune des insti­tu­tions cibles. D’une part, nous n’avions pas les moyens humains, d’autre part cela nous aurait pris des années, enfin et surtout il aurait fal­lu assur­er dès le départ les étab­lisse­ments parte­naires d’une cer­taine réciproc­ité, leur envoy­er des X en nom­bre et en durée équiv­a­lents, or nous ne pou­vons qu’inciter les poly­tech­ni­ciens à aller à l’é­tranger pour y com­pléter leur for­ma­tion. Ce point de la réciproc­ité, qui appa­raît comme une évi­dence pour les grandes insti­tu­tions des pays dévelop­pés, sous-entend l’ex­is­tence d’une cor­réla­tion entre la can­di­da­ture d’élèves étrangers et les for­ma­tions com­plé­men­taires à l’étranger.

La réal­ité qu’on observe : dif­fi­culté à attir­er des can­di­dats étrangers, néces­sité d’une cer­taine réciproc­ité, nous a con­duits à faire évoluer notre stratégie et, seule­ment lorsque cela sem­ble être une con­di­tion néces­saire à la mobil­ité, à sign­er des accords de coopéra­tion. On a com­pris qu’il faut inve­stir beau­coup plus dans cette direc­tion et que cette approche devrait com­pléter naturelle­ment la prospec­tion tous azimuts. Ce qui est cer­tain c’est que met­tre en place des accords d’étab­lisse­ment à étab­lisse­ment va pren­dre du temps mais que c’est une voie vers laque­lle nous devons nous engager résolument.

Le problème de la langue

On a con­sid­éré que l’ap­pren­tis­sage de la langue ou la con­nais­sance du français était un prob­lème sec­ondaire. Les indus­triels du Con­seil d’ad­min­is­tra­tion de l’É­cole ont beau­coup poussé pour une inter­na­tion­al­i­sa­tion de la for­ma­tion et la venue d’élèves étrangers non fran­coph­o­nes. Cer­tains dis­aient que ça ne devrait pas pos­er de prob­lème et qu’il suff­i­sait de six mois pour appren­dre le français. Ce n’est pas tout à fait vrai, c’est plus com­pliqué que cela, d’une part il faut vouloir con­sacr­er beau­coup d’én­ergie pour l’ap­pren­tis­sage d’une langue dont on ne com­prend pas qu’une con­nais­sance super­fi­cielle peut s’avér­er un hand­i­cap sérieux, d’autre part, il faut le pouvoir.

Le faire en France coûte cher et ne peut con­stituer la seule activ­ité de quelqu’un de bon niveau. Sur place, il faut trou­ver des enseignants com­pé­tents et le temps à con­sacr­er pour appren­dre effi­cace­ment le français en six mois. Les expéri­ences que nous avons faites en inté­grant des étu­di­ants à la lim­ite raisonnable de la con­nais­sance du français ou en les repor­tant d’une année pour leur per­me­t­tre d’ap­pren­dre notre langue ont mon­tré que c’é­tait un point sen­si­ble et qu’il fal­lait arbi­tr­er entre une con­nais­sance insuff­isante de la langue, donc un hand­i­cap cer­tain pour l’as­sim­i­la­tion des cours, et un risque d’a­ban­don du fait du pro­longe­ment effec­tif à trois ans de la sco­lar­ité avant l’ob­ten­tion du diplôme.

Le coût de la scolarité

Les études à l’É­cole sont payantes et gérées par un arrêté qui requiert que nous exi­gions des frais de sco­lar­ité. Il y a tout un sys­tème de sou­tien qui per­met de dépass­er un peu ce prob­lème, mais il n’en sub­siste pas moins une dif­fi­culté réelle. À terme si on veut attein­dre l’ob­jec­tif que l’É­cole s’est fixé, admet­tre une cen­taine d’élèves étrangers par an, je ne suis pas sûr que nous ayons les moyens, en met­tant bout à bout l’aide des ambas­sades, des indus­triels, de la Fon­da­tion de l’É­cole, des fon­da­tions, etc., de financer ceux qui ne pour­ront pas pay­er les frais de scolarité.

Je voudrais faire remar­quer que le pays qui est don­né comme mod­èle, celui qui nous sert de référence à tous, les États-Unis, offre au niveau grad­u­ate un nom­bre impres­sion­nant de bours­es ou de moyens de finance­ment de la sco­lar­ité (travaux de recherche, cours, petits boulots…). Tout étranger ayant les qual­ités req­ui­s­es pour être admis dans un mas­ter trou­vera un finance­ment aux États-Unis s’il ne peut pas pay­er ses études.

Autre exem­ple, dans le Sud-Est asi­a­tique on s’est trou­vé en con­cur­rence avec l’Aus­tralie. Ce pays a mis en place un sys­tème de recrute­ment très effi­cace en sélec­tion­nant des élèves de très bons niveaux, par exem­ple des médail­lés des Olympiades, aux­quels il offre des bours­es. Cela lui per­met en retour d’at­tir­er des élèves de moins bons niveaux qui, eux, sont prêts à payer.

Quels sont les chantiers de demain ?

Une demande à satisfaire

Durant des décen­nies, l’É­cole poly­tech­nique a été une insti­tu­tion qui a accueil­li des élèves étrangers un peu mal­gré elle. Ceux-ci prove­naient des pays appar­tenant ou proches des zones d’at­trac­tion cul­turelle et poli­tique française ou étaient le fruit de la présence en France de familles étrangères pour une durée suff­isam­ment longue. Leur venue à l’É­cole était donc, du point de vue de celle-ci, le fait du hasard, en tout cas nulle­ment le fait d’une volon­té interne. Main­tenant nous inver­sons com­plète­ment la sit­u­a­tion. Nous voulons faire venir des étrangers et nous affirmer comme un pôle de for­ma­tion au niveau international.

De toute évi­dence, après deux ans de prospec­tion dans un grand nom­bre de pays, on peut con­stater que pour attein­dre cet objec­tif, il y a encore une image ” École poly­tech­nique ” à créer. Cette image doit être double.

D’une part, il faut expli­quer à l’é­tranger ce qu’est l’É­cole poly­tech­nique donc ce qu’est le sys­tème de for­ma­tion des grandes écoles en France. Il faut aus­si expli­quer en quoi ce que pro­pose l’É­cole poly­tech­nique est unique et peut attir­er des étu­di­ants étrangers.

D’autre part, il faut avoir une approche com­mer­ciale, faire du mar­ket­ing et suiv­re en cela le mod­èle anglo-sax­on. Comme nous déb­u­tons, il nous faut accepter de pay­er le prix de ce mar­ket­ing, la rentabil­ité n’ap­pa­rais­sant qu’après. Faire du mar­ket­ing com­mence par le fait de dif­fuser l’im­age met­tant en valeur les points posi­tifs dont j’ai par­lé tout à l’heure et d’in­sis­ter sur les spé­ci­ficités. Faire du mar­ket­ing, c’est aus­si être attrac­t­if en ter­mes financiers.

Deux exem­ples doivent nous faire réfléchir.

L’ac­cueil qui nous a été réservé dans les Insti­tuts indi­ens de tech­nolo­gie et cer­taines uni­ver­sités de ce pays est encour­ageant : il mon­tre que beau­coup d’In­di­ens con­sid­èrent la France comme un grand pays sci­en­tifique et tech­nologique (en aéro­nau­tique notam­ment) et que s’il n’y avait pas les prob­lèmes de langues et de finance­ment actuels, ils pour­raient voir l’ou­ver­ture vers la France comme une alter­na­tive intéres­sante à l’hégé­monie améri­caine, un moyen d’échap­per au piège que con­stitue un mod­èle économique unique.

Ain­si, un Indi­en ter­mi­nant ses études à l’In­sti­tut indi­en de tech­nolo­gie de Karagdhur, admis à l’X, et sol­lic­ité par l’u­ni­ver­sité de Prince­ton pour y faire un doc­tor­at tous frais payés, a préféré, pour une ques­tion de finance­ment et après avoir appris le français pen­dant une année, aller aux USA : ses argu­ments étaient la crainte d’une maîtrise insuff­isante du français, la cer­ti­tude d’un finance­ment et le fait d’en­tamer directe­ment une thèse.

L’autre exem­ple intéres­sant est celui, en Amérique du Sud, des pays du ” Mer­co­sur ” et du Chili. Là encore, nous avons des pays qui ont peur de devenir le marché cap­tif de l’Amérique du Nord. Une démarche s’amorce, mais implique comme dans le cas du Chili des change­ments de com­porte­ment impor­tants. Par exem­ple dans le domaine des math­é­ma­tiques, nous con­nais­sons de nom­breux col­lègues chiliens fran­coph­o­nes qui ont envoyé leurs enfants, à qui ils n’ont pas fait appren­dre le français, étudi­er aux États-Unis. Ils sen­tent main­tenant le besoin de diver­si­fi­ca­tion et souhait­ent à nou­veau se rap­procher de la France et peut-être prochaine­ment nous envoy­er des étu­di­ants. Un sen­ti­ment sem­blable com­mence à appa­raître au Brésil. Il nous faut organ­is­er des répons­es à ces deman­des en affir­mant forte­ment notre présence et en nous don­nant des moyens d’ac­cueil attractifs.

Tout évidem­ment n’est pas si com­pliqué et par exem­ple cette année par­mi les 26 étu­di­ants qui ont été reçus, 3 ont eu des médailles d’or aux Olympiades inter­na­tionales de math­é­ma­tiques ou de physique et un a eu une médaille d’ar­gent, c’est un Européen de l’Ouest, fait extrême­ment rare. Les 3 médail­lés d’or sont viet­namiens et ils ont eu à choisir entre la France, l’Aus­tralie et les États-Unis. Leur choix de la France n’est pas le fruit du hasard, c’est le résul­tat d’une longue cam­pagne de prospec­tion et de sensibilisation.

Une évolution nécessaire

Il reste du chemin à faire pour ” apprivois­er ” le reste du monde. Nous ne devons pas nég­liger non plus de nous adapter à d’autres cul­tures. L’É­cole est un sys­tème qui a deux siè­cles d’ex­is­tence, et cette péren­nité, cette con­stance, mal­gré des évo­lu­tions incon­testées, est due à une cer­taine rigid­ité du sys­tème con­fortée par une réus­site évi­dente. Cette rigid­ité face aux évo­lu­tions rapi­des du monde con­tem­po­rain frise l’ar­chaïsme par­ti­c­ulière­ment en ce qui con­cerne le statut des étrangers ou l’or­gan­i­sa­tion de la formation.

Le statut

La dis­par­ité de traite­ment entre élèves français et étrangers est dif­fi­cile­ment accept­able. Les élèves français sont payés et béné­fi­cient de mécan­ismes leur per­me­t­tant de ne pas pay­er de frais de sco­lar­ité. Les élèves étrangers ne sont pas payés, payent des frais de sco­lar­ité élevés et n’ont aucun moyen de financer leurs études, comme cela se fait ailleurs, par des charges d’en­seigne­ment ou de recherche.

On pour­rait peut-être s’in­spir­er de ce qui se passe à l’É­cole nor­male supérieure. Une nou­velle voie d’ad­mis­sion y a été créée qui met à égal­ité de droit et de devoir les Français et les ressor­tis­sants des autres pays mem­bres de l’U­nion. L’É­cole pour­rait s’in­spir­er de cet exem­ple pour don­ner une réponse par­tielle, au moins pour les étu­di­ants orig­i­naires de l’U­nion européenne, à la ques­tion des frais de scolarité.

La formation

Dès lors que l’on a vu arriv­er des élèves étrangers recrutés hors des for­ma­tions des class­es pré­para­toires s’est posé le prob­lème de don­ner un même enseigne­ment à des élèves français et étrangers qui ne sont pas passés par le même moule de for­ma­tion et qui n’ont pas le même niveau de con­nais­sance du français. Se pose surtout le prob­lème du con­trôle, la néces­sité du classe­ment étant un élé­ment de rigid­ité assez fort. Il faut des con­trôles clas­sants donc il faut se don­ner les moyens de les faire. La ques­tion de la langue util­isée pour rédi­ger les prob­lèmes joue alors un rôle impor­tant. Pour être accept­able par tous, ce devrait être un français qui soit un français que les Anglo-Sax­ons qual­i­fieraient de ” col­lo­qui­al ” et non un français qui frise le lan­gage d’ini­tié et où le sens de chaque mot dépend du contexte.

Un taupin aura com­pris pen­dant les deux ans ou trois ans qu’il aura passés en class­es pré­para­toires que ce qui n’est pas dit dans l’énon­cé doit s’in­ter­préter comme quelque chose de pré­cis qui est cen­sé définir, autant que ce qui est dit, sa stratégie pour résoudre le prob­lème. Évidem­ment dans un tel sys­tème, un étranger sera vic­time de sa con­nais­sance impré­cise du lan­gage et du sys­tème et per­dra beau­coup de temps à explor­er un champ de pos­si­bles trop vaste.

De même, lorsqu’on doit faire des con­trôles clas­sants, il est ten­tant d’u­tilis­er le haut niveau de for­ma­tion et de tech­nic­ité en math­é­ma­tiques des class­es pré­para­toires. On aboutit ain­si à une quan­tifi­ca­tion aisée des résul­tats basée sur des apti­tudes taupinales de rapid­ité à cal­culer des inté­grales ou à résoudre telle ou telle équa­tion différentielle.

Évidem­ment tout ceci n’est pas for­cé­ment inten­tion­nel, mais par­ticipe d’une facil­ité dont il faut appren­dre à se débar­rass­er si on ne veut pas repro­duire durant les pre­miers mois à l’É­cole une copie con­forme du classe­ment d’en­trée, les étrangers à qual­ité intel­lectuelle égale étant relégués, à de rares excep­tions près, loin der­rière les ex-taupins. Il y a là une sorte de mécan­isme plus ou moins incon­scient de con­ti­nu­ité avec les modes d’é­val­u­a­tion aux­quels sont soumis les taupins.

Claire­ment nous devrons vivre une rup­ture par rap­port à cette sit­u­a­tion car nous n’ar­riverons pas à trou­ver dans le monde des étrangers dont la qual­ité du savoir et la con­nais­sance du français soient iden­tiques à celles des taupins sans qu’ils soient eux-mêmes des taupins. Il a été pro­posé de décaler l’en­trée des étrangers pour les faire venir au moment où la sco­lar­ité à l’É­cole ressem­blera plus à la sco­lar­ité stan­dard de n’im­porte quel étab­lisse­ment dans le monde.

Cette propo­si­tion et les con­sid­éra­tions qui précè­dent mon­trent que nous devons nous pos­er une ques­tion fon­da­men­tale : veut-on faire des poly­tech­ni­ciens étrangers ou veut-on faire venir des étrangers à l’É­cole poly­tech­nique ? Si la réponse est faire venir des étrangers à l’É­cole, je ne crois pas que cela soit trop dif­fi­cile, je vous ai d’ailleurs don­né des élé­ments de réponse, et on peut en mul­ti­pli­er le nom­bre sans trop de dif­fi­culté. Si la réponse est faire des poly­tech­ni­ciens étrangers et elle sous-entend évidem­ment envoy­er des poly­tech­ni­ciens français faire des for­ma­tions com­plé­men­taires à l’é­tranger, alors la voie est dif­fi­cile mais passionnante.

Les certitudes

Y a‑t-il encore un modèle polytechnicien ?

Les deux ans passés à l’X fer­ont-ils réelle­ment des CP2 des poly­tech­ni­ciens à part entière ? Pour répon­dre à cette ques­tion, il faut évidem­ment savoir répon­dre à la ques­tion : qu’est-ce qui car­ac­térise un poly­tech­ni­cien ? Ou plus pré­cisé­ment, dans le mode de recrute­ment que nous avons mis en place, la deux­ième voie du con­cours, y a‑t-il des com­pé­tences qui car­ac­térisent les taupins et qui échap­peraient au fil­tre de la sélec­tion de la nou­velle voie du con­cours alors qu’elles sem­blent essen­tielles pour définir un poly­tech­ni­cien ? La taupe est un lieu d’ap­pren­tis­sage de la rigueur, de la volon­té de tra­vail, de la rapid­ité ain­si que d’un cer­tain nom­bre d’au­toma­tismes opéra­toires. Le nou­veau con­cours per­met de se faire une idée de l’e­sprit de rigueur du can­di­dat ain­si que de sa vitesse de com­préhen­sion et de réaction.

Ce que nous espérons c’est que les élèves étrangers qui suiv­ront la sco­lar­ité de l’É­cole vont pro­gres­sive­ment acquérir ces apti­tudes et c’est ce qui se passe.

L’ex­em­ple le plus frap­pant est celui d’un des pre­miers élèves admis par la nou­velle voie du con­cours. Sa sco­lar­ité n’a pas été extra­or­di­naire, mais le résul­tat est que lorsqu’il a quit­té l’É­cole, il avait com­pris qu’il fal­lait hiérar­chis­er les choses, être rapi­de et effi­cace et c’est vis­i­ble­ment ce qu’ont recon­nu chez lui les acteurs économiques qu’il a côtoyés depuis. Il a vis­i­ble­ment acquis une forme de cul­ture nou­velle qui lui per­met de s’in­té­gr­er sans prob­lème dans la famille polytechnicienne.

On est loin d’une for­ma­tion bicul­turelle totale qui néces­sit­erait cer­taine­ment beau­coup plus d’an­nées, mais ce qui a été assim­ilé ain­si est une bonne approx­i­ma­tion de ce qui pour de futurs employeurs car­ac­térise un polytechnicien.

J’ai employé le mot inté­gr­er, je voudrais pré­cis­er le sens qu’il faut don­ner à ce mot. Je crois qu’il faut faire atten­tion à ne pas con­fon­dre inté­gra­tion et homogénéi­sa­tion. Il n’est pas ques­tion de gom­mer toutes les dif­férences cul­turelles entre les élèves français et étrangers en faisant de ces derniers des clones des Français. L’idée est que les étu­di­ants étrangers vont d’une façon ou d’une autre en étant acteurs de la vie à l’É­cole durant deux ans partager en quelque sorte la vie à l’É­cole et s’i­den­ti­fi­er et être iden­ti­fiés à des poly­tech­ni­ciens. Mais l’in­té­gra­tion doit aus­si aboutir à inté­gr­er une par­tie de cette dif­férence. Sans chang­er rad­i­cale­ment ses spé­ci­ficités, l’É­cole doit essay­er de se nour­rir et de trans­former en avan­tage ces dif­férences cul­turelles. Une pre­mière action est que cette dif­férence soit vue pos­i­tive­ment par les yeux des autres et que les élèves qui en sont por­teurs ne la vivent ni comme un avan­tage ni comme un incon­vénient par rap­port aux autres.

De l’intérêt économique de l’ouverture à l’international

J’aimerais par­ler main­tenant de l’im­por­tance économique de l’ou­ver­ture inter­na­tionale de l’É­cole. À pro­pos des for­ma­tions com­plé­men­taires à l’é­tranger, j’ai demandé au prési­dent du groupe Lafarge s’il pou­vait m’indi­quer ce qu’un groupe comme le sien attendait de l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion des for­ma­tions. Il a été amené à par­ler de Lafarge aux USA. C’est un pays où le groupe a beau­coup d’in­térêts. Il recrute donc sur place et sou­vent au niveau mas­ter. Avec le recul, force a été de con­stater que mal­gré la qual­ité du recrute­ment local, il était dif­fi­cile de don­ner des postes de respon­s­abil­ité au niveau du groupe. Un jeune Améri­cain qui marche très bien à la tête d’une cimenterie aux USA ne sera pas à l’aise dans l’é­tat-major parisien du groupe. Les dif­férences cul­turelles sont trop grandes. Les Améri­cains le savent d’ailleurs très bien en par­lant du ” French way of man­ag­ing ” comme d’une con­cep­tion totale­ment dif­férente de la ges­tion des entreprises.

Ce prob­lème est celui que ren­con­trent toutes les grandes entre­pris­es français­es qui ont, dans un pays don­né, des fil­iales qui sont autre chose que des représen­ta­tions com­mer­ciales. Elles sont oblig­ées de recruter locale­ment des cadres et ont des dif­fi­cultés à faire la pro­mo­tion à l’in­térieur de l’en­tre­prise mère des meilleurs d’en­tre eux. J’ai cité l’ex­em­ple de Lafarge mais d’autres comme la BNP ont ren­con­tré le même prob­lème. Pour des entre­pris­es de ce type, en fait la très grande majorité des grands groupes français, le prob­lème est réel et d’une cer­taine façon pou­voir leur pro­pos­er de recruter des X imprégnés de la cul­ture poly­tech­ni­ci­enne, mais aus­si de celle de leur pays d’o­rig­ine, est une action qui les intéresse a pri­ori

beau­coup.

Cela sous-entend aus­si que ces étrangers qui vien­dront faire les deux ans d’X devront retourn­er chez eux pour y com­pléter leurs for­ma­tions et ne pas per­dre le con­tact avec leur pays surtout si celui-ci évolue très rapi­de­ment. Ils auront alors reçu deux for­ma­tions dif­férentes cul­turelle­ment et sci­en­tifique­ment par­lant et devraient être autant à l’aise dans un milieu poly­tech­ni­cien que dans les milieux respon­s­ables de leur pays.

Pour con­clure ce point, il con­vient de faire remar­quer que le fait même qu’un tel prob­lème se pose mon­tre le côté peu inter­na­tion­al des direc­tions de cer­taines entre­pris­es français­es. Est-ce un défaut ? Je ne sais pas, mais il est quand même intéres­sant de méditer les choix faits par cer­tains groupes étrangers et je cit­erais le groupe Schlum­berg­er dont une par­tie impor­tante du cap­i­tal est local­is­able entre les États-Unis et la France et dont la direc­tion est extrême­ment inter­na­tionale avec plus d’une dizaine de nation­al­ités par­mi les dirigeants du groupe.

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