Anatole de Melun polytechnicien de la 1826

Anatole de Melun (X1826) un polytechnicien en 1830 (2/2)

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°744 Avril 2019
Par Robert RANQUET (72)

Nous avions quit­té Ana­tole de Melun, tout jeune sous-lieu­tenant fraîche­ment émoulu de l’X, arrivant à Metz pour son école d’application dans le Génie. C’est là que le sur­prend l’annonce de l’insurrection de juil­let 1830. Ana­tole fait son entrée dans la grande Histoire.

À la nou­velle de l’insurrection parisi­enne, notre impétueux poly­tech­ni­cien n’écoute que son intré­pid­ité, sans doute aus­si poussé par sa fibre poli­tique : « Il m’était impos­si­ble de rester plus longtemps sans nou­velles. Je m’associai avec quelques-uns de mes cama­rades pour per­suad­er le général qu’il était urgent d’envoyer à Paris une délé­ga­tion de l’École chargée de rap­porter les instruc­tions du gou­verne­ment ancien ou nou­veau, et en réal­ité de chercher la vérité sur un événe­ment dont per­son­ne ne con­nais­sait la véri­ta­ble sig­ni­fi­ca­tion. Le général, auquel ce silence pesait plus qu’à per­son­ne, se lais­sa facile­ment con­va­in­cre. J’avais été l’un des pre­miers auteurs de ce pro­jet, je fis naturelle­ment par­tie d’une expédi­tion qui souri­ait à l’esprit aven­tureux du jeune officier. » 

Par­tis le soir même en délé­ga­tion, ils tra­versent l’est de la France pour rejoin­dre Paris, non sans péril ni dif­fi­cultés : leurs uni­formes les font pren­dre pour des officiers marchant sur Paris pour y soutenir le camp con­ser­va­teur de Poli­gnac. À Ver­dun, ils sont menés sous bonne escorte pour s’expliquer devant le con­seil munic­i­pal siégeant en con­seil de guerre, qui ne les laisse repar­tir que lorsqu’ils se rap­pel­lent oppor­tuné­ment « que, par­mi les élèves de l’École d’application, se trou­vait le fils du colonel du Génie qui com­mandait à Ver­dun, où ses opin­ions libérales lui avaient créé une cer­taine popularité. 

Son nom cité par nous comme celui d’un cama­rade et d’un ami fut un véri­ta­ble tal­is­man ; tous les soupçons dis­parurent ; le Maire s’excusa de la récep­tion cav­al­ière qui nous avait été faite et le bon peu­ple qui tout à l’heure nous aurait volon­tiers mis en pièces ouvrit ses rangs pour nous recon­duire et cha­cun nous offrait une gra­cieuse hospitalité. »

Entre-temps, la nou­velle de l’abdication de Charles X se répand. Leur voy­age prend alors une toute autre tour­nure : « À mesure que nous appro­chions de Paris, l’enthousiasme pour le change­ment de gou­verne­ment s’accentuait et le dra­peau tri­col­ore flot­tait à presque toutes les fenêtres. À Éper­nay, où notre uni­forme était plus con­nu et où la con­duite des élèves de l’École poly­tech­nique pen­dant les journées avait déjà été sig­nalée, nous héritâmes de leur pop­u­lar­ité ; on ne voulut pas nous laiss­er déje­uner à l’auberge : on impro­visa une petite fête que la munic­i­pal­ité nous offrit. Et non con­tents de nous avoir abreuvés de leur meilleur vin de Cham­pagne, les habi­tants en rem­plirent notre voiture, de sorte que, aux portes de Paris, ne sachant qu’en faire, nous les dis­tribuâmes à nos postillons. »

Enfin arrivés à Paris, ils rejoignent immé­di­ate­ment l’Hôtel de Ville : « Nous gag­nâmes, non sans peine, l’Hôtel de Ville où trô­nait en ce moment La Fayette, entouré de son État-major, presque entière­ment com­posé d’élèves de l’École polytechnique. »

En tant que poly­tech­ni­ciens, lui et ses com­pagnons sont immé­di­ate­ment envoyés en pre­mière ligne : « La plu­part des postes étaient occupés par des ouvri­ers en blouse, armés de sabres, de lances, de piques, de toutes sortes d’engins plus ou moins curieux, enlevés aux bou­tiques d’armuriers ou aux arse­naux de l’État. Les officiers de la Garde nationale les com­mandaient et ils mon­taient la garde à l’Hôtel de Ville, aux Tui­leries, à la Banque, à tous les étab­lisse­ments publics. Les élèves de l’École étaient les généraux débu­tants de ces troupes novices. »

Grâce à son uni­forme, il est recon­nu par le peu­ple comme un de ceux qui peu­vent l’éclairer.

Heureux temps où le peu­ple révolté savait en qui plac­er sa con­fi­ance… On lui demande con­stam­ment de par­ler aux foules : « Je n’étais guère plus avancé qu’eux, mais ne voulant pas per­dre mon pres­tige, je répondais de mon mieux par quelques phras­es où je célébrais leurs ver­tus et la liber­té dont ils allaient jouir. Ces col­lo­ques me prou­vaient com­bi­en il était facile de séduire le peu­ple en faisant appel à des sen­ti­ments élevés que, trop sou­vent, ne parta­gent pas ceux qui le diri­gent. Beau­coup d’ouvriers qui avaient exposé leur vie pour défendre la Charte, demandaient naïve­ment ce que c’était. »

On sent poindre, dans ces ren­con­tres à l’improviste sur le pavé de Paris en émeute, la fibre sociale qui ne le quit­tera plus et l’inspirera dans ses œuvres jusque dans sa vieillesse.

Anatole  de Melun polytechnicien de la promotion 1826

De fil en aigu­ille, le voici au Palais-Roy­al pour assis­ter à l’investiture de Louis-Philippe : « Je me lais­sai entraîn­er par le tor­rent qui fut arrêté à la grille du Palais ; mais grâce à mon uni­forme qui, sem­blable à la clef des Mille et Une Nuits, ouvrait toutes les portes, je fus intro­duit, pêle-mêle avec les généraux et les fonc­tion­naires en cos­tume qui venaient saluer le soleil avant même qu’il fût levé. Je ne bril­lais pas au milieu de ces splen­deurs, mais cha­cun me fai­sait place parce qu’on me pre­nait pour l’un des lions du jour et je me trou­vais très près du duc d’Orléans, lorsque Laf­fitte, le prési­dent de la Cham­bre, lui offrit la couronne. » Étrange con­clu­sion (pro­vi­soire) d’un périple qui l’avait emmené, lui le jeune sous-lieu­tenant obscur sor­ti presque par hasard de sa gar­ni­son de Metz, jusqu’à côtoy­er le nou­veau monarque !

Mis­sion accom­plie, Ana­tole s’apprête à retourn­er à Metz lorsqu’un coup de ton­nerre reten­tit dans le ciel poly­tech­ni­cien : un décret roy­al nom­mait les élèves de l’École poly­tech­nique au grade de lieu­tenant, en récom­pense de leur con­duite pen­dant les fameuses journées. Fort bien, dira-t-on, mais du coup cela rec­u­lait mécanique­ment la pro­mo­tion des jeunes anciens, comme Ana­tole de Melun, de deux années : ils n’étaient encore que sous-lieu­tenants et leurs con­scrits leur « pas­saient sur le corps ».

Émus par cette injus­tice, ses cama­rades deman­dent à Ana­tole d’user de son don ora­toire et de son sens poli­tique pour aller obtenir du Roi le report de ce décret infâme. Il accepte volon­tiers, non sans éprou­ver une cer­taine appréhen­sion à la per­spec­tive d’une mis­sion somme toute plutôt déli­cate (mais sans doute aus­si flat­té qu’on ait à nou­veau recours à ses qual­ités dans cette circonstance). 

Écou­tons-le racon­ter cette entre­vue red­outée : « Nous nous présen­tâmes à l’heure indiquée au Palais-Roy­al où une mul­ti­tude de dépu­ta­tions attendaient leur tour. Lorsque nous fûmes appelés, en pen­sant que j’apportais une plainte, là où, depuis quelques jours, on ne fai­sait enten­dre que des flat­ter­ies, j’éprouvai un ser­re­ment de cœur qui ne dura qu’un instant. Mes pre­mières paroles, com­pli­ments oblig­és faits au nom de l’École de Metz, furent accueil­lies par le plus aimable sourire ; mais lorsque, arrivé au pas­sage dif­fi­cile, je me plaig­nis du tort que nous fai­sait le nou­veau décret, le vis­age du sou­verain se rem­brunit : il m’interrompit en me dis­ant d’un ton sévère : “Je ne fais tort à per­son­ne ! Si quelque erreur a été com­mise, elle sera réparée !”» 

Le tal­ent ora­toire d’Anatole fait une fois de plus mer­veille : « Je lui expli­quai alors en peu de mots le résul­tat d’une faveur qui n’avait jamais été accordée, même en temps de guerre. Il parut sat­is­fait ; ses traits reprisent leur placid­ité offi­cielle ; il nous assura qu’il arrangerait cette affaire, qui prove­nait évidem­ment d’une erreur, avec le min­istre de la Guerre. Nous nous séparâmes les meilleurs amis du monde et, pour nous prou­ver sa bien­veil­lance, il nous fit inviter le jour même à la table royale. »

Sa mis­sion étant cette fois défini­tive­ment accom­plie, Ana­tole de Melun quitte Paris, non sans une dernière vis­ite à son vieil ami et pro­tecteur Ara­go, et ren­tre à Metz. Là, il lui faut encore pré­par­er ses exa­m­ens de sor­tie de l’École d’application. Il y réus­sit con­ven­able­ment, puisqu’il obtient l’affectation qu’il désire dans une bat­terie mon­tée du 1er rég­i­ment d’artillerie en gar­ni­son à Douai.

Le reste est une autre his­toire, que nous con­terons peut-être un prochain jour… 


Ana­tole-Louis-Joachim, comte de Melun, est né à Brumetz (Aisne) le 24 sep­tem­bre 1807. Il était le fils de Joachim, comte de Melun, et d’Amélie de Fau­re. Élève à l’École poly­tech­nique en 1828, puis sous-lieu­tenant d’artillerie à l’école d’application de l’Artillerie et du Génie à Metz ; lieu­tenant au 1er rég­i­ment d’artillerie à Douai, il prend part au siège d’Anvers et passe ensuite au 15e rég­i­ment d’artillerie, puis donne sa démission.

Ren­du à la vie civile, il se con­sacra à la poli­tique et aux œuvres sociales. Il fut élu député du Nord à l’Assemblée nationale en 1848, et à l’Assemblée lég­isla­tive en 1849. Il mit son activ­ité et son intel­li­gence au ser­vice de toutes les œuvres char­i­ta­bles de Lille et s’occupa en par­ti­c­uli­er de l’amélioration des loge­ments d’ouvriers. Puis à Paris, l’œuvre de la Mis­éri­corde pour venir en aide aux pau­vres hon­teux et les cer­cles d’ouvriers occupèrent la sec­onde moitié de sa vie.


La Jaune et la Rouge remer­cie M. Hugues de Varine, arrière-arrière-petit-fils d’Anatole de Melun, pour la com­mu­ni­ca­tion des mémoires de son aïeul. 

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