Solutions de stockage des déchets nucléaires

Les défis techniques et sociétaux du stockage des déchets nucléaires

Dossier : Le nucléaireMagazine N°780 Décembre 2022
Par Elsa LEMAÎTRE-XAVIER (X09)

L’impact à long terme de la fil­ière nucléaire sur l’homme et l’environnement est directe­ment lié au devenir des déchets nucléaires générés. La France s’est dotée d’un cadre nor­matif robuste et éthique, et des solu­tions de ges­tion à long terme exis­tent. Il reste à met­tre en œuvre les solu­tions de stock­age des déchets à vie longue à l’étude et, le cas échéant, à inté­gr­er les impacts de nou­veaux scé­nar­ios de poli­tique énergé­tique, inclu­ant la con­struc­tion de réac­teurs sup­plé­men­taires. L’implication de la société civile autour d’une gou­ver­nance durable et adap­tée au développe­ment pro­gres­sif des cen­tres de stock­age con­stitue un enjeu com­plé­men­taire aux défis tech­niques. 

Défi­nis comme des sub­stances radioac­tives pour lesquelles aucune util­i­sa­tion ultérieure n’est prévue ou envis­agée, les déchets radioac­t­ifs font sou­vent l’objet de fab­u­la­tions dans l’imaginaire col­lec­tif. Pour­tant la poli­tique française asso­ciée est struc­turée, prag­ma­tique, éthique et doc­u­men­tée. Pour­tant la poli­tique française asso­ciée est struc­turée, prag­ma­tique, éthique et doc­u­men­tée. Cette poli­tique s’appuie sur le principe fon­da­men­tal d’une recherche et d’une mise en œuvre de solu­tions pour la ges­tion de ces déchets. Elle ne doit pas être dif­férée afin de prévenir et lim­iter les charges à sup­port­er par les généra­tions futures. La poli­tique française de traite­ment des déchets nucléaires vise à assur­er leur ges­tion durable, dans le respect de la pro­tec­tion de la san­té des per­son­nes, de la sûreté et de l’environnement. 

Un cadre normatif robuste 

Cette poli­tique s’inscrit de nos jours dans un cadre lég­is­latif et régle­men­taire robuste, dont la grande majorité des dis­po­si­tions sont décrites au sein du code de l’environnement. Celui-ci définit des principes de ges­tion des déchets radioac­t­ifs, la garantie de la disponi­bil­ité des finance­ments néces­saires par les pro­duc­teurs et des mesures de trans­parence, inclu­ant des dis­po­si­tions en matière d’évaluation indépen­dante des recherch­es, d’information du pub­lic et de dia­logue avec l’ensemble des par­ties prenantes. En décli­nai­son, l’élaboration et le suivi de la feuille de route se matéri­alisent par un Plan nation­al de ges­tion des matières et des déchets radioac­t­ifs (PNGMDR), piloté par la direc­tion générale de l’énergie et du cli­mat au sein du min­istère de la Tran­si­tion écologique, actu­al­isé tous les cinq ans et fix­ant un pro­gramme de recherch­es et de réal­i­sa­tions assor­ti d’un cal­en­dri­er. 

L’inventaire national et l’Andra 

Indépen­dante des pro­duc­teurs, l’Andra (Agence nationale pour la ges­tion des déchets radioac­t­ifs) est un étab­lisse­ment pub­lic chargé de con­cevoir, met­tre en œuvre et garan­tir des solu­tions de ges­tion sûres pour l’ensemble des déchets radioac­t­ifs français sur le très long terme. Elle assure en par­ti­c­uli­er une mis­sion de ser­vice pub­lic pour l’élaboration de l’Inven­taire nation­al. Véri­ta­ble out­il de référence, il four­nit chaque année une vision aus­si com­plète et exhaus­tive que pos­si­ble des quan­tités de déchets radioac­t­ifs en prove­nance des cinq secteurs économiques : élec­tronu­cléaire (cen­tres nucléaires de pro­duc­tion d’électricité et indus­tries du cycle du com­bustible), recherche (domaine du nucléaire civ­il, médi­cal, agronomie, chimie…), défense (propul­sion nucléaire pour les besoins des armées), indus­trie non élec­tronu­cléaire (extrac­tion de ter­res rares, con­trôle de soudure, stéril­i­sa­tion…) et médi­cal (activ­ités diag­nos­tiques et thérapeu­tiques). Toutes les don­nées sont mis­es à dis­po­si­tion du pub­lic en open data, sur inventaire.andra.fr et data.gouv.fr. 


90 % des déchets radioactifs produits ont une solution de gestion à long terme 

Selon la dernière mise à jour, à fin 2020, plus de 1,6 mil­lion de mètres cubes de déchets radioac­t­ifs sont présents sur le sol français, dont 60 % provi­en­nent du secteur élec­tronu­cléaire. Le mode de ges­tion retenu dépend de leur clas­si­fi­ca­tion, qui repose sur deux
paramètres : le niveau de radioac­tiv­ité et la péri­ode radioac­tive des radionu­cléides présents dans les déchets. Ain­si la prise en charge de chaque type de déchets néces­site la mise en œuvre ou le développe­ment de moyens spé­ci­fiques appro­priés à la dan­gerosité qu’ils présen­tent et à leur évo­lu­tion dans le temps. 

90 % des déchets radioac­t­ifs pro­duits chaque année en France sont des­tinés à être pris en charge par l’un des trois cen­tres indus­triels de stock­age de sur­face de l’Andra, solu­tion retenue pour assur­er leur ges­tion à long terme. Ouvert en 1969, le Cen­tre de stock­age de la Manche est le pre­mier cen­tre indus­triel de stock­age des déchets radioac­t­ifs exploité en France. Après vingt-cinq années d’exploitation, le relai a été passé au Cen­tre de stock­age de l’Aube (CSA), qui accueille depuis 1992 les déchets de faible ou moyenne activ­ité prin­ci­pale­ment à vie courte (FMA-VC) issus des déchets d’exploitation et de main­te­nance des instal­la­tions nucléaires. À prox­im­ité, le Cen­tre indus­triel de regroupe­ment, d’entreposage et de stock­age (Cires) a ouvert ses portes en 2003 et accueille les déchets de très faible activ­ité (TFA) majori­taire­ment issus des déchets de déman­tèle­ment (out­ils, fer­railles, terre, gra­vats…). La sûreté du stock­age repose sur les col­is qui con­ti­en­nent les déchets, les ouvrages de stock­age dans lesquels sont placés les col­is et la cou­ver­ture de pro­tec­tion qui sera dis­posée au-dessus des ouvrages, et la géolo­gie du site qui con­stitue une bar­rière à long terme. 


Des solutions de stockage pour les déchets les plus radioactifs

Con­cer­nant les déchets radioac­t­ifs qui ne dis­posent pas aujourd’hui d’un mode de ges­tion défini­tif, le PNGMDR déter­mine les objec­tifs à attein­dre. Les actions visant à réduire leur vol­ume et leur nociv­ité ou à con­cevoir et réalis­er des entre­posages (solu­tion tem­po­raire) sont portées par les pro­duc­teurs. La con­cep­tion et la réal­i­sa­tion de stock­ages (solu­tion défini­tive) sont de la respon­s­abil­ité de l’Andra. Les 10 % de déchets restants ne peu­vent être stock­és en sur­face car ils con­ti­en­nent une majorité de radionu­cléides à vie longue. Deux solu­tions sont notam­ment à l’étude par l’Andra : pour les déchets faible­ment radioac­t­ifs à vie longue (FA-VL) un stock­age à faible pro­fondeur et, pour les déchets moyen­nement radioac­t­ifs et haute­ment radioac­t­ifs (MA-VL/HA), un stock­age pro­fond réversible au tra­vers du pro­jet Cigéo (Cen­tre indus­triel de stock­age géologique). 

Le projet Cigéo

Ce pro­jet con­cerne les déchets issus du retraite­ment du com­bustible usé ser­vant au fonc­tion­nement des cen­trales nucléaires. Après quinze ans de recherche sur les trois grandes ori­en­ta­tions fixées par la loi n° 1991–1381, dite loi Bataille, et divers­es éval­u­a­tions inclu­ant celle prévue par l’Autorité de sûreté nucléaire, le principe du stock­age pro­fond a été retenu par la loi n° 2006–739 comme étant la seule solu­tion sûre pour gér­er à long terme ce type de déchets sans en reporter la charge sur les généra­tions futures.

“Le principe du stockage profond a été retenu comme étant la seule solution sûre.”

S’agissant de la sépa­ra­tion-trans­mu­ta­tion, il a été con­sid­éré que cette solu­tion ne pour­rait pas con­cern­er la total­ité des déchets con­cernés. Con­cer­nant l’entreposage de longue durée, qui se défini­rait comme un entre­posage conçu pour une durée au-delà de la cen­taine d’années, il a été estimé qu’il ne pou­vait pas con­stituer une solu­tion défini­tive au regard de l’exigence req­uise d’un con­trôle con­tinu sur le très long terme.

Enfin l’Andra s’est appuyée sur un lab­o­ra­toire souter­rain con­stru­it en 2000 et implan­té à 490 m de pro­fondeur, pour démon­tr­er la fais­abil­ité et la sûreté d’un stock­age pro­fond dans une couche de roche argileuse, sta­ble depuis 160 mil­lions d’années et recon­nue pour son imper­méa­bil­ité et sa capac­ité à con­fin­er la radioac­tiv­ité. À not­er que la solu­tion du stock­age pro­fond fait l’objet d’un con­sen­sus à l’international. 

Le projet Cigéo à terminaison pour le stockage des déchets nucléaires
Vue en bloc dia­gramme des instal­la­tions de sur­face et souter­raines de Cigeo. Schema de principe.

Des enjeux techniques et sociétaux

La con­duite de ces pro­jets présente des enjeux tech­niques et socié­taux nota­bles. Pour les déchets FA-VL, la prochaine étape est de définir dif­férents scé­nar­ios de ges­tion pour ces déchets et de con­tin­uer à tra­vailler notam­ment sur les options tech­niques et de sûreté d’un poten­tiel stock­age à faible pro­fondeur. Dans le cas du pro­jet Cigéo, ces dernières années ont été dédiées à la con­cep­tion d’un cen­tre indus­triel. Les études détail­lées obtenues ont per­mis de franchir à l’été 2020 le jalon du dépôt du dossier de demande d’utilité publique (DUP), dont l’étude d’impact est la pièce cen­trale, et le jalon de dépôt de la demande d’autorisation de créa­tion est prévu très prochaine­ment. En par­al­lèle, des actions de con­cer­ta­tion avec le pub­lic ont été menées, entre autres, sur la phase indus­trielle pilote et la gou­ver­nance du pro­jet. 

Prévisionnel : premiers colis stockés en 2035–2040

La phase indus­trielle pilote cor­re­spond aux pre­mières années de con­struc­tion et de fonc­tion­nement de Cigéo. En effet, il est prévu que cette instal­la­tion d’ampleur (15 km2 de galeries souter­raines et durée d’exploitation totale estimée à 120 ans) soit con­stru­ite pro­gres­sive­ment. Selon le cal­en­dri­er actuel du pro­jet, les pre­miers col­is de déchets radioac­t­ifs sont atten­dus à l’horizon 2035–2040.

Cette phase pilote joue un rôle clé pour con­forter les don­nées util­isées pour la démon­stra­tion de sûreté, dans des con­di­tions réelles et en com­plé­ment des essais réal­isés au lab­o­ra­toire. Elle a égale­ment pour objec­tif de réalis­er des essais sur la récupéra­bil­ité des col­is, out­il tech­nique néces­saire à la réversibil­ité de l’installation, car­ac­téris­tique entérinée par la loi n° 2016–1015.

La réversibil­ité se définit comme la capac­ité pour les généra­tions suc­ces­sives soit de pour­suiv­re la con­struc­tion puis l’exploitation des tranch­es suc­ces­sives d’un stock­age, soit de réé­val­uer les choix défi­nis antérieure­ment et de faire évoluer les solu­tions de ges­tion. En par­al­lèle du dépôt de la demande d’autorisation de créa­tion et du suivi de son instruc­tion, les grandes étapes à venir sont la réal­i­sa­tion de travaux pré­para­toires, ain­si que la pré­pa­ra­tion des méth­odes et du sché­ma indus­triel de réal­i­sa­tion. 

Des solutions adaptables aux différents scénarios de politique énergétique de la France ? 

L’Inven­taire nation­al four­nit égale­ment, tous les cinq ans, des esti­ma­tions prospec­tives des quan­tités de matières et déchets selon plusieurs scé­nar­ios con­trastés con­cer­nant le devenir des instal­la­tions nucléaires et la poli­tique énergé­tique de la France à long terme. 

L’analyse des inven­taires prospec­tifs de l’édition 2018, fondés sur trois scé­nar­ios de renou­velle­ment du parc élec­tronu­cléaire français et d’un scé­nario de non-renou­velle­ment (arrêt du nucléaire), met notam­ment en avant d’une part que des capac­ités sup­plé­men­taires de stock­age en sur­face seront néces­saires dans tous les cas (nou­velles instal­la­tions ou exten­sion des instal­la­tions existantes). 

L’atteinte de la capac­ité autorisée du CSA inter­viendrait à l’horizon 2060 et celle du Cires à l’horizon 2040 (sous réserve de l’obtention de l’autorisation d’augmentation de capac­ité de stock­age en pro­jet). D’autre part, l’adaptabilité et la pro­gres­siv­ité de l’installation Cigéo, autres out­ils tech­niques de la réversibil­ité du pro­jet, per­me­t­tent de s’adapter aux dif­férents scé­nar­ios envis­agés. 

La ques­tion de la ges­tion des déchets fait par­tie inté­grante des travaux préal­ables à la déci­sion de l’État con­cer­nant la mise en œuvre de nou­veaux réac­teurs. Si les études prélim­i­naires mon­trent que ces déchets ne présen­tent aucun élé­ment tech­nique réd­hibitoire à leur prise en charge, elles ne préju­gent pas des proces­sus régle­men­taires et démoc­ra­tiques req­uis pour la ges­tion des déchets induits par de nou­veaux réacteurs. 

Nul doute que l’impact d’un tel pro­gramme sur le cycle du com­bustible et la ges­tion des déchets sera abor­dé dans le cadre du débat pub­lic « nou­veaux réac­teurs nucléaires et pro­jet Pen­ly » ouvert le 27 octo­bre 2022. L’exercice de clar­i­fi­ca­tion des con­tro­ver­s­es tech­niques, exigé par la Com­mis­sion nationale du débat pub­lic, per­me­t­tra de don­ner des élé­ments factuels aux citoyens par­tic­i­pants. 

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