Le Gymnote (Q01), premier sous-marin militaire.

Une invention polytechnicienne : le sous-marin militaire

Dossier : Arts, Lettres & SciencesMagazine N°779 Novembre 2022
Par Jacques-André LESNARD

Sur plusieurs généra­tions, des ingénieurs du Génie mar­itime issus de Poly­tech­nique ont posé les bases du sous-marin, puis l’ont dévelop­pé dans une per­spec­tive mil­i­taire. Il s’agit de Dupuis de Lôme, Zédé, Romaz­zot­ti et Laubeuf qui mirent au point le Gym­note, la Sirène, puis le tor­pilleur sous-marin qui abor­dera la Pre­mière Guerre mon­di­ale avec une avance tech­nologique internationale.

La dif­fi­culté d’une propul­sion en milieu anaéro­bie et celle d’une direc­tion en trois dimen­sions retardèrent la mise au point d’engins aptes à des mis­sions mil­i­taires en France à la fin du XIXe siè­cle. Cela fut ren­du pos­si­ble par la réflex­ion et les efforts con­jugués des ingénieurs du corps du Génie mar­itime issus de Poly­tech­nique, dont qua­tre méri­tent d’être chronologique­ment cités et dont trois dirigèrent d’ailleurs leur direc­tion cen­trale, dite alors « du matériel », au som­met de leur car­rière. Nous com­mencerons par la pre­mière généra­tion des concepteurs.

Henri Dupuy de Lôme (X1835)

Dupuy de Lôme (Stanis­las, Charles, Hen­ri, Lau­rent) né en 1816 au château de Ploe­meur (Mor­bi­han), fils d’un cap­i­taine de fré­gate, entre à l’X en 1835 puis opte pour le corps mil­i­taire du Génie mar­itime. Après un séjour en Angleterre, il pub­lie en 1844 un Mémoire sur la con­struc­tion des bâti­ments en fer, vrai man­i­feste qui ent­hou­si­asme le futur empereur. Il devient « l’ingénieur chargé » (directeur de pro­jet) pour le pre­mier navire de guerre « de ligne », le Napoléon, lancé en 1850 : 90 canons et plus de 5 000 t propul­sés par une hélice, autre nou­veauté, qui lui per­met de dépass­er les 13 nœuds.

Ce vais­seau s’illustrera lors de la guerre de Crimée, mais sin­gulière­ment comme… remorqueur de vais­seaux à voile pour tra­vers­er les Dar­d­anelles et le Bosphore.

La fré­gate, Gloire, lancée à Toulon en 1852 sur ses plans, tête d’une série de qua­tre, est la pre­mière fré­gate cuirassée (820 t pour un blindage de 12 cm jusqu’à 2 mètres sous la coque, com­pen­sés par la sup­pres­sion d’une bat­terie de canons ramenée à 36 pièces, avec une vitesse de 13,5 nd aux essais, mais les sabor­ds devaient être fer­més par mer for­mée ! Le Génie mar­itime français se hisse au niveau anglais.


Les prémices des sous-marins 

Par-delà la légende des sol­dats d’Alexandre le Grand devant Tyr (332 av. J.-C.) et les dessins de Léonard de Vin­ci ou autres Ital­iens de la Renais­sance, on trou­ve dans les prémices de l’histoire des sous-marins en 1624 la com­mande de Charles Ier Stu­art au Hol­landais Cor­nelius Drebbel, pour tra­vers­er… la Tamise, ou dès 1690–1692 les essais de Denis Papin à Mar­burg (en Hesse, pre­mière uni­ver­sité protes­tante, fondée dès 1527). 

L’idée d’un véri­ta­ble sub­mersible à visée mil­i­taire remonte raisonnable­ment à 1797, avec le Nau­tilus de Robert Ful­ton, mais il n’arrivera pas à ven­dre son con­cept, ni à l’Angleterre, ni à la France (cf. le roman d’Alexandra Rossi, Le sous-marin de Bona­parte). L’éperonnage, en 1864 au large de Charleston, d’un navire nordiste par le CSS (Con­fed­er­ate States Ship) H.L. Hun­ley, avant qu’il dis­paraisse corps et biens peu après, reste tout autant de l’ordre anecdotique. 


Une fin de carrière politique 

Dès 1857, à 41 ans, Dupuy de Lôme devient directeur des con­struc­tions navales. Qua­tre ans plus tard il est par­al­lèle­ment nom­mé con­seiller d’État hors sec­tion, puis il entre à l’Académie de marine en 1866. Il prend une retraite anticipée à 53 ans en 1869, après douze ans comme directeur cen­tral, pour devenir aus­sitôt député du Mor­bi­han dans l’ultime cham­bre du Sec­ond Empire. Par­al­lèle­ment, il ani­me jusqu’à sa mort à la fois les Mes­sageries mar­itimes et les Forges et Chantiers de la Méditer­ranée avec ses sites de La Cio­tat et de La Seyne-sur-Mer. Séna­teur inamovi­ble en 1875, en suc­ces­sion du général Changar­nier, il meurt en 1885.

Un innovateur performant 

Élar­gis­sant son domaine de com­pé­tence pro­fes­sion­nelle, il est le pre­mier à met­tre au point un « train blindé » avec des canons de marine sur rails, avant d’être chargé, à l’automne 1870 par le gou­verne­ment pro­vi­soire, de met­tre au point un aéro­stat dirige­able : la propul­sion-ori­en­ta­tion d’une hélice mue par les bras de qua­tre marins se relayant toutes les demi-heures reste inaboutie en 1872. Mais cette expéri­ence per­met la pub­li­ca­tion, la même année, d’analyses sci­en­tifiques de qual­ité avec la col­lab­o­ra­tion de Gus­tave Zédé.

Elles le con­duisent dans les dernières années de sa vie, par simil­i­tude de la physique du déplace­ment dans les trois dimen­sions, à con­cevoir l’idée d’un engin sous-marin, puis esquisse des planch­es de dessin, mais il décède avant la déli­cate mise au point qui sera effec­tuée par son suc­cesseur. Il est donc bien le grand-père des sous-marins français.

Gustave Zédé (X1843)

Zédé (Gus­tave, Alexan­dre) est né à Paris le 15 févri­er 1825 et sera le père des sous-marins. Il entre en 2e rang à Poly­tech­nique dès 1843, suiv­ant les traces de son pro­pre père (X1809) : valeureux com­bat­tant en 1813–1814 en Alle­magne, Pierre-Amédée Zédé avait dévelop­pé sous la Restau­ra­tion une belle car­rière d’ingénieur du génie mar­itime, avec une prédilec­tion pour les aspects forestiers, alors matière pre­mière des navires. Maître des requêtes en 1834, il devien­dra préfet de l’Eure, de l’Aube, puis de la Loire. Nom­mé directeur des ports en 1848, il doit vite renon­cer à sa fonc­tion car malade, mais il est élevé au rang de com­man­deur de la Légion d’honneur en décem­bre 1848. Il revient au Génie mar­itime et ter­mine sa car­rière comme directeur des con­struc­tions navales à Cherbourg.

Vers le sous-marin ! 

Au sor­tir de l’école d’application, Gus­tave Zédé sert avec dis­tinc­tion à Brest pen­dant une dizaine d’années, avant d’être appelé à la direc­tion cen­trale comme chef du pre­mier bureau et très vite adoubé, en rai­son de son intel­li­gence aiguë, par le directeur cen­tral Dupuy de Lôme, qui rapi­de­ment en fait son sec­ond. Il devient offici­er de la Légion d’honneur en 1866 et passe ingénieur de pre­mière classe en 1869. Il col­la­bore étroite­ment avec Dupuy de Lôme devenu civ­il, sur les aérostats, en 1870–1872.

Pro­mu en 1877 directeur des con­struc­tions navales, il démis­sionne dès 1880 pour devenir admin­is­tra­teur des Forges et Chantiers de la Méditer­ranée, chantier naval méditer­ranéen dirigé par Dupuy de Lôme, comme on l’a vu plus haut. Il obtient en jan­vi­er 1888 du min­istre de la Marine, l’amiral Hyacinthe Aube, zéla­teur de la Jeune École (favor­able à la mul­ti­plic­ité de petites unités navales rapi­des), une dépêche min­istérielle pour la réal­i­sa­tion à Toulon d’un « bateau sous-marin ».

Les con­cep­teurs avaient en effet sur­mon­té les prob­lèmes de sta­bil­ité en cap (roulis et tan­gage dans le plan hor­i­zon­tal) comme en inci­dence (lacet et tan­gage dans le plan ver­ti­cal), par extrap­o­la­tion de leurs réflex­ions et cal­culs sur les aérostats, avec la mise en place d’empennage dans les deux plans.


Lire aus­si : Qua­tre X ingénieurs du Génie mar­itime mis à l’honneur


Enfin un vrai sous-marin

Le Gym­note (Q01 — numéro de la coque) reste néan­moins un engin d’études et d’essais, un tube de diamètre 1,8 m, de 17 mètres de long, armé par cinq hommes, mû par un moteur élec­trique – d’où son nom, à l’instar de l’espèce de pois­sons à défense par décharge élec­trique : puis­sance de 54 chevaux, ali­men­tée par une bat­terie de 564 accu­mu­la­teurs, selon les plans de Krebs, offici­er de sapeurs-pom­piers parisien. Il est lancé au Mouril­lon le 17 novem­bre 1888 : les ingénieurs Zédé et Romaz­zot­ti avec le com­man­dant Krebs le manœu­vrent person­nellement, gyro­scope élec­trique à bord, en rade de Toulon lors des pre­miers essais.

Le Gym­note atteint presque 8 nœuds en sur­face et la moitié en plongée, avec un ray­on d’action de 65 nau­tiques à 5 nd. Il servi­ra ultérieure­ment aux pre­miers essais de lance-tor­pilles et effectuera jusqu’en 1908 un total de près de 2 000 plongées, sans inci­dent majeur.


Un contemporain espagnol du Gymnote 

À Carthagène, le L.V. Isaac Per­al y Caballero enseigne les sci­ences physiques à l’Escuela de ampliación de estu­dios de la Arma­da. Dans un mémoire de 1885, il affirme avoir résolu les prob­lèmes d’un sous-marin mil­i­taire et parvient à obtenir l’appui direct de la régente Marie-Chris­tine, mal­gré des réti­cences chez les ami­raux. Il peut ain­si lancer le 8 sep­tem­bre 1888 un engin, le sub­mari­no Per­al, coque en forme de cig­a­re de 22 mètres de long, pesant 85 t, avec 12 mem­bres d’équipage dis­posant d’un sys­tème d’air effi­cace, avec une propul­sion élec­trique à deux hélices, muni de deux tubes lance-tor­pilles (une en réserve). Dépourvu de kiosque et de périscope, il atteint 10 nd et 8 en plongée. 

Mais des essais noc­turnes sat­is­faisants ne com­pen­sèrent pas aux yeux de l’état-major de l’Armada la faible autonomie de l’engin, qui en out­re devait remon­ter en sur­face pour lancer sa tor­pille, ain­si ren­du vis­i­ble par l’ennemi. Écœuré, Per­al démis­sion­na. Une réplique du Per­al grandeur nature orne le musée naval de Carthagène, qui reste le port mil­i­taire espag­nol des sous-marins. Il est très éton­nant de con­stater la par­faite con­comi­tance à l’automne 1888 du lance­ment toulon­nais du Gym­note, deux mois plus tard (8 sep­tem­bre — 17 novem­bre), sans qu’on sache s’il y avait eu ou non des rela­tions entre ces deux sites « d’invention pra­tique » du sous-marin à voca­tion militaire.


De légitimes hommages

Entretemps Gus­tave Zédé, remon­té dans la cap­i­tale, est vic­time d’un grave acci­dent de lab­o­ra­toire lors d’une manip­u­la­tion de poudre propul­sive pour tor­pille, qui lui brise les jambes : il en meurt le 26 avril 1891 et est enter­ré au cimetière du Mont­par­nasse. Il est très remar­quable que, dès le 1er mai, son nom soit don­né au deux­ième (Q02) sous-marin français, ini­tiale­ment bap­tisé Sirène, alors en con­struc­tion. Cette rapid­ité extrême sem­ble com­penser une cra­vate de com­man­deur de la Légion d’honneur qui ne lui avait pas encore été décernée pour la réus­site du Gym­note, en rai­son d’une querelle entre min­istères pour l’imputation sur leurs con­tin­gents annuels respectifs…

Pour la cinquième fois la Marine rend actuelle­ment hom­mage à cet ingénieur excep­tion­nel, puisque la nou­velle série de qua­tre pétroliers rav­i­tailleurs aura comme tête de série un Gus­tave Zédé, précé­dant trois autres noms d’ingénieurs du corps du Génie mar­itime : Émile Bertin (X1858), Jacques Stosskopf (X1920S) et Jacques Cheval­li­er (X1940).

Le Gustave Zédé (Q02).
Le Gus­tave Zédé (Q02). © Mar­ius Bar pho­to. — Toulon

Gaston Romazzotti (X1874)

Gas­ton Romaz­zot­ti (neveu par alliance de Gus­tave Zédé !) est né en juil­let 1855 à Mol­sheim (Bas-Rhin). Il entre à l’X à l’automne 1874 et prend la dernière des six places pro­posées pour l’école d’application du Génie mar­itime, étant 40e sur 252 au classe­ment de sor­tie. Il est affec­té en 1878 à Toulon, passe pre­mière classe en 1880, puis sert à Cher­bourg cinq ans (1881–1886), avant de revenir à Toulon où il est chargé de la con­struc­tion du pre­mier sous-marin, le Gym­note, sur les plans de Gus­tave Zédé, oncle de son épouse, ce qui lui vaut la croix de la Légion d’honneur en mai 1890.

Romaz­zot­ti dirige à Cher­bourg la con­struc­tion de la Sirène (Q02), rebap­tisée en 1891 Gus­tave Zédé, qui pèse 226 t car la coque est en bronze, plus rigide ; l’engin dis­pose d’un moteur élec­trique de 750 chevaux, atteint 12,7 nd à vitesse max­i­male (mais 15 étaient théorique­ment prévus) et d’emblée com­porte un tube lance-tor­pilles : le navire réus­sira en plongée périscopique à tor­piller le cuirassé Magen­ta avançant à 10 nd, démon­trant que le sous-marin était bien devenu une arme de guerre, même si la sta­bil­ité en mer et le faible ray­on d’action le can­ton­naient, à ce stade encore expéri­men­tal, à des tâch­es de défense côtière.

Une brillante carrière 

Il dévelop­pera ensuite au début du XXe siè­cle une série de vingt petits sous-marins à sim­ple coque, au nom de pois­son en général, donc surnom­més… « les fri­t­ures » – tête de série : la Naïade. Ils sont tous retirés du ser­vice en 1914 en rai­son de leurs défauts et d’un manque de sta­bil­ité à la mer, en sur­face. Offici­er de la Légion d’honneur en 1899, pro­mu ingénieur général en 1905 et directeur de la fonderie de Guérigny (dans la Nièvre, sur la Loire), il y met au point les chaînes d’ancre en acier.

Directeur des con­struc­tions navales à Brest en 1909, il devient directeur cen­tral en 1912, pro­mu com­man­deur de la Légion d’honneur en décem­bre. Il meurt à son domi­cile parisien le 18 sep­tem­bre 1915. Tout comme pour son oncle, un sous-marin de la classe Lagrange (Q114), en con­struc­tion, porte son nom par déci­sion qua­si immé­di­ate du min­istre de la Marine ; ce bâti­ment, le Romaz­zot­ti, sera en ser­vice de 1918 à 1937.

Maxime Laubeuf (X1883)

Maxime Laubeuf est né à Pois­sy le 23 novem­bre 1864. Il entre à Poly­tech­nique dès 1883 et opte pour le Génie mar­itime, 8e sur une pro­mo­tion de 10 ; « sous-ingénieur » (grade rebap­tisé « ingénieur de deux­ième classe ») à Brest, il est en disponi­bil­ité d’août 1893 à juil­let 1895, puis revient à l’arsenal de Cher­bourg. Il passe en 1900 au grade d’ingénieur en chef, assor­ti de la croix de cheva­lier de la Légion d’honneur en juil­let. Affec­té l’année suiv­ante à Toulon, pro­mu ingénieur en chef de pre­mière classe en 1905, de retour à Cher­bourg début 1906, il démis­sionne le 27 octo­bre pour entr­er chez Schnei­der où il a les coudées franch­es pour dévelop­per ses con­cep­tions de sub­mersibles. Il rejoin­dra ultérieure­ment les Ate­liers et Chantiers de Bretagne.

Ses per­cées tech­niques puis le rôle des sous-marins durant le pre­mier con­flit mon­di­al, qui tous, Alle­mands au pre­mier chef, s’inspirent de ses grands choix tech­niques, lui valent une grande notoriété et un bril­lant cur­sus dans notre ordre nation­al : offici­er en 1919, com­man­deur en 1923, puis grand offici­er en jan­vi­er 1936. Admis à l’Académie de marine, il devien­dra mem­bre de l’Académie des sci­ences. Il avait écrit en 1915, puis repris en l’élargissant en 1917, un ouvrage réputé Sous-Marins et Sub­mersibles. Il meurt et est enter­ré à Cannes le 23 décem­bre 1939.

Deux idées fondamentales 

Lors du con­cours du min­istre de la Marine Lock­roy (cf. encadré page 77) pour un « tor­pilleur sous-marin », Laubeuf retient dans son pro­jet deux principes de base. D’une part une dou­ble coque, le cig­a­re du sous-marin étant logé à l’intérieur de la coque d’un torpilleur.

L’espace entre les deux sert pour les bal­lasts, ain­si placés hors de la coque épaisse, ce qui accroît sig­ni­fica­tive­ment l’espace intérieur disponible du sous-marin et per­met une pro­fondeur de plongée plus grande, avec des bal­lasts plus volu­mineux, tout en amélio­rant large­ment la tenue à la mer par la forme de la carène, plus appro­priée, d’un navire de sur­face. A pos­te­ri­ori, on peut dire qu’il a été le seul à inter­préter à la let­tre le titre du concours !

D’autre part, une dou­ble propul­sion, à vapeur pour la sur­face et élec­trique en plongée, per­met de recharg­er les accu­mu­la­teurs de la sec­onde par la pre­mière et donc d’allonger large­ment le ray­on d’action du navire, plus la sécu­rité de ne pas dépen­dre exclu­sive­ment de moteurs élec­triques, encore frag­iles à l’époque.

Le sous-marin militaire Narval (Q04).
Le Nar­val (Q04).

Le Narval, succès majeur 

Cette vision féconde con­duit à lui com­man­der le Nar­val (Q04), « tor­pilleur sub­mersible » d’environ 200 tonnes à plongée rapi­de. Les essais furent si sat­is­faisants que ce pro­to­type par­tic­i­pa à la revue navale de Cher­bourg en juil­let 1900, devant le prési­dent de la République (Émile Lou­bet – bien con­nu dans la Marine, puisque le por­trait offi­ciel du Prési­dent de la République en exer­ci­ce sur un bâti­ment de guerre, par­celle mobile du ter­ri­toire nation­al, s’appelle tou­jours un lou­bet, en mémoire de celui qui imposa cet usage).

Dès 1901 une pre­mière série s’ensuit dont la tête reprend le nom de Sirène (Q05), suiv­ie du Tri­ton (Q06), puis de l’Espadon (Q13) et de la Sil­ure (Q14) qui servi­ront durant le pre­mier con­flit mon­di­al. Tous seront ensuite désar­més en 1919. Il per­fec­tionne le Nar­val – déjà muni d’un périscope – avec l’Aigrette (Q38) et la Cigogne (Q39), mais les onze suiv­ants prévus dans la série seront annulés. Il avait pour­tant rem­placé la propul­sion vapeur par le diesel, idée qui est ensuite uni­verselle­ment adop­tée car elle résout le gros des prob­lèmes induits par la chaleur : la cor­ro­sion des con­duits et de la chem­inée d’évacuation, de même que le niveau de la tem­péra­ture ambiante à bord qui était à la lim­ite du sup­port­able pour l’équipage.

Le sous-marin militaire l’Aigrette (Q38).
L’Aigrette (Q38).

La Sirène (Q05).
La Sirène (Q05). © Mar­ius Bar pho­to. — Toulon

Le sous-marin militaire la Cigogne (Q39).
La Cigogne (Q39).

Une avance internationale 

Laubeuf réus­sit ain­si à grande­ment amélior­er le ton­nage et le ray­on d’action puisqu’en 1912 ses sub­mersibles font les tra­jets directs Rochefort-Toulon (par le Fara­day) et Brest-Biz­erte (par le Papin).

La Marine française dis­pose, grâce à cet ingénieur de grand tal­ent, d’une avance en matière de sous-marins, arme navale nou­velle qui serait sus­cep­ti­ble par leurs tor­pilles de con­cur­rencer les grands cuirassés issus du con­cept anglais du Dread­nought. Son nom a été légitime­ment don­né dans la fin des années 1980 à la grande forme de con­struc­tion à plat des sous-marins de l’arsenal de Cher­bourg, dont le vol­ume interne utile cor­re­spond à… onze fois les dimen­sions de l’Arc de Triomphe.

Dans sa ver­sion à propul­sion nucléaire et lanceur de mis­siles chargés de bombes atom­iques, le sous-marin mis au point par les ingénieurs du Génie mar­itime reste au xxie siè­cle, en logique de dis­sua­sion, l’ulti­ma ratio repub­li­cae.


Le « concours d’idées » du ministre Lockroy

Hiérar­que du par­ti rad­i­cal-social­iste venu de l’extrême gauche (ancien Chemise rouge de Garibal­di en 1860, puis secré­taire d’Ernest Renan en Syrie durant trois ans), Édouard Lock­roy sera min­istre de la Marine dans le dernier lus­tre du XIXe siè­cle, au sein de plusieurs gou­verne­ments successifs. 

Il se pas­sionne pour la Marine, écrivant maints arti­cles et six livres sur le sujet. Il met au con­cours en octo­bre 1896 le con­cept d’un « tor­pilleur sous-marin » répon­dant aux car­ac­téris­tiques suiv­antes : déplace­ment de 200 t, vitesse opéra­tionnelle de 12 nd, fran­chisse­ment de 100 N à 8 nd, embar­que­ment de deux tor­pilles prêtes à l’emploi. Bien qu’initialement écartés, les officiers d’active sont finale­ment autorisés à par­ticiper, le prix se trans­for­mant pour eux en médaille. 

45 pro­jets sont remis. Le jury décerne cinq médailles d’or ex aequo aux ingénieurs du Génie mar­itime Chéron, Laubeuf, Mau­gas, Romaz­zot­ti, ain­si qu’au L.V. Dar­rieus, alors com­man­dant du Gym­note, futur ami­ral (à la répu­ta­tion de tech­ni­cien très affirmée).

“Le jury décerne cinq médailles d’or ex aequo aux ingénieurs du Génie maritime Chéron, Laubeuf, Maugas, Romazzotti, ainsi qu’au L.V. Darrieus, alors commandant du Gymnote.”

Un civ­il, Ste­fan Drzewiec­ki, ingénieur rus­so-polon­ais d’origine, fort con­nu car il avait ven­du plusieurs sous-marins à propul­sion humaine à divers États dont la Russie, avant de lancer le pre­mier, en 1884, le con­cept d’une propul­sion élec­trique pour les sub­mersibles, se con­tente de remet­tre un pro­jet d’appareil de lance­ment de tor­pilles, égale­ment primé, en 2e rang, mais sans pre­mier prix attribué dans la catégorie ! 

Le min­istre donne suite aux pro­jets des lau­réats : out­re Laubeuf, Romaz­zot­ti peut pour­suiv­re la mise au point du Morse (Q03) lancé en 1899, qui est une sorte d’intermédiaire entre le Gym­note et le Gus­tave Zédé avec ses 149 t pour 36,5 m de long. 

Le Far­fadet (Q07) est lui l’œuvre de Gabriel Mau­gat (X1884), tête d’une série de qua­tre bâti­ments (Kor­ri­g­an Q08, Gnôme QO9 et Lutin Q10). Mal­heureuse­ment le Far­fadet, sta­tion­né à Biz­erte, dis­paraît par 10 mètres de fond, engloutis­sant le 6 juil­let 1905 treize mem­bres d’équipage (un sur­vivant, l’autre suc­com­bant à ses blessures) : ren­floué, le bâti­ment sera rebap­tisé le Fol­let. Ce pre­mier drame sera suivi le 16 octo­bre 1906 par la perte du Lutin avec tout son équipage, presque au même endroit, par 36 mètres de fond. 

Cette dou­ble tragédie de la Marine nationale n’est pas sans trou­ver écho avec les dis­pari­tions ultérieures de la Min­erve et de l’Eury­dice, au large de Toulon, en 1968 et jan­vi­er 1970. Ces cat­a­stro­phes entraînèrent la con­damna­tion de la classe. Mau­gas, entretemps, avait forte­ment con­tribué à amélior­er le fonc­tion­nement des diesels sous-marins et mis au point l’hélice à pas vari­able qui sim­pli­fie la mise en œuvre de la marche arrière. Col­lab­o­ra­teur de Foch durant la guerre, ingénieur général, com­man­deur de la Légion d’honneur en 1921, il dirig­era ensuite les Forges et Hauts-Fourneaux de Dif­fer­dan­ge, au Luxembourg. 


Poster un commentaire