LES ÉLITES FRANÇAISES Essai critique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°659 Novembre 2010Par : Maurice Bernard (48)Rédacteur : Pierre LaszloEditeur : Paris - L'Harmattan - 2010 - 5-7, rue de l'École polytechnique, 75005 Paris.

Ce livre de Mau­rice Ber­nard (48) porte sur les élites fran­çaises, sur leur mode de for­ma­tion, leur place dans la socié­té et leur impact, en interne et en externe. C’est l’oeuvre d’un obser­va­teur atten­tif, scru­pu­leux, un rien désa­bu­sé aus­si. On sent l’au­teur déçu de ce que le rayon­ne­ment inter­na­tio­nal de la France, par ses cher­cheurs, ses écri­vains et artistes, ses entre­prises s’af­fai­blit. On pour­rait repro­cher à ce livre son constat d’in­suf­fi­sances et d’é­checs, au détri­ment de belles réus­sites pas­sées sous silence, comme celle de l’É­cole de Paris du mana­ge­ment. D’une écri­ture lim­pide, aux asser­tions la plu­part indis­cu­tables, il est mar­qué par la modes­tie et la franchise.

Couverture du livre : Les élites françaisesLe pre­mier tome ana­lyse, de façon logique et chro­no­lo­gique, la consti­tu­tion du sys­tème méri­to­cra­tique fran­çais. Il est pré­fa­cé par Thier­ry de Mont­brial (63).

Le second tome montre com­ment le sys­tème méri­to­cra­tique confère pou­voir, richesse et consi­dé­ra­tion dans la socié­té fran­çaise. Ray­mond Bou­don l’a préfacé.

Le troi­sième tome est un bilan cri­tique de la socié­té fran­çaise d’au­jourd’­hui. Il s’ouvre sur une pré­face de Jacques Lesourne (48).

En toute trans­pa­rence, je fus recru­té à l’É­cole poly­tech­nique comme ensei­gnant, alors que Mau­rice Ber­nard y diri­geait l’en­sei­gne­ment et la recherche. Mon propre par­cours, avec des séjours de longue durée à l’é­tran­ger, m’a per­mis d’y décou­vrir d’autres cultures que la nôtre. C’est à cette aune, com­pa­ra­tiste, que je dis­cu­te­rai les thèses de Bernard.

La pre­mière, la plus géné­rale, qui sert d’axe por­teur à tout le livre, est qu’une élite, sélec­tion­née pour son excel­lence comme pour sa pour­suite de l’ex­cel­lence, a voca­tion à être diri­geante. Cette péti­tion de prin­cipe est contes­table. L’exemple amé­ri­cain montre qu’une telle approche top-down s’a­vère sou­vent moins per­for­mante qu’une approche bot­tom-up. On se sou­vien­dra, à ce pro­pos, du réqui­si­toire de Richard P. Feyn­man à l’en­contre de la pre­mière, qu’il ren­dit res­pon­sable du désastre de la navette spa­tiale Chal­len­ger. De plus, notre pays est suf­fo­qué par le poids de l’ad­mi­nis­tra­tion. La longue his­toire de France, État fort et cen­tra­li­sé, l’ex­plique ; com­ment donc remo­bi­li­ser les acteurs de l’é­co­no­mie et les arti­sans de la culture, afin de revi­go­rer notre pays ?

Ma seconde remarque porte sur les pré­pas. Ber­nard, qui les pré­sente avec soin et une riche docu­men­ta­tion, m’a paru néan­moins glis­ser un peu rapi­de­ment sur leur néga­tif (un bagne deux ou trois ans durant ; le pro­blème du concours, bien posé, élé­gant, suite de varia­tions sur un thème qui per­met aux plus astu­cieux de grap­piller des points et de faire le trou, mais pas­sa­ble­ment décon­nec­té d’a­vec la réa­li­té) comme sur leur posi­tif (la cama­ra­de­rie avec d’autres intel­li­gences et quelques sur­doués ; les colles, qui vous forment dura­ble­ment à expo­ser, même à des audi­toires hos­tiles). Le reproche majeur à faire aux pré­pas, symp­to­ma­tiques en cela de notre ensei­gne­ment public dans son ensemble, est de for­ma­ter les indi­vi­dus au même moule. Si les Bri­tan­niques engrangent les Nobel, leur véri­table culte de l’ex­cen­tri­ci­té y est pour quelque chose.

Ma troi­sième remarque est d’ordre épis­té­mo­lo­gique. L’en­sei­gne­ment fran­çais n’a pas comme seules carac­té­ris­tiques son abs­trac­tion et sa domi­na­tion par les mathé­ma­tiques. Il est plom­bé, de manière plus géné­rale encore, par le car­té­sia­nisme et le rai­son­ne­ment déduc­tif, plu­tôt qu’in­duc­tif. Certes, il est de bonne méthode de réduire la dif­fi­cul­té, de pro­cé­der de manière ana­ly­tique. Néan­moins, cette manière de confron­ter les situa­tions n’est pas la seule, ni sys­té­ma­ti­que­ment la meilleure. Face à la com­plexi­té, qui est de règle de nos jours, d’autres approches, empi­riques, voire même holistes, maî­trisent mieux les phénomènes.

Je recom­mande vive­ment la lec­ture de cet ouvrage, qui pose un diag­nos­tic objec­tif d’une situa­tion pré­oc­cu­pante. C’est un livre cou­ra­geux, qui vient à son heure. Les déci­deurs de tout bord auront grand avan­tage à le lire pour citer des faits exacts et se convaincre d’a­gir dans leur propre sphère, et d’y induire d’ur­gentes réformes.

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