lanceurs d'alerte

“Les lanceurs d’alerte sont une chance pour un chef d’entreprise”

Dossier : SupplémentMagazine N°748 Octobre 2019
Par Cyril MURIE (94)

Le sujet des alertes en entre­prise est sou­vent anx­iogène aus­si bien pour les lanceurs d’alerte que pour les chefs d’entreprise. Pour Cyril Murie (94), il s’agit plutôt d’une chance, celle d’éviter qu’un drame n’arrive. C’est dans cette optique qu’il a lancé une plate­forme dédiée à la ges­tion des alertes en entre­prise, Alert­cys. Expli­ca­tions.

Ces dernières années, le phénomène de lanceurs d’alertes a gagné en visibilité auprès du grand public. Pouvez-vous nous rappeler le contexte autour de ce sujet et nous expliquer de quoi il s’agit concrètement ? 

C’est Julian Assange, fon­da­teur de Wik­ileaks, qui a mis à l’ordre du jour le phénomène de lanceurs d’alerte en révélant des scan­dales d’ordre inter­na­tion­al. En entre­prise et en col­lec­tiv­ité locale, cela con­cerne une cer­taine typolo­gie d’infractions : har­cèle­ment sex­uel, dis­crim­i­na­tion raciale, cor­rup­tion, atteinte à l’environnement…
Ren­forcer la capac­ité à alert­er un chef d’entreprise ou un dirigeant sur une infrac­tion de ce type est très intéres­sant. Cette démarche s’inscrit, d’ailleurs, dans la con­ti­nu­ité de la Loi Sapin II qui oblige les entre­pris­es de plus de 50 salariés et les col­lec­tiv­ités locales de plus de 10 000 habi­tants à met­tre en place une procé­dure pour les lanceurs d’alerte afin de leur garan­tir un niveau de pro­tec­tion suff­isant con­tre d’éventuelles repré­sailles et des sanc­tions directes ou indirectes.

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à vous intéresser à cette thématique et à développer une plateforme dédiée ?

Cette ini­tia­tive est le résul­tat de deux con­stats. Ancien gen­darme, quand j’intervenais sur un sui­cide en entre­prise, la phrase la plus courante était “cela devait finir par arriv­er”, signe que plusieurs per­son­nes savaient qu’il se pas­sait quelque chose d’anormal. Dans ce cas de fig­ure, plusieurs per­son­nes ont con­nais­sance de ce qui se passe, mais ne savent pas vers qui se tourn­er. Elles ont aus­si des réti­cences à aller vers leur supérieur hiérar­chique par peur d’une sanc­tion ou de pass­er pour le mau­vais coucheur de l’entreprise ou bien d’aller vers la police ou la gen­darmerie de peur de met­tre en péril l’entreprise et de per­dre leur tra­vail. Depuis, la Loi Sapin 2 pro­tège les lanceurs d’alerte, mais selon moi de manière insuff­isante. En effet, la posi­tion de la CNIL est que les alertes ne peu­vent s’inscrire que dans des cir­con­stances excep­tion­nelles anonymes : si la procé­dure garan­tit la con­fi­den­tial­ité, elle ne peut néan­moins pas être anonyme pour éviter des attaques diffamatoires.
Face à cette sit­u­a­tion, nous avons décidé de met­tre en place une plate­forme qui va se posi­tion­ner comme un tiers de con­fi­ance et qui va agir dans le cadre imposé par la CNIL. Con­crète­ment, l’idée est que l’identité du lanceur d’alerte soit con­servée par un tiers de con­fi­ance pour éviter les dépasse­ments éventuels, mais qu’elle ne soit aus­si jamais divul­guée à l’entreprise.

Concrètement, comment fonctionne cette plateforme ?

La plate­forme s’appelle Alertcys.io. Une entre­prise va pou­voir y souscrire un abon­nement annuel pour per­me­t­tre de lancer des alertes qui seront ensuite traitées par un huissier de jus­tice. Con­crète­ment, un lanceur d’alerte va déclar­er son iden­tité sur la plate­forme puis dépos­er son alerte dans un pre­mier temps. L’alerte est ensuite traitée par un huissier de jus­tice. Dans un sec­ond temps, l’huissier pour la valid­er va deman­der au lanceur d’alerte de com­pléter les faits, de pré­cis­er des élé­ments afin de faciliter le traite­ment du dossier. Une fois que l’alerte est suff­isam­ment qual­i­fiée et étayée, l’huissier va décider de la trans­fér­er ou non à l’entreprise. Cette démarche per­met de préserv­er l’identité du lanceur d’alerte, mais aus­si d’éviter que l’entreprise ait à faire face à de mul­ti­ples accu­sa­tions diffam­a­toires qui peu­vent finir par lui porter atteinte.
Si l’huissier décide de trans­met­tre l’alerte à l’entreprise en ques­tion, nous accom­pa­gnons l’entreprise dans son traite­ment. Tou­jours de manière anonyme, l’entreprise pour­ra pos­er, par exem­ple, des ques­tions aux lanceurs d’alerte qui seront, d’ailleurs, tenus au courant de l’état d’avancement de leur alerte.
La mise en place d’un dia­logue et d’un échange sans pres­sion dans un envi­ron­nement sécurisé et où toutes les iden­tités sont préservées et respec­tées per­met d’aplanir les lit­iges. L’huissier de jus­tice reste mobil­isé tout au long du traite­ment de l’alerte pour pro­téger les intérêts des deux par­ties : il va pro­téger aus­si bien le lanceur d’alerte que l’entreprise. Néan­moins, il est impor­tant de not­er qu’il ne con­seille aucune des deux par­ties prenantes. Pour béné­fici­er d’un con­seil, elles doivent se tourn­er vers un avocat.

En effet, l’huissier joue le rôle d’arbitre et garan­tit que les iden­tités soient préservées tout au long du traite­ment de l’alerte. En par­al­lèle, cette démarche per­met aus­si de garan­tir le respect des délais légaux imposés par la loi. En cas de besoin, l’huissier de jus­tice pour­ra aus­si faire un con­stat pour prou­ver que l’entreprise a respec­té tous les délais légaux qui sont imposés sur une alerte précise.

Enfin, tous les doc­u­ments qui sont échangés sur la plate­forme, sont ancrés par leur hash dans une blockchain publique : si, à l’issue du traite­ment de l’alerte, il y une oblig­a­tion légale de sup­pres­sion de tous les échanges ce que nous faisons automa­tique­ment, la blockchain nous per­me­t­tra de prou­ver, en cas de lit­ige, que tous les doc­u­ments ont bien été échangés dans le respect des délais. En out­re, la blockchain est un vecteur addi­tion­nel de con­fi­ance. Elle est com­plète­ment décen­tral­isée, sans base de don­nées et per­son­ne n’a de prise sur son contenu.

Elle représente donc une solu­tion per­for­mante et à moin­dre coût pour relever le défi de confiance.

Quels sont les avantages pour les entreprises ?

Dans une entre­prise de 50 à 500 salaires, il y a en moyenne une alerte tous les 3 à 4 ans, dans une grande entre­prise, la moyenne est plutôt de 4 à 5 alertes par an. Face à ces chiffres, l’externalisation de la ges­tion des alertes per­met de cap­i­talis­er sur une con­ti­nu­ité de ser­vice et de traite­ment aus­si bien sur le plan juridique que technologique.

C’est aus­si un moyen effi­cace de se pro­téger con­tre la diffama­tion en garan­tis­sant que seules les alertes qui doivent être traitées soient pris­es en compte. Enfin, l’externalisation per­met une maîtrise des coûts.

Aujourd’hui, nous avons une cen­taine de clients, majori­taire­ment des entre­pris­es de 50 et 100 salariés. Nous sommes actuelle­ment en train de sign­er nos pre­miers clients grandes entre­pris­es avec plus de 50 000 salariés. L’enjeu pour Alert­cys est de con­va­in­cre de plus en plus de grandes entre­pris­es d’externaliser la ges­tion des alertes.

Et pour conclure ?

Les lanceurs d’alerte sont une chance pour un chef d’entreprise. Ils lui per­me­t­tent d’être infor­mé très rapi­de­ment de faits de cor­rup­tion, de har­cèle­ment, de dis­crim­i­na­tion ou autre avant que le drame n’arrive !

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