L’honnêteté intellectuelle m’oblige à vous dire que…

Dossier : Vie du PlateauMagazine N°734 Avril 2018Par : un ancien élève

Chers cama­rades,

Les faits que je vais vous conter se sont tenus il y a plus d’une dizaine d’années, et pour­tant ils res­tent encore pré­ci­sé­ment ins­crits dans ma mémoire. 

J’étudiais à l’X, tout comme vous aujourd’hui, et un pro­jet devait être ren­du. Le thème choi­si s’est avé­ré, à l’expérience, plus aride que pré­vu. Nous errions un peu, sans direc­tion claire. La date de remise des tra­vaux appro­chait, et Inter­net, qui pre­nait son essor, a mis sur notre route une réfé­rence qui s’inscrivait par­fai­te­ment dans nos atten­dus. Nous avons refor­mu­lé cette réfé­rence sans la citer en tant que telle, et remer­cié son auteur en préface. 

Rien que d’assez banal peut-être pour l’époque en réa­li­té, mais ce qui aurait dû être rapi­de­ment oublié, ne l’a pas été. Ce n’est qu’après avoir quit­té les bancs de l’École que j’ai réel­le­ment appris l’art des cita­tions, et qu’un mot est appa­ru mena­cer de qua­li­fier cette expé­rience pas­sée qui pro­gres­si­ve­ment me tour­men­tait… « Plagiat ». 

Je mesure com­bien je suis rede­vable à l’École, et j’en reste aujourd’hui son débi­teur jusqu’à ce que je puisse l’honorer autant qu’elle m’a appor­té. Pour cette rai­son peut- être, à chaque suc­cès pro­fes­sion­nel, reve­nait en fili­grane ce sou­ve­nir sco­laire qui l’affadissait un peu. 

Plus récem­ment, ce sont des joies per­son­nelles de deve­nir père qui me rap­pellent, alors que je m’évertue à incul­quer à mes jeunes pousses les valeurs qui me sont chères, ces contra­dic­tions de ne pas leur avoir été constam­ment fidèle. 

Les conseils pro­di­gués par ceux auprès de qui je me suis ouvert de ce vague à l’âme m’ont d’abord conseillé d’enterrer l’affaire. Un de ces adeptes du carpe diem a même été jusqu’à assi­mi­ler mon École à la grande muette, alors même que sa devise que nous réci­tons avec fier­té en est l’antithèse.

Ces pré­co­ni­sa­tions n’ont en réa­li­té fait que pro­lon­ger ce malaise qui gran­dis­sait dans mon esprit, jusqu’à ce que je prenne le pas de sim­ple­ment confes­ser cette erreur de jeu­nesse à notre pro­fes­seur d’alors. « Dites un mot et je serai gué­ri »… Je le suis désor­mais, avec beau­coup de gratitude. 

Il eût été pré­fé­rable que ces faits ne se tinssent jamais. L’enjeu est-il tech­nique, à l’image de ces sys­tèmes de détec­tion que cer­tains éta­blis­se­ments ont appa­rem­ment ten­té de déployer comme garde-fous ? Je ne l’imagine pas un ins­tant : nos esprits aigui­sés pour­ront tou­jours user de cir­con­vo­lu­tions éla­bo­rées pour les contourner. 

Est-il répres­sif, alors ? J’ai le sen­ti­ment qu’à nou­veau, ça serait faire fausse route que d’imaginer impres­sion­ner avec une loi ou un règle­ment sup­plé­men­taire de jeunes étu­diants dont l’âge veut qu’ils défient le monde. 

Chers tous, des quelques années qui me séparent de votre jeu­nesse que j’envie, je sou­hai­te­rais vous signi­fier qu’à mes yeux, au contraire, l’objectif pre­mier est de vous convaincre que ces règles éthiques vous pro­tègent de vous-mêmes. Vous assurent que dans un ins­tant d’égarement ou d’ignorance, vous n’oublierez pas de res­pec­ter tous les efforts qui vous ont menés là où vous êtes aujourd’hui. Et que vous n’écornerez ain­si jamais mal­gré vous l’image posi­tive que vous devez conser­ver de vous-mêmes. 

Si ce témoi­gnage peut appor­ter, à sa bien modeste mesure, à la réflexion de mon École et des géné­ra­tions futures de mes cama­rades, alors ma mésa­ven­ture n’aura pas été com­plè­te­ment inutile.
 

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