Mur des Justes parmi les nations, Mémorial de la Shoah, Paris

Les polytechniciens sauvés par des Justes parmi les nations

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Olivier HERZ (X79)

Après la pub­li­ca­tion dans La Jaune et la Rouge n° 782 de son arti­cle présen­tant les sept poly­tech­ni­ciens recon­nus Justes par­mi les nations par l’État d’Israël, l’auteur a été con­tac­té par Michel Lévy (X58), qui lui a rap­pelé que des non‑X avaient sauvé des X juifs, avec à l’appui un doc­u­ment sur l’histoire de son père, Gilbert Lévy (X23). Voici donc la pour­suite du tra­vail et l’identification des X sauvés par des Justes.

Les listes qui suiv­ent ne sont sans doute pas exhaus­tives pour les raisons suiv­antes : les sources sont moins pré­cises pour les per­son­nes sauvées que pour les Justes ; elles ne réper­to­ri­ent pas exhaustive­ment les per­son­nes sauvées, car cer­tains Justes en ont sauvé un grand nom­bre ; cer­taines per­son­nes ont pu chang­er de nom, par exem­ple pour garder le nom des faux papiers qui leur ont per­mis d’être sauvées ; nous n’avons pas recher­ché les X sauvés par des Justes hors de France. Les lecteurs sont invités à nous adress­er toute infor­ma­tion con­cer­nant un X qui a été sauvé par un Juste et qui ne serait pas cité dans le présent article. 

Une méthode éprouvée

La méthode de tra­vail est glob­ale­ment restée inchangée. Nous avons récupéré une liste de 6 700 per­son­nes sauvées en France et avons retiré les femmes, soit un total de 3 250 per­son­nes. Nous l’avons regroupée avec celle des pro­mo­tions 1870 à 1945 (env­i­ron 17 500 cama­rades), trié l’ensemble par ordre alphabé­tique, puis cher­ché les corres­pon­dances. Nous avons obtenu une liste de 129 per­son­nes sauvées sus­cep­ti­bles d’être des X. Après exa­m­en de nos sources et si besoin des recherch­es sur inter­net, nous avons iden­ti­fié : 7 dou­blons (il y a notam­ment des per­son­nes sauvées par plusieurs Justes ou familles de Justes) ; 83 faux posi­tifs (il ne s’agit pas d’X) ; 36 cas indéter­minés (les infor­ma­tions sont impré­cis­es ou le patronyme trop répan­du pour une recherche en ligne, il est peu prob­a­ble qu’il s’agisse d’X) ; 3 résul­tats posi­tifs (il s’agit bien d’X, dont l’histoire est briève­ment décrite ci-après).

Trois cas avérés d’X

  • Pol et Madeleine Arcens, diri­gent l’école sec­ondaire La Roseraie à Dieule­fit. La plu­part des pro­fesseurs étaient juifs, dont Gilbert Cahen (X22).
  • Gas­ton Girousse (X1899), Juste par­mi les nations, cache son cama­rade de pro­mo­tion Louis Cahen dans une cham­bre d’un 6e étage parisien. 
  • Alerté par ses supérieurs, à com­mencer par M. Digue, l’ingénieur en chef du départe­ment qui aurait mérité d’être recon­nu comme Juste, Jean-Marie Bor­don­nat, chef can­ton­nier des Ponts et Chaussées, cache Gilbert Lévy (X23), ingénieur des Ponts et Chaussées révo­qué par Vichy, et sa famille. 

Et le cas de neuf futurs X

Par ailleurs, au vu des infor­ma­tions dont nous dis­po­sions, il nous est apparu utile d’identifier égale­ment les « futurs X » sauvés par des Justes, alors qu’ils étaient encore enfants ou ado­les­cents. En util­isant une liste des pro­mo­tions 1946 à 1965 (env­i­ron 5 200 cama­rades), nous avons obtenu une nou­velle liste de 52 per­son­nes sauvées : 4 dou­blons, 30 faux posi­tifs, 9 cas indéter­minés et 9 résul­tats posi­tifs dont l’histoire est briève­ment décrite ci-après. 

  • Olivi­er Cahen (X49), fils de Gilbert Cahen (X22), est caché comme pen­sion­naire à La Roseraie.
  • Alain Chencin­er (X63) est caché avec ses par­ents par Luci­enne Deguil­hem, la secré­taire de mairie de Monbahus.
  • Agé de trois ans, Michel Fansten (X60) est accueil­li par la famille de Dominique Poli, engagé dans la Résistance.
  • Roger Franck (X56) et sa sœur Françoise sont cachés chez Jean et Mar­guerite Guy, pro­prié­taires ter­riens, avec l’aide active de leur fille Jeanne.
  • Les frères Albert et Roland Glowin­s­ki (X58) et leur mère Anna sont hébergés par Madeleine Botineau, avec qui Anna s’était liée d’amitié, et sa famille.
  • Claude Grod­ner (X49) et sa sœur Eliane sont accom­pa­g­nés par Emmanuel Peteuil depuis l’Yonne et placés chez les sœurs d’Eugénie Peteuil en Corrèze.
  • Lionel Stoleru (X56) et son frère Yves sont hébergés par la famille Tril­lat et traités comme des mem­bres de la famille.
  • La famille de Daniel Tenen­baum (X59) se réfugie dans la mai­son de Mar­ius et Marie-Thérèse Pal­lan­ca en cas de dan­ger et ira ensuite se cacher dans le vieux Cagnes-sur-Mer.

Nous avons par ailleurs noté deux autres « futurs X » cachés par des Justes : Olivi­er Cahen (X49) nous a infor­més que Gérard Brun­schwig (reçu au con­cours de 1945 et reclassé dans la pro­mo­tion X43, cf. son arti­cle dans La Jaune et la Rouge n° 567) fut lui aus­si élève à La Roseraie ; le fils aîné de Gilbert Lévy (X23), Jacques Lévy (X56), était égale­ment caché à Peyrieu (Michel Lévy, X58, était resté chez son grand-père en Espagne, retenu par une mal­adie infan­tile puis par la fer­me­ture de la frontière).


Tableau récapitulatif des polytechniciens sauvés en France par des Justes parmi les nations

Poly­tech­ni­ciens (*)

Pro­mo

Lieu

Juste(s)

Dossier

Gilbert Cahen (1904–2001)

Gérard Brun­schwig (1924–2003)

Olivi­er Cahen (né en 1929)

1922
1943

1949

Dieule­fit (26)

Pol et Madeleine Arcens

4002

Louis Cahen (1881–1970)

1899

Paris (75)

Gas­ton Girousse (1899)

11409

Gilbert Lévy (1904–1991)

Jacques Lévy (1937–2012)

1923

1956

Peyrieu (01)

Jean-Marie Bor­don­nat

4194

Alain Chencin­er (né en 1943)

1963

Mon­bahus (47)

Luci­enne Deguilhem

12532

Michel Fansten (né en 1940)

1960

Achères-la-Forêt (77)

Dominique et Marie-Françoise Poli

12470

Roger Francey (1936–2017)

[né Franck]

1956

Fin­han (82)

Jean, Mar­guerite et Jeanne Guy

9406

Albert Glowin­s­ki (né en 1939)

Roland Glowin­s­ki (1937–2022)

1958

1958

Sargé-sur-Braye (41)

Madeleine Botineau, ses enfants Roger
et Madeleine, sa mère Marie Fauveau 

10482

Claude Grod­ner (1929–1961)

1949

Le Theil (19)

Emmanuel et Eugénie Peteuil

11317

Lionel Stoleru (1937–2016)

1956

Passins (38)

Clé­ment et Marie Tril­lat, leurs enfants Robert et Isabelle

6157

Daniel Tenen­baum (1937–2020)

1959

Cagnes-sur-Mer (06)

Mar­ius et Marie-Thérèse Pallanca

12404

(*) Gras : les anciens élèves sauvés par des Justes. Romain : ceux sauvés avant leur entrée à l’X.


La partie émergée de l’iceberg

Les Justes ne représen­tent que la par­tie émergée de l’iceberg dans le sauve­tage des Juifs de France : le nom­bre de ces derniers ayant échap­pé à la dépor­ta­tion est près de 40 fois supérieur au nom­bre de ceux qui ont été sauvés par des Justes.

Pour ter­min­er, j’ajoute que mon père, Bertrand Herz (X51), a pu sur­vivre aux camps nazis entre autres grâce à l’action d’Otto Her­rmann, kapo com­mu­niste alle­mand du kom­man­do de Niederorschel, recon­nu Juste à titre posthume en 2004 (voir Le pull-over de Buchen­wald : « J’avais 14 ans dans les camps de la mort », édi­tions Tallandier).


Pour aller plus loin

2 Commentaires

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Fran­cis BEHRrépondre
17 novembre 2023 à 19 h 52 min

Futur X1959, j’ai été caché ain­si que ma soeur lors d’une soirée à Lyon en jan­vi­er 1944 par un cou­ple (Louis et Simone Lamure) pen­dant une vis­ite de la Gestapo. Louis et Simone Lamure nous ont fait pass­er pour leurs neveu et nièce. Les policiers qui étaient à la recherche des pro­prié­taires de la mai­son se sont briève­ment intéressé à nous ; ils ont ensuite passé la nuit à pil­ller tout ce qu’ils trou­vaient. Nous avons quit­té cette mai­son dès le lendemain

Olivi­er Herzrépondre
20 novembre 2023 à 23 h 07 min

Mer­ci pour ce témoignage. Il me sem­ble qu’il n’est pas trop tard pour dépos­er un dossier de demande de recon­nais­sance (https://yadvashem-france.org/documents-et-rapports/79/) en faveur de Louis et Simone Lamure (déjà cités dans le dossier 13806 : https://yadvashem-france.org/dossier/nom/13806/).

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