Epreuve de mathématiques au concours d'admission de l'École polytechnique

Les mathématiques à Polytechnique vues par un élève : une approche fondamentale

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°782 Février 2023
Par Camille MONTALBETTI (X20)

Voici le point de vue d’un élève, certes qui a choisi d’approfondir sa for­ma­tion math­é­ma­tique, donc qui a une appé­tence par­ti­c­ulière pour cette matière, sur la place et l’enseignement des math­é­ma­tiques à l’École poly­tech­nique. On en déduit que cette place et cet enseigne­ment sont finale­ment très cohérents avec l’objectif de for­ma­tion de l’institution : pro­duire des indi­vidus qui en maths maîtrisent « tout » suff­isam­ment bien pour agir comme inter­face entre les par­ties prenantes de la société et de l’économie.

L’École poly­tech­nique est fon­da­men­tale­ment une école de math­é­ma­tiques. Si une matière existe à l’École, alors elle sera math­é­ma­tisée et mod­élisée en pro­fondeur. Lorsque je ren­con­tre d’anciens cama­rades des class­es pré­para­toires, je m’aperçois que mon approche des math­é­ma­tiques est rad­i­cale­ment dif­férente de la leur. En effet, pour eux les math­é­ma­tiques sont un out­il ; pour nous, elles sont un objec­tif du cours. Il suf­fit de pren­dre un quel­conque poly­copié d’un cours, même peu théorique, pour s’apercevoir qu’au bout de la dix­ième ou vingtième page des for­mules math­é­ma­tiques sont de plus en plus présentes, pour débouch­er sur de grands mod­èles, de grands théorèmes et de « grands » résul­tats. Ces derniers pour­raient être triv­i­aux, mais ils sont dévelop­pés dans une théorie mathématique. 

Tout cela illus­tre le fait que les maths tien­nent un rôle fon­da­men­tal au sein de notre for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne. C’est ce qui, à mon avis, nous met à mi-chemin entre les grandes écoles d’ingénieurs tra­di­tion­nelles, qui ont pour but de for­mer des futurs tech­ni­ciens-ges­tion­naires de pro­jet, et les uni­ver­sités telle l’École nor­male supérieure, où l’on forme de futurs chercheurs. C’est, pour moi, cette for­ma­tion et donc cette ori­en­ta­tion math­é­ma­tique qui font la force de la for­ma­tion à l’X. Par cette approche très math­é­ma­tique, nous devenons le vecteur de com­mu­ni­ca­tion entre les chercheurs (qui pro­duisent un résul­tat de recherche pro­fondé­ment math­é­ma­tique) et les tech­ni­ciens et ingénieurs (qui sont respon­s­ables du génie technique). 

L’organisation des mathématiques à l’X

Les math­é­ma­tiques à l’X s’organisent en fonc­tion des trois années passées sur le campus.

La pre­mière année est com­mune à tous et forme le tronc com­mun (TC). Les mathé­matiques ne font pas excep­tion. L’enseignement forme ce qui est appelé dans d’autres écoles « les math­é­ma­tiques pour l’ingénieur » (à la grande dif­férence que le sujet y est dévelop­pé en plus grande pro­fondeur). En effet, le TC est cen­sé pré­par­er tant les élèves qui visent des sci­ences appliquées que ceux qui fer­ont des math­é­ma­tiques plus tard. On y voit les bases de la topolo­gie, les espaces usuels, les bases de l’intégrale de Lebesgue et son appli­ca­tion à la théorie de Fouri­er et de Sobolev, et les débuts de l’analyse différentielle.

L’intérêt de cette année est de for­mer les élèves à la base de la math­é­ma­tique physique et de pouss­er l’étude plus loin, afin de fournir aux élèves une vision glob­ale mais poussée du monde math­é­ma­tique. Ce cours est le plus dif­fi­cile et le plus com­plet de tous ceux de la pre­mière année. Mais, à mon avis, il est le plus impor­tant du TC puisque tous les cours dis­pen­sés ensuite s’appuient sur les fonde­ments ain­si apportés. On trou­ve par exem­ple les cours de math­é­ma­tiques appliquées qui tra­vail­lent sur les raison­nements sto­chas­tiques et leur appli­ca­tion dans le monde de l’aléatoire, les cours de physique quan­tique qui utilisent les espaces de Hilbert, voire les cours d’économie qui se fondent forte­ment sur les notions de topolo­gie afin de réalis­er de l’optimisation.

“L’X ne cherche pas à former des chercheurs de pointe en maths.”

La deux­ième année à l’X est la pre­mière année pen­dant laque­lle les élèves peu­vent choisir quelles matières ils souhait­ent con­tin­uer. Dès lors, les cours sont plus poussés et ont pour but de don­ner une base très solide dans les matières choisies. Le cur­sus de maths ne fait aucune excep­tion. Le départe­ment de math­é­ma­tiques four­nit alors qua­tre cours de math­é­ma­tiques théoriques, au grand plaisir des élèves.

La majorité des cours sont de l’analyse (fonc­tions holo­mor­phes, études de dis­tri­b­u­tion, analyse fonc­tion­nelle) à l’exception d’une intro­duc­tion à la théorie de Galois (qui est le seul cours d’algèbre de la 2A). Cela est d’ailleurs la plus grande cri­tique de la 2A de la part des élèves à l’X. Pour beau­coup, le cur­sus manque d’algèbre. En effet c’est cette dernière qui est actuelle­ment util­isée pour la recherche math­é­ma­tique. Au con­traire, l’analyse de 2A est le fonde­ment de toute la physique math­é­ma­tique et donc de la physique théorique.

La troisième année est un appro­fondisse­ment des cours de 2A, à la grande dif­férence que l’algèbre tient une place beau­coup plus impor­tante au sein du cur­sus. D’ailleurs les cours d’algèbre sont très var­iés (allant de la théorie algébrique des nom­bres à l’introduction de la géométrie et de la topolo­gie algébrique). Ces cours sont sou­vent pleins. Au con­traire, les cours de physique math­é­ma­tique (équa­tion d’évolution, sys­tème dynamique) sont eux plus délais­sés par les élèves (il n’est pas rare d’avoir des cours à cinq élèves).

Je pense pou­voir expli­quer cela par le fait que les cours de physique math­é­ma­tique sont à mi-chemin entre la physique et les maths, sans être ni l’une ni les autres. Dès lors, les élèves voulant faire des études de maths s’orientent vers les cours d’algèbre et ceux aimant la physique s’inscrivent plutôt au départe­ment de physique. Lors de la 3A, les cours sont des intro­duc­tions à des théories actuelle­ment en développe­ment, et beau­coup d’élèves aiment cet aspect con­tem­po­rain des math­é­ma­tiques, trop sou­vent décrites comme une sci­ence figée.

Un retour difficile pour beaucoup, une vocation pour d’autres

Les math­é­ma­tiques ont une place très var­iée dans le cœur des poly­tech­ni­ciens et beau­coup trou­vent la for­ma­tion mal adap­tée à leurs besoins. On trou­ve d’un côté ceux qui n’aiment pas trop les maths ; ils ont réus­si la pré­pa, mais l’approche très math­é­ma­tique de toutes les matières à l’X les dégoûte assez rapidement.

C’est surtout le cours de 1A, adap­té fon­da­men­tale­ment aux élèves de MP, qui dis­suade la plu­part des élèves d’aller aux cours à fonde­ment math­é­ma­tique lors de la 2A et de la 3A ; je trou­ve que c’est dom­mage puisqu’il y a des cours sci­en­tifiques très intéres­sants dans les hautes années, qui pour­raient sûre­ment per­me­t­tre à ces élèves de s’épanouir lors de leur for­ma­tion. En ce qui con­cerne les élèves des autres fil­ières, il faut vrai­ment s’accrocher au début de la for­ma­tion afin de pour­suiv­re la for­ma­tion au départe­ment ; à titre d’exemple, je suis le seul non MP inscrit au pro­gramme d’approfondissement de maths.

Toute­fois, de l’autre côté, on trou­ve les extrêmes férus de la matière, qui pensent que l’enseigne­ment math­é­ma­tique est insuff­isant à l’X. En ce sens, je les com­prends aus­si. En par­lant avec d’autres que des X, notam­ment des nor­maliens, qui suiv­ent les cours avec nous, on con­state que leur niveau est meilleur que le nôtre et que leur for­ma­tion est plus poussée, et pour cause : les nor­maliens ne se focalisent que sur une matière lors de leur pas­sage à l’école, alors que les poly­tech­ni­ciens doivent suiv­re plusieurs matières sci­en­tifiques (au moins qua­tre dif­férentes en 2A). Cela se voit égale­ment chez les internationaux.
Ces derniers provi­en­nent de fil­ières uni­ver­si­taires étrangères (donc à l’américaine) où la for­ma­tion ne se focalise que sur une matière. Dès lors, on s’aperçoit de leur avance de niveau, surtout s’ils déci­dent de pour­suiv­re leur for­ma­tion math­é­ma­tique à l’X. De plus, comme je l’ai dit précédem­ment, la for­ma­tion math­é­ma­tique est surtout ana­ly­tique, et non algébrique. Ain­si, les élèves ne peu­vent pas suiv­re beau­coup de cours liés à la recherche actuelle des math­é­ma­tiques. Au con­traire, la for­ma­tion de maths à l’X est excel­lente si l’on souhaite faire de la physique math­é­ma­tique (comme je le fais actuelle­ment) et j’irais même jusqu’à dire qu’elle peut forte­ment rivalis­er avec la for­ma­tion d’autres grandes universités.

L’influence des maths pour mon cursus à l’X

Au cours des class­es pré­para­toires, j’ai tou­jours eu une préférence pour les sci­ences appliquées, non seule­ment je trou­vais que l’aspect pra­tique per­me­t­tait de rompre avec la théorie trop sou­vent para­chutée au prof­it d’une réelle expli­ca­tion con­struc­tive, mais les maths mal­gré leur côté théorique élé­gant (tous ceux qui décou­vrent leur pre­mier objet abstrait math­é­ma­tique que sont les espaces vec­to­riels me com­pren­dront) étaient sou­vent reléguées au roy­aume du cal­cul rébar­batif et long.

Cela changea lorsque je com­mençai les maths à l’X. En effet, la for­ma­tion est tout de suite plus com­plète et objec­tive­ment plus « ori­en­tée théorie ». Toute­fois, la beauté de la for­ma­tion math­é­ma­tique est qu’elle est divisée en deux par­ties, une fon­da­men­tale et une appliquée. Alors que dans la pre­mière on développe les out­ils néces­saires pour com­pren­dre les objets de base, les maths appliquées per­me­t­tent de fournir un enjeu réel à la for­ma­tion glob­ale de maths. Mal­gré sa désig­na­tion de sci­ence appliquée, ces math­é­ma­tiques ne sont nulle­ment faciles et triv­iales, mais con­stru­isent des théories intéres­santes qui s’appliquent dans le monde de la physique, de la biolo­gie et même de l’économie.

Con­traire­ment à d’autres for­ma­tions qui seraient plus « ori­en­tées applica­tion », la for­ma­tion à l’X nous per­met de com­pren­dre les fonde­ments et les raison­nements de toutes les appli­ca­tions qu’on fait. C’est alors que, par intérêt pour la mod­éli­sa­tion math­é­ma­tiques des phénomènes physiques et naturels et pour com­pren­dre les out­ils théoriques sous-jacents, j’optai pour un cur­sus math­é­ma­tique en deux­ième et troisième années.

Moderniser les maths à l’X

Mal­gré tous ses défauts, je trou­ve que la for­ma­tion math­é­ma­tique à l’X est par­faite­ment à sa place dans l’esprit de l’École. Cette dernière cherche à for­mer des ingénieurs capa­bles de com­pren­dre le plus com­pliqué des phénomènes. Dans ce cas, qu’y a‑t-il de mieux que de mod­élis­er les grands phénomènes de tous hori­zons et de tout type. La grande force des X est leur capac­ité à pren­dre pos­ses­sion de l’information à une grande vitesse, et cela puisqu’ils sont capa­bles de com­pren­dre tout type de doc­u­ment (notam­ment les revues sci­en­tifiques et leur modélisation).

Finale­ment, les lim­ites évo­quées dans un para­graphe précé­dent, c’est-à-dire des cours trop théoriques pour s’appliquer à l’ingénierie con­crète ou un cur­sus trop faible pour pour­suiv­re en recherche math­é­ma­tique, ne traduisent pas les défauts de la place des math­é­ma­tiques à l’X, mais plutôt la lim­ite fon­da­men­tale de la for­ma­tion de l’École, lim­ite qui fait égale­ment la force de cette dernière. L’X ne cherche pas à for­mer des chercheurs de pointe en maths, ni des tech­ni­ciens experts dans leur domaine, mais des indi­vidus qui maîtrisent « tout » suff­isam­ment bien pour agir comme inter­face entre sci­en­tifiques, tech­ni­ciens, société, etc.

Poster un commentaire