Les projets de mobilité présentent-ils réellement un plus en entreprise ?

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004
Par Bertrand SEMAILLE
Par Morand STUDER (91)

Les pro­jets de ” mobil­ité ” sont un peu comme des auberges espag­noles : on trou­ve sous ce terme à peu près tout ce que les entre­pris­es ont envie d’y met­tre. La seule ques­tion com­mune à tous ces pro­jets est : appor­tent-ils une vraie valeur à l’en­tre­prise ? En effet, comme sou­vent lors de l’émer­gence d’une nou­velle tech­nolo­gie, la ten­dance est de se con­cen­tr­er sur la tech­nique, avant d’être cer­tain du retour sur investissement.

Or il s’avère que la plu­part des pro­jets réus­sis ne présen­tent au final ni les gains ini­tiale­ment atten­dus, ni ne ren­con­trent les résis­tances prévues.

Avant d’ex­pos­er ces derniers, il faut sans doute pré­cis­er le terme de ” mobil­ité “, qui prend de nom­breuses accep­tions selon le con­texte : nous voulons par­ler ici des nou­velles tech­nolo­gies d’in­for­ma­tion aidant la mobil­ité des per­son­nes, notam­ment en entre­prise. Nous regroupons ain­si des tech­nolo­gies aus­si var­iées que la géolo­cal­i­sa­tion, la trans­mis­sion de don­nées à dis­tance (RTC, GPRS, UMTS, WiFi) et les sys­tèmes d’in­for­ma­tion associés.

Ain­si, de nom­breux acteurs cherchent à con­quérir ce marché naissant :

  • les opéra­teurs télé­phoniques par la géolo­cal­i­sa­tion des cartes SIM des télé­phones porta­bles et les trans­mis­sions de don­nées à dis­tance (SMS, WAP ou GPRS) ;
  • les spé­cial­istes de la logis­tique qui pro­posent des logi­ciels de ges­tion de flottes de véhicules ;
  • les sociétés d’in­for­ma­tique qui offrent des solu­tions apparem­ment com­plètes de mobil­ité (équipements, appli­ca­tions et infra­struc­tures des réseaux associés…) ;
  • les fab­ri­cants d’élec­tron­ique qui com­mer­cialisent des out­ils com­mu­ni­cants : assis­tants numériques per­son­nels (PDA), GPS ;
  • les fab­ri­cants de véhicules qui font de ces équipements un argu­ment de vente ;
  • des petites ” start-ups ” spé­cial­isées sur ce secteur qui pro­posent le matériel et des solu­tions clés en main pour des ges­tion­naires de flottes.


Même si le marché est com­plexe, cette forte con­cur­rence a stim­ulé la créa­tiv­ité et fait baiss­er les prix, ce qui fait que l’of­fre est aujour­d’hui opéra­tionnelle et accessible :

  • les abon­nements GPRS per­me­t­tent la trans­mis­sion de don­nées en con­tinu à un prix raisonnable,
  • les ter­minaux sont de plus en plus per­for­mants, économiques, faciles d’ac­cès et stan­dard­is­és (PDA avec écran tactile),
  • le GPS est forte­ment minia­tur­isé et à un prix accessible,
  • Inter­net et les tech­nolo­gies ASP, c’est-à-dire l’héberge­ment de l’ap­pli­ca­tion par le four­nisseur de ser­vice et non plus par l’u­til­isa­teur, ouvrent de nou­velles voies au partage de données.

Quels sont les gains attendus de tels projets ?

Les pre­miers pro­jets ” de mobil­ité ” con­duits par les entre­pris­es, notam­ment de mes­sagerie express, ont mis en avant le ” plus ” en matière de ser­vice aux clients.

Dès le début des années qua­tre-vingt-dix, UPS, Fedex, DHL ont équipé leurs équipes itinérantes de ter­minaux porta­bles, per­me­t­tant non seule­ment d’as­sur­er la traça­bil­ité d’un col­is mais égale­ment d’en­reg­istr­er la sig­na­ture à la récep­tion du client.

Cette traça­bil­ité ” en direct ” des mes­sagers express a été large­ment mise en avant par les pub­lic­ités de l’époque.

Ce qui, en revanche, a été égale­ment exploité par ces sociétés, mais sans com­mu­ni­ca­tion exces­sive, est la capac­ité à suiv­re leurs équipes de chauf­feurs vingt-qua­tre heures sur vingt-qua­tre par le biais de ces tech­nolo­gies : le suivi des col­is deve­nait égale­ment un for­mi­da­ble out­il de suivi de la per­for­mance et de la pro­duc­tiv­ité d’équipes itinérantes.

C’est sans doute cette util­i­sa­tion ” annexe ” des tech­nolo­gies de mobil­ité qui est à l’o­rig­ine des nom­breuses réti­cences sociales que ren­con­trent aujour­d’hui les entre­pris­es : les équipes itinérantes (chauf­feurs, com­mer­ci­aux, tech­ni­ciens d’in­ter­ven­tion…) perçoivent sou­vent l’aspect ” big broth­er ” du pro­jet avant d’en voir la qual­ité des ser­vices rendus.

Avec un peu de pré­cau­tions lors de la mise en place de ces pro­jets, nous ver­rons pour­tant que cet écueil est évitable.

Les applications ” mobilité ” en entreprise ne sont pas toujours celles que l’on croit

Les exploita­tions asso­ciées à la mobil­ité dans le secteur des ser­vices dépassent aujour­d’hui de loin la sim­ple traça­bil­ité des col­is de Fed­er­al Express.

La mobilité permet, en premier lieu, de communiquer avec ses équipes itinérantes, de les localiser et de les guider

Les entre­pris­es de ser­vice se con­cur­rençant sou­vent sur la rapid­ité et la flex­i­bil­ité de leurs inter­ven­tions, les pre­miers pro­jets de mobil­ité ont sou­vent eu pour voca­tion d’in­stituer une com­mu­ni­ca­tion per­ma­nente avec les équipes itinérantes : télé­phones porta­bles, trans­mis­sion de don­nées. À la sim­ple com­mu­ni­ca­tion s’a­joutent souvent :

  • la local­i­sa­tion indi­vidu­elle des agents, qui per­met de trou­ver le tech­ni­cien, le com­mer­cial… ou l’a­gent de sécu­rité le plus proche, disponible pour une intervention,
  • la mise à dis­po­si­tion d’outils de car­togra­phie et de cal­cul d’it­inéraires, qui per­me­t­tent de faciliter la nav­i­ga­tion de l’a­gent ou du chauffeur,
  • la con­nais­sance en temps réel des inter­ven­tions : le ser­vice com­mer­cial peut, par exem­ple, ren­seign­er le client sur une inter­ven­tion en cours (temps d’at­tente avant inter­ven­tion, niveau de répa­ra­tion, dif­fi­cultés rencontrées…).

De nouvelles applications visent également à accroître la sécurité des équipes et des marchandises

Des puces élec­tron­iques ” local­is­ables ” peu­vent être col­lées sur des marchan­dis­es sen­si­bles. Une fois une zone de sûreté définie, une alerte est pos­si­ble lorsque ces dernières dépassent leurs zones d’at­tri­bu­tion, acti­vant par ailleurs le suivi en direct des marchan­dis­es. C’est par exem­ple le cas d’un engin de chantier lorsqu’il quitte son lieu de loca­tion sans autori­sa­tion préal­able. Des dis­posi­tifs antivols inté­grés dans les véhicules peu­vent aus­si être déclenchés à dis­tance (change­ment de codes, recon­nais­sance du chauf­feur, localisation…).

Des dis­posi­tifs ” d’ap­pel de détresse ” automa­tiques (en cas de choc par exem­ple) ou manuels (en cas d’a­gres­sion du per­son­nel) peu­vent être instal­lés dans les véhicules. Cela fonc­tionne alors comme une balise de détresse pour les skip­pers des cours­es transocéaniques.

La mobilité permet également à certaines entreprises de réduire leur exposition aux risques juridiques

Le suivi des véhicules, même a pos­te­ri­ori, est en effet un argu­ment effi­cace pour démon­tr­er le respect d’un cahi­er des charges. C’est par exem­ple le cas d’un ges­tion­naire d’in­fra­struc­ture (aéro­port, autoroutes…) qui doit démon­tr­er sa rapid­ité d’in­ter­ven­tion et son pas­sage effec­tif sur les lieux. Dans une récente enquête sur un acci­dent d’avion, l’aéro­port a dû par exem­ple apporter la preuve du pas­sage d’un véhicule d’en­tre­tien sur la piste peu avant le décol­lage de l’appareil.

Les dis­posi­tifs de pro­tec­tion des per­son­nes et des marchan­dis­es que nous avons vu précédem­ment con­courent égale­ment à réduire les primes d’as­sur­ance. Enfin, la pos­si­bil­ité de trac­er les véhicules per­met des fac­tura­tions d’as­sur­ance plus pré­cis­es : en fonc­tion du kilo­mé­trage par­cou­ru, ou du périmètre géo­graphique utilisé.

Tous ces avan­tages expliquent donc le foi­son­nement de ces pro­jets de mobil­ité con­duits en entre­prise, en par­ti­c­uli­er dans le secteur des services.

Cepen­dant, les salariés de ces entre­pris­es sont sou­vent réti­cents à leurs mis­es en application.

La composante sociale est souvent négligée lors des premiers tests

Les pop­u­la­tions de salariés (ou agents), ciblées par ces pro­jets, sont sou­vent habituées au tra­vail seul ou en équipe réduite (chauf­feurs-livreurs, com­mer­ci­aux, répara­teurs…) : ce type de pro­jet est donc sou­vent perçu comme une intru­sion sur leurs lieux de travail.

Cette ” indépen­dance ” est d’ailleurs jalouse­ment préservée car vécue par ces salariés comme l’une des con­trepar­ties à un tra­vail exigeant (nom­bre d’heures tra­vail­lées, week-end de garde, horaires décalés…).

Or, cette réti­cence ini­tiale est par­fois avivée par le déroule­ment des pre­miers tests dans l’en­tre­prise. En effet, le man­age­ment opéra­tionnel a ten­dance, sou­vent incon­sciem­ment, à exploiter ce nou­veau sys­tème pour pilot­er plus étroite­ment leurs équipes (temps de tra­vail, productivité…).

Cela est d’au­tant plus dom­mage­able que les pro­jets de mobil­ité réus­sis­sent surtout lorsque les équipes se sen­tent plus respon­s­abil­isées et plus con­cernées par la vie de l’en­tre­prise. Ces out­ils, exploités effi­cace­ment, con­stituent en effet un vrai lien entre l’en­tre­prise, sa promesse aux clients et le salarié.

Donner envie aux employés

Par­fois, il suf­fit de peu de chose pour chang­er la per­cep­tion du pro­jet. Nous avons par exem­ple con­staté que la dés­ac­ti­va­tion du suivi ” en temps réel ” du véhicule mod­i­fie rel­a­tive­ment peu l’ef­fi­cac­ité de ces out­ils mais, en revanche, change totale­ment la per­cep­tion du salarié. D’autres salariés, au con­traire, sont inqui­ets de la traça­bil­ité a pos­te­ri­ori. Une lim­i­ta­tion des accès à cette fonc­tion à des cas bien pré­cis (lit­ige, inci­dent…) peut suf­fire à les rassurer.

Une bonne com­mu­ni­ca­tion et des pro­jets pilotes bien con­duits sont donc néces­saires pour faire entr­er dans les mœurs ces nou­velles technologies.

La mise en avant des aspects de sécu­rité des per­son­nes, des marchan­dis­es et l’ef­fi­cac­ité opéra­tionnelle (aide à la nav­i­ga­tion, sup­pres­sion des dou­bles saisies…) doit être sup­port­ée par les faits et ne pas être qu’un sim­ple habil­lage du pro­jet à des­ti­na­tion des parte­naires sociaux.

La mise en appli­ca­tion des tech­nolo­gies de mobil­ité dans les entre­pris­es respec­tant ces principes présente alors un véri­ta­ble ” plus ” en ter­mes de valeur ajoutée pour le client et d’en­richisse­ment du tra­vail pour ses collaborateurs. 

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