Vue du tunnel du Saint-Gothard

Le tunnel de base du Saint-Gothard, réussite humaine et technique

Dossier : Les mégaprojetsMagazine N°745 Mai 2019
Par Dieter SCHWANK
Par Nicolas STEINMANN

Les défis posés par la réa­li­sa­tion du tun­nel de base du Saint-Gothard, un tun­nel de 57 km, sont à la taille de l’ouvrage. Ils ont pu être rele­vés grâce au res­pect de règles éprou­vées, en par­ti­cu­lier en matière de ges­tion, de com­mu­ni­ca­tion et de gou­ver­nance, ce qui a per­mis de tenir les coûts et les délais.

Coupe montrant le tracé du tunnel du Saint-Gothard

Au cœur de l’Europe, la Suisse est tra­ver­sée par l’un des quatre plus impor­tants cor­ri­dors de fret reliant les ports du nord de l’Europe avec la Médi­ter­ra­née. Sa poli­tique de mobi­li­té a tou­jours vou­lu favo­ri­ser le trans­port fer­ro­viaire par rap­port au trans­port rou­tier, cela afin de pro­té­ger la région alpine des méfaits de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique pro­vo­quée par les gaz d’échappement des camions. Il aura fal­lu près d’un quart de siècle pour que l’on passe d’une volon­té poli­tique du gou­ver­ne­ment suisse de se doter des infra­struc­tures fer­ro­viaires néces­saires pour répondre de manière éco­lo­gique à l’augmentation du tra­fic de tran­sit à tra­vers les Alpes à l’inauguration, le 1er juin 2016, du tun­nel de base du Saint-Gothard, le plus long tun­nel fer­ro­viaire au monde.

La NLFA (nou­velle ligne fer­ro­viaire à tra­vers les Alpes) du Saint-Gothard est consti­tuée pour cette pre­mière étape de réa­li­sa­tion des tun­nels de base du Gothard (57 km) et du Cene­ri (15 km), cha­cun for­mé de deux tubes à simple voie dis­tants d’environ 40 à 50 mètres et reliés entre eux par des rameaux de com­mu­ni­ca­tion situés tous les 325 mètres. La réa­li­sa­tion par modules et en étape doit être assu­rée afin de com­plé­ter à l’avenir l’entier de la ligne de base qui s’étendra dans sa forme finale sur près de 160 km entre Zurich et Chiasso.

L’article aborde les dif­fé­rents défis aux­quels pareille aven­ture humaine et tech­nique a dû répondre.


REPÈRES

Même si l’aventure de la tra­ver­sée fer­ro­viaire des Alpes a com­men­cé avec le per­ce­ment des tun­nels de faîte du Gothard, du Sim­plon et du Löt­sch­berg entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, il aura fal­lu plu­sieurs ten­ta­tives au cours des soixante-quinze der­nières années, dont cer­taines vision­naires pour l’époque, pour que l’on puisse tra­ver­ser la chaîne alpine en emprun­tant une ligne à une alti­tude de plaine, s’affranchissant ain­si des fortes pentes des voies fer­rées construites quelque cent ans plus tôt.


Défis organisationnels

En man­da­tant les CFF pour réa­li­ser la ligne de base du Gothard, le Conseil fédé­ral a deman­dé que soit créée la filiale Alp­Tran­sit Got­thard SA, socié­té ano­nyme filiale des CFF, celle-ci ayant pour tâche la pla­ni­fi­ca­tion et la réa­li­sa­tion des tun­nels de base du Gothard et du Cene­ri, avant de remettre ces ouvrages aux CFF pour leur exploi­ta­tion fer­ro­viaire. La déci­sion de sépa­rer la res­pon­sa­bi­li­té de la réa­li­sa­tion de l’infrastructure de sa future exploi­ta­tion avait pour but d’assurer une conduite de pro­jet orien­tée prin­ci­pa­le­ment sur les risques liés à la construc­tion d’un tel ouvrage.

“Le contrat de construction de la technique ferroviaire
contenait 40 000 pages”

Pour un pro­jet d’une telle ampleur et de si longue durée, il n’est pas pos­sible d’engager des col­la­bo­ra­teurs de manière tem­po­raire. C’est donc à la créa­tion d’AlpTransit Got­thard en 1999 que la cin­quan­taine de col­la­bo­ra­teurs qui étaient impli­qués dans le pro­jet depuis sa genèse ont été trans­fé­rés des CFF chez ATG. Le début des tra­vaux a ensuite néces­si­té une aug­men­ta­tion du nombre de col­la­bo­ra­teurs et la créa­tion de quatre filiales sises proches des chan­tiers. Au plus fort du pro­jet, Alp­Tran­sit Got­thard a comp­té jusqu’à 170 postes à plein temps. Une ving­taine de man­dats de sou­tien à maître d’ouvrage et de maî­trise d’œuvre ont appor­té les ren­forts néces­saires à la conduite des dif­fé­rents pro­jets du génie civil et de la tech­nique ferroviaire.

Si l’intérêt tech­nique et le pres­tige ont cer­tai­ne­ment joué un rôle dans la moti­va­tion des col­la­bo­ra­teurs à s’engager chez Alp­Tran­sit Got­thard, il aura éga­le­ment fal­lu s’assurer de leur col­la­bo­ra­tion jusqu’à la fin de leurs fonc­tions au sein du pro­jet. Des condi­tions de tra­vail attrayantes conte­nues dans un contrat col­lec­tif de tra­vail mais aus­si des mesures d’accompagnement réglant la fin de la rela­tion de tra­vail ont été pré­vues très en amont et ont cer­tai­ne­ment par­ti­ci­pé à avoir un taux de rota­tion des col­la­bo­ra­teurs assez bas, ce qui a per­mis de main­te­nir les connais­sances et l’expérience acquises au sein de l’entreprise.

Défis liés à la gestion contractuelle

En qua­li­té de maître d’ouvrage, Alp­Tran­sit Got­thard a contrac­té depuis le lan­ce­ment du pro­jet d’infrastructure pas moins de 10 000 contrats dont plus de 1 000 contrats de construc­tion, tous adju­gés sur la base de sou­mis­sions répon­dant aux cri­tères d’exigence éta­blis dans l’Ordonnance sur l’adjudication des mar­chés publics. Si l’un des défis prin­ci­paux fut d’établir le plan­ning des sou­mis­sions et de coor­don­ner le début des tra­vaux de manière opti­male, il aura fal­lu en pre­mier lieu obte­nir les nom­breuses auto­ri­sa­tions de construire octroyées à la suite de pro­cé­dures d’approbation des plans dans les­quelles les aspects éco­lo­giques mais aus­si, pour les par­ties fer­ro­viaires sou­ter­raines, les aspects sécu­ri­taires ont pris une part prépondérante.

Ce ne sont pas moins de 500 pro­jets de détails qui ont été éta­blis par Alp­Tran­sit Got­thard, puis contrô­lés et fina­le­ment vali­dés par les auto­ri­tés com­pé­tentes avec à la clé l’octroi de l’autorisation de construire. Au final, une fois les équi­pe­ments fer­ro­viaires du tun­nel de base du Gothard réa­li­sés et vali­dés par des tests qui se seront éten­dus sur huit mois, l’ultime demande d’autorisation d’exploiter l’infrastructure fer­ro­viaire a été accor­dée dix jours avant la mise en ser­vice commerciale.

Ce genre de pro­cé­dures, tout comme les sou­mis­sions, com­prend une cer­taine dimen­sion « papier », même si aujourd’hui les dos­siers sont envoyés élec­tro­ni­que­ment. À titre d’exemple, le contrat de construc­tion de la tech­nique fer­ro­viaire, adju­gé au consor­tium Trans­tec Got­thard pour la somme de 1,7 mil­liard de CHF, conte­nait 40 000 pages et uti­li­sait une lon­gueur de rayon­nage de quelque huit mètres.

Franchissement des derniers mètres du tunnel du Saint-Gothard
En mars 2011, les ultimes mètres des 57 km du tun­nel du Saint-Gothard de base sont exca­vés : le fran­chis­se­ment des Alpes à une alti­tude de plaine devient peu à peu une réa­li­té. © ATG

Défis techniques du génie civil et de la technique ferroviaire

Construire un tun­nel de 57 km n’est pas chose aisée, d’autant plus si celui-ci se trouve sous les Alpes à une pro­fon­deur au-des­sous de la sur­face pou­vant atteindre jusqu’à 2 350 m de roche. Pour une pre­mière mon­diale, on ne peut se baser que peu ou prou sur des expé­riences déjà faites. Bien sûr, ce n’était pas le pre­mier tun­nel que l’on exca­vait sous les Alpes mais avec ses 150 km de puits, gale­ries et tun­nels de lon­gueurs cumu­lées repré­sen­tant un volume d’excavation cor­res­pon­dant à cinq fois la pyra­mide de Khéops, on a atteint des dimen­sions que l’on peut qua­li­fier de pharaoniques.

La pre­mière étape, com­men­cée en 1993, fut le lan­ce­ment de cam­pagnes de son­dages et de forages géo­lo­giques aux endroits cri­tiques du tra­cé sou­ter­rain et connus pour leur géo­lo­gie par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile. Il faut connaître l’environnement dans lequel on évo­lue, car la mon­tagne peut vous réser­ver toutes sortes de sur­prises jusqu’à ce que le der­nier mètre de paroi soit abat­tu. L’étape sui­vante fut la recherche de mesures per­met­tant une opti­mi­sa­tion du temps de construction.

« Il faut connaître l’environnement dans lequel on évolue. »

La méthode choi­sie fut celle des points d’attaques inter­mé­diaires : en réa­li­sant des gale­ries d’accès et des des­cen­de­ries se trou­vant au plus près de la sur­face, il était dès lors pos­sible de per­cer la mon­tagne en trois points sup­plé­men­taires, en sus des deux por­tails du tun­nel, ce qui a per­mis non seule­ment de dimi­nuer le temps d’excavation d’une année mais éga­le­ment de doter l’ouvrage sou­ter­rain de points d’alimentation en air frais, et, plus tard, per­mettre l’alimentation en éner­gie élec­trique pour l’exploitation de l’infrastructure. Si les points d’accès inter­mé­diaires, dont un puits de 820 mètres de pro­fon­deur, ont été réa­li­sés dès 1996, le per­ce­ment du tun­nel pro­pre­ment dit a débu­té en 2000 et c’est en mars 2011 que les der­niers pans de mon­tagne sont tombés.

L’une des phases de chan­tier les plus cri­tiques a été ren­con­trée alors que les tra­vaux de génie civil étaient en phase ter­mi­nale et que les équi­pe­ments fer­ro­viaires com­men­çaient à être ins­tal­lés, d’autant qu’une par­tie de ces tra­vaux avaient lieu au droit des por­tails, à proxi­mi­té immé­diate de la ligne fer­ro­viaire exis­tante et de l’autoroute, toutes deux en exploi­ta­tion. Ce cumul d’activités concen­trées sur un petit ter­ri­toire a néces­si­té la mise en place de solu­tions logis­tiques ori­gi­nales per­met­tant l’accélération des tra­vaux de fini­tion du génie civil. Ain­si, une fois la par­tie de l’armement fer­ro­viaire réa­li­sé, on a uti­li­sé les rails posés défi­ni­ti­ve­ment dans l’un des tubes pour effec­tuer les trans­ports ali­men­tant le chan­tier génie civil se trou­vant à 15 km du por­tail sud.

« La mise en place de solutions logistiques originales
permet l’accélération des travaux de finition du génie civil. »

Cette prio­ri­sa­tion des dis­po­ni­bi­li­tés a bien enten­du engen­dré des coûts sup­plé­men­taires et néces­si­té des négo­cia­tions avec toutes les entre­prises impli­quées dans la construc­tion, la solu­tion fina­le­ment choi­sie ayant été déter­mi­née après l’adjudication de tous les man­dats. Mais elle a per­mis de gagner une année pour la mise en ser­vice du tun­nel de base du Gothard.

inauguration du tunnel de base du Saint-Gothard
1er juin 2016 : inau­gu­ra­tion du tun­nel de base du Saint-Gothard. © ATG

Comme dans beau­coup de pro­jets sou­ter­rains, la par­tie génie civil du tun­nel repré­sente envi­ron 80 % des coûts finaux de l’ouvrage. Mais ce n’est qu’une fois l’armement fer­ro­viaire réa­li­sé que l’ouvrage acquiert sa fonc­tion prin­ci­pale, à savoir de per­mettre la cir­cu­la­tion des trains de mar­chan­dises et de voyageurs.

La pose des rails, le tirage des mil­liers de kilo­mètres de câbles élec­triques, fibres optiques, la pose de la caté­naire et les sys­tèmes de signa­li­sa­tion, de radio­com­mu­ni­ca­tion et contrôle-com­mande dans un envi­ron­ne­ment confi­né tel que l’est un tun­nel à simple voie d’un dia­mètre de 8,40 mètres posent un défi logis­tique de taille. C’est la rai­son pour laquelle les ingé­nieurs de la tech­nique fer­ro­viaire avaient choi­si la phi­lo­so­phie keep it simple dans le dimen­sion­ne­ment des équi­pe­ments, par­tant du prin­cipe que tout ce qui n’est pas construit ne coûte rien, ne doit pas être main­te­nu et a une fia­bi­li­té et une dis­po­ni­bi­li­té égales à 100 %.

“Aucun prototype n’est autorisé dans le plus long tunnel du monde”

Bien enten­du, cette règle théo­rique et fort simple a ses limites car l’environnement mais aus­si les contraintes sécu­ri­taires et d’exploitation d’un tun­nel fer­ro­viaire de cette lon­gueur imposent des solu­tions tech­niques éprou­vées. Cette exi­gence pri­mor­diale pour un ouvrage d’une telle enver­gure et d’une si grande com­plexi­té a conduit à défi­nir une autre règle d’or dans la concep­tion et la pla­ni­fi­ca­tion des équi­pe­ments fer­ro­viaires, à savoir qu’aucun pro­to­type n’est auto­ri­sé dans le plus long tun­nel du monde et seuls des sys­tèmes tes­tés en exploi­ta­tion et éprou­vés ont leur place car en cas de panne d’un sys­tème non éprou­vé, l’impact sur l’exploitation fer­ro­viaire et les coûts inhé­rents à l’interruption de l’exploitation fer­ro­viaire en cas de défaillance peuvent être très importants.

Un strict respect des délais et des coûts

Si l’inauguration du tun­nel de base du Gothard a pu avoir lieu le 1er juin 2016, dans le res­pect des délais et des coûts, ce n’est pas parce que les Suisses ont trou­vé une for­mule magique connue d’eux seuls pour réa­li­ser un tel ouvrage. Les méthodes de ges­tion de pro­jets et d’analyse de risques ou encore des modèles de gou­ver­nance déjà connus et éprou­vés par d’autres ont sim­ple­ment été appli­qués en les adap­tant à l’environnement du pro­jet. Cela néces­site de déter­mi­ner au tout début du pro­jet ce que l’on veut, dans le res­pect de quelles règles et avec quels moyens.

La com­mu­ni­ca­tion entre toutes les par­ties impli­quées, la trans­pa­rence mais aus­si la rigueur sont des élé­ments clés du suc­cès de l’aventure tech­ni­co-humaine que repré­sente un tel pro­jet. Et les pro­nos­tics des coûts finaux, pour l’heure esti­més à 12,1 mil­liards de francs suisses, sont là pour le prou­ver car pour l’heure, le cré­dit-cadre de 13, 2 mil­liards de francs suisses est tou­jours res­pec­té, même si le pro­jet n’arrivera à son terme qu’une fois le tun­nel de base du Cene­ri réa­li­sé et mis en ser­vice, ce qui sera le cas au chan­ge­ment d’horaire en décembre 2020.


Liens Internet :

www.alptransit.ch

www.alptransit-portal.ch/fr

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