Mendier pour vivre

L’exclusion sociale, un défi. Présentation du numéro

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998
Par Jacques GALLOIS (45)
Par Jacques DENANTES (49)

Affec­tés à des col­lèges de l’É­d­u­ca­tion nationale, à des com­mis­sari­ats de police, à des mis­sions locales ou à des asso­ci­a­tions qui œuvraient dans le domaine de l’in­ser­tion sociale, ils avaient ren­con­tré des mon­des et des men­tal­ités très éloignés de tout ce qu’ils avaient con­nu jusqu’alors, faisant la décou­verte d’un véri­ta­ble fos­sé cul­turel. C’est en fonc­tion de leur regard que nous avons pro­posé à la rédac­tion de La Jaune et la Rouge de com­pos­er ce numéro spé­cial sur le thème de la frac­ture sociale.

Le contenu

Nous avons com­mencé par les inter­ven­tions des élèves aux­quelles font suite celles de trois adultes qui, lors de cette même soirée, leur avaient fait écho en rela­tant com­ment, dans le cadre de leur vie pro­fes­sion­nelle, ils avaient ren­con­tré l’ex­clu­sion sociale. Nous avons voulu ensuite entr­er dans la com­préhen­sion des mécan­ismes de la frac­ture, et pour cela nous avons sol­lic­ité trois experts de don­ner leur point de vue sur les trois prin­ci­paux domaines de l’ex­clu­sion, que sont l’é­cole, l’emploi et le logement.

Puis nous avons don­né la parole à des témoins : les uns ont per­son­nelle­ment vécu les proces­sus de l’ex­clu­sion dans le déroule­ment de leur vie sco­laire ou dans leur sit­u­a­tion de chômeurs, d’autres se sont engagés dans la lutte con­tre l’ex­clu­sion, acteurs dans des ser­vices soci­aux, dans des organ­i­sa­tions human­i­taires ou dans des entre­pris­es ; d’autres enfin ont fait un détour pour la ren­con­tr­er, cinéastes, musi­ciens, hauts fonc­tion­naires ou respon­s­ables d’entreprises.

Le message

Les auteurs de ce numéro sont évidem­ment très sen­si­bles à la dimen­sion sociale du prob­lème de l’ex­clu­sion, car pour eux les valeurs en jeu sont celles des droits de l’homme pour tous et de la sol­i­dar­ité. Mais ils sont égale­ment con­va­in­cus de la dimen­sion économique des prob­lèmes qu’ils soulèvent.

Dans ce temps de mon­di­al­i­sa­tion des économies, il leur paraît évi­dent que la meilleure com­péti­tiv­ité de la société française dépend aus­si de sa capac­ité à mieux val­oris­er son poten­tiel humain, et notam­ment à refuser que soient si nom­breux ceux qui restent sur le bord, sous pré­texte d’ig­no­rance ou de mar­gin­al­ité. Ils voudraient, par ce numéro, inter­peller la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne sur trois points.

Il s’ag­it d’abord de l’é­d­u­ca­tion et de la for­ma­tion : il est ici ques­tion d’échec sco­laire qu’il faut prévenir, et plusieurs de nos témoignages font ressor­tir tout ce qu’il reste à faire dans ce domaine. Mais il faut enten­dre aus­si une autre inter­pel­la­tion sur la néces­sité de ren­dre cet échec réversible en dévelop­pant la for­ma­tion à tous les niveaux.

Les entre­pris­es avaient autre­fois leurs ate­liers d’ap­pren­tis­sage, qui les con­frontaient à la tâche de for­mer des jeunes sans qual­i­fi­ca­tion. Cette tâche est main­tenant ren­voyée sur l’é­cole où ses résul­tats ne sont mesurés qu’à l’échelle de diplômes, lesquels mar­quent les indi­vidus pour leur vie entière.

Nous par­lons ici d’une sec­onde chance qui per­me­t­trait de recon­naître et de val­oris­er le plus grand nom­bre de nos conci­toyens. “Je crois qu’il est très impor­tant que nous disions que per­son­ne, absol­u­ment per­son­ne, n’est inca­pable d’avoir une vraie for­ma­tion”, déclarait Geneviève Antho­nioz de Gaulle lors du col­loque organ­isé pour le 200e anniver­saire de l’École.

Il s’ag­it ensuite de l’emploi et du chô­mage : ce numéro traite des dif­fi­cultés de l’ac­cès des jeunes à l’emploi, de l’ir­réversibil­ité du chô­mage et de l’in­er­tie qui paral­yse la créa­tion d’emplois. Pour amélior­er leur image bour­sière, des entre­pris­es font le choix de sup­primer des emplois. Les arti­sans préfèrent refuser du tra­vail pour s’é­pargn­er les soucis d’une embauche. Enfin ceux qui désirent créer leur pro­pre activ­ité choi­sis­sent sou­vent de rester dans l’in­formel pour éviter des tra­cas et échap­per aux prélève­ments oblig­a­toires. Que pour­rait-on faire dans tous ces cas, pour préserv­er l’avenir sans met­tre en péril les institutions ?

Il s’ag­it enfin de curiosité pour la réal­ité du fonc­tion­nement social de notre pays. Aucune sta­tis­tique ne peut rem­plac­er la con­nais­sance des hommes, des femmes et des familles que ce fonc­tion­nement tend à exclure, et aucune poli­tique, si généreuse soit-elle dans sa présen­ta­tion, ne peut s’ap­pli­quer cor­recte­ment si elle n’est pas fondée sur cette connaissance.

On par­le main­tenant de l’in­tel­li­gence économique néces­saire à la direc­tion des entre­pris­es et des États1. Dans ce numéro, c’est de l’in­tel­li­gence sociale qu’il s’ag­it, celle qui serait néces­saire pour organ­is­er un développe­ment har­monieux dans la démocratie.

L’envoi

Nos par­lemen­taires ont débat­tu pen­dant plusieurs semaines d’un pro­jet de loi sur l’ex­clu­sion sociale. Par ce numéro nous voulons sig­ni­fi­er que ce prob­lème con­cerne par­ti­c­ulière­ment la com­mu­nauté polytechnicienne.

Suiv­ant les ter­mes de Geneviève Antho­nioz de Gaulle lors de ce même col­loque, “il serait temps qu’on s’en occupe sérieuse­ment. Je pense que c’est tout à fait votre rôle, à vous Poly­tech­ni­ciens. D’abord, c’est notre rôle à tous, bien sûr, nous sommes tous priv­ilégiés ici, mais peut-être que sans l’être par­ti­c­ulière­ment, vous avez, me sem­ble-t-il, une dette envers les autres. Vous avez reçu quelque chose d’ex­cep­tion­nel et je pense que cela, vous devez le partager.

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1.L’in­tel­li­gence économique peut être définie comme l’ensem­ble des actions coor­don­nées de recherche, de traite­ment et de dis­tri­b­u­tion… de l’in­for­ma­tion utile aux acteurs économiques.” Extrait du rap­port “Intel­li­gence économique et stratégie des entre­pris­es”. Com­mis­sari­at au Plan, 1994, La Doc­u­men­ta­tion Française.

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