Esprit d’entreprise et innovation en Israël

Dossier : La recherche dans le mondeMagazine N°651 Janvier 2010
Par Jacques LÉVY (56)
Par Joseph ZYSS (69)
Par Olivier HERZ (79)

REPÈRES

REPÈRES
Israël était classé en 2008 comme le 9e pays le plus inno­vant au monde et il devrait rem­porter la 8e place d’ici 2013. Bien que la crise actuelle a un impact sur l’innovation dans le monde, des don­nées récentes mon­trent que l’innovation israéli­enne con­tin­ue d’être stim­ulée par un flux con­tinu d’investissements étrangers directs, qui ont atteint un qua­si-record de plus de 10 mil­liards de dol­lars en 2008. Le marché israélien con­tin­ue égale­ment d’être une des­ti­na­tion très favor­able pour des entre­pris­es par­mi les plus per­for­mantes du monde. Rien qu’en juin dernier, selon la presse israéli­enne, le pays a reçu la vis­ite de prési­dents ou de hauts respon­s­ables, entre autres, de Hewlett Packard, Ora­cle, Dell et Microsoft.

Les Israéliens sont très nova­teurs, indi­vid­u­al­istes, indis­ci­plinés, et ils impro­visent, l’im­pro­vi­sa­tion n’ayant pas de con­no­ta­tion néga­tive en hébreu. Comme dans la Sil­i­con Val­ley, il y a une com­bi­nai­son rare de tech­nolo­gie et d’e­sprit d’en­tre­prise. Les gens sont habitués à tra­vailler ensem­ble en équipe. Le ser­vice mil­i­taire expose les Israéliens à la tech­nolo­gie à un jeune âge et il leur inculque la matu­rité et le sens de la responsabilité.

La recherche académique

La recherche académique, qu’il faut se garder de scinder arbi­traire­ment en recherche fon­da­men­tale et appliquée, sin­gulière­ment lorsqu’il s’ag­it d’Is­raël, est sans com­mune mesure en dimen­sion et en qual­ité avec la taille du pays. Cela peut tenir à deux fac­teurs principaux.

La sci­ence est un des piliers majeurs du pays

D’une part, le ” con­di­tion­nement ” cul­turel ances­tral du peu­ple juif, notam­ment l’emphase mise sur l’é­tude, con­stitue un ter­reau humain et cul­turel favor­able à la recherche sci­en­tifique : dans un esprit d’ou­ver­ture et de con­tro­verse, où la nou­veauté est val­orisée, il per­met à la moder­nité de se nour­rir de la tradition.

Les bons numéros
En com­para­i­son avec le reste du monde Israël est numéro un pour les dépens­es des entre­pris­es en R & D et pour le pour­cent­age du PNB dépen­sé en R & D (4,8 %) ; numéro deux pour le nom­bre d’ingénieurs qual­i­fiés et pour le trans­fert de con­nais­sance entre l’in­dus­trie et le monde académique ; numéro trois pour les com­pé­tences dans les tech­nolo­gies de l’information.
Source : IMD World Com­pet­i­tive­ness Year­book 2008.

D’autre part, la vision ” gaulli­enne ” de David Ben Gou­ri­on a joué un grand rôle de levi­er, où se retrou­vent tant l’in­térêt éta­tique stric­to sen­su que les aspi­ra­tions sci­en­tifiques : l’homme d’É­tat vision­naire avait su voir d’emblée dans la sci­ence un des piliers majeurs du développe­ment du pays, bien con­seil­lé en cela par Haïm Weiz­mann, pre­mier prési­dent de l’É­tat d’Is­raël. Cette con­cep­tion n’est pas sans rap­pel­er celle qui fut à l’o­rig­ine de l’É­cole polytechnique.

Et com­ment ne pas ren­dre hom­mage à d’illus­tres pères fon­da­teurs de la sci­ence israéli­enne, aujour­d’hui défunts, tels que Nathan Rosen, dont le nom fig­ure dans le sigle du célèbre para­doxe EPR (Ein­stein-Podol­s­ki-Rosen), Yuval Nee­man en physique théorique des par­tic­ules élé­men­taires, Ephraïm Katzir en chimie, ou encore Giulio Rac­ah, grand nom de la physique atom­ique et molécu­laire, chas­sé par l’I­tal­ie de Mussolini ?

Il est évi­dent que les per­sé­cu­tions hitléri­ennes ont large­ment con­tribué, prin­ci­pale­ment aux USA mais aus­si en Israël, à la dis­sémi­na­tion d’un savoir qui a large­ment béné­fi­cié aux ter­res d’ac­cueil. Un même phénomène s’est joué avec l’an­tisémitisme du bloc sovié­tique, qui a abouti à des vagues suc­ces­sives d’im­mi­gra­tion d’une pop­u­la­tion haute­ment qual­i­fiée. Véri­ta­ble atout pour l’É­tat d’Is­raël, ce mou­ve­ment s’est ampli­fié avec la chute du mur de Berlin et les dif­fi­cultés économiques de l’ex-URSS. 

Le modèle anglo-saxon


Le Tech­nion de Haïfa

La recherche israéli­enne est organ­isée essen­tielle­ment sur le mod­èle uni­ver­si­taire anglo-sax­on. Une analyse plus fine per­met de dis­tinguer trois mod­èles insti­tu­tion­nels prin­ci­paux : les cam­pus uni­ver­si­taires, les insti­tuts de recherche et les insti­tuts de technologie.

Les cam­pus uni­ver­si­taires pro­pre­ment dits sont au nom­bre de cinq, gérés de façon autonome et sou­vent en sit­u­a­tion de con­cur­rence forte sur un pré car­ré rel­a­tive­ment restreint.

La plus anci­enne est l’U­ni­ver­sité hébraïque de Jérusalem, dont Albert Ein­stein comp­tait par­mi les mem­bres fon­da­teurs. Elle com­porte des départe­ments de recherche au meilleur niveau inter­na­tion­al, par­mi lesquels les math­é­ma­tiques se distinguent.

Son antenne agronomique à Rehovot est un cam­pus en soi, à laque­lle on doit des avancées remar­quables dans le domaine agronomique (développe­ment de tech­niques d’hy­bri­da­tion et recherch­es de pointe en biolo­gie végé­tale). Citons égale­ment ses deux prix Nobel d’é­conomie, Daniel Kah­ne­man en 2002 et Robert Aumann en 2005.

Aux portes du désert 

L’u­ni­ver­sité de Tel-Aviv est de créa­tion plus récente. Citons l’in­for­ma­tique et ” l’elec­tri­cal engi­neer­ing ” comme des lieux de recherche par­ti­c­ulière­ment performants.

L’u­ni­ver­sité de Beer-She­va matéri­alise la com­posante uni­ver­si­taire et tech­nologique du rêve de Ben Gou­ri­on de dévelop­per le Néguev. Située aux portes de ce désert, elle compte une fac­ulté de médecine et un insti­tut de biotech­nolo­gies réputés.

L’u­ni­ver­sité de Bar-Ilan, à car­ac­tère tra­di­tion­al­iste, est très ouverte à la moder­nité et aux sci­ences (com­pa­ra­ble à Bran­deis ou à Yeshi­va Uni­ver­si­ty aux USA). Elle com­porte des lab­o­ra­toires d’ex­cel­lence, en par­ti­c­uli­er en optique physique et en nanotechnologies.

Enfin, le Tech­nion de Haï­fa, qu’il serait erroné de com­par­er à une Grande École à la française, a été créé selon le mod­èle des Tech­nis­che Hochs­hulen à l’alle­mande au début du siè­cle dernier. Il a évolué vers le mod­èle anglo-sax­on (com­pa­ra­ble au MIT ou à Cal­tech) et s’est bril­lam­ment dis­tin­gué par l’at­tri­bu­tion du prix Nobel de chimie 2004 à deux de ses chercheurs, Avram Her­shko et Aaron Ciechanover. Il est présent sur pra­tique­ment tous les grands axes de recherche entre sci­ence et tech­nolo­gie et se dis­tingue par un effort mas­sif dans le domaine des nanotechnologies.

Prix Nobel et Nabi
Il faut citer la con­tri­bu­tion majeure d’A­da Yonath à la déter­mi­na­tion de la struc­ture des ribo­somes. Déjà récip­i­endaire du prix Wolf, elle vient d’obtenir le prix Nobel de chimie 2009. Notons aus­si la col­lab­o­ra­tion sci­en­tifique majeure sur le thème très fédéra­teur des ” nanobio­techno­logies ” dans le cadre d’un lab­o­ra­toire européen asso­cié regroupant trois insti­tuts du CNRS et l’In­sti­tut Weiz­mann sous le nom de ” Nabi “.

Parte­naire de l’U­nion européenne
Depuis 1996, Israël est asso­cié, c’est-à-dire parte­naire de plein droit, aux pro­grammes cadres de R & D de l’U­nion européenne, grâce à l’ac­tion d’Édith Cres­son, alors Com­mis­saire à la recherche. Le retour paraît excel­lent, tant pour Israël que pour le dynamisme de la recherche en Europe. La sélec­tion très com­péti­tive des ” Young Euro­pean Inves­ti­ga­tors ” a ain­si abouti cette année à retenir un nom­bre record de can­di­dats issus d’u­ni­ver­sités ou de cen­tres de recherche israéliens.

Un caractère pluridisciplinaire

Par­mi les insti­tuts de recherche, l’In­sti­tut Weiz­mann se dis­tingue par son ” lead­er­ship ” qui en fait un con­cen­tré sui gener­is de Max Planck Insti­tut, de CNRS ou encore de NSF. Il se dis­tingue par son car­ac­tère pluridis­ci­plinaire, voulu dès l’o­rig­ine, ain­si que par la qual­ité de ses chercheurs, recrutés au meilleur niveau inter­na­tion­al, et qui dis­posent de con­di­tions de tra­vail opti­males. Ses domaines de com­pé­tence sont répar­tis entre la physique et les sci­ences de la vie.

La néces­sité de dévelop­per un arme­ment de plus en plus sophistiqué

Soreq, à Yavné, au sud de Tel-Aviv, est un spin off de l’in­dus­trie nucléaire, présen­tant cer­taines analo­gies avec le LETI. Citons encore Rafael, cen­tre de recherche mil­i­taire de haut niveau près de Haï­fa, ou encore le Cen­tre de recherche nucléaire de Dimona, ces deux derniers menant des recherch­es haute­ment classifiées. 

Soutenir les entreprises

Les insti­tuts de tech­nolo­gie, qu’on pour­rait com­par­er à des IUT, mais à forte col­oration en recherche tech­nologique, ont la voca­tion affir­mée de développe­ment ou de sou­tien aux entre­pris­es. Les plus réputés sont ceux de Holon (ban­lieue de Tel-Aviv) et de Jérusalem, ce dernier com­por­tant un incu­ba­teur par­ti­c­ulière­ment effi­cient. Ils con­stituent un tis­su région­al per­for­mant dans la for­ma­tion de tech­ni­ciens supérieurs et d’ingénieurs.

La poule aux œufs d’or
On pour­rait para­phras­er le célèbre apho­risme prêté à Napoléon à pro­pos de l’É­cole poly­tech­nique : la sci­ence est bien ” la poule aux œufs d’or ” du jeune État d’Is­raël, et son plus sûr investisse­ment pour l’avenir : il y va non seule­ment de son indépen­dance et de sa capac­ité de défense, mais aus­si de la prospérité de son économie, avec voca­tion à devenir un puis­sant levi­er d’in­té­gra­tion et de prospérité régionale, appa­rais­sant comme le meilleur garant de la paix et de la sta­bil­ité dans la région.

Sig­nalons aus­si les liens forts et priv­ilégiés, pour des raisons his­toriques, avec les États-Unis et l’Alle­magne, au tra­vers de fonds bi-nationaux bien dotés. Sans être absente, la France ne fig­ure pas au même niveau : les struc­tures suc­ces­sive­ment mis­es en place se sont tou­jours heurtées à des lim­i­ta­tions budgé­taires con­traig­nantes, au détri­ment du poten­tiel de coopéra­tion entre les deux pays et de la volon­té affir­mée des deux com­mu­nautés de chercheurs.

Après les pro­grammes Ariel et Keshet (Arc-en-ciel), c’est main­tenant au Haut Con­seil fran­co-israélien pour la coopéra­tion sci­en­tifique et tech­nologique que revient le choix du lance­ment de deux thèmes de recherche tous les deux ans env­i­ron. Lors de sa dernière réu­nion en mai dernier, il a choisi le traite­ment et la ges­tion des eaux, ain­si que les aspects molécu­laires de mal­adies infec­tieuses. Par­mi les thèmes précé­dents, citons l’im­agerie biologique et médi­cale, les math­é­ma­tiques ou encore la bio-infor­ma­tique et, plus anci­en­nement, les nanotechnologies.

Cepen­dant, nos col­lègues israéliens ten­dent à se plain­dre d’un déni de con­sid­éra­tion, tant au niveau de la classe poli­tique réputée peu à l’é­coute, que de l’opin­ion, sen­ti­ment qui peut paraître éton­nant au regard de ce qui précède mais qui témoigne que la société israéli­enne subit les mêmes ten­dances que le reste du monde occidental.

Le développement technologique


Tour solaire de l’in­sti­tut Weizmann

Le développe­ment de la tech­nolo­gie, en Israël, est un phénomène très ancien, puisque la Pales­tine, par­tie de l’Em­pire ottoman, a béné­fi­cié des liens étroits qui exis­taient, à la fin du xixe siè­cle, entre ce pays et l’Alle­magne, alors fer de lance du développe­ment indus­triel. Le Tech­nion de Haï­fa fut créé par des immi­grés alle­mands en 1912 comme un col­lège tech­nique, où la langue de tra­vail était l’allemand.

La Pre­mière Guerre mon­di­ale a mod­i­fié sen­si­ble­ment la donne : l’alle­mand fut rem­placé par l’hébreu lors de la créa­tion offi­cielle du Tech­nion en 1924, ce qui a obligé à un grand effort de créa­tiv­ité linguistique…

La créa­tion de l’É­tat d’Is­raël, dont la classe dirigeante prove­nait essen­tielle­ment de pays à forte cul­ture tech­nologique, a ren­for­cé cette car­ac­téris­tique. De plus, la néces­sité de dévelop­per un arme­ment de plus en plus sophis­tiqué a créé, à côté (en par­tie au sein) du sys­tème académique, un secteur de fort poten­tiel sci­en­tifique et tech­nique, et ren­for­cé les con­tacts avec des pays de très haut niveau : la Grande-Bre­tagne (que l’on se rap­pelle le rôle de Chaïm Weiz­mann, évo­qué plus haut), la France (avec la col­lab­o­ra­tion dans les domaines nucléaire et aéro­nau­tique), les États-Unis, avec de nom­breuses aven­tures plus ou moins réussies comme le pro­jet d’avion de chas­se ” Lavi “. Le poten­tiel intel­lectuel et la cul­ture four­nis­saient un ter­reau de grande qualité.

Informatique et biotechnologies

Deux faits politiques
La trans­for­ma­tion de la société civile, avec le développe­ment de l’in­no­va­tion et de la créa­tion d’en­tre­pris­es, peut être cor­rélée avec deux faits poli­tiques majeurs : la fin de l’é­conomie d’É­tat avec l’ar­rivée au pou­voir du libéral Netanya­hou, et l’ar­rivée après la chute du mur de Berlin de 700 000 Juifs d’ex-URSS, de haut niveau d’é­d­u­ca­tion et dont l’emploi dépendait, en tout pre­mier lieu, de la créa­tion d’en­tre­pris­es nouvelles.

Les élé­ments tech­niques majeurs qui ont per­mis cette trans­for­ma­tion ont été le développe­ment de l’in­for­ma­tique et de ses appli­ca­tions aux télé­com­mu­ni­ca­tions, ain­si que celui des biotech­nolo­gies. Le point com­mun de ces activ­ités est qu’elles peu­vent être faible­ment cap­i­tal­is­tiques et qu’il est pos­si­ble, dans un sys­tème libéral, d’y faire for­tune sur la base de seules ressources en matière grise : l’ex­em­ple de Check Point, ven­due à des investis­seurs améri­cains pour plusieurs mil­liards de dol­lars, a fait des émules.

L’É­tat a accom­pa­g­né et encour­agé les inno­va­teurs et les créa­teurs d’en­tre­prise avec des dis­posi­tifs comme le Mati­mop (en français, Cen­tre indus­triel pour la recherche et le développe­ment), pro­gramme géré par le min­istère de l’In­dus­trie, plus spé­ciale­ment, ” l’Of­fice of the Chief Sci­en­tist “, ou encore avec l’au­tori­sa­tion, don­née aux uni­ver­sités, de dévelop­per des entités de ges­tion de l’in­no­va­tion et de créa­tion d’en­tre­pris­es (la fil­iale Yeda de l’In­sti­tut Weiz­mann, précurseur dès les années soix­ante ; Research and Devel­op­ment Foun­da­tion du Tech­nion ; Yssum de l’U­ni­ver­sité hébraïque de Jérusalem ; Ramot de l’u­ni­ver­sité de Tel-Aviv).

Une poli­tique active de val­ori­sa­tion de la R & D.

Cette poli­tique active de val­ori­sa­tion de la R & D per­met d’at­tir­er dans le voisi­nage des grands cam­pus des entre­pris­es de toutes dimen­sions, y com­pris très grandes (Intel à Jérusalem ou Hewlett Packard à Rehovot). Le parc indus­triel de Rehovot, pra­tique­ment mitoyen de l’In­sti­tut Weiz­mann, évoque la Sil­i­con Val­ley. Des parcs indus­triels com­pa­ra­bles sont situés autour de l’u­ni­ver­sité de Tel-Aviv et de l’U­ni­ver­sité hébraïque de Jérusalem.

Des investisseurs étrangers

Le suc­cès appelant le suc­cès, Israël attire depuis plusieurs années des investis­seurs étrangers, notam­ment français :

plus que des struc­tures astu­cieuses ou spé­ciale­ment inci­ta­tives, c’est l’e­sprit d’en­tre­prise et d’in­no­va­tion, présent dans l’ensem­ble de la société israéli­enne, qui explique ses per­for­mances en la matière ; c’est lui qui jus­ti­fie l’in­térêt que beau­coup de pays mon­trent sur ce point, à l’é­gard d’Is­raël et ce, mal­gré la sit­u­a­tion géopolitique

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