Les auto-stéréogrammes : des images en relief

Dossier : ExpressionsMagazine N°633 Mars 2008
Par Marcel BOBY (59)

Regardez l’image ci-dessus, elle est nor­male n’est-ce pas ? Dis­ons qu’elle est en deux dimen­sions, pour­tant nous allons ensem­ble entr­er dans la troisième dimen­sion. Pour ce faire, rap­prochez votre vis­age le plus près pos­si­ble de l’image, vos yeux ne peu­vent alors accom­mod­er, lais­sez-les regarder dans le vide, comme cela vous arrive par­fois quand vous êtes fatigué… ou rêveur. Reculez alors douce­ment l’image, les yeux déten­dus, surtout ne la fix­ez pas… À un moment vos yeux dis­tinguent deux images, puis ces deux images se rap­prochent : l’effet de relief est obtenu. Main­tenant vous pou­vez regarder l’image et vous y promen­er pour observ­er tel ou tel détail : vous êtes entré dans la troisième dimen­sion ! Vous n’avez pas réus­si ? nor­mal, cette gym­nas­tique est nou­velle pour votre oeil. Un peu de patience, déten­dez-vous, relax­ez-vous… quelques essais encore si néces­saire et vous serez tout sur­pris du résul­tat ! Avec l’habitude, vous ne serez plus obligé de rap­procher le dessin de votre vis­age, il vous suf­fi­ra de laiss­er l’image à sa dis­tance nor­male et comme précédem­ment de laiss­er votre regard aller dans le vide, déten­du, sans rien fix­er. Cer­taines per­son­nes y réus­sis­sent spon­tané­ment, bra­vo si c’est votre cas. Sinon, encore un effort : le suc­cès est cer­tain. Main­tenant, à vous de jouer, bonne prom­e­nade dans la troisième dimension. 

L’ŒIL ET LE CERVEAU : LA VISION EN RELIEF

Les images tridi­men­sion­nelles qui illus­trent cet arti­cle sont des images imprimées nor­male­ment, sur papi­er ordi­naire, et que l’on est capa­ble de voir en relief sans aucun dis­posi­tif. Elles sont appelées « auto-stéréo­grammes ». D’autres procédés de vision en relief exis­tent, que vous con­nais­sez sans aucun doute. Tous deman­dent un matériel par­ti­c­uli­er, sou­vent sophis­tiqué, pour créer ou pour regarder les images. Au fait, quel phénomène per­met de voir en relief ? Est-ce une sim­ple illu­sion d’optique ? Lorsque nous regar­dons un objet, nous voyons son relief parce que, en fait, notre oeil droit et notre oeil gauche ne le regar­dent pas sous le même angle et voient cet objet dif­férem­ment. C’est aus­si grâce à cette vision dif­féren­ciée de nos yeux, que nous sommes capa­bles d’évaluer la dis­tance d’un objet. 

La vision d’un objet

Lorsque l’on regarde un objet, par exem­ple un cube, placé en face de soi, l’œil gauche et l’œil droit ne le voient pas sous le même angle. La vision de l’œil gauche est donc dif­férente de celle de l’œil droit et c’est le cerveau qui fait la syn­thèse des deux images et restitue une seule image con­forme à l’objet et en relief. (Voir sché­ma 1). Remar­quez aus­si que la face gauche du cube paraît plus grande vue par l’œil gauche que vue par l’œil droit, et inverse­ment pour la face droite du cube. 

La vision d’un paysage

Comme pour l’effet de relief d’un objet, c’est ce même phénomène de la vision dif­férente de chaque oeil qui per­met d’apprécier la dis­tance d’un objet par rap­port à soi et de nous ren­dre compte que l’un est plus éloigné que l’autre. Le dessin qui représente sché­ma­tique­ment deux poteaux le long d’une route est une illus­tra­tion de cette dif­féren­ci­a­tion oeil droit – oeil gauche. (Voir sché­ma 2). 

D’HIER À AUJOURD’HUI : LES PROCÉDÉS DE VISION EN RELIEF

À l’ex­cep­tion des holo­grammes, tous les procédés qui per­me­t­tent de voir une image en relief par­tent du même principe : plac­er deux images cor­re­spon­dant à la per­cep­tion de chaque oeil. Le cerveau fait alors la même syn­thèse que si on regar­dait l’objet luimême : on « voit » l’objet en relief. (Voir sché­ma 3). 

Le stéréoscope

Le stéréo­scope est un appareil bien con­nu de tous. Deux lentilles per­me­t­tent de regarder deux pho­tos placées côte à côte, chaque oeil ne pou­vant voir que celle qui lui cor­re­spond. Pre­mier procédé de vision en relief mis au point, il a été inven­té au XIXe siè­cle et fut très en vogue jusqu’en 1870. Aujourd’hui, les stéréo­scopes et les vues stéréo­scopiques (en couleur bien sûr) se per­pétuent mais pour des usages essen­tielle­ment touris­tiques ou topographiques. 

Les anaglyphes

Les anaglyphes, ce sont ces images où deux pho­tos, l’une imprimée en vert et l’autre en rouge, sont imbriquées, et sont vis­i­bles à l’aide de lunettes dont les ver­res sont respec­tive­ment vert et rouge. Leur appli­ca­tion com­mer­ciale date de 1920. Depuis, les lunettes bicol­ores ont été rem­placées par des lunettes polar­isantes. Elles per­me­t­tent en par­ti­c­uli­er de voir des pho­togra­phies en couleur. C’est l’origine de films actuels en relief pro­jetés dans quelques salles spécialisées. 

Les réseaux lignés et lenticulaires

Cer­taine­ment avez-vous eu entre les mains ces cartes striées où, soit l’image est en relief ou, soit, en en changeant l’orientation, on voit appa­raître une autre image. Le plus sou­vent, il s’agit d’objets pub­lic­i­taires, domaine où ce procédé reste très util­isé. Il con­siste à découper un cou­ple d’images stéréo­scopiques en fines ban­des ver­ti­cales, puis à con­stituer une nou­velle image en alter­nant les ban­des des deux images. Une grille est placée devant cette image de telle sorte que chaque oeil ne puisse voir que les ban­des de l’image qui lui cor­re­spond. Ini­tiale­ment cette grille était con­sti­tuée de ban­des alter­na­tive­ment opaques et trans­par­entes. Ce masque appelé réseau ligné était une pho­togra­phie d’un dessin. Depuis le procédé a été très amélioré en rem­plaçant les réseaux lignés par des réseaux lentic­u­laires : une fine pel­licule en matière plas­tique trans­par­ente est fab­riquée de telle sorte qu’elle con­stitue un réseau de micro­len­tilles lon­gi­tu­di­nales, elle est ensuite col­lée sur l’image (dans le même sens que les ban­des qui con­stituent l’image). Grâce aux micro­len­tilles, chaque oeil ne voit que les ban­des de l’image qui lui sont des­tinées. Le résul­tat est remar­quable. Toute­fois le procédé est réservé aux pro­fes­sion­nels. En effet, il exige un équipement sophis­tiqué : appareil de prise de vues, ordi­na­teur et logi­ciel pour découper les pho­tos en ban­des ver­ti­cales et les mix­er, moyens de col­lage sur le sélecteur optique (ou d’impression au ver­so), le sélecteur optique étant lui-même pro­duit par des indus­triels spécialisés. 

Les hologrammes

L’holographie est d’une nature totale­ment dif­férente des autres procédés. Il ne s’agit pas d’images en deux dimen­sions vues en relief : un holo­gramme est un objet virtuel effec­tive­ment en relief. Très grossière­ment on peut dire que l’on pho­togra­phie, non pas l’image d’un objet, mais son éclairage par un fais­ceau laser. Ensuite, en éclairant le cliché obtenu, il ren­voie un ray­on­nement ana­logue à celui qu’il avait reçu lors de la prise de vue et recrée « l’objet ». En fait, on recrée, non pas l’objet lui-même, mais son « éclairage ». Le résul­tat est donc un objet virtuel, immatériel, dans l’espace, représen­ta­tion de l’objet ini­tial. Si la resti­tu­tion est en trois dimen­sions comme l’objet, elle est aus­si de la couleur du fais­ceau laser qui a éclairé l’objet d’où les tons de vert des holo­grammes. Il existe deux sortes d’hologrammes : – les plus courants sont les holo­grammes à réflex­ion, qui s’éclairent à la lumière d’une lampe. On peut en admir­er dans des expo­si­tions ou dans des musées con­sacrés à l’holographie ; – les plus spec­tac­u­laires sont les holo­grammes à trans­mis­sion, qui doivent être éclairés de der­rière, par un laser. L’image est alors devant le sup­port pho­tographique et peut attein­dre de très grandes dimen­sions. Ils ont con­sti­tué l’attraction prin­ci­pale de quelques grandes opéra­tions pub­lic­i­taires telles que celles organ­isées par Louis Vuit­ton ou Renault aux Champs-Élysées. Il s’agit bien évidem­ment d’un proces­sus de haute tech­nolo­gie qui n’est à la portée que de pro­fes­sion­nels qualifiés. 

Et les logiciels 3D ?

Vous avez cer­taine­ment enten­du le terme de logi­ciels 3D. Les médias en par­lent sou­vent en par­ti­c­uli­er à l’occasion de sor­ties de films d’animation. Leur objec­tif n’est pas de réalis­er des images en relief : ces logi­ciels extrême­ment puis­sants per­me­t­tent d’enregistrer toutes les don­nées spa­tiales d’un objet (ou d’un paysage). Ils sont capa­bles ensuite d’élaborer la vue de l’objet sous un angle quel­conque, même depuis un point à l’intérieur de l’objet. Par exem­ple on peut voir une mai­son de l’extérieur sous tous ses angles, y entr­er, s’y promen­er. Ils sont très util­isés, par exem­ple, par les archi­tectes ou les paysag­istes. En changeant très pro­gres­sive­ment le point de vue, on obtient des images suc­ces­sives : c’est le principe des films d’animation en images de syn­thèse. La qual­ité et le réal­isme des images de tels films peu­vent don­ner l’impression de relief mais ce ne sont pas des films en relief. Un logi­ciel 3D per­met de voir un objet dans toutes ses « dimen­sions » : le nom est donc réduc­teur mais le terme prête à con­fu­sion puisque ces logi­ciels ne per­me­t­tent pas de voir une image en trois dimensions. 

LES AUTO-STÉRÉOGRAMMES

Les auto-stéréo­grammes, appelés aus­si images tridi­men­sion­nelles, sont des images vis­i­bles aus­si bien en deux qu’en trois dimen­sions sans aucun dis­posi­tif, ni pour les pro­duire, ni pour les voir en relief. C’est leur grand intérêt par rap­port aux autres procédés. Pour voir une image tridi­men­sion­nelle en relief, il faut la regarder en « vison parallèle ». 

Vision parallèle et vision croisée

Savez-vous louch­er ? Cer­taine­ment, c’est la « vision croisée ». (Voir sché­ma ci-con­tre). La « vision par­al­lèle » est la manière de regarder un objet à l’horizon (à l’infini). Naturelle­ment, lorsque l’objet est rap­proché, les yeux ne le regar­dent pas en vision par­al­lèle. Pour y arriv­er, il faut faire la gym­nas­tique ocu­laire que vous avez apprise au début de cet article. 

Les deux types d’autostéréogrammes

Les plus con­nus sont les auto-stéréo­grammes « cam­ou­flés ». Ce sont des dessins abstraits, sou­vent géométriques, et, en les regar­dant en vision par­al­lèle, une forme, invis­i­ble en deux dimen­sions, appa­raît en vol­ume. L’auteur a lui-même pour­suivi les recherch­es en vues de réalis­er des dessins fig­u­rat­ifs qui soient de véri­ta­bles images. Ayant ain­si trou­vé les règles des images tridi­men­sion­nelles (ou retrou­vé ces règles car, à sa con­nais­sance, per- sonne ne les a pub­liées) il les a appliquées pour réalis­er les illus­tra­tions d’un ouvrage con­sacré à Georges Brassens, qui vient de paraître aux Édi­tions Didi­er Car­pen­tier (voir rubrique « Livres » La Jaune et la Rouge, novem­bre 2007). 

Principes des autostéréogrammes

Dans une image tridi­men­sion­nelle l’effet de relief est obtenu par la répéti­tion du même dessin. L’image de base est répétée plusieurs fois de gauche à droite mais en la mod­i­fi­ant à chaque fois pour que chaque oeil puisse voir l’image qui lui cor­re­spond. Regardez cette image tridi­men­sion­nelle (volon­taire­ment sim­pli­fiée). (Voir sché­ma ci-dessous). 

Vous con­statez que l’image de base, con­sti­tuée des trois per­son­nages, est répétée 4 fois et que les per­son­nages sont de plus en plus resser­rés en allant de gauche à droite. Si vous la regardez en vision par­al­lèle pour la voir en relief, vous pour­rez compter 5 groupes de per­son­nages. Que se passe-t-il donc ? Reprenons l’exemple du cube. Pourquoi voit-on trois cubes ? Parce que chaque oeil voit la total­ité de l’image et donc les deux cubes, le cube du cen­tre est la com­bi­nai­son des deux images, réal­isée par notre cerveau : il est en relief. Les cubes de droite et de gauche sont vus par un seul oeil : ils ne sont pas en relief. Pour pal­li­er cet incon­vénient, la solu­tion con­siste à avoir au moins trois images con­séc­u­tives d’un même objet. Ain­si avec qua­tre motifs con­sé­cu­tifs, lorsqu’on les regarde en vision par­al­lèle, on en voit cinq, les trois au cen­tre sont en relief mais ceux aux deux extrémités ne le sont pas. Ce n’est pas réelle­ment gênant car le regard se focalise au cen­tre de l’image et l’oeil croit voir en relief la total­ité du dessin. 

Si l’on regarde cette image en vision par­al­lèle, on voit trois cubes et celui du cen­tre est en relief

Les règles de réalisation d’une image tridimensionnelle

Une image est con­stru­ite à par­tir de plans ver­ti­caux suc­ces­sifs. Chaque plan est con­sti­tué de sujets stricte­ment iden­tiques et répétés. De plus, les sujets doivent être par­faite­ment alignés sur une ligne hor­i­zon­tale. L’espacement entre deux sujets iden­tiques est con­stant. Cet espace­ment est fonc­tion de la posi­tion du plan en pro­fondeur : plus le plan est éloigné, plus l’espacement sera impor­tant. Con­séquence : la per­spec­tive, par rap­port à une image habituelle, est inver­sée : des lignes cen­sées être par­al­lèles con­ver­gent vers l’observateur et non vers un point de fuite à l’horizon. Le posi­tion­nement des sujets dans un plan ver­ti­cal est lui aus­si très pré­cis, sinon il sem­blera trop haut et flot­tera dans l’air, ou trop bas et sera enfon­cé dans le sol. D’autres règles découlent de ces principes fon­da­men­taux, par exem­ple pour le dessin des plans hor­i­zon­taux, de plans obliques, d’objets eux-mêmes en relief, etc. 

De la nécessité d’utiliser un ordinateur

Que ce soit pour les auto-stéréo­grammes « cam­ou­flés » ou pour les dessins fig­u­rat­ifs, les règles de réal­i­sa­tion exi­gent une très grande pré­ci­sion de dessin, impos­si­ble à obtenir manuelle­ment. L’usage d’un ordi­na­teur est donc indis­pens­able : c’est pourquoi les pre­miers auto-stéréo­grammes ont été réal­isés dans les années 1960, et il a fal­lu encore atten­dre les micro-ordi­na­teurs et leurs out­ils graphiques pour que la tech­nique ne soit plus un frein rédhibitoire. 

QUELLES IMAGES PEUT-ON RÉALISER ?

Pour décider de réalis­er une image tridi­men­sion­nelle, il faut penser qu’elle doit répon­dre à plusieurs critères. Il n’est pas pos­si­ble de réalis­er en tridi­men­sion­nel n’importe quelle image. Il faut bien penser aus­si que le dessin que l’on va faire sera d’abord vu en deux dimen­sions avant d’être regardé en relief. La pre­mière con­di­tion, impéra­tive, est que l’image soit glob­ale­ment répéti­tive et que les sujets (objets, per­son­nages, motifs…) qui la com­posent soient eux-mêmes répétés. La répéti­tion ne doit être choquante ni en deux dimen­sions ni en relief. Le cas le plus sim­ple est celui d’une image dont le sujet est répéti­tif naturelle­ment. Un deux­ième cas est celui d’une image com­posée de sujets nom­breux. Étant décalés, leur répéti­tion n’est pas immé­di­ate­ment per­cep­ti­ble. Il est pos­si­ble aus­si de jouer sur la défor­ma­tion pro­gres­sive des sujets hor­i­zon­taux. Reste enfin le cas où c’est un choix artis­tique de l’auteur de l’image. D’autres con­di­tions doivent être présentes à l’esprit lors du choix du sujet d’une image puis de sa con­cep­tion. Des impos­si­bil­ités résul­tent, par exem­ple, du dessin en per­spec­tive inver­sée. Il est donc exclu de représen­ter des lignes qui se rejoignent en un point de fuite à l’horizon, des routes par exem­ple. Il doit être tenu compte de telles con­traintes dès la con­cep­tion ini­tiale de l’image

2 Commentaires

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Anonymerépondre
13 mars 2012 à 22 h 34 min

Une ques­tion
J’ai trou­vé très intéres­santes vos expli­ca­tions, mer­ci beaucoup !
Cepen­dant j’ai une ques­tion : votre sché­ma des cubes et votre exem­ple avec les groupes de bon­hommes se con­tred­it, non ? Ce n’est pas logique qu’on voit appa­raître un cinquième groupe …
Pou­vez-vous me l’expliquer ?
Mer­ci d’avance ! 🙂

Anonymerépondre
14 juin 2012 à 11 h 03 min

En fait le 5e groupe que l’on
En fait le 5e groupe que l’on voit appa­raitre n’est que la vision d’un seul œil, et non la com­bi­nai­son des images des deux yeux.

Sur 4 groupes de per­son­nes, seuls 3 appa­raitront en relief, et deux de chaque cotés seront en semi trans­parence (pour le groupe le plus a droite par exem­ple : image du groupe vu par l’oeil gauche + la page blanche vu par l’œil droit).

J’espère que cela vous aidera à y voir plus clair ! 😉

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