Les nouveaux appontements Fremm à la base navale de Brest

Dossier : Les ports en FranceMagazine N°764 Avril 2021
Par Roland BOUTIN

Les fré­gates mul­ti­mis­sions, dites Fremm, sont un des pro­grammes les plus récents de la Marine nationale, avec des inno­va­tions con­duisant à les opér­er avec un équipage réduit. Leur accueil à quai soulève des ques­tions inédites et les nou­veaux appon­te­ments con­stru­its à Brest sont donc eux-mêmes à la pointe des tech­nolo­gies d’infrastructure.

L'Hermione et une Fremm amarrées au premier ponton Fremm
L’Hermione et une Fremm amarrées au pre­mier pon­ton Fremm. © Jean-Luc Deniel ESID de Brest

Les ports mil­i­taires comme les ports civils sont en évo­lu­tion per­ma­nente afin d’accompagner la trans­for­ma­tion et la mod­erni­sa­tion des navires. Depuis le pas­sage de l’Hermione en 1779, la base navale de Brest n’a cessé d’être adap­tée à la flotte. L’escale en 2014 de l’Hermione recon­stru­ite per­met de mesur­er le chemin par­cou­ru. Con­séquence du renou­velle­ment de la flotte depuis quelques années, de nou­velles instal­la­tions por­tu­aires sont réal­isées. La loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire en cours (LPM 2019–2025) accom­pa­gne et accélère cette orientation.


REPÈRES

Depuis 2005, le min­istère des Armées dis­pose d’un unique ser­vice d’infrastructure, né de la fusion des trois ser­vices con­struc­teurs antérieurs spé­ci­fiques à chaque armée : le ser­vice d’infrastructure de la défense (SID). Rat­taché au secré­tari­at général pour l’administration, il entre­tient et admin­istre l’ensemble du domaine immo­bili­er du min­istère. Il assure le sou­tien et l’adaptation des infra­struc­tures sur le ter­ri­toire français, ain­si que le sou­tien au sta­tion­nement des forces en opéra­tions extérieures. L’importance, la diver­sité et le car­ac­tère stratégique du pat­ri­moine soutenu néces­si­tent des com­pé­tences tech­niques spé­ci­fiques et adap­tées à chaque type d’installation. Le SID compte actuelle­ment 6 800 agents civils et mil­i­taires, et gère un bud­get opéra­tionnel de plus de 2 mil­liards d’euros par an. 


A navire nouveau, nouvelles infrastructures

Depuis 2012, la Marine nationale met en œuvre les fré­gates mul­ti­mis­sions (Fremm), navires de 140 m et de 6 000 tonnes qui suc­cè­dent aux fré­gates du type F70. De ton­nage et de dimen­sions supérieurs, forte­ment armées, elles con­stituent une rup­ture capac­i­taire. Leurs car­ac­téris­tiques néces­si­tent une infra­struc­ture d’accueil spé­ci­fique com­por­tant de nou­veaux appon­te­ments adap­tés à leurs exi­gences de haute disponi­bil­ité. Pour répon­dre à cet objec­tif, il fal­lait un ouvrage cor­re­spon­dant aux nou­velles dimen­sions des fré­gates et per­me­t­tant une amélio­ra­tion sig­ni­fica­tive des trans­ferts bord à quai, quels que soient les coef­fi­cients de marée (le mar­nage est de 8 m à Brest).

La réduc­tion de la taille des équipages et les besoins d’un navire mod­erne néces­si­tent en effet de le desservir avec des moyens lourds (grues mobiles, camions) au plus près et au plus vite, ce que ne per­me­t­taient pas les anci­ennes lignes de sta­tion­nement de la base. Au vu de ces enjeux, l’ESID de Brest, éch­e­lon local du ser­vice d’infrastructure de la défense, a retenu pour le pre­mier pon­ton Fremm une procé­dure de con­cep­tion-réal­i­sa­tion-entre­tien-main­te­nance afin de stim­uler au mieux les com­pé­tences et capac­ités d’innovation des con­struc­teurs et maîtres d’œuvre privés.

Une conception innovante

La pre­mière ligne mise en ser­vice en jan­vi­er 2013 a fait l’objet d’une con­cep­tion par­ti­c­ulière­ment inno­vante qui repose sur un ouvrage mono­lithique flot­tant de 160 m de long et une struc­ture à dou­ble pont. Ce pon­ton est tenu côté quai par un dis­posi­tif d’ancrage spé­ci­fique lim­i­tant son déplace­ment sous l’effet du vent agis­sant sur le fardage des navires, et côté plan d’eau par un musoir en béton armé. Le pont inférieur du pon­ton accueille les réseaux flu­ides et élec­triques, ain­si que le laman­age (équipements et opéra­tions d’amarrage et de déha­lage). Le pont supérieur per­met les opéra­tions de manu­ten­tion et d’embarquement sur un espace dégagé de tout encom­bre­ment, dans des con­di­tions d’ergonomie et de sécu­rité maximales.

“La dimension environnementale
a été particulièrement intégrée.

Cet ouvrage flot­tant suit la marée, ce qui per­met d’éviter les corvées de reprise des aus­sières, en cohérence avec la taille réduite des équipages. La passerelle d’accès sépare le flux pié­ton des véhicules et per­met le pas­sage des grues et camions. Les servi­tudes élec­triques com­pren­nent l’alimentation HT des Fremm et l’alimentation BT d’autres types de bâti­ments, répon­dant ain­si à l’objectif de poly­va­lence de l’ouvrage. La dura­bil­ité de l’ouvrage (cinquante ans) est garantie par un dimen­sion­nement adap­té et par la mise en œuvre de bétons spé­ci­fiques aux ouvrages mar­itimes, for­mulés pour résis­ter tout par­ti­c­ulière­ment aux agres­sions subies en zone de marnage.

ponton en construction et coulage du musoir au bassin 4 ( Jean-luc Deniel ESID de Brest)
Pon­ton en con­struc­tion et coulage du musoir au bassin 4. © Jean-Luc Deniel ESID de Brest

Bis repetita placent

Du fait de la réus­site de ce pre­mier ouvrage, une deux­ième ligne a été réal­isée sur le même con­cept. Ce deux­ième pon­ton, dont la réal­i­sa­tion a démar­ré en juin 2019, a en out­re inté­gré des amélio­ra­tions issues du retour d’expérience du pre­mier, ou des­tinées à faciliter les manœu­vres et l’accueil des futures fré­gates de défense et d’intervention (FDI). Le musoir (cylin­dre de béton échoué à l’extrémité du pon­ton pour en assur­er l’ancrage) mesure 23 m de haut, a un diamètre de 14 m et pèse 7 000 t. Son voile cir­cu­laire a été coulé en con­tinu pen­dant six jours grâce à un cof­frage glis­sant, représen­tant une phase cri­tique du chantier.

“La dimension environnementale a été particulièrement intégrée tout au long de l’opération.”

Ce procédé (issu des méth­odes dévelop­pées pour la réal­i­sa­tion des aéroréfrigérants des cen­trales nucléaires) per­met d’éviter les repris­es de béton­nage. C’est un fac­teur clé pour garan­tir la dura­bil­ité de l’ouvrage. Après val­i­da­tion des essais de flot­tai­son, l’ouvrage a été remorqué vers son emplace­ment défini­tif en prof­i­tant de coef­fi­cients de marée favor­ables. Le pon­ton (160 m de long, 17 m de large, un peu plus de 8 m de haut) pèse au total 10 000 t et flotte grâce à 12 alvéoles de 1 000 m3 cha­cune. Il a été con­stru­it avec le musoir dans la forme 4 de la base navale de Brest, puis remorqué à son tour au quai des flot­tilles grâce aux moyens con­jugués des remorqueurs mil­i­taires et des lama­neurs du port civ­il de Brest. Enfin, la dimen­sion envi­ron­nemen­tale a été par­ti­c­ulière­ment inté­grée tout au long de l’opération.

La pré­pa­ra­tion de la zone d’accueil du musoir a fait l’objet de mesures spé­ci­fiques lim­i­tant la dis­per­sion des sédi­ments, grâce notam­ment à la mise en place d’un rideau sous-marin de bulles d’air. Les pro­duits de dra­gage de la zone ont égale­ment été traités afin d’être réu­til­isés pour le rem­plis­sage du musoir, ain­si sta­bil­isé à son emplace­ment défini­tif. Les prin­ci­pales échéances du chantier ont été tenues mal­gré la Covid-19.

Et de trois ! 

Le pro­gramme d’accueil des Fremm à la base navale de Brest devrait se pour­suiv­re par la réal­i­sa­tion d’un troisième ouvrage util­isant les mêmes principes. Ce dernier sera cepen­dant plus com­plexe et imposant, car devant com­bin­er des fonc­tions de poste à quai comme précédem­ment et égale­ment des fonc­tions de quai indus­triel pour le main­tien en con­di­tion opéra­tionnelle (MCO) des navires de la Marine, impli­quant de recevoir des moyens de lev­age encore plus lourds. La tech­nic­ité des ouvrages et la ges­tion de leurs mul­ti­ples inter­faces avec les navires mod­ernes et sophis­tiqués de la Marine néces­si­tent d’appréhender cer­taines prob­lé­ma­tiques par­ti­c­ulières et mobilisent comme on l’a vu le savoir-faire et la capac­ité d’innovation des bureaux d’études et des entre­pris­es chargées du projet.

Ces pro­jets requièrent aus­si une maîtrise d’ouvrage forte, per­son­nifiée par des ingénieurs de haut niveau, capa­bles de maîtris­er l’ensemble des champs de com­pé­tences tech­niques et man­agéri­ales. Au cœur de la réus­site de ces dossiers com­plex­es, le recrute­ment de ces pro­fils con­stitue un enjeu de pre­mier plan pour le SID.

Pont inférieur avec réseaux.
Pont inférieur avec réseaux. © Jean-Luc Deniel ESID de Brest

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