Les performances comparées des parcs nucléaires en exploitation des Etats-Unis et de l’EDF

Dossier : ÉnergiesMagazine N°601 Janvier 2005
Par Laurent STRICKER
Par Jacques LECLERCQ (63)

Objectifs et organisation de l’intercomparaison

Depuis plus de dix-huit mois, les Divi­sions pro­duc­tion nucléaire et ingénierie nucléaire de la branche pro­duc­tion ingénierie d’EDF ont lancé un ensem­ble de réflex­ions et de travaux en vue d’amélior­er la per­for­mance économique du parc nucléaire en exploitation.

Dans ce con­texte, il est apparu utile d’ef­fectuer une éval­u­a­tion com­parée de la pro­duc­tiv­ité de la pro­duc­tion nucléaire du “parc améri­cain” com­por­tant 103 tranch­es avec celle du “parc français” qui en com­porte 58. Du fait d’une con­cur­rence désor­mais vive au niveau européen, il est en effet devenu dif­fi­cile d’échang­er avec les autres élec­triciens qui au demeu­rant ont des parcs de dimen­sion plus faible.

De même, il n’est pas apparu per­ti­nent à ce stade de lancer une inter­com­para­i­son avec le Japon qui con­solide les don­nées sur des bases dif­fi­cile­ment com­pa­ra­bles alors que les États-Unis au tra­vers du NEI (Nuclear Ener­gy Insti­tute), avec 120 per­son­nes au ser­vice de l’ensem­ble de l’in­dus­trie nucléaire, pro­duit régulière­ment des analy­ses et des don­nées qu’il est pos­si­ble de met­tre en regard des don­nées françaises.

Ce tra­vail a donc eu pour objet de com­par­er la pro­duc­tiv­ité sous le triple aspect des per­for­mances de pro­duc­tion, des coûts et des ressources mis­es en œuvre.

On a cher­ché tout d’abord à mesur­er les évo­lu­tions sur les vingt ans passés, ce qui per­met de met­tre claire­ment en évi­dence les dif­férences et les inflex­ions de ten­dance, voire les ruptures.On a par­al­lèle­ment cher­ché à car­ac­téris­er les organ­i­sa­tions et les méth­odes mis­es en œuvre pour dégager les pra­tiques per­for­mantes et com­mencer à quan­ti­fi­er des objec­tifs d’amélioration.

Ce pro­jet d’une durée d’en­v­i­ron une année a été con­duit par une équipe com­por­tant des représen­tants des divers­es Direc­tions con­cernées, la coor­di­na­tion étant assurée par JAL Con­sult­ing. Il a don­né lieu à plusieurs études com­par­a­tives détail­lées ; une impor­tante mis­sion de respon­s­ables du nucléaire d’EDF a per­mis de ren­con­tr­er aux USA les prin­ci­paux acteurs du nucléaire : le NEI (Nuclear Ener­gy Insti­tute) ; deux nuclear util­i­ties, Exelon à Chica­go et Duke Ener­gy à Char­lotte ; deux nuclear ven­dors, West­ing­house et Fram­atome-ANP ; l’EPRI (Elec­tric Pow­er Research Insti­tute) et Nav­i­gant Con­sult­ing, firme spé­cial­isée dans les études d’amélio­ra­tion de la productivité.

Les caractéristiques et les performances des parcs aux États-Unis et en France

Caractéristiques générales

Le tableau 1 reprend de manière syn­thé­tique les don­nées prin­ci­pales rel­a­tives à ces deux parcs nucléaires. Notons que le rap­port des pro­duc­tions en 2001 est de 1,92 alors que celui des puis­sances est de 1,56. De fait, les cen­trales améri­caines délivrent sur le réseau tout ce qu’elles peu­vent pro­duire, alors que le coef­fi­cient d’u­til­i­sa­tion des cen­trales EDF n’est que 90 %, la part impor­tante du nucléaire dans la pro­duc­tion d’élec­tric­ité (77 %) oblig­eant à un suivi de charge. Nous revien­drons sur ce point ultérieure­ment en présen­tant le Kd (coef­fi­cient de disponi­bil­ité) et le Kp (coef­fi­cient de production).

Tableau 1 :
données prin­ci­pales de com­para­i­son des parcs nucléaires (2001)
France États-Unis   (dont REP)
Nom­bre de tranches 58 (19 sites) 103 (65 sites) (69)
Puis­sance instal­lée (Mwe) 63 000 98 000  (65 000)
Pro­duc­tion 2001 (TWh) 400 770
Part du nucléaire dans la pro­duc­tion totale d’électricité (%) 77 20
Âge moyen 18 24


Il faut égale­ment not­er que le parc nucléaire améri­cain est con­sti­tué pour 35 % de réac­teurs à eau bouil­lante (BWR) et 65 % de réac­teurs à eau pres­surisée (PWR). L’é­tude des per­for­mances rel­a­tives de ces deux types de réac­teur mon­tre que depuis plusieurs années les per­for­mances des BWR et des PWR sont équiv­a­lentes, ce qui jus­ti­fie une approche glob­ale du parc et tend à mon­tr­er que l’amélio­ra­tion des per­for­mances sem­ble désor­mais relever davan­tage du man­age­ment que de la technologie.

Tableau 2 :
prin­ci­pales dif­férences entre les deux parcs
France États-Unis
• Util­i­sa­tion pen­dant la disponi­bil­ité de l’ordre de 90% • En base (kp # kd)
• Cam­pagnes 18 mois (REP 1300 MW)
Cam­pagnes 12 mois (REP 900 MW)
• Cam­pagnes 18 mois et plus
• Un seul exploitant EDF • Nom­breux exploitants, mais regroupe­ments en cours
• Stan­dard­i­s­a­tion tech­nique par palier • Stan­dard­i­s­a­tion des bonnes pratiques
• Un poids crois­sant des régle­men­ta­tions de sûreté et d’environnement • Un change­ment rad­i­cal des principes de sur­veil­lance de la RNC à compter de 1997

En ce qui con­cerne le parc français avec 58 réac­teurs PWR, on note égale­ment une con­ver­gence des per­for­mances des cen­trales des divers paliers 900 MW, 1 300 MW et 1 450 W (N4).

Principales différences

Les dif­férences mar­quantes sont repris­es dans le tableau 2.

On insis­tera sur l’aspect stan­dard­i­s­a­tion, car il appa­raît que la général­i­sa­tion des bonnes pra­tiques de manière sys­té­ma­tique est l’un des prin­ci­paux fac­teurs d’amélio­ra­tion de la per­for­mance améri­caine. Cette manière de faire se retrou­ve dans d’autres indus­tries comme l’aéro­nau­tique (un avion est “main­tenu” de la même manière, pour une com­pag­nie don­née, que ce soit à Pitts­burgh, New Del­hi ou Roissy…).

Évolution et structure du parc américain

Le nom­bre de com­pag­nies exploitantes qui était de 54 en 1989 pour 113 tranch­es en ser­vice est tombé à 24 en 2001 pour 103 tranch­es. Il devrait pass­er à une dizaine d’i­ci 2010. Les prin­ci­pales com­pag­nies fig­urent sur le graphique 1.

Les com­pag­nies opèrent des parcs ayant le plus sou­vent des cen­trales PWR et BWR, mais l’on a vu que les per­for­mances de ces cen­trales devi­en­nent com­pa­ra­bles. Cer­taines util­i­ties opèrent dans un con­texte dérégulé (Exelon, Enter­gy Nord-Est…), d’autres dans un con­texte non dérégulé Duke, Enter­gy Sud-Est, TVA, South­ern…), mais toutes met­tent en œuvre avec suc­cès des pro­grammes d’amélio­ra­tion con­tin­ue des performances.

Les performances Kd (disponibilité) et Kp (production)

Le graphique 2 présente les per­for­mances com­parées en cœf­fi­cient de disponi­bil­ité (capa­bil­i­ty = kd) des deux parcs aux États-unis et en France.

Graphique 1 :Les huit pre­mières Nuclear Utili­ties américaines
les huit premières Nuclear Utilities américaines
Graphique 2 :coef­fi­cients de disponi­bil­ité (Kd) des parcs aux États-Unis et en France
coefficients de disponibilité (Kd) des parcs nucléaires aux États-Unis et en France
Graphique 3 : chronique Kd et Kp (%)
chronique Kd et Kp (%)

La pro­gres­sion améri­caine a été con­stante sur vingt ans, à l’ex­cep­tion des années 1996 et 1997 où la chute bru­tale est due à la NRC qui a imposé l’ar­rêt de 10 tranch­es et lim­ité la pro­duc­tion à 30 % pour 4 autres tranch­es. La per­for­mance de 2002 à 91,9 % ne s’est pas renou­velée en 2003 (arrêt pro­longé de Davis Besse ; plusieurs arrêts de longue durée pour réal­i­sa­tion des pro­grammes con­sé­cu­tifs aux autori­sa­tions de pro­lon­ga­tion de la durée de vie de cer­taines tranch­es). Au total, la per­for­mance améri­caine devrait se situer en moyenne autour de 90 %, même si l’ob­jec­tif améri­cain annon­cé est d’ar­riv­er à un Kd de 93 %.

La per­for­mance EDF, sur les dix ans écoulés, avec un parc à l’équili­bre est sta­ble autour de 82 % et l’on peut not­er le bon résul­tat de 2003 à 82,7 %. Les amélio­ra­tions envis­age­ables pour les années à venir seront présen­tées un peu plus loin dans cet article.

Une dif­férence impor­tante par rap­port au parc améri­cain, que nous avions men­tion­née précédem­ment, tient à ce que la part du nucléaire dans la pro­duc­tion totale d’élec­tric­ité représente 77 % en France con­tre 20 % aux États-Unis. De ce fait, dans les con­di­tions actuelles, où l’ex­port, quoique impor­tant est néan­moins lim­ité, le coef­fi­cient de pro­duc­tion Kp est net­te­ment inférieur au Kd.

Le graphique 3 est impor­tant à dou­ble titre :

  • la courbe Kp cor­re­spond à la pro­duc­tion ven­due et donc à la recette pour le groupe EDF, c’est d’ailleurs celle que pub­lient tous les autres exploitants (notam­ment améri­cains) quand ils com­par­ent les performances ;
  • la courbe Kd mon­tre “le gise­ment de pro­duc­tiv­ité disponible” s’il était pos­si­ble d’é­couler la pro­duc­tion disponible sur un périmètre élar­gi à l’Eu­rope. Cette hypothèse, irréal­iste dans un proche avenir compte tenu de l’in­suff­i­sance du réseau THT (Très haute ten­sion), et notam­ment des lignes d’in­ter­con­nex­ion, devrait tôt au tard voir le jour avec la crois­sance des besoins en élec­tric­ité dans les vingt ans à venir, con­juguée avec l’in­suff­i­sance des moyens de pro­duc­tion dans la plu­part des autres pays européens.

Le contexte américain, la “renaissance” du nucléaire

Après une mon­tée des exi­gences post-TMI (Three Miles Island), qui s’est traduite comme on le ver­ra plus loin par une mon­tée impor­tante des coûts de pro­duc­tion (fuel + O&M), de l’or­dre de 40 % entre 1980 et 1987, la reprise en main du nucléaire date du début des années 1990. Celle-ci a été ressen­tie comme la seule alter­na­tive à la péren­nité de cette activ­ité ; elle a fait l’ob­jet d’ef­forts con­ti­nus et soutenus qui ont com­mencé à porter leurs fruits il y a cinq ans à peine : ain­si, en 1997, la tranche 2 de Three Miles Island était-elle en vente pour env­i­ron 60 mil­lions USD, soit le coût d’un arrêt de tranche, alors qu’elle doit val­oir actuelle­ment 15 fois plus.

Cette “reprise en main” coïn­cide plus ou moins avec le début de la dérégu­la­tion (1992 : Ener­gy Pol­i­cy Act). Elle a con­duit l’ensem­ble de l’in­dus­trie à regrouper en 1994 ses instances pro­fes­sion­nelles au sein du NEI à Wash­ing­ton qui mène, out­re tous les pro­grammes d’amélio­ra­tion de la per­for­mance, la réflex­ion sur les per­spec­tives stratégiques à long terme, et de manière pra­tique, l’essen­tiel des rela­tions avec les admin­is­tra­tions, notam­ment la NRC (Nuclear Reg­u­la­to­ry Com­mis­sion) ain­si qu’avec le Con­grès et l’opin­ion publique.

Graphique 4 : le total des marges d’augmentation de puis­sance mis en œuvre s’élève en 2002 à 3000 MW — D’ici 2010, 5000 MW sup­plé­men­taires pour­raient être dégagés
marges d’augmentation de puissance mis en oeuvre

Il faut à ce point not­er que la rela­tion avec l’Au­torité de Sûreté, la NRC, a changé fon­da­men­tale­ment à par­tir de 1997. Un dia­logue appro­fon­di a été entre­pris entre les exploitants et la NRC depuis 1990. Le tra­vail de fond effec­tué a per­mis de met­tre en œuvre de nou­velles approches (PRA, Prob­a­bilis­tic Risk Assess­ment depuis 1990 ; NRC Pol­i­cy State­ment on Use of PRA en 1995 ; appro­ba­tion par tous les dirigeants des com­pag­nies en 1996 du NEI 96–04, doc­u­ment de syn­thèse pro­posant les principes d’une régle­men­ta­tion fondée sur l’é­val­u­a­tion du risque et de la per­for­mance). Nos inter­locu­teurs con­sid­èrent ces évo­lu­tions comme très impor­tantes dans les pro­grès du nucléaire américain.

Les États-Unis ont repris con­fi­ance, sem­ble-t-il, dans le nucléaire désor­mais présen­té par l’ad­min­is­tra­tion comme “une énergie nationale”. Out­re l’amélio­ra­tion des per­for­mances qui représente, à puis­sance qua­si con­stante, un accroisse­ment de 30 % de la pro­duc­tion, deux autres séries d’ac­tions vont dans ce sens :

  • le nom­bre des autori­sa­tions (7 sites, 14 tranch­es) déjà délivré pour l’ex­ten­sion de la durée de vie de l’ex­ploita­tion nucléaire (life exten­sion) de 40 à 60 ans ; sur ce point, les respon­s­ables de la NRC envis­agent publique­ment que, à terme, 90 % des tranch­es exis­tantes fassent l’ob­jet d’une demande d’extension ;
  • les pro­grammes d’aug­men­ta­tion de puis­sance des tranch­es en ser­vice. Le graphique 4 mon­tre que le total des aug­men­ta­tions réal­isées (Uprates) au cours des années passées atteint env­i­ron 3 000 MW. Les marges de puis­sance peu­vent aller de 5 % à 15 % pour des coûts de l’or­dre de 500 USD/kW avec un retour sur investisse­ment d’en­v­i­ron trois ans. D’i­ci 2010, 5 000 MW sup­plé­men­taires pour­raient ain­si être dégagés.


Cette reprise du nucléaire aux États-Unis sem­ble durable, car elle se situe dans un con­texte de besoins crois­sants en élec­tric­ité (taux d’aug­men­ta­tion prévu par le DOE de 1,8 % par an) et une meilleure accept­abil­ité du nucléaire. Le NEI essaie ain­si de pro­mou­voir une vision 2020 d’un pro­gramme de 50 000 MW de nou­velles tranch­es qui, avec les nou­velles amélio­ra­tions de pro­duc­tiv­ité atten­dues et les aug­men­ta­tions de puis­sance, ferait pass­er le taux de péné­tra­tion du nucléaire de 20 à 23 %.

Quel que soit le devenir de ces per­spec­tives, on soulign­era ici les déci­sions déjà pris­es pour le stock­age du com­bustible à Yuc­ca Moun­tain et pour le finance­ment des études pré­para­toires à la con­struc­tion de nou­velles unités. On doit égale­ment relever que la val­i­da­tion admin­is­tra­tive d’un design (AP 1 000) vient d’être con­clue récem­ment et que le lance­ment de la con­struc­tion d’un nou­veau réac­teur est envis­agé (entre 2006 et 2010). Enfin les États-Unis envis­agent de renou­vel­er leur capac­ité d’en­richisse­ment en rem­plaçant d’i­ci 2012 Pad­u­c­ah usine de tech­nolo­gie à dif­fu­sion gazeuse par (à ce jour) deux pro­jets : LES II (3MUTS) dans un groupe­ment autour d’Uren­co et l’Amer­i­can Cen­trifuge Plant (3,5 MUTS) de l’USEC en accord avec le DOE.

Ces pro­grammes à moyen long terme (sans oubli­er ceux relat­ifs aux réac­teurs de généra­tion 4) étab­lis­sent un con­texte favor­able aux pro­jets français, notam­ment le réac­teur EPR d’Élec­tric­ité de France et l’u­sine d’en­richisse­ment Georges Besse II d’Areva.

Les composantes de l’écart de disponibilité

Elles sont au nom­bre de trois : les durées de cam­pagne, les durées d’ar­rêt de tranche, les indisponi­bil­ités fortuites.

Graphique 5 : durée de cam­pagne 2002
durée de campagne 2002
Graphique 6 : EDF – durée de cycle en mois à l’horizon 2012
EDF – durée de cycle en mois à l’horizon 2012
Graphique 7 : dosimétrie col­lec­tive du per­son­nel en homme/sievert par tranche et par an
dosimétrie collective du personnel en homme/sievert par tranche et par an

Les durées de cam­pagnes : elles sont en moyenne glob­ale de l’or­dre de vingt mois aux États-Unis, alors qu’elles sont en ges­tion actuelle de treize mois pour le parc EDF.

Le graphique 5 mon­tre que les tranch­es PWR US sont à 50 % à dix-huit mois, les tranch­es BWR étant à 70 % à vingt-qua­tre mois.
Pour EDF, un ensem­ble de pro­grammes a été décidé qui per­me­t­tra de pass­er les durées de cycle à hori­zon 2012 à une moyenne de seize mois (graphique 6).

Ces mesures dégageront un gain de disponi­bil­ité de 0,9 % au-delà duquel il paraît dif­fi­cile d’aller, sauf à repren­dre l’ensem­ble des poli­tiques de ges­tion cœur (nou­velles études de sûreté et cal­culs technico-économiques).

Les durées moyennes d’ar­rêt de tranche : elles sont de l’or­dre de trente-sept jours aux États-Unis ; elles sont supérieures d’en­v­i­ron dix-huit jours pour le parc EDF.

Il faut not­er que la durée moyenne d’ar­rêt de tranche aux USA est passée de cent cinq jours en 1990 à trente-sept jours en 2001. Cette réduc­tion, qui devrait se pour­suiv­re vers vingt-cinq à trente jours, a deux caus­es prin­ci­pales : d’une part, une stricte amélio­ra­tion de l’or­gan­i­sa­tion des arrêts, d’autre part, un trans­fert sig­ni­fi­catif (estimé à 40 %) du vol­ume de main­te­nance sur les tranch­es en marche.

Une étude com­par­a­tive détail­lée a été réal­isée il y a dix-huit mois ; elle mon­tre que quinze jours en moyenne peu­vent être récupérés sur la dif­férence de dix-huit jours. Un ensem­ble de mesures a été décidé qui devraient per­me­t­tre d’amélior­er le Kd de + 3,5 % à hori­zon 2012.

S’agis­sant des indisponi­bil­ités for­tu­ites, les pre­mières analy­ses mon­trent qu’elles sem­blent être de l’or­dre de 1 % con­tre 2,5 % pour le parc EDF, taux qu’il devrait être pos­si­ble de réduire de 1 %.

Au total, la mise en œuvre des mesures déjà lancées devrait per­me­t­tre d’at­tein­dre 86,4 % (82 + 3,5 + 0,9). Des études com­plé­men­taires ont été lancées pour estimer les gains addi­tion­nels envis­age­ables et fix­er une cible ambitieuse et réal­iste au plan tech­ni­co-économique ; à titre indi­catif, un gain de cinq jours sur les arrêts de tranche représente 1,4 % de Kd.

Même s’ils n’ont pas une inci­dence directe sur la disponi­bil­ité, d’autres indi­ca­teurs per­me­t­tent d’es­timer la per­for­mance tech­nique d’un parc en exploita­tion. WANO (World Asso­ci­a­tion of Nuclear Oper­a­tors) a ain­si défi­ni 9 indi­ca­teurs. Out­re le Kd et le coef­fi­cient d’indisponi­bil­ité non pro­gram­mé que nous avons vus précédem­ment, nous retien­drons celui relatif à la sécu­rité du per­son­nel dont l’évo­lu­tion appa­raît sen­si­ble­ment meilleure pour le parc améri­cain et celui relatif à la dosimétrie.

Le graphique 7 mon­tre les pro­grès impor­tants réal­isés tant en France qu’aux États-Unis dans le domaine de la radio­pro­tec­tion. À ce stade, il sem­ble que toute nou­velle réduc­tion ira de pair avec des coûts très élevés.

Les pratiques managériales

“La standardisation” à partir des bonnes pratiques

Cet aspect, nous l’avons déjà men­tion­né, est un des aspects déter­mi­nants de l’amélio­ra­tion de la per­for­mance. Il est con­duit au niveau de chaque com­pag­nie, mais il est repris égale­ment au niveau du NEI. Cela était vis­i­ble chez les exploitants ren­con­trés (Exelon et Duke Pow­er) comme au Nuclear Ener­gy Insti­tute qui met en œuvre le SNPM (Stan­dard Nuclear Process Model).

Au sein de la com­pag­nie Exelon, à titre d’ex­em­ple, il a été men­tion­né la stan­dard­i­s­a­tion de sept macro­proces­sus (arrêts de tranche ; for­ma­tion ; man­age­ment des com­pé­tences ; méth­odes d’ex­ploita­tion tant pour les procé­dures que les modes opéra­toires ; pré­pa­ra­tion des PMT et des bud­gets annuels ; report­ing selon des indi­ca­teurs communs…).

La méthode util­isée n’est pas une méthode cen­tral­isée pure­ment descen­dante. Elle sem­ble s’ap­puy­er sur des peer-groups qui éla­borent des con­clu­sions, lesquelles sont soumis­es au niveau cen­tral pour val­i­da­tion et mise en appli­ca­tion sur toutes les unités. On notera que ces divers­es amélio­ra­tions qui relèvent du man­age­ment n’im­pliquent pas des organ­i­sa­tions iden­tiques dans chaque com­pag­nie électrique.

Le NEI con­duit des bench­mark­ings de tous les proces­sus iden­ti­fiés dans le SNPM. Au total 25 études ont été con­duites depuis 1995 et classées en qua­tre rubriques : cul­ture ; com­pé­tence et exper­tise ; pra­tiques et idées économiques ; ressources. Cette mécanique d’analyse sys­té­ma­tique, en rassem­blant des experts/acteurs des divers domaines con­cernés, est de nature à pré­par­er, dans un délai de trois à cinq mois, des propo­si­tions d’ac­tions pra­tiques et con­sen­suelles, base d’une amélio­ra­tion con­tin­ue des performances.

Une culture de management orientée vers la performance

Avec la “stan­dard­i­s­a­tion”, une cul­ture de man­age­ment ori­en­tée vers la per­for­mance dans tous les domaines est le moteur des amélio­ra­tions. On ver­ra ultérieure­ment que ce change­ment est con­duit avec des parte­nar­i­ats appro­fondis avec les prin­ci­paux prestataires, mais qu’il fait appel en pre­mier lieu aux ressources internes à l’en­tre­prise dans une per­spec­tive d’op­ti­mi­sa­tion des moyens.

Cela dit, chaque phase de réor­gan­i­sa­tion sem­ble avoir été pré­parée avec beau­coup de soin et avoir fait l’ob­jet de négo­ci­a­tions appro­priées, y com­pris avec les représen­tants du per­son­nel. Une fois les déci­sions pris­es, la mise en œuvre et l’exé­cu­tion sont appliquées et con­trôlées rigoureuse­ment et font l’ob­jet de présen­ta­tions des per­for­mances réal­isées sur cha­cun des sites, impli­quant le man­age­ment au plus haut niveau.

Au total, la philoso­phie générale con­siste à amen­er toutes les tranch­es du parc au niveau des meilleures (Best in Class).

La comparaison des coûts

Divers types de coûts de fonc­tion­nement ont été analysés.

Nous présen­terons ici les dépens­es d’ex­ploita­tion (O&M Costs), les coûts du com­bustible (Fuel Cost) et le coût de pro­duc­tion, somme des deux précé­dents. L’é­tude a porté sur les 103 tranch­es améri­caines com­parées aux 58 tranch­es français­es en dol­lars con­stants 2001 avec un taux de con­ver­sion de 0,94 euro pour 1 dol­lar améri­cain. Les con­clu­sions prin­ci­pales ont été partagées avec nos inter­locu­teurs américains.

Graphique 8 : pro­duc­tion cost en cts USD 2001/kWh
production cost en cts USD 2001/kWh

Le Pro­duc­tion Cost (graphique 8) : c’est une don­née pub­liée partout par le NEI, a crû forte­ment aux États-Unis de 2,4 à 3,4 c/Kwh de 1981 à 1987, puis a décru régulière­ment pour être en 2002 à 1,6 c/Kwh. Le Pro­duc­tion Cost EDF, qui n’a jamais dépassé 2,2 c/Kwh, décroît depuis 1992 du fait de la décrois­sance du coût du com­bustible pour être en 2002 à 1,4 c/Kwh. Cette diminu­tion est inté­grale­ment due à celle du coût du com­bustible alors que pour les USA elle découle con­join­te­ment de la baisse du coût du com­bustible et des dépens­es directes d’exploitation.

S’agis­sant des coûts de com­bustible, on doit dis­tinguer les coûts de com­bustible amont et les coûts de com­bustible aval. Les coûts de com­bustible amont sont com­pa­ra­bles et décrois­sent de manière régulière pour s’établir à 0,4 c/kWh en 2002. Les coûts de com­bustible aval chez EDF sont supérieurs pour s’établir à 0,2 c/kWh en 2002 et décrois­sent sig­ni­fica­tive­ment, alors que les coûts aval améri­cains sont val­orisés for­faitaire­ment à 0,1c/Kwh en valeur courante et cor­re­spon­dent à une taxe ver­sée par les util­i­ties à un fonds gou­verne­men­tal, taxe qui peut s’avér­er insuff­isante dans le futur pour cou­vrir les dépens­es divers­es d’ar­rêt d’ex­ploita­tion. Au total, les coûts du fuel avec des déf­i­ni­tions iden­tiques sont désor­mais du même ordre, ce qui ren­force la com­para­i­son en faveur du parc EDF.

Graphique 9 : dépens­es d’exploitation EDF et USA ramenées à l’énergie pro­duite (en cts US 2001/kWh)
dépenses d’exploitation EDF et USA ramenées à l’énergie produite
Tableau 3 : la répar­ti­tion des ressources du parc français
(ETP) EDF Prestataires Total Posi­tion du curseur EFFECTIF/ 1000 MW
EDF Prestataires
Conduite 6 235 0 6 235 100% 0 99
Fabrication 0 3 856 3 856 0 100% 61
Ingénierie Main­te­nance Appuis 21 056 16 759 37 815 56% 44% 600
Total 27 291 20 615 47 906 57% 43% 760

Les dépens­es d’ex­ploita­tion (O&M Cost) (graphique 9) cor­re­spon­dent glob­ale­ment à la rubrique “Dépens­es directes d’ex­ploita­tion” (DDE). Les courbes font appa­raître que les coûts d’O&M français sont inférieurs aux coûts améri­cains (75 % du coût US/Kwh en 2001 ; 60 % du coût/Kw).

La réduc­tion aux États-Unis est certes impres­sion­nante (-43 % depuis 1987) ; alors qu’EDF a eu des coûts con­stam­ment crois­sants bien que tou­jours très inférieurs aux coûts améri­cains. Cela dit, il faut faire deux com­men­taires : en pre­mier lieu la com­para­i­son des évo­lu­tions nous paraît plus per­ti­nente sur les cinq dernières années avec des parcs sta­bil­isés en puis­sance instal­lée. Sur cette péri­ode, on notera que les dépens­es améri­caines ont décru d’en­v­i­ron 18 % alors que les charges d’O&M en France se sta­bilisent ; en sec­ond lieu, pour le parc améri­cain, cette baisse est due env­i­ron pour moitié à l’amélio­ra­tion de la disponi­bil­ité. Ramené au kilo­watt instal­lé, le coût d’O&M dimin­ue en effet de 23 % depuis 1987.

Le domaine des ressources humaines

L’ob­jet de l’é­tude “ressources” était de mesur­er quan­ti­ta­tive­ment les effec­tifs, d’es­timer la rela­tion faire/faire faire (dit autrement : make or buy) et les rela­tions entre les util­i­ties avec le monde des prestataires fournisseurs.

Nous avons tout d’abord approché les ressources au ser­vice du parc EDF hors cycle du com­bustible selon les deux volets : interne (EDF) et externe (prestataires) pour lesquels on a estimé une répar­ti­tion selon les cinq caté­gories utiles à l’analyse : fab­ri­ca­tion, ingénierie, main­te­nance, pro­duc­tion et appuis. Les ressources internes ont été compt­abil­isées en effec­tifs directe­ment ou indi­recte­ment affec­tés. L’analyse des ressources externes a été con­stru­ite à par­tir du mon­tant des achats hors cycle du com­bustible (env­i­ron 1,6 mil­liard d’eu­ros en 2002), d’une ven­ti­la­tion en 10 seg­ments et d’un chiffre d’af­faires par per­son­ne, ce qui a con­duit à la déter­mi­na­tion des effec­tifs. Les prin­ci­paux résul­tats de ce tra­vail sont présen­tés ci-après.

Pour ce qui con­cerne la com­para­i­son avec les États-Unis la com­para­i­son n’est pas achevée, car nos inter­locu­teurs ont pris con­nais­sance de notre approche au cours de la mis­sion. Cela dit, le NEI a entre­pris ce même type de syn­thèse avec pour objec­tif de con­naître, sur la base actuelle, quels étaient les besoins de l’ensem­ble de l’in­dus­trie nucléaire à dix ans, afin d’aug­menter l’at­trac­tiv­ité des métiers du secteur nucléaire (qui attirent à nou­veau) et d’an­ticiper avec les parte­naires du monde de l’en­seigne­ment les for­ma­tions à met­tre en place. Pour les échanges de bench­mark­ing, l’ingénierie, la main­te­nance et les appuis ont été regroupés de manière à ce que le périmètre com­paré soit cohérent avec celui des exploitants visités.

Le rap­proche­ment des ressources internes et externes pour le parc français con­duit à un total de 48 000 ETP (équiv­a­lent temps plein) avec 57 % EDF et 43 % prestataires pour un ratio de ressources glob­ales de 760 p/1 000 MW.

Le tableau 3 détaille ces totaux selon les trois rubriques : con­duite, fab­ri­ca­tion, ingénierie-maintenance-appuis.

Hors fab­ri­ca­tion, total qui paraît plus per­ti­nent à nos inter­locu­teurs améri­cains, le ratio passe à 699p /1 000 MW et le taux de sous-trai­tance à 38 % (62 % réal­isé par EDF).

Au niveau des sites (ex. cas Cruas, 4 tranch­es 900 MW), pour 1 244 per­son­nes EDF, la ressource externe s’établit à 570 ETP, ce qui donne un taux de sous-trai­tance de 32 % pour un effec­tif total de 504 p/1 000 MW.

Par ailleurs, s’agis­sant de la main­te­nance, le ratio d’ef­fec­tif est de 40 % en interne pour 60 % en externe (cette répar­ti­tion étant, en arrêt de tranche, de 15 % EDF pour 85 % prestataires).

Les don­nées améri­caines disponibles à ce jour font appa­raître un total de 59 400 p dans les util­i­ties (594 p/1 000 MW à com­par­er à 433 p/1 000 MW pour EDF soit + 37 %) et ce, bien que les util­i­ties aient con­duit des pro­grammes de réduc­tion d’ef­fec­tifs sig­ni­fi­cat­ifs (Duke Pow­er est ain­si passé de 8 800 p. pour 7 000 MW en 1991 à 4 313 en 2002 avec un objec­tif de 3 962 en 2006 soit 566 p/1 000 MW).

La “ressource glob­ale” est vraisem­blable­ment supérieure à celle du parc EDF, ce que l’on voit d’ailleurs par la com­para­i­son des dépens­es d’ex­ploita­tion, mais il sem­ble que les taux de sous-trai­tance soient plus bas aux États-Unis qu’à EDF (Duke l’es­time à 30 % ; Nav­i­gant con­sult­ing à 25 %).

Cela dit, l’ap­proche make or buy (faire ou faire-faire) est très prag­ma­tique, l’op­ti­mi­sa­tion ten­ant compte autant de la sta­bil­ité du corps social que de la seule effi­cac­ité économique directe appar­ente. À cet égard, les impres­sion­nantes diminu­tions d’ef­fec­tif glob­al se sont le plus sou­vent faites par une réduc­tion des presta­tions externes. Cette pra­tique, néces­saire pour con­duire des change­ments aus­si pro­fonds sur longue péri­ode, n’est pas antin­o­mique de parte­nar­i­ats plus poussés (allianc­ing) avec les prin­ci­paux prestataires.

“L’allianc­ing” s’est en effet général­isé aux États-Unis sur la base d’ex­péri­ences pra­tiques de plus de dix ans selon les cas.

Il s’ag­it de rela­tions con­tractuelles de long terme (trois à cinq ans, voire davan­tage) sur des périmètres assez larges avec des respon­s­abil­ités et des inter­locu­teurs claire­ment défi­nis de part et d’autre, ain­si qu’un partage des risques et béné­fices selon des sys­tèmes d’inci­ta­tion cod­i­fiés et accep­tés sur une base gag­nant-gag­nant. Ces con­trats encour­a­gent, du fait de leur durée, des investisse­ments com­plé­men­taires tant en matériel qu’en for­ma­tion. Ils facili­tent l’an­tic­i­pa­tion (au moins une année, con­tre Jo — 4 mois à EDF) de la pré­pa­ra­tion en com­mun des presta­tions. On notera égale­ment qu’en cas de sous-trai­tance le prestataire prin­ci­pal assume la respon­s­abil­ité glob­ale de l’ensem­ble du tra­vail à réaliser.

Les enseignements de l’intercomparaison

En con­clu­sion générale de cette inter­com­para­i­son, des enseigne­ments peu­vent être tirés de l’ex­péri­ence accu­mulée aux États-unis depuis dix ans ; EDF souhaite prin­ci­pale­ment appro­fondir, out­re les rela­tions déjà bien établies (EPRI, INPO, Fram­atome-ANP et West­ing­house) : celles avec le NEI et quelques exploitants (South­ern).

De manière prag­ma­tique, la DPN a déjà inté­gré un cer­tain nom­bre de con­clu­sions relevées, notam­ment comme cela a été souligné pour la réduc­tion de la durée des arrêts de tranche, mais égale­ment pour tout ce qui con­cerne ” les bonnes pra­tiques ” dont l’analyse sys­té­ma­tique a été entreprise.

Au-delà, ce tra­vail sera util­isé pour la réflex­ion, dite IN15, qui vient d’être lancée au sein de la branche pro­duc­tion-ingénierie ; cette réflex­ion vise à pré­par­er et met­tre en œuvre les évo­lu­tions dans le domaine nucléaire per­me­t­tant de faire face aux enjeux de demain dont le con­texte peut être car­ac­térisé par les qua­tre points suivants :

  • une pri­or­ité réaf­fir­mée à la sûreté,
  • une exi­gence de com­péti­tiv­ité tou­jours accrue,
  • un parc qui à l’hori­zon 2015 se com­posera à la fois de tranch­es à matu­rité, de tranch­es en fin de vie et de tranch­es en début d’ex­ploita­tion (EPR),
  • un très fort renou­velle­ment des com­pé­tences dû aux impor­tants départs en retraite.

 
Neuf pro­jets regroupés sous le terme d’Ini­tia­tive Nucléaire” 2015, IN15
doivent ain­si exam­in­er tous les aspects cou­vrant la respon­s­abil­ité du pro­duc­teur EDF dans le domaine du nucléaire et dégager des voies de pro­grès et d’amélio­ra­tion de la performance.

L’ex­péri­ence améri­caine n’est certes pas directe­ment trans­pos­able ; au demeu­rant, le parc français se com­porte déjà plus qu’honor­able­ment au niveau inter­na­tion­al. Nul doute que l’ensem­ble des acteurs au ser­vice du parc de pro­duc­tion EDF ne réus­sis­sent à faire mieux encore dans les années à venir.

Centrale EDF de Tricastin
EDF Tri­c­as­tin. © MÉDIATHÈQUE EDF
 

Commentaire

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mich­e­lonrépondre
7 décembre 2017 à 15 h 47 min

disponi­bil­ité
il y a des chiffres qui cir­cu­lent et on a beau­coup de mal a y voir clair
l un = 90% soit 5 a 6 unités a l arret ( 10% de 58=5.8 )
d autre 78% soit 12 à 13 unités a l arret ( 22% de 58 = 12.7 ) soit 1/5 ce qui me parait plus realiste
Salutations
Herve Michelon

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