Economie circulaire en France

L’économie circulaire en France : des avancées et des enjeux qui persistent

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Roland MARION

Roland Mar­i­on, directeur Économie cir­cu­laire de l’ADEME, dresse pour nous un état des lieux de la ques­tion de l’économie cir­cu­laire en France. Économie de la fonc­tion­nal­ité, Respon­s­abil­ité Élargie des Pro­duc­teurs (REP), recy­clage, val­ori­sa­tion des déchets… il revient sur cha­cun de ces sujets et nous explique com­ment l’ADEME accom­pa­gne l’ensemble de ces par­ties prenantes. Rencontre.

Comment définissez-vous l’économie circulaire ? 

L’économie cir­cu­laire est sou­vent définie comme l’économie qui préserve les ressources naturelles. Aujourd’hui, le prin­ci­pal enjeu de l’économie cir­cu­laire est de réus­sir à faire tourn­er la matière de manière à stop­per l’épuisement des matières non-renou­ve­lables, et même renou­ve­lables. À terme, l’économie cir­cu­laire nous per­me­t­tra de garan­tir un main­tien de l’activité économique sans une pres­sion non durable sur les ressources naturelles. 

Très sou­vent, l’économie cir­cu­laire est opposée à l’économie linéaire que l’on résume ain­si « exploiter, pro­duire, con­som­mer, jeter ». Dans le con­texte actuel, il est de plus en plus évi­dent que ce mod­èle linéaire est de plus en plus obsolète. Au-delà, il nour­rit à tort l’idée que le recy­clage nous per­me­t­tra de ren­tr­er dans un monde cir­cu­laire. Or au regard de la crois­sance économique et démo­graphique du monde, cela n’est tout sim­ple­ment pas pos­si­ble. Chaque jour, nous avons besoin de tou­jours plus de matières pre­mières que la veille. Même si nous arriv­ions au taux de 100 % de recy­clage, nous ne cou­vriri­ons pas l’intégralité de nos besoins. Alors que le recy­clage n’est claire­ment pas le seul levi­er à action­ner pour ren­tr­er dans une économie cir­cu­laire. Au sein de l’ADEME, nous con­sid­érons que cette dernière doit repos­er sur trois piliers :

  • La pro­duc­tion, ou com­ment accom­pa­g­n­er les entre­pris­es afin d’adapter leurs mod­èles de pro­duc­tion pour qu’ils soient plus cir­cu­laires, y com­pris par la sobriété ; 
  • La con­som­ma­tion ou com­ment accom­pa­g­n­er nos conci­toyens dans l’évolution de leurs habi­tudes de con­som­ma­tion pour qu’elles soient plus respectueuses d’un mod­èle circulaire ;
  • La ges­tion des déchets, in fine, ou com­ment col­lecter, recy­cler et mieux val­oris­er les déchets. 

Nous entendons de plus en plus parler d’économie de la fonctionnalité. De quoi s’agit-il ?

Dans notre économie actuelle, les mod­èles aux­quels sont adossés la plu­part des entre­pris­es favorisent une pro­duc­tion de masse et donc une durée de vie lim­itée ou une forme d’obsolescence des produits. 

Nous essayons de pro­pos­er des mod­èles économiques alter­nat­ifs plus com­plex­es autour de la notion de fonc­tion­nal­ité. Ce mod­èle économique en émer­gence apporte aux entre­pris­es engagées dans une démarche de développe­ment durable une alter­na­tive crédible.

Au-delà, l’économie de la fonc­tion­nal­ité promeut une nou­velle rela­tion entre l’offre et la demande. Cette dernière n’est plus unique­ment basée sur la vente de biens ou de ser­vices, mais plutôt sur une nou­velle forme de con­trac­tu­al­i­sa­tion autour des effets utiles ou béné­fiques, d’une offre qui va s’adapter aux besoins réels de l’utilisateur et d’une prise en compte des enjeux de développe­ment durable. Par exem­ple, on passe de la vente d’un pho­to­copieur, ou bien de la vente de pneus, à une offre de ser­vice pour le même ser­vice ren­du. On inverse alors les intérêts économiques : mieux vaut priv­ilégi­er la durée de vie au détri­ment de l’obsolescence.

L’économie de la fonc­tion­nal­ité implique, par ailleurs, des trans­for­ma­tions pro­fondes des modes de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion : con­som­ma­tion sans pro­priété des biens, investisse­ment stratégique dans les ressources immatérielles de l’entreprise (développe­ment des com­pé­tences des salariés, man­age­ment coopératif…), développe­ment du réem­ploi et de la répa­ra­tion des biens, revenus liés aux effets utiles, répar­ti­tion équitable de la valeur entre les parte­naires de l’offre, nou­velle gou­ver­nance… Enfin, l’économie de la fonc­tion­nal­ité implique aus­si un nou­veau référen­tiel pour le développe­ment durable des ter­ri­toires et con­duit à la mise en place d’écosystèmes coopérat­ifs ter­ri­to­ri­al­isés asso­ciant des entre­pris­es, des col­lec­tiv­ités et des asso­ci­a­tions citoyennes. 

Comment l’ADEME accompagne le déploiement de l’économie de la fonctionnalité ? 

Nous avons lancé plusieurs actions en ce sens. Dès 2017, avec le cab­i­net ATEMIS, nous avons tra­vail­lé sur une vision prospec­tive de ce nou­veau mod­èle économique à hori­zon 2050. En par­al­lèle, nous prenons part à dif­férentes actions autour du développe­ment de ce mod­èle, avec l’institut européen de l’économie de la fonc­tion­nal­ité et de la coopéra­tion (IE-EFC) et les clubs régionaux sur l’économie de la fonctionnalité.

En par­al­lèle, l’ADEME accom­pa­gne les entre­pris­es dans leur évo­lu­tion vers ce nou­veau mod­èle de pro­duc­tion / con­som­ma­tion. Ces actions pren­nent notam­ment la forme de for­ma­tion-action de dirigeants d’entreprise, pro­jets indi­vidu­els d’entreprise, sémi­naires de sensibilisation… 

Plus récem­ment, en 2020, l’ADEME a lancé le pro­gramme de recherche-inter­ven­tion pour le développe­ment durable des ter­ri­toires, Coop’ter (Ter­ri­toire de Ser­vices et de Coopéra­tions). Ce pro­gramme sou­tient le lance­ment de nou­velles dynamiques ter­ri­to­ri­ales d’innovation, en se référant à l’économie de la fonc­tion­nal­ité. Basé sur une approche de « recherche-inter­ven­tion », Coop’ter a deux objec­tifs : la con­ver­sion opéra­tionnelle des pra­tiques économiques dans les ter­ri­toires et la trans­for­ma­tion des cadres con­ceptuels et théoriques.

Quels sont les freins rencontrés ? 

La bas­cule vers une économie de la fonc­tion­nal­ité est vertueuse en ter­mes d’éco-conception, de durée de vie, de rela­tion entre le client et le four­nisseur… Toute­fois, c’est une démarche com­plexe à met­tre en œuvre. Nous avons besoin d’entreprises pio­nnières prêtes à se lancer dans cette aven­ture pour expéri­menter et explor­er ce mod­èle économique afin d’avoir, in fine, un retour sur expéri­ence qui puisse béné­fici­er au plus grand nom­bre. Au-delà se pose aus­si la per­ti­nence de ce mod­èle dans l’économie B2C, où le con­som­ma­teur final à des exi­gences plus impor­tantes qui dépassent le volet pure­ment fonctionnel. 

Economie circulaire en France

Qu’en est-il des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) ? Comment fonctionnent-elles et comment s’inscrivent-elles dans le concept plus large de l’économie circulaire ? 

Les fil­ières à Respon­s­abil­ité Élargie du Pro­duc­teur (fil­ières REP) sont des objets économiques par­ti­c­uliers qui vont dépen­dre du droit français ou européen. Elles ont été con­stru­ites autour du principe selon lequel un pro­duc­teur qui met un pro­duit sur le marché sait que ce dernier a voca­tion à devenir un déchet. Sur le principe de « pol­lueur-payeur », il doit donc assumer aus­si une part de respon­s­abil­ité dans la ges­tion du déchet qui sera généré par le pro­duit qu’il met sur le marché. 

En France, la très grande majorité des pro­duits et des biens de con­som­ma­tion du quo­ti­di­en sont visés par une fil­ière REP. Con­crète­ment, cela veut dire que le prix d’achat inclut une « con­tri­bu­tion » qui est col­lec­tée par un organ­isme agréé par l’État et qui a aus­si la respon­s­abil­ité de répon­dre à un cahi­er des charges de l’État pour la ges­tion du déchet. Ces éco-organ­ismes sont, désor­mais, respon­s­able aus­si de la cir­cu­lar­ité des pro­duits mis sur le marché (réem­ploi, répa­ra­tion, durée de vie par exemple).

Les pre­mières fil­ières remon­tent à 1992. Leur déploiement s’accélère avec la loi AGEC de 2020 qui prévoit la créa­tion de plusieurs nou­velles fil­ières REP (arti­cles de sport, brico­lage, tabac, bâti­ment…). Autre­fois plutôt axées sur une logique de ges­tion de déchets, elles s’inscrivent doré­na­vant de plus en plus dans une logique de ges­tion de l’ensemble du cycle de vie des pro­duits : l’écoconception des pro­duits, la préven­tion des déchets, l’allongement de la durée d’usage (le réem­ploi, la réu­til­i­sa­tion, la répa­ra­tion), et la ges­tion de fin de vie des pro­duits. Ces fil­ières ren­con­trent évidem­ment des réti­cences impor­tantes (un pro­duit réem­ployé ou réparé est aus­si un pro­duit neuf inven­du). Les prin­ci­paux acteurs évolu­ent désor­mais très rapi­de­ment en ce sens, heureusement. 

Dans leur déploiement, quels sont les principaux enjeux selon vous ? 

Pour les plus récentes, il y a un enjeu de crois­sance. Par exem­ple, dans le monde du bâti­ment, on estime à 46 mil­lions de tonnes le vol­ume de déchets pro­duits. La fil­ière va indé­ni­able­ment avoir besoin de temps pour se struc­tur­er et attein­dre le niveau de matu­rité des plus anci­ennes fil­ières REP.

Il y a, en par­al­lèle, une réflex­ion à men­er sur le mod­èle des REP, qui est un mod­èle d’organisme de droit privé agréé par l’État et qui répond à une mis­sion que l’on peut qual­i­fi­er d’intérêt général. Ce mod­èle vient, en quelque sorte, per­cuter le mod­èle his­torique qui s’appuie sur les col­lec­tiv­ités qui ont his­torique­ment la com­pé­tence (et les finance­ments liés à ces com­pé­tences, la fameuse TEOM, taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères). Avec la REP, vont se pos­er des ques­tions d’équilibre entre les dif­férents acteurs : col­lec­tiv­ités, opéra­teurs de traite­ment de déchets et opéra­teurs de fil­ière REP. 

Il y a aus­si un enjeu au niveau de la mod­u­la­tion de l’éco-contribution en fonc­tion de la qual­ité envi­ron­nemen­tale du pro­duit. C’est une piste qui va per­me­t­tre d’engager les pro­duc­teurs vers des modal­ités de pro­duc­tion plus vertueuses, à con­di­tion idéale­ment qu’elles soient aus­si repris­es au niveau européen. 

En parallèle, la gestion et la valorisation des déchets restent un des leviers clés de l’économie circulaire. Comment appréhendez-vous ce volet au sein de l’ADEME ?

Face à la rareté crois­sante et l’épuisement des ressources, les ten­sions au niveau de l’approvisionnement énergé­tique et le change­ment cli­ma­tique, la sor­tie du mod­èle clas­sique « linéaire » de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion est une véri­ta­ble urgence. 

Dans ce cadre, l’État a con­fié à l’ADEME, au tra­vers du Fonds Économie cir­cu­laire, la mis­sion de met­tre en œuvre la poli­tique des déchets et, in fine, d’économie cir­cu­laire sur le ter­rain. Nous menons ain­si plusieurs actions his­toriques ren­for­cées depuis l’entrée en vigueur de la Loi de tran­si­tion énergé­tique pour la crois­sance verte du 17 août 2015 : aide à la con­nais­sance, aide à la réal­i­sa­tion, aide au change­ment de com­porte­ment et aides aux pro­grammes ter­ri­to­ri­aux afin de con­tribuer à l’atteinte des objec­tifs et ambi­tions de cette nou­velle poli­tique déchets. 

En par­al­lèle, nous tra­vail­lons aus­si sur le tri à la source des biodéchets, la préven­tion, le tri des déchets des activ­ités économiques, la tar­i­fi­ca­tion inci­ta­tive du ser­vice pub­lic déchets, le sou­tien à l’élaboration des plans régionaux de préven­tion et ges­tion des déchets… 

De manière plus générale, nous ciblons aus­si les entre­pris­es pour les inciter à inté­gr­er des matières recy­clées, plutôt que des matières vierges, pour répon­dre à la néces­sité d’une économie de la « sec­onde vie ».

Sur ce sujet, quels sont vos points d’attention ?

Au-delà de la per­for­mance de l’ensemble de la chaîne de valeur, nous accor­dons une atten­tion par­ti­c­ulière au plas­tique. Nous sommes face à un enjeu de sourc­ing, de car­ac­téri­sa­tion et de tri afin d’optimiser leur recy­clage dans les usines de recy­clage mécanique et chimique.

Sur les déchets ménagers, 30 % env­i­ron sont des biodéchets, une matière vivante qui peut être val­orisée par exem­ple via la méthani­sa­tion. Cela représente un vol­ume de 8 à 10 mil­lions de tonnes qui peu­vent être val­orisés en énergie. 

Sur l’ensemble de ces questions relatives à l’économie circulaire, où en est la France actuellement ? Quels sont selon vous les efforts qui doivent encore être fournis ? 

S’il est dif­fi­cile de nous posi­tion­ner parce que les références d’analyse dif­fèrent d’un pays à un autre, en Europe, la France fait par­tie des lead­ers et des pio­nniers en matière d’économie cir­cu­laire. L’écosystème français, qui s’est très tôt emparé du sujet, est très dynamique. Il est com­posé d’entreprises de toute taille, de start-up et d’associations. Il est aus­si très inno­vant et tra­vaille sur des sujets à la pointe de la tech­nolo­gie comme la recon­nais­sance automa­tique de déchets… 

À une échelle nationale, nous devons pour­suiv­re nos efforts en la matière. Pour accom­pa­g­n­er ce mou­ve­ment, nous tra­vail­lons à l’ADEME sur un indi­ca­teur de cir­cu­lar­ité pour iden­ti­fi­er les leviers d’optimisation à action­ner. Ce sera sans doute, dans les prochaines années, notre indi­ca­teur prin­ci­pal de ges­tion et de préser­va­tion des ressources.

Et pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs sur la thématique de l’économie circulaire ? 

À une échelle « macro », une réflex­ion s’impose sur la crois­sance économique et du PIB au regard de la pres­sion sur les ressources naturelles. Cela entraîne aus­si une réflex­ion plus glob­ale sur la con­som­ma­tion. Aujourd’hui, nous con­som­mons tous et toutes à hau­teur de notre pou­voir d’achat. Nous par­ticipons à cette pres­sion en con­tribuant à la crois­sance, via nos achats. Aujourd’hui, ce coût prend en compte dif­férents critères : l’exploitation, la main d’œuvre, le trans­port, la mise à dis­po­si­tion… Il me sem­ble néces­saire aus­si d’appréhender ce prix au tra­vers de la rareté de la matière première.

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