L’innovation appliquée à la sécurité

Dossier : Dossier FFEMagazine N°702 Février 2015
Par Serge MAGINOT (82)

Pourquoi se concentrer sur les produits sécurisés ?

Au départ, notre objec­tif était d’industrialiser une tech­no­lo­gie inno­vante de concep­tion de cir­cuits inté­grés. Nous avons mis au point un flot de concep­tion de cir­cuits dits « asyn­chrones », c’est-à-dire fonc­tion­nant sans aucune hor­loge et dont chaque opé­ra­tion est contrô­lée loca­le­ment par un pro­to­cole basé sur des ren­dez-vous (« handshakes »).

Cette méthode de concep­tion ori­gi­nale per­met de réa­li­ser des cir­cuits qui adaptent auto­ma­ti­que­ment leur vitesse à l’énergie dis­po­nible et qui sont ain­si très robustes, réac­tifs et effi­caces en envi­ron­ne­ment à forte varia­bi­li­té énergétique.

Nous avons ensuite uti­li­sé ce flot (unique sur le mar­ché de micro­élec­tro­nique) pour conce­voir et com­mer­cia­li­ser une famille de cir­cuits inté­grés pour appli­ca­tions sécu­ri­sées et/ou sans contact. Nous nous concen­trons d’ailleurs aujourd’hui sur l’industrialisation de notre pre­mier pro­duit, TESIC-SC, un cir­cuit micro­con­trô­leur sécu­ri­sé à inter­face duale (avec et sans contact) pour cartes à puce ban­caires et docu­ments d’identification.

Nous avons déci­dé de nous spé­cia­li­ser sur ces pro­duits sécu­ri­sés car notre tech­no­lo­gie et notre flot de concep­tion per­mettent de réa­li­ser des cir­cuits par­ti­cu­liè­re­ment effi­caces pour ce type d’applications.

En effet, sachant que l’énergie envoyée au cir­cuit de la carte ban­caire sans contact par le lec­teur de cartes aug­mente lorsque la dis­tance entre carte et lec­teur dimi­nue, les cir­cuits conçus dans notre tech­no­lo­gie asyn­chrone vont ins­tan­ta­né­ment aug­men­ter leur vitesse de trai­te­ment lorsqu’ils se rap­prochent du lec­teur, ce qui leur per­met d’exécuter des tran­sac­tions sécu­ri­sées dans un temps glo­ba­le­ment beau­coup plus court que les cir­cuits tra­di­tion­nels, avec horloge.

De plus, le pro­fil de consom­ma­tion éner­gé­tique de ces cir­cuits, beau­coup plus « apla­ti » que celui des cir­cuits syn­chrones qui pré­sentent des pics de consom­ma­tion dus aux hor­loges, les rends beau­coup plus résis­tants aux attaques de sécu­ri­té. Les cir­cuits de Tiem­po per­mettent donc d’exécuter des tran­sac­tions de manière plus sécu­ri­sée, plus robuste et à une vitesse plus éle­vée dans les condi­tions éner­gé­tiques variables que sont celles des appli­ca­tions sécu­ri­sées sans contact.

Comment garantir un très haut niveau de sécurité pour des marchés aussi sensibles que les cartes bancaires ou les passeports ?

Si tout le monde est fami­lier avec le concept de cyber-attaques ou de pira­tage infor­ma­tique, au niveau logi­ciel, via Inter­net par exemple, moins connus mais tout aus­si réelles sont les attaques sur les maté­riels élec­tro­niques, au niveau du hardware.

Les puces des cartes ban­caires échangent ain­si avec le lec­teur de cartes des don­nées qui sont chif­frées puis déchif­frées au moyen de clefs de chiffrement/déchiffrement, cer­taines de ces clefs étant sto­ckées dans le cir­cuit lui-même. Ceci est éga­le­ment valable pour les infor­ma­tions sto­ckées et trai­tées dans les cir­cuits des docu­ments d’identification, comme les puces des pas­se­ports biométriques.

Or, il existe des tech­niques de pira­tage hard­ware – on parle d’attaques hard­ware – qui per­mettent d’extraire de telles infor­ma­tions des cir­cuits inté­grés. L’analyse dif­fé­ren­tielle de dizaines ou de cen­taines de mil­liers de courbes de consom­ma­tion élec­trique d’un cir­cuit en fonc­tion­ne­ment (exé­cu­tant des chif­fre­ments) per­met d’extraire des constantes de ce cir­cuit (comme les clefs de chiffrement).

D’autres tech­niques d’attaques mettent en oeuvre des inser­tions de fautes dans les cir­cuits, au moyen de lasers ou de glitchs de ten­sion, l’observation des résul­tats fau­tés pou­vant révé­ler des infor­ma­tions sur les constantes du circuit.

Pour empê­cher ces attaques en les ren­dant trop com­plexes et donc trop coû­teuses en maté­riel et en effort de pira­tage, on intègre des contre­me­sures de sécu­ri­té dans les cir­cuits inté­grés pour que ces der­niers détectent auto­ma­ti­que­ment les attaques (détec­teurs de lumière, de tem­pé­ra­ture, de glitchs…) et inter­rompent aus­si­tôt leur fonc­tion­ne­ment, et pour que leur fonc­tion­ne­ment soit « brouillé », c’est-à-dire plus dif­fi­ci­le­ment obser­vable lors d’attaques par ana­lyse de consom­ma­tion électrique.

Nous avons déve­lop­pé et bre­ve­té à Tiem­po plu­sieurs types de contre­me­sures par­ti­cu­liè­re­ment effi­caces grâce à une implé­men­ta­tion en logique asyn­chrone, dont une tech­nique d’insertion de délais aléa­toires pour « apla­tir » et « brouiller » les courbes de consom­ma­tion élec­trique, tech­nique par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace car nos cir­cuits, sans hor­loge, sont insen­sibles aux délais.

Enfin, tous les cir­cuits conçus par Tiem­po sont cer­ti­fiés ISO15408 Cri­tères Com­muns EAL5+ et EMVCo.

Quels sont les autres marchés visés ?

Dès 2009/2010, nous avons com­pris com­bien notre tech­no­lo­gie serait déter­mi­nante pour le mar­ché des pro­duits sécu­ri­sés, et notam­ment pour le mar­ché des cartes ban­caires à inter­face duale (avec et sans contact). Mais le mar­ché de la sécu­ri­té, en forte crois­sance, est beau­coup plus vaste.

Outre les pro­duits pour cartes ban­caires et docu­ments d’identification, le besoin de sécu­ri­ser les tran­sac­tions et les com­mu­ni­ca­tions de don­nées devient cri­tique dans plus en plus d’applications : paie­ment par télé­phone et smart­phone, pro­tec­tion des droits sur les conte­nus numé­riques (comme les cartes à puce pour déco­deurs satel­lite ou pro­grammes cryp­tés, où les enjeux éco­no­miques sont consi­dé­rables), com­mu­ni­ca­tions « machine-to-machine » (M2M) dans l’Internet des Objets, pro­tec­tion de la confi­den­tia­li­té des don­nées médi­cales échan­gées entre appa­reils portatifs/sans fil et bases de don­nées, etc.

Tiem­po vise tous ces domaines où l’on assiste à un besoin accru en chif­fre­ment com­plexe de don­nées trans­mises et en maté­riel élec­tro­nique sécu­ri­sé réa­li­sant ces chiffrements/déchiffrements et résis­tant aux attaques hardware.

Travaillez-vous aussi à une déclinaison de votre technologie appliquée au secteur de la santé ?

Les pro­chaines appli­ca­tions visées après le ban­caire et l’identification sécu­ri­sée seront cer­tai­ne­ment dans le domaine médi­cal. C’est fon­da­men­tal car les don­nées médi­cales doivent être abso­lu­ment pro­té­gées et il y existe de plus en plus d’appareils por­tables connec­tés pour des appli­ca­tions de bien-être ou de santé.

Sur ce type d’applications, outre les besoins en sécu­ri­té, le pro­blème de la ges­tion de la bat­te­rie est éga­le­ment essen­tiel, notam­ment pour la sur­veillance médi­cale des per­sonnes âgées. Avoir une tech­no­lo­gie qui per­met d’ajuster les per­for­mances en fonc­tion de l’énergie dis­po­nible nous donne, en plus de la sécu­ri­sa­tion, un avan­tage concur­ren­tiel cer­tain sur l’aspect énergétique.

Organisation Tiempo

Quel est votre business model ?

Notre pre­mier busi­ness model sui­vait un modèle hori­zon­tal, adres­sant tout type d’applications de cir­cuits inté­grés asyn­chrones, et consis­tait en vente de licences de logi­ciels de CAO et de blocs de pro­prié­té intel­lec­tuelle aux socié­tés de micro­élec­tro­nique conce­vant et fabri­cant des cir­cuits intégrés.

En 2010, nous avons chan­gé notre busi­ness model pour un modèle ver­ti­cal, se spé­cia­li­sant sur une famille d’applications spé­ci­fiques, les appli­ca­tions sécu­ri­sées. Notre socié­té indus­tria­lise et com­mer­cia­lise main­te­nant des cir­cuits inté­grés, nos clients étant les socié­tés fabri­cant des sys­tèmes avec ces circuits.

Tiem­po ne pos­sède pas de salle blanche de pro­duc­tion mais fait fabri­quer ses cir­cuits dans le cadre d’un par­te­na­riat avec une fon­de­rie ita­lienne. Notre pro­duit TESIC-SC est sous contrat de licence avec cette socié­té qui peut four­nir direc­te­ment en sili­cium le client final, lui même sous contrat de licence avec Tiem­po qui touche des royal­ties sur l’ensemble des cir­cuits vendus.

Dans la mesure où nous res­tons une petite socié­té, asso­ciée à des salles blanches, elles-mêmes de taille moyenne et dotées de coûts opé­ra­tion­nels plus réduits, nous arri­vons à pro­po­ser une offre com­mer­ciale très com­pé­ti­tive par rap­port aux grandes socié­tés de microélectronique.

Quels sont vos objectifs et vos perspectives de croissance ?

Le mar­ché des cir­cuits pour cartes ban­caires et docu­ments d’identification est un mar­ché dif­fi­cile, très spé­cia­li­sé et avec de fortes exi­gences, notam­ment sur la sécu­ri­té. Les normes (Cri­tères Com­muns, EMV­Co) y sont aus­si com­plexes que strictes et les lea­ders sont géné­ra­le­ment de grandes socié­tés de micro­élec­tro­nique (NXP, Infi­neon, ST, Samsung..).

Il y a éga­le­ment quelques socié­tés de taille plus modeste, comme Tiem­po, mais il existe aujourd’hui dans le monde moins de dix socié­tés capables de conce­voir et de pro­duire des cir­cuits répon­dant aux normes de sécu­ri­té aus­si exi­geantes que les Cri­tères Com­muns EAL5+ ou EMVCo.

Chez Tiem­po, nous avons tra­vaillé plus de trois ans pour rendre notre socié­té et nos pro­duits com­pa­tibles avec ces normes, ce qui nous donne un avan­tage cer­tain par rap­port à nombre de socié­tés de micro­élec­tro­nique, notam­ment chi­noises, qui vou­draient entrer sur le mar­ché de la sécurité.

Nous savons éga­le­ment que cet avan­tage est tem­po­raire, ce qui nous impose d’être tou­jours plus inno­vant et exi­geant sur le plan tech­nique comme sur notre poli­tique com­mer­ciale et de ges­tion de nos coûts de pro­duc­tion. Ce qui nous inté­resse aujourd’hui, c’est l’idée qu’il y ait, à côté des géants de la micro­élec­tro­nique, une place pour une petite entre­prise capable d’avoir une offre flexible et com­pé­ti­tive en cir­cuits inté­grés sécu­ri­sés et cer­ti­fiés Cri­tères Communs.

Au-delà de la socié­té Tiem­po, nous avons aus­si envie de défendre l’idée qu’il est impor­tant de conser­ver et de déve­lop­per une indus­trie de la micro­élec­tro­nique euro­péenne, tout par­ti­cu­liè­re­ment sur le mar­ché de la sécurité.

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