Les ports au service des territoires et de l'économie nationale

Les ports au service des territoires et de l’économie nationale

Dossier : Les ports en FranceMagazine N°764 Avril 2021
Par Mériadec LE MOUILLOUR
Par Jean-Marcel PIÉTRI (71)

Les ports décen­tral­isés jouent un rôle majeur dans la desserte du ter­ri­toire français, et la stratégie por­tu­aire nationale, qui vient d’être actu­al­isée, en tient pleine­ment compte. En ce qui con­cerne nos ports et notam­ment les grands ports mar­itimes, il faut recon­naître que les marges de pro­grès sont impor­tantes, en rai­son d’une his­toire où les con­cur­rents européens ont su se tailler la part du lion.

Nous nous con­cen­trons, dans cet arti­cle, sur les ports de com­merce. Leur mod­èle, celui du port out­il par oppo­si­tion au port pro­prié­taire dans lequel les opéra­teurs publics n’assurent que la ges­tion des infra­struc­tures et des ter­rains et du port ser­vice dans lequel l’opérateur por­tu­aire apporte directe­ment ses presta­tions au navire et à la marchan­dise, n’a évolué que lente­ment en France au cours du vingtième siècle.

Des évolutions progressives au cours du XXe siècle

Une évo­lu­tion sig­ni­fica­tive a été de regrouper dans un étab­lisse­ment pub­lic de l’État unique, le port autonome, les fonc­tions de ges­tion­naire de l’infrastructure et de ges­tion­naire des out­il­lages. Après une expéri­men­ta­tion lim­itée en 1920, cette évo­lu­tion a été parachevée en 1965 pour les six plus grands ports mét­ro­pol­i­tains. Au cours de la deux­ième moitié du vingtième siè­cle quelques-uns des plus petits ports de com­merce ont cessé leur activ­ité. Pour autant, le poids relatif des ports autonomes et des ports con­cédés ne s’est pas mod­i­fié sen­si­ble­ment. La réduc­tion de la part des ports autonomes dans le traf­ic total est essen­tielle­ment liée au fait que les trafics d’hydrocarbures, dont l’importance rel­a­tive a dimin­ué, y sont con­cen­trés. En ce qui con­cerne les trafics hors hydro­car­bu­res, la con­cen­tra­tion du traf­ic de con­teneurs océaniques dans les plus grands ports a été com­pen­sée par le développe­ment des trafics rouliers dans les ports non autonomes. L’ajout du port de La Rochelle dans les ports autonomes n’a pas mod­i­fié cet état de fait.

Une évo­lu­tion majeure est inter­v­enue en 1992 par la trans­for­ma­tion du régime des ouvri­ers de la manu­ten­tion por­tu­aire, qui sont passés d’une ges­tion des dock­ers con­jointe entre l’État et les entre­pris­es de manu­ten­tion à un régime de salariés de droit com­mun employés par les entre­pris­es de manu­ten­tion. Par­al­lèle­ment, l’État a procédé en deux temps (1983 et 2004) au trans­fert de la respon­s­abil­ité pat­ri­mo­ni­ale des ports de com­merce non autonomes aux départe­ments d’abord, aux régions et aux groupe­ments de col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales ensuite ; les ports de plai­sance ont été quant à eux trans­férés en total­ité aux com­munes. Dans les ports de com­merce con­cédés, l’influence des CCI a dimin­ué au prof­it de syn­di­cats mixtes et d’opérateurs privés. Enfin, la loi de 2008 a imposé aux ports autonomes, devenus grands ports mar­itimes, de trans­fér­er leurs out­il­lages au secteur privé et de se con­cen­tr­er sur le rôle de port propriétaire.


REPÈRES

Le tis­su por­tu­aire français vient du mod­èle con­ces­sif dévelop­pé au dix-neu­vième siè­cle. Ce mod­èle, résul­tant du car­ac­tère pat­ri­mo­ni­al de la doma­nial­ité publique, con­fi­ait un rôle pri­mor­dial au pro­prié­taire (pub­lic) de l’infrastructure. À son côté les out­il­lages (grues, hangars publics, etc.) étaient con­fiés à un autre opéra­teur pub­lic, les cham­bres de com­merce et d’industrie dans la grande majorité des cas et, excep­tion­nelle­ment, dans les ports de pêche à des opéra­teurs privés. Les ports de plai­sance fai­saient excep­tion, leur exploita­tion étant sou­vent con­fiée à des com­munes et dans cer­tains cas à des opéra­teurs privés. 


Les enjeux de la concurrence européenne

Les cinquante dernières années se sont traduites par une réduc­tion de la part des marchan­dis­es en vrac et par une extra­or­di­naire mon­tée en puis­sance des trafics con­teneurisés. Sur ces derniers trafics les ports français n’ont cessé depuis la fin du siè­cle dernier de per­dre des parts de marché. Le retard pris sur la mise en ser­vice des infra­struc­tures dédiées aux grands porte-con­teneurs transocéaniques, pour des raisons budgé­taires et de durée des procé­dures d’instruction, porte une grande part de respon­s­abil­ité en la matière. Il en est de même de la faib­lesse de la desserte mas­si­fiée, fer­rovi­aire et flu­viale, de nos plus grands ports. Les ports du nord de l’Europe, en par­ti­c­uli­er, ont ren­for­cé leur avan­tage en antic­i­pant la con­struc­tion d’infrastructures dédiées aux grands porte-con­teneurs, en dévelop­pant des dessertes mas­si­fiées fer­rovi­aires et flu­viales déjà naturelle­ment favor­ables. Le trans­fert des indus­tries en Europe cen­trale est venu accentuer leurs vol­umes et leurs fac­teurs con­cur­ren­tiels. En out­re, dans les ports autonomes devenus grands ports mar­itimes, la recherche de nou­veaux équili­bres entre autorités por­tu­aires et opéra­teurs privés a néces­sité beau­coup d’énergie et sus­cité cer­tains con­flits soci­aux. Il s’ensuit qu’aujourd’hui une part impor­tante des échanges mar­itimes de la France passe par les ports du Benelux. En revanche, le main­tien par les départe­ments et les régions d’un réseau de ports de prox­im­ité per­met à l’ensemble du ter­ri­toire un accès à une offre de trans­port maritime.

Les choix de la stratégie nationale portuaire

Le gou­verne­ment vient de pub­li­er, à l’occasion du Comité inter­min­istériel de la mer du 22 jan­vi­er 2021, une nou­velle édi­tion de la stratégie nationale por­tu­aire. Cette stratégie place en pre­mière ambi­tion l’accélération de la tran­si­tion écologique des ports. Au-delà de l’effet de mode, il est cer­tain que l’accompagnement des arma­teurs sur l’évolution des car­bu­rants mar­itimes et sur l’alimentation élec­trique des navires à quai (voir l’article sur ce sujet dans les ports mil­i­taires) est de la pre­mière impor­tance. La deux­ième ambi­tion porte sur l’accélération de la tran­si­tion numérique des ports. Le prob­lème ne vient pas tant cepen­dant du fait que, dans ce domaine, chaque place por­tu­aire ait dévelop­pé son pro­pre sys­tème d’information des mou­ve­ments por­tu­aires (PCS – Port Com­mu­ni­ty Sys­tem) et du suivi des marchan­dis­es (CCS – Car­go Com­mu­ni­ty Sys­tem) que de celui que les autorités por­tu­aires aient renon­cé à leur con­trôle. Un rap­port du con­seil général de l’environnement et du développe­ment durable avait indiqué que les autorités des prin­ci­paux ports européens con­trôlaient ces sys­tèmes et, quand elles ne les con­trôlaient pas, le regret­taient amère­ment. Les deux ambi­tions suiv­antes por­tent sur la mas­si­fi­ca­tion des pré et posta­chem­ine­ment des marchan­dis­es con­teneurisées dans les plus grands ports et sur l’amélioration de la com­péti­tiv­ité du sys­tème por­tu­aire français, tous types de ports con­fon­dus. Ce sont des points majeurs pour pass­er de 60 % à 80 % la part du fret à des­ti­na­tion ou en prove­nance de la France, qui est manu­ten­tion­née dans les ports français à l’hori­zon 2050. Espérons, enfin, que l’introduction de la notion de port entre­pre­neur per­me­t­tra aux autorités por­tu­aires des grands ports mar­itimes de retrou­ver un rôle moteur dans l’animation de leur tis­su économique.


Principales dates de structuration du paysage portuaire français :

1920

pre­mière loi d’autonomie

Créa­tion des ports autonomes (PA) du Havre et de Bordeaux

1947

statut des dockers

Et du per­son­nel des étab­lisse­ments por­tu­aires en 1948

1965

deux­ième loi d’autonomie

Créa­tion de six ports autonomes mét­ro­pol­i­tains (les deux exis­tants + Dunkerque, Rouen, Nantes – Saint-Nazaire, Mar­seille) et décret de créa­tion du port autonome de la Guade­loupe (1974)

1983

pre­mière loi de décentralisation

Con­tin­u­ent à relever de l’État les 7 ports autonomes et 20 ports de com­merce d’intérêt nation­al (PIN)

1992

loi de trans­fert total des dock­ers au secteur privé

Sup­pres­sion du régime des dock­ers inter­mit­tents et occa­sion­nels résul­tant de la loi de 1947

2004

deux­ième loi de décentralisation

La Rochelle devient port autonome.

Con­tin­u­ent à relever de l’État les 8 ports autonomes et les ports d’intérêt nation­al outre-mer

2006

loi sur les sociétés por­tu­aires pour les ports décentralisés

Sans appli­ca­tion immé­di­ate, mais mod­èle util­isé depuis dans cer­tains PIN

2008

loi de trans­for­ma­tion des ports autonomes mét­ro­pol­i­tains en grands ports mar­itimes (GPM).

Rem­place­ment con­seil d’administration-directeur général par con­seil de sur­veil­lance-direc­toire — trans­fert des out­il­lages au secteur privé – mise en place d’une con­ven­tion col­lec­tive unifiée manu­ten­tion-exploita­tion por­tu­aire — con­séquence imprévue : explo­sion de la fis­cal­ité locale des GPM

2012

loi de trans­for­ma­tion des ports d’outre-mer

Sur le mod­èle des GPM métropolitains

2015

loi sur la manu­ten­tion portuaire

Réin­tro­duc­tion d’un mono­pole patronal et syndical

2016

loi sur l’é­conomie bleue

Comité des investisse­ments et ren­force­ment du rôle de la Région dans la gou­ver­nance des GPM

2021

fusion des ports de l’axe Seine

Loi ou décret à venir

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