Séré de Rivières

Séré de Rivières (X 1835) « Vauban » de la IIIe République

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°755 Mai 2020
Par Jacques-André LESNARD

Après l’article con­sacré à François Haxo pub­lié dans le numéro 752 de La Jaune et la Rouge, l’auteur présente Ray­mond Adolphe Séré de Riv­ières, un autre poly­tech­ni­cien qui a mar­qué l’histoire mil­i­taire des for­ti­fi­ca­tions au XIXe siè­cle : tous deux sont de dignes héri­tiers de Vauban, auquel ils ont été l’un et l’autre comparés !

Ray­mond Adolphe Séré de Riv­ières (Riv­ières au pluriel, petite com­mune près de Gail­lac, dans le Tarn) naît à Albi en mai 1815. Il refuse son admis­sion à Saint-Cyr dès 1833 pour appro­fondir ses con­nais­sances et il réus­sit le con­cours d’entrée à Poly­tech­nique en 1835. À la sor­tie, il opte pour la car­rière d’officier et suit la sco­lar­ité de l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz. Il en sort sous-lieu­tenant en 1839, affec­té à Arras, citadelle Vauban. Il avance dans l’arme du génie, de gar­ni­son en gar­ni­son dans dix affec­ta­tions suc­ces­sives (Per­pig­nan, Cas­tres, Car­cas­sonne…), entre­coupées par une cam­pagne en Algérie puis une par­tic­i­pa­tion à la guerre d’Italie en 1859, où il est blessé.

Spé­cial­iste recon­nu des for­ti­fi­ca­tions, il y forge son idée maîtresse d’ouvrages détachés qui s’épaulent mutuelle­ment, dès son affec­ta­tion à Toulon comme cap­i­taine en 1843, idée appro­fondie à la chef­ferie du génie de Nice (ser­vice à créer car le comté vient d’être rat­taché à la France), puis de Metz (où il fait con­stru­ire qua­tre forts extérieurs), et en 1868 à Lyon comme directeur des for­ti­fi­ca­tions. Toutes ces villes devi­en­nent sous son impul­sion des… « places fortesnbsp&».

La gloire des années 70

Lors de la guerre de 1870–1871, Séré organ­ise la défense et parvient à maîtris­er l’insurrection urbaine de la cité des Gaules, ce qui lui vaut fin octo­bre 1870 d’accéder aux étoiles de brigadier, à 55 ans et demi. Il part com­man­der le génie sur le front de l’Est (du 24e corps puis de toute l’armée de l’Est après son action lors de la bataille de recon­nais­sance d’Arcey) : il sera interné en Suisse avec l’armée du général Bour­ba­ki après sa retraite en Franche-Comté. Il dirige les sièges des forts d’Issy et de Vanves en com­man­dant le génie du 2e corps des « Ver­sail­lais », leur ouvrant ain­si Paris (et sa « Com­mune » insurgée). Rap­por­teur du procès du maréchal Bazaine en 1873, jugé pour ses respon­s­abil­ités dans la capit­u­la­tion de Metz, il récoltera de graves inim­i­tiés par suite de la rigueur de ses observations.

Entretemps, dès l’automne 1871, il est chargé de recon­naître la fron­tière ital­i­enne, puis il est nom­mé d’emblée au Comité de défense (instance chargée de l’organisation de la défense des nou­velles fron­tières de l’Est après l’amputation de l’Alsace-Moselle, instau­rée en juil­let 1872). Il en devient le secré­taire mi-1873 avec ses Con­sid­éra­tions sur la recon­struc­tion de la fron­tière de l’Est (déposées le 21 juin, puis adop­tées à l’unanimité dudit Comité le 15 novem­bre). Il est logique­ment nom­mé directeur du ser­vice du génie au min­istère de la Guerre le 1er févri­er 1874.

Il ter­mine son Exposé sur le sys­tème défen­sif de la France, remis le 20 mai 1874, par­al­lèle­ment à l’élaboration de la loi de pro­gram­ma­tion des for­ti­fi­ca­tions du 17 juil­let (avec une pre­mière tranche de 88 mil­lions de francs dont 29 pour l’année 1874 en cours) : celle-ci est votée à l’unanimité, cas excep­tion­nel. Il rédi­g­era encore trois mémoires, sur la défense des fron­tières du Nord (1876), sur celles du Jura et sur celles de la Haute-Savoie (les deux en 1877).

Une œuvre qui survit à son auteur

Pro­mu divi­sion­naire le 4 novem­bre 1874 et grand offici­er de la Légion d’honneur en 1878, il sera démis de ses fonc­tions le 10 jan­vi­er 1880 à la suite d’une cabale (et mis à la retraite), mais son œuvre mal­gré son départ se pour­suit sans fléchisse­ment : 140 places ou ouvrages anciens mod­ernisés, 390 neufs (dont 240 à fos­sés flan­qués), sans compter les bat­ter­ies de côte remaniées ou con­stru­ites ; un total qui dépasse les 600 ouvrages, pour 450 mil­lions de francs-or (bâti­ments) à major­er de 229 mil­lions pour leur arme­ment ; soit sen­si­ble­ment entre 16 et 17 mil­liards d’euros actuels, selon le taux de con­ver­sion du franc ger­mi­nal retenu, mais en exclu­ant la très déli­cate prise en con­sid­éra­tion de l’inflation spé­ci­fique (BTP comme arme­ment) sur la péri­ode con­cernée, donc prob­a­ble­ment une con­ver­sion par défaut.

Ces ouvrages dessi­nent une « bar­rière de fer » (selon une expres­sion des Alle­mands de l’époque, en réminis­cence de Vauban, alors qu’ils y adap­taient leurs teu­toniques plans d’offensive). Bar­rière dont la con­struc­tion se pour­suiv­ra sous l’appellation de « sys­tème Séré de Riv­ières », jusqu’à la Pre­mière Guerre mon­di­ale, avec 16 forts sup­plé­men­taires, 138 ouvrages sec­ondaires et des mil­liers de bat­ter­ies, mal­gré la « crise de l’obus tor­pille » : la puis­sance des nou­veaux explosifs, mis au point à par­tir de 1885, oblige à enter­rer au sens pre­mier l’armement d’un fort et à utilis­er du béton armé pro­tégé par d’importantes épais­seurs de terre pour tous les abris.

Décédé qua­si octogé­naire en févri­er 1895, Séré de Riv­ières repose au Père-Lachaise dans un mod­este tombeau por­tant l’épitaphe lapi­des clam­abunt (« les pier­res témoigneront », belle syn­thèse de son œuvre, emprun­tée à saint Luc, et juste pré­mo­ni­tion de l’enfer subi par ses forts autour de Ver­dun). Ain­si que le qual­i­fie Hen­ri Ortholan, qui est l’auteur d’une thèse à son sujet et qui s’y con­naît en matière de reliefs, Séré de Riv­ières est bien le « Vauban de la revanche ».

Fortifications Hautes Perches Séré de Rivières


Le « système Séré de Rivières »

C’est une appel­la­tion d’usage, non offi­cielle. La guerre de 1870 a mon­tré l’obsolescence des con­cep­tions for­ti­fiées anci­ennes « à la Vauban », du fait des énormes pro­grès de l’artillerie, en portée (cinq voire six fois celle du XVIIIe siè­cle), en cadence de tir avec le charge­ment par la culasse, en pré­ci­sion grâce à l’utilisation de tubes rayés en spi­rale et en puis­sance à l’impact grâce aux obus avec des fusées per­cu­tantes. La défense con­siste donc à éloign­er le tir d’artillerie enne­mi par des forts polyg­o­naux enter­rés, sans bas­tions devenus inutiles mais avec un fos­sé pro­tégé par des capon­nières, situés à plus d’une dizaine de kilo­mètres du site sen­si­ble à pro­téger, for­mant une cein­ture puis­sante bat­tant toute la super­fi­cie, chaque ouvrage s’épaulant avec ses voisins. 

Appuyés sur des obsta­cles naturels entre deux places fortes : « Haute Moselle » entre Épinal et Toul, « Hauts de Meuse » entre Toul et Ver­dun (toutes cités en camps retranchés : le « camp retranché » est cein­turé par des forts posi­tion­nés à une dis­tance telle que la place est cen­sée devenir hors de portée de l’artillerie d’un corps de siège), des « rideaux défen­sifs » com­plè­tent à la nou­velle fron­tière de l’Est le dis­posi­tif. Il s’agit de frein­er sinon d’empêcher l’offensive enne­mie, de faciliter la mobil­i­sa­tion puis le déplace­ment des troupes, enfin de servir de départ à la con­tre-offen­sive : ce sont les trois idées forces sous-jacentes. 

Sur le plan stratégique, on recherche une canal­i­sa­tion des per­cées enne­mies selon des « trouées », trois pas­sages moins défendus volon­taire­ment : Charmes entre Épinal et Toul, Ste­nay au sud du rideau Maubeuge-Ver­dun et l’Oise à son nord ; pour les blo­quer par de puis­sants forts d’arrêt avant la con­tre-attaque par les flancs des armées en cam­pagne placées en arrière et prêtes à inter­venir, après leur mobil­i­sa­tion, quel que soit l’axe d’effort prin­ci­pal de l’ennemi. Ces con­cep­tions sont répan­dues dans toute l’Europe : il con­vient de citer les con­tem­po­rains de Séré de Riv­ières, auteurs de for­ti­fi­ca­tions ana­logues, ‑sin­gulière­ment les généraux Brial­mont en Bel­gique et Biehler en l’Allemagne.


Site Inter­net de l’As­so­ci­a­tion Vauban

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