Les Etats-Unis, superpuissance de la connaissance

Dossier : La recherche dans le mondeMagazine N°651 Janvier 2010
Par Johan DELORY
Par Annick SUZOR-WEINER
Par Estelle BOUZAT

REPÈRES

REPÈRES
Avec 368 mil­liards de dol­lars en 2007 (2,6 % de leur PIB), les États-Unis totalisent encore aujourd’hui 36 % des dépens­es mon­di­ales R&D, emploient 70 % des prix Nobel venus du monde entier, et abri­tent les trois quarts des quar­ante meilleures uni­ver­sités du monde. Ces résul­tats impres­sion­nants sont entérinés par la place récur­rente des États-Unis aux pre­miers rangs de l’index de com­péti­tiv­ité du Forum économique mon­di­al (la France se posi­tion­nant 16e en 2009).

La réus­site du sys­tème améri­cain sem­ble repos­er sur trois piliers. Tout d’abord, le gou­verne­ment fédéral, en con­sacrant 55 mil­liards de dol­lars à la recherche fon­da­men­tale, est le moteur de la décou­verte sci­en­tifique. Out­re les lab­o­ra­toires fédéraux, le gou­verne­ment s’ap­puie sur une cen­taine d’u­ni­ver­sités mas­sives qui s’im­posent comme des pôles mag­né­tiques inter­na­tionaux. Enfin, à tra­vers des parte­nar­i­ats de qual­ité avec le monde académique, le secteur privé prend le relais en investis­sant con­sid­érable­ment dans la recherche appliquée et le développement.

La puissance publique fédérale, moteur de la recherche fondamentale

Le bud­get fédéral est respon­s­able de 52 % du sou­tien de la recherche fon­da­men­tale qui est pra­tiquée qua­si-exclu­sive­ment dans les lab­o­ra­toires fédéraux et universitaires.

Les étab­lisse­ments d’en­seigne­ment supérieur ne subis­sent aucune tutelle admin­is­tra­tive de la part du gou­verne­ment fédéral

Chaque Min­istère — Depart­ment- dis­pose de sa pro­pre enveloppe budgé­taire avec une ou plusieurs agences thé­ma­tiques affil­iées. Sur les qua­torze Depart­ments, huit agences/ministères thé­ma­tiques dont la Nation­al Sci­ence Foun­da­tion captent 97% des finance­ments fédéraux. Deux grands domaines de R&D sont net­te­ment priv­ilégiés par le Gou­verne­ment fédéral : la Défense (Depart­ment of Defense) qui con­cen­tre 60% du sou­tien de R&D et les Sci­ences de la Vie avec 21% du total. 

Des Universités américaines entre autonomie et dépendance

Aux Etats-Unis, les étab­lisse­ments d’en­seigne­ment supérieur ne subis­sent aucune tutelle admin­is­tra­tive de la part du gou­verne­ment fédéral. Leurs dépens­es de fonc­tion­nement sont assurées en pre­mier lieu par les Etats en ce qui con­cerne les étab­lisse­ments publics (36%) et par les droits d’in­scrip­tions ‑fees- en ce qui con­cerne les étab­lisse­ments privés (43%). Par con­tre la con­duite de pro­jets de recherche ne dépend aucune­ment de leur statut ‑pub­lic, privé lucratif ou non lucratif- mais des proces­sus sélec­tifs des agences fédérales qui sont en con­tact avec les coor­di­na­teurs de pro­jets de recherche (prin­ci­pal inves­ti­ga­tor). Par ailleurs, les liens entre uni­ver­sités de recherche et entre­pris­es se man­i­fes­tent via le trans­fert de tech­nolo­gie par con­trats indus­triels ou encore la créa­tion de start-up au sein d’in­cu­ba­teurs, pépinières d’en­tre­pris­es ou de parcs tech­nologiques présents sur les campus.

Le secteur privé, premier investisseur dans la R&D

Une recherche très concentrée
Sur les 4117 étab­lisse­ments d’en­seigne­ment supérieur aux Etats-Unis, moins de deux cents con­duisent des activ­ités de recherche. Ce petit nom­bre d’ac­teurs car­ac­térise la struc­ture oli­gop­o­lis­tique du marché académique organ­isée en trois niveaux (three tier system).


Le secteur privé lucratif, pre­mier financeur de R&D avec 245 mil­liards de dol­lars ‑soit 66% des dépens­es totales- réalise 90 % des dépens­es de développe­ment. Les entre­pris­es indus­trielles représen­tent 70% de l’ef­fort con­tre 30% pour les entre­pris­es de ser­vices. Son sys­tème de trans­fert de tech­nolo­gie est l’un des plus effi­caces au monde, basé sur l’idée de prox­im­ité géo­graphique des acteurs clés de l’en­tre­pre­neuri­at depuis l’in­ven­tion du pre­mier parc tech­nologique par Stan­ford en 1951.

Schéma récapitulatif des circuits de financement de la R&D aux Etats-Unis

Une lég­is­la­tion stimulante
La lég­is­la­tion joue un rôle favor­able avec par exem­ple le célèbre Bayh Dole Act (1980) favorisant les parte­nar­i­ats publics-privés et délivrant la pleine pro­priété intel­lectuelle aux uni­ver­sités pour leurs décou­vertes financées par des fonds fédéraux ; ou encore le SBIR (1982) qui oblige toutes les agences fédérales de R&D à con­sacr­er 2.5% de leur bud­get au sou­tien de pro­jets inno­vants portés par des PME. Au final env­i­ron 85.5% des chercheurs sont employés dans le secteur privé.

Bud­get 2009 hors stim­u­lus (mil­lions de $) Bud­get 2009 stim­u­lus inclus(mil­lions de $)
Écart avec 2008 Écart avec 2008
Prin­ci­paux secteurs/agences Montant en valeur absolue en valeur relative (%) Montant en valeur absolue en valeur relative (%)
Défense 82 378 3 030 3,8 82 678 3 330 4,2
NASA 12 839 588 4,8 13 789 1 538 12,6
Énergie 10 946 1 222 12,6 16 309 6 585 67,7
[Office of Science] 4 267 631 17,3 6 129 2 493 68,5
R&D Énergie 2 876 507 21,4 6 378 4 009 169,2
Santé 31 052 1 086 3,6 41 877 11 911 39,7
[NIH] 29 739 913 3,2 39 865 11 039 38,3
NSF 4 807 306 6,8 7 454 2 953 65,6
Agriculture 2 453 94 4,0 2 629 270 11,4
Sécu­rité intérieure 1 085 93 9,4 1 085 93 9,4
Transport 922 102 12,4 922 102 12,4
Commerce 1 228 90 7,9 1 789 650 57,1
NOAA 632 51 8,7 632 51 8,7
NIST 561 39 7,5 1 121 600 115
Type de R&D
Recherche 60 457 2 468 4,3 75 315 17 327 29,9
Recherche fondamentale 30 305 1 468 5,1 38 920 10 083 35
Recherche appliquée 30 152 1 001 3,4 36 395 7 244 24,8
Développement 85 851 3 962 4,8 88 202 6 312 7,7
Équipement et instal­la­tions R&D 4 827 352 7,9 8 440 3 965 88,6
Total R&D 151 135 6 782 4,7 171 958 27 604 19,1

Une domination émoussée

Un lead­er­ship menacé
Les États-Unis, qui dom­i­naient l’ensem­ble des champs dis­ci­plinaires par leur nom­bre de pub­li­ca­tions, ont per­du leur pre­mière place dans le domaine de la physique et sont désor­mais au coude à coude avec l’U­nion européenne ‑à quinze- en biolo­gie et en chimie.

Un rap­port des Académies nationales pub­lié en 2005 met­tait en garde le gou­verne­ment améri­cain : “Nous craignons la rapid­ité avec laque­lle l’a­vance améri­caine peut être per­due, et la dif­fi­culté voire l’im­pos­si­bil­ité de la retrou­ver ensuite “. La nou­velle admin­is­tra­tion sem­ble pren­dre la sit­u­a­tion à bras le corps en investis­sant dans la recherche fon­da­men­tale tout en con­sid­érant “l’én­ergie comme le grand pro­jet de notre généra­tion” (B Oba­ma, para­phras­ant JF Kennedy vis-à-vis du pro­gramme Apol­lo).

En out­re, on con­state une perte de com­péti­tiv­ité com­mer­ciale dans le domaine des hautes tech­nolo­gies. Au niveau glob­al, les excé­dents com­mer­ci­aux en ter­mes de pro­duits et de tech­nolo­gies avancés, qui avaient mar­qué l’ensem­ble des années 1990, ont fait place à par­tir de 2001 à une dégra­da­tion des excé­dents, suiv­ie rapi­de­ment d’un déficit durable et crois­sant dans un nom­bre de secteurs en augmentation.

Une économie de la connaissance sous perfusion

Une forte attractivité
Une entre­prise sur qua­tre créée entre 1995 et 2005 dans le secteur des sci­ences math­é­ma­tiques et de l’ingénierie avait un fon­da­teur étranger (dont 26 % d’In­di­ens) haute­ment qual­i­fié dans ces domaines. De même, les étrangers rési­dant aux États-Unis étaient cités comme inven­teurs ou co-inven­teurs de plus du quart des deman­des de brevets inter­na­tionaux enreg­istrées aux États-Unis en 2006.

Les Etats-Unis con­tin­u­ent de fonc­tion­ner comme un gigan­tesque aspi­ra­teur de la matière grise mon­di­ale, puisque en 2007/2008, plus de 106 000 enseignants chercheurs étrangers étaient accueil­lis dans les uni­ver­sités améri­caines dont près des ¾ en sci­ences dures. En out­re les États-Unis parvi­en­nent à retenir dans leur économie de nom­breux tal­ents étrangers. Mais cette dépen­dance vis-à-vis du reste du monde com­binée au vieil­lisse­ment des ingénieurs et des sci­en­tifiques améri­cains traduit une faib­lesse struc­turelle des Etats-Unis, qui sont con­fron­tés à une diminu­tion chronique de leur attrac­tiv­ité depuis le 11 Sep­tem­bre 2001. Leur besoin chronique d’ingénieurs n’est désor­mais plus comblé par les inscrip­tions d’é­tu­di­ants étrangers et on estime qu’il sera de 1 mil­lion dans dix ans.

L’u­ni­ver­sité de Harvard

Un millésime 2009 exceptionnel avec le plan de relance (stimulus package)

Il aura fal­lu atten­dre l’ar­rivée du prési­dent Oba­ma pour assis­ter à la fin du fléchisse­ment chronique de l’in­vestisse­ment fédéral. Après des années de rigueur budgé­taire, l’ad­min­is­tra­tion Oba­ma a injec­té 20,5 mil­liards de dol­lars dans la recherche et le développe­ment dans le cadre de son plan de relance, le stim­u­lus package.

” Le besoin en ingénieurs sera de 1 mil­lion dans dix ans ”

Ce mon­tant vient s’a­jouter à un bud­get 2009 qui porte à lui seul l’in­vestisse­ment fédéral dans la recherche (fon­da­men­tale et appliquée) à 60,5 mil­liards de dol­lars, soit, en ten­ant compte de l’in­fla­tion, la pre­mière aug­men­ta­tion (4,3%) en 4 ans. Si l’ensem­ble des agences fédérales vont béné­fici­er de cette aubaine, la recherche bio­médi­cale, l’én­ergie et le change­ment cli­ma­tique sor­tent grands gagnants.

Une opportunité pour un rapprochement franco-américain dans le domaine scientifique et technologique

Face aux dif­fi­cultés internes et externes, l’ad­min­is­tra­tion Oba­ma sem­ble se démar­quer du tra­di­tion­nel recours à l’iso­la­tion­nisme et se tourne vers l’é­tranger. Il s’ag­it d’une oppor­tu­nité à saisir pour la France dont les Etats-Unis sont le pre­mier parte­naire sci­en­tifique avec plus de 7000 co-pub­li­ca­tions par an.

” L’ad­min­is­tra­tion Oba­ma se tourne vers l’étranger ”

C’est pourquoi un accord de coopéra­tion bilatéral en sci­ence et tech­nolo­gie a été signé le 22 Octo­bre 2008 par Valérie Pécresse, min­istre de l’En­seigne­ment supérieur et de la Recherche, et Arden Bement, directeur de la Nation­al Sci­ence Foun­da­tion afin de met­tre en cohérence l’ensem­ble des mécan­ismes fran­co-améri­cains sur le con­tin­u­um con­sti­tué par les qua­tre élé­ments suiv­ants : l’en­seigne­ment supérieur, la recherche, le trans­fert tech­nologique et l’innovation.

Admin­istré par un comité mixte, il vise à établir une zone de libre-échange pour faciliter la con­duite de pro­jet de recherche con­joints, la cir­cu­la­tion de per­son­nels, de matériels et d’in­for­ma­tions tout en fix­ant un cadre juridique détail­lant notam­ment la recherche de gains mutuels en matière de pro­priété intellectuelle.

Une part du PIB en baisse
Le bud­get fédéral en R&D a vu, en quar­ante ans, sa part dans le PIB pass­er de près de 2 % en 1965 à moins de 0,8%, soit une réduc­tion annuelle moyenne de l’or­dre de 2,5 %. Cette diminu­tion n’a pas été com­pen­sée par la crois­sance des dépens­es privées mal­gré leur nette aug­men­ta­tion entre 1951 et 2001 (mul­ti­plié par trois). En effet, ces dernières ne sont que mar­ginale­ment con­sacrées à la recherche fon­da­men­tale (3,8 % des dépens­es de R&D indus­trielle en 2006).

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