Les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine

Dossier : UkraineMagazine N°547 Septembre 1999
Par Olivier de LAROUSSILHE

Les trois enjeux majeurs de la tran­si­tion de l’Ukraine indépen­dante sont : enracin­er la démoc­ra­tie, asseoir son indépen­dance et son unité, met­tre en place une économie de marché. Le bilan après huit ans est mit­igé, encour­ageant sur les deux pre­miers points, préoc­cu­pant sur le troisième.

La mise en place d’une démoc­ra­tie con­stitue cer­taine­ment l’un des élé­ments posi­tifs du bilan. La démoc­ra­tie ukraini­enne fonc­tionne plutôt bien, mieux que dans les autres pays de la CEI1, même si le Con­seil de l’Eu­rope est préoc­cupé du retard pris dans l’ap­pli­ca­tion des engage­ments de l’Ukraine en matière d’É­tat de droit. Ce pays a par ailleurs mon­tré sa capac­ité à résoudre ses con­flits internes (notam­ment en Crimée) par le dia­logue poli­tique et le com­pro­mis. Ces acquis démoc­ra­tiques ont grande­ment con­tribué à accroître la crédi­bil­ité inter­na­tionale de l’Ukraine.

Toute­fois la faib­lesse de la société civile, due à une dépen­dance de plus de trois cents ans, con­stitue un grave hand­i­cap. L’Ukraine n’est pas par­v­enue, depuis l’indépen­dance, à faire émerg­er, ni dans l’opin­ion publique ni dans le sys­tème poli­tique, une base poli­tique sus­cep­ti­ble de soutenir les réformes. Les réfor­ma­teurs et les par­tis de tra­di­tion démoc­ra­tique sont mar­gin­al­isés dans un sys­tème de par­tis faible­ment organ­isés, dom­iné par l’an­ci­enne nomen­klatu­ra communiste.

L’Ukraine a incontestablement consolidé son indépendance depuis 1991

Celle-ci béné­fi­cie d’un réel sou­tien du pays mais la péren­nité de cette troisième indépen­dance ukraini­enne (après celles de 1648–1654 et de 1918–1921) dépend à long terme de la recherche de garanties de sécu­rité inter­na­tionales ain­si que de la via­bil­ité de l’économie.

Par une habile diplo­matie, Kiev est par­v­enue à trou­ver sa place dans la com­mu­nauté inter­na­tionale avec un dou­ble objec­tif : la réc­on­cil­i­a­tion avec ses voisins et la recherche d’un équili­bre entre ses rela­tions avec la Russie et son rap­proche­ment avec l’Occident.

L’Ukraine a sur­mon­té des dif­férends his­toriques lourds et anciens : la réc­on­cil­i­a­tion avec la Pologne est sou­vent com­parée à la réc­on­cil­i­a­tion fran­co-alle­mande. Les rela­tions avec la Russie sont à l’év­i­dence un des élé­ments clés. La nor­mal­i­sa­tion des rela­tions, obtenue par l’ac­tion opiniâtre des deux prési­dents Elt­sine et Koutch­ma, a abouti à la sig­na­ture en mai 1997 du traité d’Ami­tié et de Coopéra­tion entre les deux pays, par lequel la Russie recon­naît l’indépen­dance de l’Ukraine.

Cette nor­mal­i­sa­tion reste toute­fois frag­ile car elle est soumise aux aléas des rela­tions entre une anci­enne colonie et la métro­pole, et hypothéquée par une dépen­dance économique persistante.

Au-delà de ces acquis, la ques­tion cen­trale pour la sécu­rité de l’Ukraine est bien la recherche de garanties de son indépen­dance, recherche dom­inée par une ques­tion d’i­den­tité : l’Ukraine se rat­tache-t-elle à l’Eu­rope ou aux Slaves de l’Est ?

Seul grand pays à la taille européenne qui n’ap­par­ti­enne ni à l’Eu­rope bien­tôt élargie, ni à l’ensem­ble russe, l’Ukraine red­oute de tomber dans un “vide de sécu­rité”, entre l’ensem­ble euro-atlan­tique et l’ensem­ble russe du traité de Taschkent. L’élar­gisse­ment en cours de l’U­nion européenne a con­tribué à accentuer cette incer­ti­tude, dans la mesure où l’Ukraine avait d’abord recher­ché des for­mules de sécu­rité régionale avec les pays d’Eu­rope cen­trale avant de con­stater que ceux-ci don­naient la pri­or­ité à l’U­nion européenne.

Toute­fois à l’Est, la sig­na­ture en mai 1997 de l’Acte fon­da­teur entre la Russie et l’OTAN (suivi en juil­let 1997 par une Charte de Parte­nar­i­at spé­cial OTAN — Ukraine) con­stitue un élé­ment posi­tif pour Kiev, dans la mesure où elle éloigne le risque d’une poli­tique aven­tur­iste russe, en inté­grant la Russie (puis l’Ukraine) dans l’ensem­ble de sécu­rité euro-atlantique.

L’Ukraine s’est donc pro­gres­sive­ment écartée de la posi­tion d’É­tat neu­tre et non aligné, adop­tée en 1990, pour ren­forcer ses liens avec les insti­tu­tions de sécu­rité occi­den­tales. Ce rap­proche­ment fait l’ob­jet d’un sou­tien crois­sant mais non majori­taire au sein de la classe poli­tique. La rela­tion avec l’OTAN con­cen­tre l’essen­tiel des ques­tions non résolues de la sécu­rité ukraini­enne : recherche de garanties de sécu­rité con­crètes, place entre l’Est et l’Ouest, dégage­ment ou retour dans l’or­bite russe.

La spé­ci­ficité de la posi­tion ukraini­enne a pu être observée dans le con­flit du Koso­vo. L’Ukraine, dont la pop­u­la­tion en grande majorité slave et ortho­doxe ne pou­vait être insen­si­ble aux intérêts serbes, s’est pour­tant abstenue des appels à la “sol­i­dar­ité slave” proférés de Moscou dès les pre­miers jours du con­flit2. Con­for­mé­ment au proces­sus de rap­proche­ment avec l’Oc­ci­dent dans lequel elle est engagée, l’Ukraine a pro­posé aux Occi­den­taux ses bons offices pour ten­ter de négoci­er entre les parties.

Ce rap­proche­ment de l’Ukraine avec l’Oc­ci­dent con­stitue une véri­ta­ble révo­lu­tion dans la géopoli­tique de la région. Mais la redéf­i­ni­tion par l’Ukraine de son ori­en­ta­tion est un proces­sus inachevé et la pour­suite de cette évo­lu­tion n’est pas du tout acquise. Elle dépen­dra d’une part de la réponse que les insti­tu­tions occi­den­tales seront en mesure d’y don­ner, d’autre part de l’évo­lu­tion poli­tique interne et de la capac­ité de l’Ukraine à se dot­er des moyens de sa poli­tique, notam­ment en réduisant sa dépen­dance économique par rap­port à la Russie.

Si la sécu­rité externe de l’Ukraine n’ap­pa­raît pas aujour­d’hui directe­ment men­acée, ce pays est affec­té d’une série de fragilités internes, de nature poli­tique et économique, sus­cep­ti­bles d’af­fecter sa sécu­rité au sens tra­di­tion­nel, au point qu’un développe­ment à la yougoslave ou un retour dans l’or­bite russe ne peu­vent être tout à fait exclus. Les sources d’in­sécu­rité internes les plus préoc­cu­pantes pour l’Ukraine sont : une unité nationale frag­ile, un État faible et un blocage poli­tique interne, une économie dépen­dante et finan­cière­ment fragile.

La mise en place d’une économie de marché est à l’év­i­dence le prin­ci­pal point faible de la tran­si­tion. L’é­conomie cumu­lait au départ une série de hand­i­caps lourds (dépen­dance énergé­tique, vieil­lisse­ment du cap­i­tal indus­triel, poids de l’in­dus­trie lourde et mil­i­taire, remise en cause des débouchés tra­di­tion­nels) et l’in­dus­trie était à recon­stru­ire. La sit­u­a­tion a été aggravée par l’ab­sence de réformes et les erreurs stratégiques com­mis­es entre 1991 et 1994.

Les réformes accom­plies depuis 1994 ne sont pas nég­lige­ables, mais l’Ukraine n’est pas encore au milieu du gué et elle a encore été frag­ilisée par les réper­cus­sions de la crise russe de l’au­tomne 1998.

La sta­bil­i­sa­tion macroé­conomique réal­isée depuis 1994 s’est effec­tuée aux dépens d’une crise de liq­uid­ités (4,5 mds USD d’im­payés par l’É­tat) et d’un affaib­lisse­ment de l’É­tat lourd de con­séquences sociales. Le finance­ment du déficit pub­lic, en grande par­tie par des bons du Tré­sor à court terme sur les marchés inter­na­tionaux, et la faib­lesse des réserves de change lais­sent le pays exposé au risque d’une crise finan­cière. L’é­tape suiv­ante de la tran­si­tion, la libéral­i­sa­tion micro-économique, a été engagée (libéral­i­sa­tion des échanges internes et externes, libéral­i­sa­tion des prix et réduc­tion des inter­ven­tions publiques), mal­gré des reculs en matière de libéral­i­sa­tion des échanges externes.

Mais la par­tie la plus com­plexe de la tran­si­tion économique, les réformes de struc­tures microé­conomiques et admin­is­tra­tives, com­mencée en 1996 a pris du retard : pri­vati­sa­tion et con­ver­sion des entre­pris­es, réforme de l’ad­min­is­tra­tion, de la fis­cal­ité, du sys­tème financier et ban­caire, mise en place d’une dis­ci­pline microéconomique.

La trans­for­ma­tion vers une réelle économie de marché se heurte à de fortes résis­tances poli­tiques, admin­is­tra­tives et cor­po­ratistes, liées à la per­sis­tance de l’an­ci­enne nomen­klatu­ra sovié­tique aux com­man­des de l’é­conomie et de la poli­tique. Au point que cer­tains n’hési­tent pas à qual­i­fi­er cette économie de “social­isme oli­garchique”, sys­tème bien dif­férent de l’é­conomie de marché3.

L’an­cien secteur indus­triel et agri­cole d’É­tat qui con­stitue la base économique de la nomen­klatu­ra se main­tient hors des con­traintes micro­fi­nan­cières et de con­cur­rence, en pro­duisant sou­vent une valeur ajoutée néga­tive : 50 % des entre­pris­es indus­trielles et 80 % des entre­pris­es agri­coles sont défici­taires. Ces entre­pris­es trans­fèrent leurs pertes à l’ensem­ble de l’é­conomie : la dette tri­an­gu­laire particuliers/État/entreprises est supérieure à 138 mds Gr (soit 35 mds d’eu­ros), équiv­alant à 130 % du PNB.

Les moyens de cette survie ont peu de rap­ports avec l’é­conomie de marché : développe­ment d’une cul­ture d’im­payés, troc (42 % des échanges internes dans l’in­dus­trie, beau­coup plus dans l’a­gri­cul­ture), crédits assurés par des rela­tions priv­ilégiées avec les ban­ques, exemp­tions fis­cales spé­ci­fiques, ou plus sim­ple­ment non-paiement des impôts, blocage politi­co-admin­is­tratif de l’ac­cès au marché par des entre­pris­es concurrentes.

Et les con­séquences sont désas­treuses : l’é­conomie croule sous une masse de déficits et d’im­payés ; en l’ab­sence de restruc­tura­tion indus­trielle, le PIB réel est tombé à 31 % de son niveau de 1990 (sans l’é­conomie souter­raine, estimée à 50 % du PIB). L’in­vestisse­ment est insuff­isant pour assur­er le renou­velle­ment du tis­su indus­triel. Il s’ag­it essen­tielle­ment des investisse­ments étrangers : 700 mil­lions de dol­lars en 1998, atteignant 2,7 mds USD en stock sur la péri­ode 1989–1998, con­tre 8,8 mds USD en Russie, 15 mds USD en Pologne. La libéral­i­sa­tion de l’é­conomie et la pri­vati­sa­tion étant inachevées et le traite­ment réservé aux entre­pris­es étrangères incer­tain (insta­bil­ité du cadre lég­is­latif et fis­cal, com­porte­ment arbi­traire de l’ad­min­is­tra­tion, cor­rup­tion, absence de tri­bunaux de com­merce fiables), cette sit­u­a­tion prive l’é­conomie d’un apport essen­tiel de dynamisme.

La détéri­o­ra­tion mar­quée des con­di­tions de vie frag­ilise le con­sen­sus social. Cette détéri­o­ra­tion con­naît des pro­por­tions incon­cev­ables en Occi­dent avec des salaires réels à 30 % de leurs niveaux de 1990 (salaire moyen dans l’in­dus­trie : 48 dol­lars par mois) et des ser­vices publics (tra­di­tion­nelle­ment éten­dus) en déroute.

Les Ukrainiens man­quent de tout et les nou­veaux rich­es sont de plus en plus voy­ants. Le coût social extrême­ment élevé de la sor­tie du com­mu­nisme occa­sionne même des dom­mages durables : détéri­o­ra­tion de la sit­u­a­tion san­i­taire, réduc­tion de l’e­spérance de vie, appau­vrisse­ment du cap­i­tal cul­turel et sci­en­tifique, reprise d’une émi­gra­tion qui touche sou­vent les Ukrainiens les plus qual­i­fiés, général­i­sa­tion de pra­tiques de cor­rup­tion et de criminalité.

Ivan Dziou­ba, l’une des grandes fig­ures de la dis­si­dence ukraini­enne des années 1960, a dénon­cé l’é­tat de dégra­da­tion de toute la cul­ture ukraini­enne, sous l’ef­fet de la pénurie économique : plus d’édi­tion de livres, plus de crédits ni de salaires pour l’en­seigne­ment et la recherche…

Le soutien occidental

Les Occi­den­taux, améri­cains et européens, ont un intérêt à une sta­bil­i­sa­tion de l’Ukraine, ceci à plusieurs titres : ce pays, qui aura à brève échéance une fron­tière com­mune avec l’U­nion européenne, est une pièce essen­tielle d’une archi­tec­ture européenne de sécu­rité, par sa prox­im­ité avec la Russie et sa place sur la mer Noire. Le développe­ment de séparatismes et de con­flits eth­niques en Ukraine ne man­querait pas d’avoir des effets sur la sécu­rité de l’Europe.

L’Ukraine est bien, selon l’ex­pres­sion de Z. Brzezin­s­ki, un des piv­ots géopoli­tiques sur la carte de l’Eurasie, par l’in­flu­ence de l’indépen­dance ukraini­enne sur l’É­tat russe (sans l’Ukraine, la Russie n’est plus un empire)4, mais aus­si par sa sit­u­a­tion géopoli­tique : voie d’ac­cès du gaz et du pét­role russ­es en Europe, prin­ci­pale voie d’ac­cès poten­tielle au pét­role de la mer Caspi­enne, une des voies de l’im­mi­gra­tion clan­des­tine entre le Moyen-Ori­ent et la Pologne.

Enfin la sécu­rité nucléaire en Ukraine, après l’ac­ci­dent de Tch­er­nobyl, ne laisse per­son­ne insen­si­ble en Europe.

L’as­sis­tance occi­den­tale à l’Ukraine est sub­stantielle. L’U­nion européenne est le pre­mier bailleur d’aide inter­na­tionale, éval­uée à 3,92 mds d’é­cus sur sept ans (1991–1997), les États-Unis égale­ment très présents ont apporté 2,405 mds USD dans la même péri­ode, soit 2,2 mds d’écus.

L’U­nion européenne, con­sid­érant l’indépen­dance de l’Ukraine comme un enjeu poli­tique majeur en Europe ori­en­tale, s’est engagée dès novem­bre 1994 à soutenir son indépen­dance, le développe­ment de la démoc­ra­tie, la tran­si­tion économique, et son inser­tion dans l’é­conomie mon­di­ale. L’U­nion européenne a mis en œuvre une stratégie d’ensem­ble de sou­tien à ce pays, étab­lis­sant des liens de nature poli­tique aus­si bien qu’économique.

Celle-ci est encadrée par l’Accord de Parte­nar­i­at et de Coopéra­tion (PCA), signé en 1994. Cet accord “mixte” signé par la Com­mu­nauté européenne et cha­cun des États mem­bres établit avec l’Ukraine “une rela­tion poli­tique forte” (référence aux valeurs démoc­ra­tiques et mise en place d’un dia­logue poli­tique) et con­stitue le cadre de développe­ment pour une large coopéra­tion économique. Il com­porte des engage­ments com­mer­ci­aux : con­fir­ma­tion du régime de la nation la plus favorisée, libéral­i­sa­tion des échanges de biens et ser­vices, des con­di­tions d’étab­lisse­ment et de fonc­tion­nement des entre­pris­es (traite­ment nation­al), har­mon­i­sa­tion des normes, développe­ment de pro­tec­tion de la pro­priété intellectuelle.

Cet accord requiert de l’Ukraine un vaste effort d’adap­ta­tion de sa lég­is­la­tion et de ses pra­tiques administratives.

La mise en œuvre du PCA est accom­pa­g­née par une assis­tance tech­nique : l’Ukraine béné­fi­cie depuis 1991 du pro­gramme Tacis, qui a porté sur 560 mil­lions d’é­cus sur la péri­ode 1991–1997 (264 mil­lions du pro­gramme nation­al, 245 mil­lions pour la sûreté nucléaire et env­i­ron 60 mil­lions des pro­grammes inter-États) et 265,5 mil­lions d’é­cus pour la seule année 1998.

Les pri­or­ités définies en com­mun avec l’ad­min­is­tra­tion ukraini­enne sont : la réforme du cadre lég­is­latif et régle­men­taire, la réforme de l’en­tre­prise et le développe­ment du secteur privé, la réforme de l’en­vi­ron­nement et du secteur énergé­tique. L’Ukraine recevra 105,6 mil­lions d’eu­ros en 1999.

Les rela­tions com­mer­ciales con­stituent un volet impor­tant des rela­tions bilatérales et l’U­nion européenne est dev­enue, der­rière la CEI, le pre­mier parte­naire com­mer­cial de l’Ukraine (15,4 % des impor­ta­tions et 14,8 % des expor­ta­tions ukraini­ennes). Toute­fois ces échanges restent mar­gin­aux pour les pays de l’U­nion européenne (0,4 % du com­merce extérieur de l’U­nion) : les 3,5 mds d’eu­ros de leurs expor­ta­tions vers l’Ukraine sont en effet à com­par­er avec les 21 mds d’eu­ros d’ex­por­ta­tions vers la Russie.

La sit­u­a­tion ukraini­enne en matière d’ac­cès au marché est préoc­cu­pante. En effet, la crise de l’ap­pareil de pro­duc­tion de ce pays a réduit sa capac­ité d’ex­por­ta­tion sur nos marchés à l’ex­cep­tion des pro­duits de l’in­dus­trie lourde tra­di­tion­nelle (aci­er, chimie lourde, tex­tile) ; sa capac­ité de con­cur­rencer les pro­duits importés est égale­ment très diminuée.

Et les Ukrainiens sont ten­tés de résoudre des prob­lèmes indus­triels pres­sants par des mesures pro­tec­tion­nistes : aug­men­ta­tion des droits de douane, tax­es dis­crim­i­na­toires, voire fer­me­ture par­tielle du marché comme dans le cas des auto­mo­biles d’oc­ca­sion. Le prin­ci­pal con­tentieux entre l’U­nion européenne et l’Ukraine est actuelle­ment la loi sur les investisse­ments dans le secteur auto­mo­bile qui con­duit à accorder une série d’a­van­tages dis­crim­i­na­toires à une entre­prise coréenne au détri­ment de la con­cur­rence et même au détri­ment des con­som­ma­teurs ukrainiens avec la fer­me­ture par­tielle du marché des auto­mo­biles d’occasion.

Compte tenu des mul­ti­ples infrac­tions au PCA et à l’OMC que con­tient cette loi, l’U­nion a déclenché la procé­dure de règle­ment des dif­férends du PCA, ce qui est une pre­mière vis-à-vis des pays de la CEI et de l’Eu­rope cen­trale. Les procé­dures de cer­ti­fi­ca­tion con­stituent égale­ment un obsta­cle majeur et récur­rent au marché ukrainien puisque les autorités ne recon­nais­sent pas les cer­ti­fi­cats étrangers et exi­gent une procé­dure spé­ci­fique de chaque importateur.

Ces procé­dures sont bien sou­vent dis­crim­i­na­toires comme dans le cas des pro­duits phar­ma­ceu­tiques où les droits sont cent fois plus élevés sur la cer­ti­fi­ca­tion des pro­duits étrangers. Le piratage audio, vidéo et infor­ma­tique est égale­ment un prob­lème crois­sant, ces activ­ités s’é­tant déplacées vers l’Ukraine depuis que la Bul­gar­ie les a réprimées sur son ter­ri­toire. La mul­ti­pli­ca­tion de ces obsta­cles com­mer­ci­aux remet en ques­tion la stratégie de l’U­nion européenne vis-à-vis de l’Ukraine, fondée sur une inser­tion pro­gres­sive de ce pays dans les échanges mondiaux.

La sûreté nucléaire en Ukraine est un dossier considéré comme essentiel par les Occidentaux

Un pro­grès dans le dossier de Tch­er­nobyl est poli­tique­ment très impor­tant aus­si bien pour les Occi­den­taux que pour le prési­dent Koutch­ma qui a décidé la fer­me­ture de Tch­er­nobyl seul, con­tre l’in­dus­trie nucléaire ukraini­enne et con­tre l’opin­ion publique, plus sen­si­ble à l’ap­pro­vi­sion­nement énergé­tique qu’à la sécu­rité. Cette ques­tion com­porte trois aspects principaux :

  • la restruc­tura­tion du secteur énergé­tique, avec pour objec­tif l’amélio­ra­tion de l’ef­fi­cac­ité du proces­sus de pro­duc­tion ain­si que les économies d’énergie ;
  • le traite­ment des con­séquences de l’ac­ci­dent de 1986 ; en par­ti­c­uli­er, la recon­struc­tion du sar­cophage est éval­uée à 750 mil­lions de dol­lars, sur lesquels l’U­nion européenne s’est engagée à hau­teur de 210 mil­lions (Com­mu­nauté : 100 mil­lions de dol­lars, le reste venant des États membres) ;
  • la fer­me­ture du réac­teur encore en état de marche : la com­pen­sa­tion énergé­tique est éval­uée à 100 mil­lions de dol­lars et l’achève­ment des deux cen­trales de Rivne et Khmel­nyt­skyï est éval­ué à 1,5 md USD ; dans le cadre du plan du G7 décidé à Naples en 1994, l’U­nion européenne a engagé 100 mil­lions d’eu­ros de Tacis dans cette action.
    Elle a en out­re con­fir­mé son accord pour fournir un prêt Euratom pour l’achève­ment d’un des deux réac­teurs nucléaires en con­struc­tion sur les sites de Rivne et Khmel­nyt­skyï, à con­di­tion qu’un partage du finance­ment total soit assuré, notam­ment avec la par­tic­i­pa­tion de la BERD. Une des préoc­cu­pa­tions essen­tielles reste la solv­abil­ité de l’emprunteur ukrainien (Ener­goatom), compte tenu du faible niveau de paiement des fac­tures par les con­som­ma­teurs finals (20 %).


Université “ Kyiv-Mohyla Academy ”. en Ukraine
Uni­ver­sité “ Kyiv-Mohy­la Acad­e­my ”. © DATA BANK UKRAINE


Les autorités ukraini­ennes man­i­fes­tent régulière­ment leur souhait d’ad­hér­er un jour à l’U­nion européenne. Cette ori­en­ta­tion du prési­dent Koutch­ma doit être rel­a­tivisée dans la mesure où elle ne sem­ble béné­fici­er d’un sou­tien majori­taire ni dans l’opin­ion publique ni dans le sys­tème poli­tique ukrainien.

Cette demande est apparue pré­maturée et l’U­nion européenne, déjà engagée dans un proces­sus com­plexe d’élar­gisse­ment, a indiqué à l’Ukraine que celle-ci devait se con­cen­tr­er sur l’ap­pli­ca­tion des traités déjà signés et la mise en œuvre des réformes de struc­tures économiques, admin­is­tra­tives sans lesquelles un rap­proche­ment avec l’U­nion reste hors d’atteinte.

Toute­fois l’U­nion européenne va réaf­firmer son sou­tien à l’Ukraine en util­isant un nou­v­el instru­ment du traité d’Am­s­ter­dam : la Stratégie com­mune. L’ob­jec­tif de ce doc­u­ment en pré­pa­ra­tion est de don­ner un sig­nal poli­tique con­fir­mant le sou­tien de l’U­nion européenne à l’Ukraine, tout en assur­ant une plus grande cohérence entre l’ac­tion de l’U­nion et celle des États membres.

En effet, l’aide n’est pas tout. Et l’ex­péri­ence de huit ans d’indépen­dance per­met d’i­den­ti­fi­er claire­ment les défi­ciences de la tran­si­tion en Ukraine : la dif­fi­culté de con­ver­tir des ensem­bles mil­i­taro-indus­triels lourds, la faib­lesse de l’É­tat inca­pable d’as­sur­er ses fonc­tions d’ar­bi­trage ain­si que de redis­tri­b­u­tion sociale, le non-renou­velle­ment des élites, la faib­lesse de la société civile, le blocage poli­tique des réformes après 1996.

Ce con­stat appelle cer­taines pri­or­ités. La pre­mière est de restau­r­er la crédi­bil­ité et le fonc­tion­nement de l’É­tat : réforme fis­cale por­tant sur l’assi­ette, les taux et les moyens de per­cep­tion, afin d’ac­croître les ressources fis­cales ; restruc­tura­tion du bud­get avec une réduc­tion des dota­tions à l’é­conomie et une meilleure allo­ca­tion des ressources en faveur des dépens­es de san­té, d’é­d­u­ca­tion et d’in­fra­struc­tures ; réforme du sys­tème des retraites, avec notam­ment la créa­tion de fonds de pen­sions autonomes, indépen­dants du bud­get ; con­cen­tra­tion de l’ac­tion des pou­voirs publics sur les objec­tifs essen­tiels : sta­bil­ité macroé­conomique, ren­force­ment des insti­tu­tions du marché, régu­la­tion des marchés financiers, restruc­tura­tion indus­trielle, réforme de l’én­ergie, poli­tique sociale, infra­struc­tures ; réforme admin­is­tra­tive : sim­pli­fi­ca­tion de l’or­gan­i­gramme gou­verne­men­tal, formation.

La deux­ième pri­or­ité est de ren­forcer les insti­tu­tions du marché : développe­ment de l’É­tat de droit en matière économique (mise en place d’un droit des fail­lites, d’un droit des créanciers et de tri­bunaux de com­merce fiables) ; réformer le sys­tème financier (intro­duc­tion d’un mécan­isme fiable de régu­la­tion et de sur­veil­lance des activ­ités ban­caires) ; amélio­ra­tion du cadre lég­is­latif pour les investisse­ments (code des impôts) ; pour­suite de la libéral­i­sa­tion com­mer­ciale avec pour objec­tifs de rem­plir à terme les con­di­tions d’ac­ces­sion à l’OMC.

Les leçons de la crise russe et les lacunes de la tran­si­tion ont amené les insti­tu­tions inter­na­tionales à procéder à une réap­pré­ci­a­tion de leur stratégie. L’as­sis­tance occi­den­tale sera main­tenue compte tenu notam­ment de l’im­por­tance stratégique de l’Ukraine dans la région, mais devra peut-être réduire ses ambi­tions pour tenir compte de sit­u­a­tions de blocage appelées à persister.

Les ori­en­ta­tions suiv­antes devront être priv­ilégiées : assur­er une aide human­i­taire à la pop­u­la­tion, éviter une crise finan­cière majeure, pour­suiv­re l’amélio­ra­tion de la sécu­rité nucléaire, main­tenir l’as­sis­tance tech­nique seule­ment dans les domaines où une volon­té de réforme existe, for­mer une nou­velle généra­tion de dirigeants. Il fau­dra enfin accepter que le proces­sus de tran­si­tion en Ukraine, comme dans toute l’an­ci­enne URSS, soit plus long et plus com­plexe qu’on ne l’au­rait espéré, qu’il néces­sit­era patience et modestie.

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1. Il arrive au prési­dent Koutch­ma de rap­pel­er que lui n’a jamais envoyé de chars con­tre son par­lement… quelles que soient les dif­fi­cultés que celui-ci lui a causées.
2. Il est intéres­sant de not­er que la réflex­ion poli­tique ukraini­enne a tou­jours, depuis les décem­bristes du XIXe siè­cle, con­testé vigoureuse­ment la notion de “sol­i­dar­ité slave” prônée par Moscou. Pour les Ukrainiens, cette notion n’est rien d’autre qu’un ali­bi de l’im­péri­al­isme russe. Dès 1821, la Société des Slaves réu­nis, com­posante ukraini­enne du mou­ve­ment décem­briste, pré­con­i­sait la réu­nion de nations slaves autonomes dans une struc­ture fédérale, idée qui ressur­gi­ra dans les années 1840 avec Drago­marov et sera reprise par la Rada cen­trale lors de l’indépen­dance de 1917.
3. David Snel­beck­er, con­seiller poli­tique au Har­vard Insti­tute for Inter­na­tion­al Development.
4. The grand chess­board, 1997.

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