LES MERS DE L’INCERTITUDE

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°659 Novembre 2010Par : Robert Branche (74)Rédacteur : Jean-Jacques Salomon (74)Editeur : Éditions du Palio - 2010 -

On dit par­fois que la dif­férence entre un man­ag­er et un entre­pre­neur est que le pre­mier décide dans la cer­ti­tude, alors que le sec­ond le fait dans l’incertitude.

Couverture du livre : Les mers de l'incertitudeRobert Branche ne partage pas cette analyse. Dans Les mers de l’in­cer­ti­tude, son deux­ième livre après Neu­ro­man­age­ment (2008), il défend l’idée que la direc­tion d’en­tre­prise con­siste dans tous les cas, qu’on soit man­ag­er ou entre­pre­neur, à gér­er l’in­cer­ti­tude. À par­tir d’ex­em­ples tirés notam­ment de l’his­toire des sci­ences, Robert Branche pose en effet comme axiome que l’in­cer­ti­tude ne fait que croître dans l’u­nivers pro­fes­sion­nel et que les direc­tions générales n’ont d’autres choix que de com­pos­er au mieux avec elle.

Voilà une pos­ture pour le moins inhab­ituelle de la part d’un ingénieur, qu’on s’at­tendrait à voir con­va­in­cu que le fonc­tion­nement des entre­pris­es est prévis­i­ble ou doit s’ef­forcer de le devenir. Or il n’en est rien, sou­tient Robert Branche : la vie des affaires n’est pas régie par le principe de Laplace ou la loi de Gauss. Bien sou­vent, l’ac­cu­mu­la­tion de don­nées n’améliore pas la prévi­sion et raison­ner en moyenne ou pra­ti­quer la règle de trois con­duisent à de graves erreurs de pronostic.

C’est plutôt en direc­tion d’Hen­ri Poin­caré et de Pare­to que l’au­teur se tourne pour com­pren­dre com­ment fonc­tion­nent ces organ­i­sa­tions com­plex­es que sont les entre­pris­es dans le monde con­tem­po­rain. L’ingénieur des Ponts et Chaussées qu’est Robert Branche leur recom­mande de se con­stru­ire comme des jardins à l’anglaise plutôt qu’à la française. En lan­gage de con­sul­tant, il s’ag­it de « laiss­er chaque sous-ensem­ble s’or­gan­is­er selon la logique pro­pre de son méti­er » et de « per­me­t­tre des bio­ry­thmes dif­férents selon les moments et les situations ».

Dans quel sens diriger une entre­prise si l’in­cer­ti­tude y est reine ? Robert Branche a choisi la métaphore pour illus­tr­er sa réponse. Dans Les mers de l’in­cer­ti­tude, il com­pare l’en­tre­prise à un fleuve et en tire des images élo­quentes au ser­vice de sa démonstration.

De même qu’on ne peut pas com­pren­dre vers où coule un fleuve en obser­vant ses méan­dres, l’au­teur recom­mande de ne pas appréhen­der l’en­tre­prise à l’aune de ses per­for­mances à court terme : il faut « penser à par­tir du futur ».

Penser à par­tir du futur, c’est d’abord se fix­er un hori­zon stratégique immuable, telle la mer pour un fleuve. Mais c’est aus­si se laiss­er guider par la pente naturelle, comme le fleuve par le relief. À l’heure où l’on fait volon­tiers l’éloge de la dif­fi­culté, ce n’est pas le moin­dre des para­dox­es d’un livre qui en com­porte beau­coup que de pré­conis­er la facilité.

Reste à met­tre en œuvre ce principe de moin­dre action appliqué à l’en­tre­prise. Com­ment éviter les déci­sions qui ne s’in­scrivent pas dans sa tra­jec­toire naturelle, com­ment tir­er par­ti des obsta­cles et anticiper les acci­dents de par­cours ? À toutes ces ques­tions, Les mers de l’in­cer­ti­tude appor­tent un ensem­ble de répons­es fondées sur les obser­va­tions et l’ex­péri­ence de con­sul­tant stratégique de l’auteur.

Avec une mise en garde : atten­tion à la quan­tophrénie, cette patholo­gie con­sis­tant à vouloir tout met­tre en chiffres ! À force d’ex­cès de con­trôle de ges­tion et de lean man­age­ment, on risque de ren­dre l’en­tre­prise anorex­ique. Elle perd alors le goût de la crois­sance et devient cas­sante. Diriger dans l’in­cer­ti­tude, c’est en effet sou­vent, nous dit Robert Branche, savoir aus­si lâch­er prise.

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