Résister au désastre écologique et social

Lettre ouverte aux camarades pour résister au désastre

Dossier : ExpressionsMagazine N°760 Décembre 2020
Par Fabien ESCULIER (2003)

Cama­rade de l’École polytechnique,

J’ai déje­uné récem­ment avec un cama­rade de pro­mo­tion que je n’avais pas vu depuis quinze ans. Il m’a con­tac­té parce qu’il a, je le cite, « pris con­science pro­gres­sive­ment du choc cli­ma­tique qui nous attend » et qu’il a eu con­nais­sance des travaux que je mène en recherche-action publique pour résis­ter au désastre.

Il tra­vaille dans une entre­prise qui conçoit des sys­tèmes logi­ciels per­me­t­tant de faire fonc­tion­ner les marchés financiers. Taraudé depuis plusieurs années par cette prise de con­science, il est arrivé à ce con­stat désor­mais clair : son tra­vail ne fait plus sens pour lui. Alors que notre société con­naît une sit­u­a­tion écologique et sociale cat­a­strophique, com­ment men­er une activ­ité pro­fes­sion­nelle qui, au mieux, sert sim­ple­ment à faire tourn­er notre société délétère, au pire la ren­force dans cette direc­tion et accélère le proces­sus de destruc­tion sociale et écologique actuelle­ment en cours ?

De la prise de conscience…

Je date sou­vent le moment de ma prise de con­science à une con­férence que Jean-Marc Jan­covi­ci avait don­née à l’École poly­tech­nique en 2004. Il nous avait expliqué que toute notre société fonc­tion­nait aux hydro­car­bu­res fos­siles con­ven­tion­nels, qu’il n’y en avait presque plus en France, que nous étions en train de pass­er le pic d’extraction de pét­role con­ven­tion­nel au niveau mon­di­al et que chaque gramme d’hydrocarbure fos­sile brûlé con­tribuait à un dérè­gle­ment cli­ma­tique plané­taire de nature à créer des désta­bil­i­sa­tions géopoli­tiques majeures et remet­tre en cause jusqu’à l’habitabilité même de la planète. J’ai vécu alors un réel choc trau­ma­tique dont je ne me suis tou­jours pas remis. Quel était le sens des métiers aux­quels on nous des­ti­nait s’ils ne per­me­t­taient pas de garan­tir une appréhen­sion sérieuse de ce désas­tre col­lec­tif ? Béné­fici­er de l’enseignement pub­lic d’excellence de l’École poly­tech­nique me sem­blait égale­ment con­fér­er une respon­s­abil­ité accrue à cet égard.

…à la mise en mouvement

Par cette let­tre, je souhaite partager avec toi le sen­ti­ment que la prise de con­science col­lec­tive du désas­tre grandit. Quelle est la capac­ité de notre société à se met­tre en mou­ve­ment pour y répon­dre effec­tive­ment ? Je suis per­suadé que nous avons col­lec­tive­ment d’immenses ressources et nous avons con­staté, mon cama­rade et moi, que la diminu­tion de notre activ­ité pro­fes­sion­nelle « clas­sique » avait été un préal­able pour réori­en­ter nos efforts. J’avais pris un con­gé parental à la nais­sance de mon pre­mier enfant et j’avais mis à prof­it ces quelques mois de prise de dis­tance avec la frénésie pro­fes­sion­nelle pour ten­ter de con­stru­ire un pro­jet qui me sem­ble faire sens. 

Il me reste, comme à tout le monde, de nom­breux para­dox­es irré­so­lus entre la vie per­son­nelle et pro­fes­sion­nelle que je mène et ce qui me paraî­trait cor­re­spon­dre à une réponse appro­priée au désas­tre en cours. Mais j’ai l’impression qu’un temps de recul est extrême­ment fécond pour per­me­t­tre d’infléchir son par­cours pro­fes­sion­nel et que mon util­ité sociale n’avait jamais été aus­si élevée que lorsque j’avais arrêté de travailler !

Nous sommes tous enchevêtrés dans des con­traintes per­son­nelles et pro­fes­sion­nelles très dif­férentes. Avec le cap­i­tal économique, cul­turel et social glob­ale­ment si élevé des anciens élèves de Poly­tech­nique, il me sem­ble toute­fois que nous avons la capac­ité, et le devoir, de pren­dre le temps de réfléchir, d’arrêter par­tielle­ment, tem­po­raire­ment ou défini­tive­ment notre tra­vail actuel au besoin, et d’infléchir nos tra­jec­toires per­son­nelles et pro­fes­sion­nelles pour résis­ter sérieuse­ment au désas­tre écologique et social que nous vivons.


PS : j’avais com­pilé pour un ami ingénieur quelques élé­ments explic­i­tant en quoi la sit­u­a­tion écologique et sociale est désas­treuse. Si ça peut t’être utile, tu peux lire ces élé­ments ici : https://tinyurl.com/unesituationdesastreuse.

J’ai égale­ment ouvert un bloc-note pub­lic pour pro­longer les échanges : https://mypads2.framapad.org/p/echanges-cw7hp905.

PPS : l’expression « résis­ter au désas­tre » est tirée de l’ouvrage éponyme d’entretiens avec Isabelle Stengers (Édi­tions Wild­pro­ject, 2019). Sa ques­tion cen­trale est : « Que peut-on fab­ri­quer aujourd’hui qui puisse éventuelle­ment être ressource pour ceux et celles qui viennent ? »


Pour entr­er dans la dis­cus­sion, pro­pose ton point de vue en com­men­taire ci-dessous.

9 Commentaires

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alain.verglas.1957répondre
11 décembre 2020 à 11 h 51 min

J’ai été atter­ré et choqué par la pub­li­ca­tion de cette let­tre ouverte.

Je l’ai été d’abord par le con­tenu au style angois­sé et apoc­a­lyp­tique où le mot de désas­tre, employé six fois, résume ce que son auteur juge de notre monde. Pourquoi ce délire ? L’ig­no­rance ? Dans tous les domaines ou presque, l’aug­men­ta­tion de la pro­duc­tiv­ité a per­mis un nom­bre con­sid­érable de pro­grès : faim dans le monde, pau­vreté, mor­tal­ité infan­tile, durée de vie, pro­preté de l’air, forêts, etc. même si bien des domaines restent encore à amélior­er. Alors pourquoi ces prophéties men­songères, dignes du sin­istre Club de Rome des années 70 ? Et, pourquoi ces injures au tra­vail et au courage de ceux, dont de nom­breux X, qui ont con­tribué à ces pro­grès ? Voilà où con­duit cet écol­o­gisme fana­tique et dan­gereux dont les dogmes sim­plifi­ca­teurs sont un déni des faits, comme l’ont été en leur temps le dogme de la race ou celui du prolétaire. 

Je l’ai été surtout par le fait que La Jaune & La Rouge n’a pas rejeté ni com­men­té cette prophétie déli­rante et fal­lac­i­euse. Elle a le droit et le devoir de refuser des textes comme celui-ci qui offensent la rai­son et sont l’ex­pres­sion des croy­ances d’une clique bruyante, minori­taire, mais dan­gereuse qui fait ici du prosé­lytisme. Ces textes sec­taires et men­songers n’ont pas leur place dans une revue comme la nôtre. La déci­sion de les pub­li­er, con­nais­sant le soin mis dans le choix des con­tri­bu­tions, est une forme d’ap­pro­ba­tion et de prop­a­ga­tion de “fake news”. Elle est aus­si , me sem­ble-t-il, con­traire à l’e­sprit de l’AX qui s’ab­stient de débat­tre de sujets poli­tiques ou religieux. Elle est de même une par­tic­i­pa­tion mal­v­enue au cli­mat d’in­quié­tude actuel, en par­ti­c­uli­er chez les étu­di­ants, dont les X. Elle est enfin une bien­veil­lance à l’é­gard des pro­pos d’un cama­rade déser­teur du tra­vail, en dépit de ce dont il a béné­fi­cié de la société et de ce qu’il lui doit. Où va l’AX en cau­tion­nant cela ?

Ma réac­tion, qui con­tient aus­si une part de tristesse, est aus­si celle de quelques cama­rades que j’ai approchés. Eux comme moi ne com­prendraient pas que notre revue ne respecte plus l’e­sprit de rai­son et de pondéra­tion qui doit être notre ADN.

Julien LEFEVRErépondre
21 décembre 2020 à 12 h 30 min

Je suis atter­ré et choqué par le com­men­taire de Alain Ver­glas. La “sin­istre prophétie du club de Rome” est mal­heureuse­ment bel et bien une réal­ité, voir par exem­ple On the Cusp of Glob­al Col­lapse ? Updat­ed Com­par­i­son of The Lim­its to Growth­with His­tor­i­cal Data, Turn­er, 2012. Mais surtout, il sem­ble que vous ne soyez pas au courant des rap­ports du GIEC, qui ont bel et bien démon­tré que le mode de vie que vous sem­blez défendre (“busi­ness as usu­al”) n’est pas com­pat­i­ble avec une diminu­tion des émis­sions de CO2 et par con­séquent d’une lim­i­ta­tion de la hausse de la tem­péra­ture moyenne sur terre.
Ain­si je ne vois pas très bien en quoi le cama­rade Fabi­en Esculi­er serait prop­a­ga­teur de fake news mais m ‘inter­roge plutôt sur la teneur de votre message…

J’en prof­ite surtout pour applaudir Fabi­en pour avoir écrit ce cour­ri­er. Ne serait ce pas le moment d’un appel large de tous les anciens poly­tech­ni­ciens (et ils sont nom­breux) investis pour le néces­saire change­ment de société qui per­me­t­tent de respecter les accords de Paris et plus générale­ment de vivre dans un monde plus juste, plus respectueux de l’hu­main et de la nature ?

Bernard CHENEVEZrépondre
21 décembre 2020 à 13 h 32 min

Quant à moi, je suis atter­ré et choqué du com­men­taire récem­ment posté par Alain Ver­glas. S’il a par­faite­ment le droit de ne pas être d’ac­cord avec Fabi­en Esculi­er, de quel droit peut-il lui con­tester la pos­si­bil­ité d’ex­primer son point de vue ? De quel droit peut-il qual­i­fi­er ce point de vue de déli­rant, fal­lac­i­eux, injurieux, fana­tique, dan­gereux ? On peut s’interroger : de quel côté est l’injure et le fanatisme ?
L’au­teur de la let­tre ouverte ne fait pas autre chose que de pro­pos­er de pren­dre du recul sur ce que pro­pose la société d’au­jour­d’hui ; mar­qué par une con­férence du cama­rade Jean-Marc Jan­covi­ci, il s’est lui-même remis en ques­tion et estime néces­saire de partager ses con­vic­tions ; il n’in­vite pas les lecteurs à arrêter de tra­vailler mais à réfléchir à une inflex­ion de leur par­cours per­son­nels et pro­fes­sion­nels. Franche­ment, où est le mal ?
Non, ceux qui esti­ment que le pro­grès d’une nation ne se mesure pas for­cé­ment à la crois­sance de son PIB ne sont pas à met­tre au ban de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne ! On peut même se deman­der si la jeunesse d’aujourd’hui, plus inquiète de l’avenir de la planète que les généra­tions précé­dentes n’accueillerait pas plus favor­able­ment le ques­tion­nement de l’auteur de la let­tre ouverte que les cer­ti­tudes de celui du pre­mier commentaire.
Et mer­ci à la Jaune et la Rouge de laiss­er aus­si de la place à des points de vue qui dérangent.

ROBERT RANQUETrépondre
21 décembre 2020 à 14 h 54 min

Un com­men­taire de Bruno Wiltz (57)
Cher Camarade 
Cer­tains mem­bres de ma pro­mo­tion-57- se sont offusqués de la pub­li­ca­tion de ta let­tre dans la
revue de décem­bre 20. Je partage leurs sen­ti­ments. Ils en ont marre de recevoir des incan­ta­tions sur
une sit­u­a­tion qu’ils con­nais­sent par­faite­ment, qui ressem­ble plus à un faire-val­oir personnel,
dépourvues de propo­si­tions crédi­bles et effi­caces. Il est vrai que le monde ne répond pas
suff­isam­ment vite aux objec­tifs néces­saires, mais aus­si que l’Europe s’essouffle pour y arriver,
vaine­ment, compte-tenu de son faible impact ; c’est encore plus vrai pour la France, meilleure des
grands Etats européens, ce qui n’exclut nulle­ment les efforts à fournir.
Tu es un spé­cial­iste des excré­tions humaines. Recy­cler les déchets-tout est déchet-est louable
pour l’environnement. C’est une excel­lente idée de vouloir en faire prof­iter les sols, avec des
exter­nal­ités, comme on l’a fait depuis des siè­cles pour les ani­maux d’élevage. On le pra­tique au
Ghana, mais par foy­er, accom­pa­g­né d’une pro­duc­tion de gaz par métha­na­tion de cette matière elle
aus­si par foy­er. Peut-être as-tu déçu que tes thès­es n’aient pas été encore appliquées et que crier au
désas­tre per­me­t­trait d’accélérer ? Sera t’elle aus­si un déchet ?
J’ai bien con­nu la recherche, les chercheurs et même les académi­ciens. Beau­coup d’entre eux, du
fond de leur puits de con­nais­sances sou­vent con­sid­érables, voire extra­or­di­naires ne voient du ciel
qu’une toute petite par­tie ; ça s’applique aus­si à ceux qui sont dans un puits d’ignorances.
Je ne peux pas imag­in­er que « le cap­i­tal économique, cul­turel et social » des chers cama­rades, bien
enten­dus non sci­en­tifiques, ni cartésiens, ni rigoureux, ne leur per­me­tte pas de pren­dre conscience
du choc cli­ma­tique et de ses con­séquences ; il est vrai qu’une toute petite minorité, très ou trop
sci­en­tifique pense « sci­en­tifique­ment » que les émis­sions anthro­pogéniques ne sont pas coupables.
Ancien Vice-prési­dent des IESF- Ingénieurs et Sci­en­tifiques de France- que tu con­nais surement ?-,
respon­s­able de tous les comités sec­to­riels, dont Envi­ron­nement, Energie, une ving­taine, 82 ans,
tou­jours très act­if sur ces deux et quelques autres, je ne me vois pas « réfléchir » de la façon que tu
souhaites ; et c’est le cas de la plu­part du mil­lion d’ingénieurs en France : ils agis­sent. Nous
procla­m­ons haut et fort notre engage­ment pri­or­i­taire dans la lutte con­tre le réchauffement
cli­ma­tique, non par des mots, mais par des études très appro­fondies, des cri­tiques d’ingénieurs
tou­jours accom­pa­g­nées d’alternatives pos­i­tives, réal­is­ables, et offi­cial­isées. Exem­ple un peu
dif­férent : l’ ASN-Agence de la Sécu­rité Nucléaire‑, vient de lancer une con­sul­ta­tion publique pour la
pro­lon­ga­tion de la durée de vie d’une caté­gorie de réac­teurs ; notre réac­tion a été immé­di­ate en
envoy­ant à l’ASN les raisons de notre sou­tien, con­tre tous les anti­nu­cléaires qui se déclar­ent écolos,
alors que le nucléaire, avec ses défauts, est le plus effi­cace pour lut­ter con­tre le réchauffement
cli­ma­tique, moins émet­teur de CO2, et de loin, par rap­port aux élec­tric­ités intermittentes.
Nous sommes des favorisés ; nous devons nous bat­tre, mais devant, pas der­rière avec de beaux
dis­cours. Il y en aura tou­jours qui iront se con­fin­er dans la mon­tagne et brouter de l’herbe avec leurs
mou­tons ; Panurge rôde. Alors, soyons sci­en­tifiques, ingénieurs, cartésiens, rigoureux, créatifs
prag­ma­tiques, entre­pre­neurs, et pas psis moralisateurs.
Avec mes excus­es pour ce dis­cours dont je n’ai pas l’habitude, je suis franc et direct, pas méchant ;
on ne se change pas. En toute camaraderie
Bruno Wiltz X 1957

Christophe Math­ey (91)répondre
21 décembre 2020 à 19 h 33 min

Même chez nos cama­rades il existe encore des cli­ma­to-scep­tiques , comme quoi ce n’est pas gag­né même si le renou­velle­ment des généra­tions est por­teur d’e­spoir.… Pour les autres (nom­breux et majori­taires j’e­spère) c’est par là –> https://alumnifortheplanet.org/. Et bra­vo effec­tive­ment à notre cama­rade Jean-Marc Jan­covi­ci qui a aus­si été celui qui m’a ouvert les yeux.

Marc Bel­loeil (X88)répondre
21 décembre 2020 à 19 h 44 min

Je prends le temps de répon­dre à cette let­tre ouverte qui m’a beau­coup attristé.
Attristé par le fait que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique rime dans l’esprit de cer­tains cama­rades avec désas­tre écologique et social. Un dis­cours tenu par Jean-Marc Jan­covi­ci qui ne manque pas d’arguments et de tal­ents. A ceux qui ont été con­va­in­cus par ses idées, je leur recom­mande de lire le livre de Steven Pinker “le tri­om­phe des lumières”. Ils y trou­veront des argu­ments sérieux avec des études chiffrées qui lais­sent entrevoir un avenir plus réjouis­sant. Je pense, comme ce dernier, que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique existe mais qu’il ne con­duira pas l’humanité au désas­tre. Gar­dons à l’esprit qu’il y a 42.000 ans, l’homme a colonisé l’Australie et que le niveau des mers était à ‑80 mètres. Le cli­mat a changé et la vie n’a pas dis­paru pour autant.
Je regrette comme Alain Ver­glas que la jaune et la rouge ait pub­lié cette let­tre ouverte qui, par son ton alarmiste, fait irrémé­di­a­ble­ment penser à cer­tains dis­cours poli­tiques. L’écologie sci­en­tifique existe et elle est hon­or­able. Mais l’écologie poli­tique n’a rien de sci­en­tifique. Le dar­win­isme est une approche sci­en­tifique du vivant extrême­ment con­va­in­cante. Mais elle n’a rien à voir avec l’usage que les poli­tiques en ont fait. Les écosys­tèmes ne sont pas car­ac­térisés par des équili­bres sta­tiques. Et l’eugénisme n’a rien de sci­en­tifique. On ne trou­vera aucune valeur supérieure dans la sélec­tion naturelle car elle oeu­vre en aveu­gle. Et sur le fond, il y a un vrai dan­ger à fonder une société sur des principes extérieurs à l’homme. Car, c’est la porte ouverte à tous les excès comme l’illustre cette propo­si­tion de la con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat de réécrire le préam­bule de la Con­sti­tu­tion pour « plac­er l’environnement au-dessus de nos autres valeurs fon­da­men­tales ». Fon­da­men­tales ! Rien que ça !
Mais si j’analyse cor­recte­ment la let­tre ouverte de Fabi­en, il abor­de bien le sujet de cette façon puisqu’il con­sid­ère les prob­lèmes envi­ron­nemen­taux comme struc­turants pour son avenir per­son­nel et pro­fes­sion­nel. Je le dis car je le pense : c’est pro­fondé­ment absurde.

Gérard UNTERNAEHRER (72)répondre
22 décembre 2020 à 10 h 45 min

La liber­té d’expression per­met le débat. Et, je pense que ce sujet mérite un vrai débat.
Des épreuves nous atten­dent dans les décen­nies à venir, comme le dérè­gle­ment cli­ma­tique, la résis­tance aux antibi­o­tiques, la chute de la bio­di­ver­sité, la pol­lu­tion, etc. On les observe, ce sont des enjeux !
La sci­ence a per­mis de fab­uleux pro­grès pen­dant la révo­lu­tion indus­trielle, et notre com­mu­nauté y a grande­ment con­tribuer. On ne mobilise pas un peu­ple en le cul­pa­bil­isant, en lui promet­tant du sang et des larmes, mais en lui don­nant de l’espoir, en le tirant vers le haut.
Nous pour­rions mobilis­er notre intel­li­gence col­lec­tive pour apporter des solu­tions de prospérité. Par exem­ple, Jeff Bezos donne 10 mil­liards de dol­lars pour pro­pos­er des pro­jets pour lut­ter con­tre le dérè­gle­ment cli­ma­tique. Ne seri­ons-nous pas capa­bles de lui cha­parder un ou deux mil­liards pour faire un pro­jet ambitieux dans le déploiement d’un inter­net de l’énergie, ou autre chose ?
Faute de pro­pos­er un avenir, le peu­ple se détourne de ses élites, et je pense qu’il y urgence à s’interpeller sur le sujet. J’ai pro­posé une amorce de réflex­ion suite à une con­sul­ta­tion des anciens de mon école d’application :
https://www.institutpenserdemain.com/post/elites-et-soci%C3%A9t%C3%A9?cid=422fdb99-16a1-47ab-9bcb-c62001f3f3cf&utm_campaign=0cd77c12-a75d-426f-8d48-0b21bca86120&utm_medium=mail&utm_source=so .
C’est du brain­storm­ing, et il y a sure­ment à pren­dre et à laiss­er, mais je pense qu’il faudrait s’intéresser à cette frac­ture entre élites et société, car elle con­cerne aus­si notre communauté.
Joyeuses fêtes.

Charles Bodel (2000)répondre
28 décembre 2020 à 23 h 38 min

voilà une let­tre qui fait réa­gir ! Les reproches d’Alain ver­glas ne sont pas mérités, et surtout, ils ne sont pas à la mesure des muta­tions et des pris­es de con­science de la société que les plus jeunes généra­tions vont con­naître. Cette invi­ta­tion à faire évoluer notre mode de vie et notre pro­jet pro­fes­sion­nel est bien­v­enue dans un monde où les ingénieurs ont trop sou­vent pen­sé que le pro­grès tech­nologique résoudrait tout les prob­lèmes que nous ren­con­trons. Nous savons aujour­d’hui que ce ne sera pas le cas, et que la tech­nolo­gie n’est par­fois qu’un pal­li­atif aux prob­lèmes qu’elle a elle-même créée. Sai­sis­sons donc ces oppor­tu­nités à réfléchir sur l’ori­en­ta­tion que nous souhaitons don­ner à nos vies !

chris­tine chi­quet (82)répondre
18 janvier 2021 à 12 h 33 min

J’ai pris du temps pour me join­dre à l’échange sus­cité par Fabien.
Quand j’ai décou­vert ton pro­pos j’ai été très heureuse de voir enfin quelqu’un pren­dre la parole sur ce thème évidem­ment urticant pour la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne forgée dans la con­fi­ance en la sci­ence. Et j’avais envie de te remerci­er de partager tes doutes, tes déci­sions per­son­nelles et tes questions.
Enfin nous pour­rions com­mencer à penser l’impensable, à savoir que la sci­ence risque bien d’être impuis­sante à réguler les con­séquences cli­ma­tiques de l’activité humaine et que la ten­dance amor­cée risque bien d’être irréversible sans que l’on sache très bien où ça nous emmène (quelle hausse du niveau des océans ? Com­bi­en de sur­face aujourd’hui hab­it­a­bles seront demain immergées ? Com­bi­en d’espèces ani­males sur­vivront au réchauf­fe­ment cli­ma­tique ? Com­bi­en de forêts ? Com­bi­en de sur­faces agri­coles ? Etc.)
Certes, c’est dif­fi­cile à enten­dre mais met­tre la tête dans le sable avec le petit refrain bien con­nu de « la sci­ence va bien trou­ver une solu­tion » ne fait cer­taine­ment pas par­tie de la solu­tion. C’est au mieux un déni de réal­ité au pire de la mal­hon­nêteté intel­lectuelle digne d’un tra­vail de lob­by­iste acharné (ceux de la con­ven­tion citoyenne pour­raient en dire plus que moi sur ce sujet).
Aus­si quand j’ai décou­vert les com­men­taires de nos cama­rades de la 57, ça m’a mise très en colère. Sur le fond, que faites vous de ce que nous racon­tent les experts (ô com­bi­en sci­en­tifiques !) du GIEC ? Sur la forme, qui êtes vous, messieurs, pour deman­der la cen­sure de ce témoignage per­son­nel. Que ce témoignage ne vous plaise pas, je peux l’entendre. Que vous n’adhériez pas aux choix de notre cama­rade est votre droit le plus strict. Mais man­i­fester un tel mépris, et exiger la cen­sure … les bras m’en tombent. Vous par­lez d’intégrisme ? Comme dis­ent les enfants « c’est celui qui le dit qui l’est … ».
Main­tenant, j’aimerais revenir sur la ques­tion soulevée par Fabi­en : que faire pour ten­ter d’éviter le désas­tre, car c’est bien ain­si qu’il faut désign­er ce qui nous attend si nous ne faisons rien.
Cer­tains arguent de solu­tions tech­niques qu’ils délèguent à la recherche et à l’in­dus­trie, pour con­tin­uer à con­som­mer sans trop pol­luer (faisons court) là où Fabi­en nous par­le de change­ment de com­porte­ments indi­vidu­els et dit (me sem­ble t’il ? j’e­spère avoir bien com­pris son pro­pos) « je choi­sis de con­som­mer moins ».
Parce qu’il y a urgence, il faut sans doute activ­er les deux leviers.
Faire tout notre pos­si­ble pour baiss­er notre impact sur l’environnement à con­som­ma­tion égale (solu­tion tech­nique) est indis­pens­able et déjà en route mais le temps joue con­tre nous : pour espér­er maîtris­er l’augmentation de la tem­péra­ture sur la planète a 1.5 ou 2 degrés comme prévu dans les accords de Paris, nous savons d’ores et déjà qu’il nous fau­dra envis­ager de lim­iter notre crois­sance voire de con­som­mer moins.
Je rap­pelle que le rap­port Mead­ows com­man­dité par le club de Rome dans les années 70 aler­tait déjà sur l’impossibilité de soutenir une crois­sance infinie avec des ressources par déf­i­ni­tion finies. Sauf à imag­in­er un scé­nario à la Inter­stel­lar où nous iri­ons colonis­er d’autres planètes (tou­jours pos­si­ble mais que per­son­nelle­ment je n’envisage pas vrai­ment) nous n’avons pas trop le choix que d’imaginer les moyens de la décrois­sance de notre con­som­ma­tion. Que ce soit par le levi­er démo­graphique (une bonne guerre, j’vous dis ma brave dame, ou alors une bonne pandémie mais alors vrai­ment très mortelle (NB : c’est une blague!)), que ce soit par le levi­er des com­porte­ments indi­vidu­els et col­lec­tifs. C’est ce levi­er dont nous par­le Fabien.
Et à ce point, si nous voulons vrai­ment invers­er la vapeur (😬 !) il nous faut intro­duire le levi­er poli­tique (je ne par­le pas d’un par­ti par­ti­c­uli­er mais de la chose poli­tique) pour pré­cisé­ment stim­uler des change­ments de com­porte­ment à un rythme suff­isam­ment rapi­de pour des résul­tats significatifs.
Je vous invite sur cette ques­tion du rôle du poli­tique à lire le très bon ouvrage de Serge Aubier : “La cite écologique” qui artic­ule l’action poli­tique aux ini­tia­tives des agents individuels.
L’action poli­tique est sans aucun doute ce qui manque aujourd’hui. La con­ven­tion citoyenne se présen­tait comme une avancée en ce sens en France mais que va t’il en rester au bout du proces­sus et après les pres­sions féro­ces exer­cés par les grands lob­bys au nom de l’économie, de l’emploi, du réal­isme économique, de la dimen­sion mon­di­ale du prob­lème (la France n’est pas seule) …
C’est l’inconsistance (l’im­puis­sance?) con­tem­po­raine de la chose poli­tique qui donne envie de désespérer.
Nous avons besoin de pris­es de posi­tion fortes, de choix stratégiques, de déci­sions courageuses ; nous avons besoin d’un élan qui stim­ule l’action de cha­cun à son échelle. Sans cela l’action indi­vidu­elle reste col­ib­ri-esque, certes utile de par son exem­plar­ité, mais trop lente à se diffuser.
Nous (habi­tants de la planète Terre) avons besoin de l’engagement des sci­en­tifiques et des indus­triels pour baiss­er nos émis­sions de gaz à effet de serre, nous avons besoin des change­ments de com­porte­ments des indi­vidus pour con­som­mer mieux et moins, et nous avons besoin de l’engagement poli­tique à tous les niveaux qui n’est autre que la man­i­fes­ta­tion d’une volon­té col­lec­tive pour ne pas nous sen­tir ter­rassée par l’inanité d’une action isolée.
La com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne peut être un des lieux où ces élans pren­nent forme. Il y en a d’autres et c’est bien. Car il n’y a pas de temps à perdre.
La mai­son terre brûle, arrê­tons de regarder ailleurs.

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