L’alimentation électrique des navires à quai sur la base navale de Toulon

La transition énergétique de l’alimentation des navires à quai

Dossier : Les ports en FranceMagazine N°764 Avril 2021
Par Franck PLOMION

Les ports mil­i­taires doivent faire face à des défis que ne con­nais­sent pas les ports civils, en rai­son des par­tic­u­lar­ités opéra­tionnelles des unités de la Marine nationale. Les navires mil­i­taires exi­gent des ser­vices très par­ti­c­uliers des infra­struc­tures por­tu­aires. Celui de l’alimentation élec­trique n’est pas très vis­i­ble, mais il n’en pose pas moins des prob­lèmes pas­sion­nants aux ingénieurs de la base navale de Toulon.

Pour Vauban, Toulon était « la rade la plus belle et la plus sûre d’Europe ». Aujourd’hui, cette rade abrite le plus grand port mil­i­taire d’Europe, et la base navale de Toulon (BNT) est équipée de l’un des réseaux d’électricité privés les plus impor­tants en France. Alors que la région PACA s’est lancée en 2019 dans un vaste plan Escales zéro fumée pour rac­corder les fer­ries et navires de croisière en escale à Mar­seille, Nice et Toulon, voilà plus de cinquante ans que la Marine nationale dis­pose à Toulon d’une ali­men­ta­tion à quai pour les navires mil­i­taires. Si la Marine était en avance sur son temps, les objec­tifs recher­chés ini­tiale­ment étaient prin­ci­pale­ment la préser­va­tion du poten­tiel de la flotte et la réduc­tion des con­traintes sur les équipages. La volon­té de réduire la pol­lu­tion atmo­sphérique et d’améliorer les con­di­tions de vie des Toulon­nais est arrivée récemment.


REPÈRES

Les pre­mières instal­la­tions de dis­tri­b­u­tion d’énergie élec­trique en courant con­tinu appa­rais­sent à bord des navires à par­tir de 1880. L’électrification de l’arsenal de Toulon com­mence au début du XXe siè­cle pour ali­menter les machines des ate­liers indus­triels, avec la créa­tion d’un réseau interne de lignes en 5 000 V puis, en 1918, de cen­trales élec­triques en courant alter­natif à 25 Hz. Il faut atten­dre la Sec­onde Guerre mon­di­ale pour que l’alimentation à quai des navires de la Marine nationale se développe. Cette mis­sion est con­fiée à la direc­tion des con­struc­tions et armes navales (DCAN) de Toulon, alors sous respon­s­abil­ité directe de la Marine. 


Une fonction restée étatique

Quels qu’aient été les objec­tifs ini­ti­aux, l’électrification des navires à quai est actuelle­ment une com­posante impor­tante de la tran­si­tion énergé­tique, qui per­met de con­som­mer de l’électricité décar­bonée au lieu de gasoil. Inté­grée en 1961 à la délé­ga­tion min­istérielle de l’armement, future délé­ga­tion générale pour l’armement en 1977, la DCAN dev­enue DCN se trans­forme en société privée à cap­i­taux publics en 2003 et porte aujourd’hui, après quelques évo­lu­tions de son action­nar­i­at, le nom de Naval Group. Cer­tains act­ifs indus­triels (instal­la­tions élec­triques, portes des bassins, sta­tions de pom­page, ouvrage Cachin de Cher­bourg…) restent toute­fois dans le giron éta­tique. La respon­s­abil­ité des réseaux élec­triques (ges­tion, investisse­ments, achat de l’énergie, main­te­nance et exploita­tion) est alors trans­férée à la direc­tion des travaux mar­itimes, qui intè­gre en 2005 le ser­vice d’infrastructure de la défense (SID), ser­vice inter­ar­mées né de la fusion des ser­vices con­struc­teurs des trois armées.

Des unités de plus en plus exigeantes

La diver­sité – à tous égards – des navires mil­i­taires sta­tion­nés aujourd’hui à Toulon con­duit à con­cevoir et réalis­er un réseau de dis­tri­b­u­tion d’électricité com­plexe, issu de l’histoire de la base navale, mais en per­ma­nente évo­lu­tion : à un réseau élec­trique dédié à l’alimentation en basse ten­sion de navires faible­ment con­som­ma­teurs doit suc­céder un réseau mod­erne dom­iné par l’alimentation en haute ten­sion de mul­ti­ples navires forte­ment con­som­ma­teurs. La base navale, ali­men­tée par le réseau nation­al 50 Hz en très haute ten­sion (63 kV), dis­pose pour les immeubles et les ate­liers d’un réseau en 50 Hz clas­sique (63 kV / 10 kV / 400–240 V) con­forme aux normes européennes.

La flotte de sur­face est ali­men­tée en courant alter­natif 60 Hz, hérité des normes nord-améri­caines et de l’Otan. La dis­tri­b­u­tion aux navires était tra­di­tion­nelle­ment en basse ten­sion 440 V, mais l’importance des puis­sances néces­saires – de l’ordre de 10 MV, soit le besoin d’une com­mune de 5 000 habi­tants env­i­ron – pour ali­menter le porte-avions Charles-de-Gaulle (PACdG) a imposé de dévelop­per un réseau haute ten­sion 6,3 kV dans les années 2000, le diamètre des câbles du réseau con­di­tion­nant les chutes de ten­sion et le poids des câbles mobiles de rac­corde­ment étant devenu ingérable en 440 V.

“La diversité des navires militaires stationnés à Toulon
conduit à concevoir et réaliser un réseau de distribution d’électricité complexe.”

Ce besoin en puis­sance est devenu la règle pour les unités impor­tantes, porte-héli­cop­tères amphi­bies (PHA), fré­gates mul­ti­mis­sions (Fremm), futurs bâti­ments rav­i­tailleurs de force (BRF), qui sont ali­men­tées directe­ment en 6,6 kV. Le 60 Hz est créé à par­tir du courant 50 Hz grâce à des cen­trales de con­ver­sion dynamiques (fonc­tion­nant par cou­plage de moteurs et d’alternateurs) ou sta­tiques (util­isant l’électronique de puissance).

Il existe en out­re, en cas de défail­lance du réseau élec­trique, des moyens de sec­ours à base de groupes élec­trogènes pour les unités – PACdG et sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) – dotées de chauf­feries nucléaires. Enfin les SNA ali­men­tés à la fois en basse ten­sion 60 Hz et en courant con­tinu stock­ent de l’énergie dans leurs bat­ter­ies de bord et néces­si­tent des instal­la­tions spé­ci­fiques en courant con­tinu pour leur recharge.

La prise en compte de l’environnement

La ges­tion tech­nique de ce réseau com­plexe et très spé­ci­fique impose de maîtris­er dans la durée des com­pé­tences tech­niques rares – cyber­sécu­rité incluse – dont la ges­tion sur un vivi­er humain très restreint con­stitue un défi majeur pour le SID. Aujourd’hui, le pro­gramme infra­struc­ture Ren­ov­el­ec Toulon, 250 M€ d’investissement, est en cours de réal­i­sa­tion pour mod­erniser ce réseau.

Les objec­tifs prin­ci­paux sont les suiv­ants : aug­menter la puis­sance délivrée à quai pour accom­pa­g­n­er les besoins crois­sants de la flotte (pour l’ensemble du site, cette puis­sance, actuelle­ment de 22 MW en moyenne, avec des pics pou­vant attein­dre 30 MW lorsque tous les navires sont à quai, passera à 40 MW à l’horizon 2030) ; créer un réseau spé­ci­fique adap­té aux exi­gence par­ti­c­ulières de fia­bil­ité et de résilience des navires mil­i­taires à propul­sion nucléaire ; amélior­er la main­ten­abil­ité du réseau pour garan­tir la con­ti­nu­ité de ser­vice ; ren­forcer la fia­bil­ité par la ségré­ga­tion des sources et la sup­pres­sion des obsolescences.

Le main­tien de la disponi­bil­ité opéra­tionnelle durant les travaux reste un enjeu fort de cette mod­erni­sa­tion et con­duit à l’étaler sur une durée de quinze ans.

“Le volet environnement devient structurant dans les nouveaux projets.”

Enfin, la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la pol­lu­tion atmo­sphérique con­stituent un béné­fice sup­plé­men­taire tout à fait appré­cia­ble de ce pro­gramme de mod­erni­sa­tion du réseau. Même s’il ne fig­u­rait pas dans le cahi­er des charges ini­tial du pro­gramme, le volet envi­ron­nement devient struc­turant dans les nou­veaux pro­jets. La prochaine rup­ture majeure vien­dra prob­a­ble­ment de l’arrivée de nou­veaux car­bu­rants opéra­tionnels faible­ment car­bonés. L’hydrogène, cou­plé à des sources de pro­duc­tion alter­na­tives, sem­ble promet­teur à ce stade, mais représente un nou­veau défi en ter­mes de sécu­rité et de com­pat­i­bil­ité. À une échelle de puis­sance bien plus mod­este, le SID teste d’ailleurs ce type de solu­tions pour l’alimentation des campe­ments en opéra­tions extérieures et sur cer­tains sites très isolés, tels que les îles Glo­rieuses. La tran­si­tion énergé­tique du port béné­ficiera prob­a­ble­ment de la recherche civile et de la recherche pour la propul­sion des navires militaires. 

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