Un scientifique américain témoigne

Dossier : La recherche dans le mondeMagazine N°651 Janvier 2010Par : David Edwards

L’ar­ti­cle exem­plaire de Johan Delo­ry souligne bien les trois piliers du mod­èle R & D améri­cain. Le moteur de recherche et développe­ment aux États-Unis dépend effec­tive­ment du pas­sage flu­ide d’idées entre les uni­ver­sités, le secteur privé et le secteur pub­lic. Ce phénomène — qu’on appelle trans­la­tion aux États-Unis — accom­pa­gne égale­ment la mobil­ité de créa­teurs et de ressources, et génère une atmo­sphère fructueuse où les cul­tures se mélan­gent. Ce phénomène est claire­ment vis­i­ble dans l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, où les décou­vertes sci­en­tifiques, sou­vent financées par le secteur pub­lic, sont vite brevetées par les universités.

Les chercheurs, soutenus par des investis­seurs privés et encour­agés par leurs uni­ver­sités, créent par­fois des start-ups. Puisque les chercheurs restent au sein de l’u­ni­ver­sité, leurs étu­di­ants sont embauchés par les start-ups, et celles-ci sont rapi­de­ment financées par des con­trats avec l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique. La start-up devient un catal­y­seur d’in­no­va­tion, tan­dis que les idées de recherche fon­da­men­tale, trans­posées dans le secteur privé, génèrent des oppor­tu­nités pro­fes­sion­nelles exci­tantes pour les étu­di­ants ; cela con­stitue une forme d’ap­pren­tis­sage excel­lent et impos­si­ble à con­stru­ire dans un con­texte pure­ment institutionnel.

Oui, le suc­cès améri­cain de R & D provient en par­tie d’un finance­ment impor­tant, et de la par­tic­i­pa­tion active des secteurs privés et publics, mais ce finance­ment existe car les idées peu­vent pass­er facile­ment d’un secteur à l’autre, cha­cun avec ses pro­pres valeurs, espoirs et objec­tifs. Il me sem­ble que ce qui manque le plus sou­vent en France — et d’ailleurs égale­ment dans la majorité des étab­lisse­ments de R & D aux États-Unis (le suc­cès améri­cain étant assez géo­graphique­ment local­isé) — est cette mobil­ité d’idées entre les secteurs.

Il faudrait que les uni­ver­sités, les entre­pris­es, les pre­neurs de risque, les organ­i­sa­tions cul­turelles expéri­men­tales col­la­borent libre­ment et étroite­ment, comme c’est le cas aujour­d’hui dans les grands pôles améri­cains de R & D, tels que Boston, San Diego, San Fran­cis­co et Research Tri­an­gle Park. Ces col­lab­o­ra­tions se créent autour d’idées intéres­santes, et non pas l’inverse.

La créa­tion d’un envi­ron­nement dynamique de R & D com­mence, à mon sens, à petite échelle. Après tout, la créa­tiv­ité est une affaire indi­vidu­elle. L’on peut rechercher une cul­ture qui puisse la nour­rir. L’on peut con­stru­ire un cadre de lab­o­ra­toire pous­sant la créa­tiv­ité vers une valeur que les insti­tu­tions de toutes sortes peu­vent mesur­er. Notre expéri­ence à Paris nous apprend que les créa­teurs afflueront et que la créa­tiv­ité se propagera avec une spon­tanéité qui ira bien au-delà de notre contrôle.

En effet, le plus grand défi de l’éd­i­fi­ca­tion d’une cul­ture de recherche et développe­ment ayant du suc­cès n’est pas tant l’élab­o­ra­tion de sa déf­i­ni­tion, ni l’in­vi­ta­tion d’ex­péri­ences per­ti­nentes (même si les deux requièrent une agi­ta­tion con­stante), mais il réside plutôt en la ges­tion du suc­cès de chaque lab­o­ra­toire, qui com­prend la trans­po­si­tion et l’ar­tic­u­la­tion d’une valeur sociale qui soit mesurable, sans pour autant sac­ri­fi­er la lib­erté indi­vidu­elle du créateur.

Poster un commentaire