Écluse de Méricourt sur la Seine (Yvelines).

Les voies fluviales, clé du développement des ports

Dossier : Les ports en FranceMagazine N°764 Avril 2021
Par Didier LÉANDRI

Les ports sont naturelle­ment tournés vers le large, mais leur artic­u­la­tion avec leur arrière-pays, Hin­ter­land comme dis­ent les Alle­mands et les géo­graphes, n’en est pas moins déter­mi­nante pour leur per­for­mance économique. Dans ces con­di­tions, l’avenir des voies flu­viales, out­re qu’elles relèvent de l’eau elles aus­si, con­di­tionne l’avenir de nos ports.

Le trans­port flu­vial a con­forté depuis vingt ans sa place au sein des chaînes logis­tiques mul­ti­modales, au ser­vice de l’économie et de l’aménagement du ter­ri­toire. Cette crois­sance des activ­ités flu­viales se heurte désor­mais à un pla­fond de verre, can­ton­nant l’activité à une échelle finale­ment mar­ginale au glob­al en France, mais vitale pour nom­bre de fil­ières indus­trielles et logis­tiques, ain­si que pour nos ports mar­itimes. Avec près de 10 % de part de marché en pré et posta­chem­ine­ment mar­itime au départ du Havre et de Mar­seille, le trans­port flu­vial est devenu un élé­ment clé de la per­for­mance des com­pag­nies mar­itimes et des ports. À Paris, sa présence his­torique en fait le poumon économique de la ville. Sur Rhône-Saône, il est le parte­naire incon­tourn­able des indus­triels, dans l’Est il ouvre vers l’Europe. Dans le Nord, le trans­port flu­vial trou­ve un nou­veau souf­fle bien­tôt relayé par la liai­son Seine-Escaut. Mais en défini­tive, avec le réseau le plus impor­tant d’Europe, le flu­vial français pla­fonne à une part de marché de 3 ou 4 % sur le plan nation­al, là où nos voisins européens dépassent très large­ment la part de 10 %, et plus de 30 % dans les ports du nord de l’Eu­rope. L’action de l’État est à cet égard déter­mi­nante en tant qu’investisseur (infra­struc­tures por­tu­aires et flu­viales), qu’aménageur (poli­tique fon­cière) et régu­la­teur (règles d’exercice, préser­va­tion de con­di­tions saines de con­cur­rence, tar­i­fi­ca­tion d’usage), que don­neur d’ordre (com­mande publique) et enfin en tant qu’animateur du développe­ment (au tra­vers des dif­férents étab­lisse­ments dont il a la charge).


REPÈRES

En vingt ans, le traf­ic flu­vial, exprimé en tonnes kilo­métriques, a pro­gressé de près de 40 %. Con­sol­i­dant ses posi­tions sur ses trafics his­toriques et gag­nant des parts de marché sur des trafics spé­cial­isés (pro­duits chim­iques, bio­car­bu­rants…), il affiche égale­ment une hausse con­tin­ue dans le trans­port de con­teneurs. Pen­dant cette péri­ode, la pro­fes­sion a opéré une muta­tion pro­fonde, avec une con­sol­i­da­tion des acteurs et une indus­tri­al­i­sa­tion des modes de pro­duc­tion de ses ser­vices qui l’ont fait gag­n­er en pro­duc­tiv­ité et en com­péti­tiv­ité, avec une con­cen­tra­tion de l’activité sur les axes dits à grand gabar­it qui sont en même temps les débouchés de nos ports maritimes. 


Le rôle des organisations par axe

Garan­tir la crois­sance de l’offre por­tu­aire, notam­ment sur le réseau à grand gabar­it, représente un enjeu nation­al. Le ren­force­ment et la struc­tura­tion du mail­lage por­tu­aire intérieur répon­dent à des besoins et à des intérêts aujourd’hui large­ment com­pris et partagés, pour à la fois drain­er fine­ment le marché et dimin­uer le plus pos­si­ble les par­cours ter­minaux routiers. Pour répon­dre entre autres à ces défis, la France a d’ailleurs vu se dévelop­per depuis 2012–2013 des offres por­tu­aires « axi­ales » par la mise en réseau des ports mar­itimes et flu­vi­aux sur les prin­ci­paux bassins, au tra­vers de dif­férentes alliances : Haropa (axe Seine), Medlink (axe Rhône-Saône), Nor­link (axe Dunkerque-Lille), des plate­formes mul­ti­modales mul­ti­sites comme en Lor­raine (Nan­cy-Frouard, Nou­veau Port de Metz et Thionville-Illange). Ces ini­tia­tives des opéra­teurs por­tu­aires ont depuis lors été relayées au niveau poli­tique par la désig­na­tion de délégués au développe­ment sur les bassins du Rhône, de la Seine et du Nord. Les alliances por­tu­aires qui pren­nent des formes juridiques très var­iées, mais qui ne vont pas à ce jour jusqu’à l’intégration à l’exception notable et à venir de l’ensemble Haropa, con­stituent à la fois un gage de pro­duc­tiv­ité pour des entités qui doivent appuy­er leur développe­ment sur des économies d’échelle et une réponse en ter­mes de ser­vices. Ces alliances ne sont cepen­dant pas sans dan­ger, car elles peu­vent être por­teuses de dilu­tion des intérêts à la fois locaux et économiques, de ratio­nal­i­sa­tion finan­cière fondée sur le seul critère de la rentabil­ité de court terme et de risques sociaux.

“Un défaut de raccordement à grand gabarit au réseau européen.”

La recon­quête de leur hin­ter­land flu­vial par les ports mar­itimes sup­pose de tra­vailler en con­ver­gence sur la fia­bil­ité de l’infrastructure flu­viale, la flu­id­ité du pas­sage por­tu­aire, l’innovation dans le cadre d’un mod­èle économique, et c’est sans doute là le défi le plus grand qui soit soutenable.

La fiabilité de l’infrastructure fluviale

Nos axes flu­vi­aux sont mar­qués par une dis­con­ti­nu­ité du gabar­it des voies nav­i­ga­bles, des faib­less­es struc­turelles sur plusieurs ouvrages et un défaut de rac­corde­ment à grand gabar­it au réseau européen, autant de goulots d’étranglement qui freinent le mail­lage cohérent de tout réseau d’infrastructure per­for­mant. L’urgence, out­re la réha­bil­i­ta­tion de plusieurs ouvrages d’art, revient à la fia­bil­i­sa­tion de l’écluse de Méri­court sur la Seine (qui con­di­tionne à elle seule toute la fia­bil­ité de l’axe Seine et la desserte du grand port mar­itime du Havre) ou de celle de Sablons sur le Rhône ; elle se décline égale­ment au tra­vers de réha­bil­i­ta­tions et d’aménagements sur les itinéraires, ain­si qu’en zone mar­itime (accès direct mer-fleuve, dra­gage…). Les investisse­ments à con­sen­tir parais­sent très relat­ifs au regard du poten­tiel flu­vi­al­is­able et de la durée de vie des ouvrages con­sid­érés, et il est clair que les investisse­ments à con­sen­tir devront être ori­en­tés plus qu’auparavant vers la fia­bil­i­sa­tion et le développe­ment de la solu­tion flu­viale, prenant le relai dans la décen­nie à venir des investisse­ments con­sen­tis dans les ports mar­itimes depuis le début du siè­cle, en voie de parachèvement.

Usine-écluse de Sablons (Isère).
Usine-écluse de Sablons (Isère). © Ivonne Wierink

La performance du passage portuaire

Cette per­for­mance doit con­juguer l’efficacité, la flu­id­ité et la com­péti­tiv­ité. Elle se résume prin­ci­pale­ment au traite­ment de la rup­ture de charge dans les ports mar­itimes et réside dans des paramètres d’organisation et de tar­i­fi­ca­tion mais aus­si dans des leviers physiques liés à l’infrastructure. Nous croyons indis­pens­able que les ports français adoptent les mêmes principes que ceux des ports du nord de l’Eu­rope, qui sont à l’origine de leur attrac­tiv­ité. Un accès direct flu­vial pour les bateaux flu­vi­aux en com­plé­ment des solu­tions exis­tantes ; à cet égard, les ports n’ont pas à choisir et encore moins à organ­is­er les chaînes de trans­port, mais ont voca­tion à offrir et encour­ager une plu­ral­ité de ser­vices. Une organ­i­sa­tion des ter­minaux mar­itimes per­me­t­tant un accueil adap­té des bateaux flu­vi­aux (à cet égard, la ques­tion de savoir s’il faut met­tre en place des ter­minaux dédiés doit être étudiée). Un coût du pas­sage por­tu­aire pour le flu­vial fac­turé aux com­pag­nies mar­itimes comme pour les autres modes d’évacuation ter­restre. Des inci­ta­tions pou­vant aller jusqu’à la fix­a­tion de parts modales min­i­males, con­trac­tu­al­isées avec l’ensemble des acteurs de la place por­tu­aire pour l’évacuation terrestre.

Une plus grande intégration des procédés opérationnels

La com­péti­tiv­ité de la solu­tion flu­viale passe par la mise en place de ser­vices soit com­muns soit coor­don­nés sur l’axe : aligne­ment des plages travaux entre zone mar­itime et zone flu­viale, inter­con­nex­ion des ser­vices d’information flu­viale avec les sys­tèmes por­tu­aires et ceux des chargeurs (c’est la tran­si­tion numérique et la réal­i­sa­tion à terme de ports con­nec­tés), de ser­vices mutu­al­isés con­formes à des stan­dards tech­niques et de ges­tion com­muns (bornes élec­triques, val­ori­sa­tion et traite­ment des déchets…).

Une stratégie qui encourage l’innovation de transition

Il faut réaf­firmer que l’amélioration du bilan car­bone des chaînes logis­tiques inter­na­tionales dépend large­ment de la per­for­mance des pré et posta­chem­ine­ments ter­restres et elle con­duit à devoir mas­sive­ment faire appel au trans­port flu­vial par préférence à la route pour les achem­ine­ments longue dis­tance comme pour la logis­tique urbaine. Les ports et ensem­bles por­tu­aires doivent se posi­tion­ner comme des acteurs majeurs de la décar­bon­a­tion des trans­ports et il nous sem­ble que le trans­port flu­vial leur en four­nit l’occasion. Mais le développe­ment du trans­port flu­vial ne pour­ra se faire sur le fonde­ment de mod­èles inchangés. Le secteur a pleine­ment inté­gré l’objectif du zéro émis­sion, qui ne se réalis­era pas sans une mobil­i­sa­tion de l’ensemble de l’écosystème mar­itime et flu­vial dans le cadre d’un échéanci­er réal­iste. L’innovation doit égale­ment con­cern­er l’ingénierie con­tractuelle avec des mesures d’incitations économiques et tar­i­faires au tra­vers des cel­lules organ­i­sa­tion trans­port et des droits de port sur la total­ité des axes.

Assurer la soutenabilité des ports mais aussi de leurs acteurs

La créa­tion de valeur vers laque­lle il faut ten­dre doit certes béné­fici­er à la struc­ture por­tu­aire, mais aus­si et surtout aux acteurs des dif­férentes places dont la solid­ité finan­cière actuelle découle large­ment. Ce principe doit trou­ver une tra­duc­tion dans les niveaux de ser­vice ren­du (pré­cisé­ment défi­nis et mesurés) et dans des tar­i­fi­ca­tions d’usage fixées et mis­es en œuvre au regard de l’objectif pub­lic et socié­tal d’une répar­ti­tion modale équili­brée et souten­able. Même s’il pour­rait être ten­tant de s’appuyer large­ment sur les recettes fon­cières en les faisant pro­gress­er, il faut rap­pel­er que, notam­ment en zone urbaine, la valeur du fonci­er en bord à voie d’eau est beau­coup plus impor­tante que celle des plate­formes en cœur de terre dont les flux ne peu­vent être traités qu’en routi­er, ce qui con­duit à devoir utilis­er la tar­i­fi­ca­tion fon­cière comme effet de levi­er pour flu­vi­alis­er les trafics. La ques­tion de la fis­cal­ité du fonci­er, notam­ment celle qui est applic­a­ble aux entre­pôts logis­tiques, doit à cet égard faire l’objet d’une atten­tion toute par­ti­c­ulière suiv­ant la même logique. La ques­tion sociale aus­si, car l’intégration por­tu­aire repose la ques­tion du cadre social de rat­tache­ment pour les opéra­teurs logis­tiques et de manu­ten­tion sur les plate­formes por­tu­aires de l’intérieur des ter­res, à laque­lle l’extension de la con­ven­tion col­lec­tive nationale unifiée ne saurait être une réponse. 

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