Débit effectif en kbps des différents systèmes d'émission

Les vrais bénéficiaires du « Wifi »

Dossier : Télécommunications : la libéralisationMagazine N°585 Mai 2003Par : Bob PRESTON, vice-président, Estin & Co

L’ac­cès public à l’In­ter­net haut débit sans fil arrive enfin en France. France Télécom/Orange et Cegetel/SFR viennent tout juste d’an­non­cer leurs futures offres WiFi (Wire­less Fide­li­ty). Ces offres per­met­tront aux uti­li­sa­teurs munis d’un ordi­na­teur por­table ou d’un assis­tant numé­rique équi­pé d’une carte adap­tée (coût envi­ron 100 euros) d’ac­cé­der à l’In­ter­net à haut débit dans les points de pas­sage publics (aéro­ports, gares, hôtels, uni­ver­si­tés, etc.) – moyen­nant un abon­ne­ment ou un paie­ment à la connexion.

À quel modèle éco­no­mique cor­res­pondent ces offres ? Vont-elles coexis­ter avec ou plu­tôt can­ni­ba­li­ser les futures offres mobiles 3G ? Quelle sera leur influence sur les résul­tats des acteurs his­to­riques du mar­ché ? Qui seront les vrais bénéficiaires ?

Le WiFi fut, jus­qu’à récem­ment, le domaine de petites start-ups comme Metri­com, Mobi­leS­tar, Jol­tage et Boin­go Wire­less (USA), Mega­beam (GB) et Mon­zoon (Suisse).

L’in­ves­tis­se­ment ini­tial est rela­ti­ve­ment faible – entre 800 et 1 500 euros par point d’ac­cès. Par contre, les coûts d’ex­ploi­ta­tion sont beau­coup plus importants.

Afin d’of­frir un ser­vice aux clients finaux, une connexion mul­ti-uti­li­sa­teurs à haut débit (avec la revente auto­ri­sée), des res­sources de « back office » (déve­lop­pe­ment, dis­tri­bu­tion et main­te­nance de logi­ciels sur sites, hot­line clients, fac­tu­ra­tion, recou­vre­ment) et des com­pé­tences mar­ke­ting et com­mer­ciales sont néces­saires. Les petites start-ups ont donc du mal à suivre. Cer­taines, comme Metri­com et Mobi­leS­tar, ont déjà fait faillite.

Les grands acteurs, qui dis­posent déjà des com­pé­tences et des infra­struc­tures requises, com­mencent à s’y lan­cer depuis moins d’un an. Aux États-Unis, T‑Mobile (filiale de Deutsche Tele­kom) a rache­té les actifs de Mobi­leS­tar pour trois fois rien et couvre aujourd’­hui 2 140 points d’ac­cès, y com­pris des cafés (Star­bucks) et des salons d’A­me­ri­can Air­lines dans les grands aéro­ports. En Europe, une poi­gnée d’o­pé­ra­teurs mobiles comme Telia Mobile (Suède), Swiss­com Mobile (Suisse) et T‑Mobile (GB) pro­posent, depuis quelques mois, des offres WiFi à leurs abon­nés GSM.

L’in­té­rêt pour un point d’ac­cès de pas­sage paraît assez pro­met­teur. Si l’on en croit les chiffres de Sky Day­ton, fon­da­teur d’Earth­link (four­nis­seur d’ac­cès à Inter­net) et de Boin­go Wire­less aux États-Unis, une « hots­pot« 1 type café peut typi­que­ment gagner 440 $ par mois avec une marge EBIT/CA de plus de 60 % avec une seule borne.

Il n’est donc pas sur­pre­nant que T‑Mobile ait réus­si à s’ins­tal­ler dans plus de 2 000 cafés aux États-Unis et que mmO2 (filiale de télé­pho­nie mobile de BT) et T‑Mobile ciblent ces mêmes endroits au Royaume-Uni.

Le pro­jet le plus ambi­tieux a été annon­cé en décembre der­nier. Come­ta Net­works – un consor­tium entre Intel, AT&T, IBM et deux fonds de capi­tal-risque (3i et Apax Part­ners) – pré­voit d’ins­tal­ler 20 000 points d’ac­cès publics afin de « cou­vrir » les 50 plus grandes villes des États-Unis d’i­ci à 2004. Son offre de gros sera des­ti­née aux opé­ra­teurs mobiles et four­nis­seurs d’ac­cès à Inter­net. Ces der­nières esti­ma­tions du coût de ce déploie­ment avoi­sinent les 30 mil­lions de dol­lars – soit 1 500 $ par point d’ac­cès. Mais avec 20 000 points d’ac­cès sur 50 villes, on est loin d’une cou­ver­ture réelle.

Des contraintes tech­niques limitent le champ d’ac­tion. Le rayon de cou­ver­ture d’une borne WiFi est actuel­le­ment entre 50 mètres et 100 mètres. Pour des rai­sons de per­for­mance, une borne com­mence à satu­rer à par­tir de huit uti­li­sa­teurs simul­ta­nés. Les para­sites et atté­nua­tions de pro­pa­ga­tion rendent dif­fi­cile une cou­ver­ture à tra­vers les murs – les tests récents pour une grande chaîne d’hô­tels sou­hai­tant étendre l’offre WiFi aux chambres à chaque étage n’ont pas été satis­fai­sants. Des inter­fé­rences entraî­nant des per­tur­ba­tions sur des équi­pe­ments mili­taires font réagir le Penta­gone, côté États-Unis. En France, l’ART a limi­té actuel­le­ment son auto­ri­sa­tion à 58 dépar­te­ments pour cette même raison.

L’im­pact direct sur les reve­nus d’un opé­ra­teur mobile sera rela­ti­ve­ment limi­té. Si on suit les pré­vi­sions de SFR, qui pro­jette entre 100 000 et 200 000 usa­gers régu­liers du WiFi public en France d’i­ci 2005, on ne parle que de 30 mil­lions à 60 mil­lions d’eu­ros par an en chiffre d’af­faires sup­plé­men­taires (moyen­nant un reve­nu moyen men­suel par uti­li­sa­teur opti­miste de 25 euros), soit moins de 0,5 % du mar­ché actuel de la télé­pho­nie mobile en France.

On peut aus­si ima­gi­ner un impact indi­rect d’une telle offre – sur­tout sur les clients en iti­né­rance venant de l’in­ter­na­tio­nal et les clients pro­fes­sion­nels et entre­prises (flottes). Ce ser­vice pour­rait effec­ti­ve­ment ser­vir à atti­rer ces clients de forte valeur vers un opé­ra­teur plu­tôt qu’un autre, mais ceci reste dif­fi­cile à prévoir.

Le WiFi peut tout à fait coexis­ter avec les futures offres de télé­pho­nie mobile de troi­sième géné­ra­tion. Bien que le débit offert par une solu­tion WiFi soit lar­ge­ment supé­rieur à celui de l’UMTS, la cou­ver­ture et la mobi­li­té seront réduites par rap­port à cette tech­no­lo­gie. Même les pro­jets les plus ambi­tieux en termes de cou­ver­ture (notam­ment à Séoul, où Korea Tele­com déploie 10 000 points d’ac­cès) ne cou­vri­ront pas, de loin, l’en­semble des zones urbaines des grandes villes. On envi­sage, à terme, une offre per­met­tant l’u­ti­li­sa­tion de ser­vices UMTS en pleine mobi­li­té à débit limi­té, et à un prix plus éle­vé, cou­plée avec l’u­ti­li­sa­tion de ser­vices WiFi à haut débit pour les usa­gers dans les zones publiques équipées.

Cer­tains pré­disent que l’offre WiFi sui­vra le même cours que celui du fax – créant une demande sup­plé­men­taire pour les équi­pe­men­tiers, mais n’ai­dant en rien les four­nis­seurs de ser­vices. En 2002, les ventes d’é­qui­pe­ments WiFi pour les entre­prises ont aug­men­té de 65 % à 11,6 mil­lions d’u­ni­tés et pour les foyers rési­den­tiels de 160 % à 6,8 mil­lions d’u­ni­tés sur le plan mon­dial, selon In-Stat/M­DR.

Sur la même année, la hausse de reve­nus a été limi­tée à 23 %, à cause des chutes de prix, pour atteindre 2,2 mil­liards de dol­lars. Le taux d’in­clu­sion de tech­no­lo­gies WiFi dans les nou­veaux ordi­na­teurs por­tables a aus­si for­te­ment aug­men­té – de 2 % des uni­tés ven­dues aux entre­prises en 2001 à 14 % en 2002.

Per­sonne n’est capable, à ce jour, de four­nir une esti­ma­tion fiable quant aux pers­pec­tives d’une offre de ser­vice WiFi. Mais vu les inves­tis­se­ments limi­tés et les enjeux, les opé­ra­teurs mobiles ont bien rai­son de ten­ter le coup.

Une chose paraît cer­taine – les grands gagnants seront les clients pro­fes­sion­nels iti­né­rants, plu­tôt friands de bande pas­sante et déçus par les offres WAP et GPRS2 existantes.

Estin & Co est un cabi­net inter­na­tio­nal de conseil en stra­té­gie basé à Paris, Londres et Genève. Le cabi­net assiste les direc­tions géné­rales de grands groupes euro­péens et nord-amé­ri­cains dans leurs stra­té­gies de croissance.

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1.
Sur­face cou­verte par l’ins­tal­la­tion d’une borne radio.
2. Ser­vices de trans­mis­sion de don­nées offerts par les réseaux GSM.

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