Le Transsaharien

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°603 Mars 2005Par : Marcel CASSOU (61), préface de Paul QuilèsRédacteur : Philippe BONNAMY (61)

Peut-être, moi le pied-noir, ai-je con­tribué à la voca­tion africaine de Mar­cel Cas­sou, l’enfant du Nord, en lui faisant décou­vrir la Cas­bah d’Alger en 1958, au cours d’une vis­ite dont il me par­le encore, plus de cinquante ans plus tard. Ce n’est donc pas un hasard si je com­mente ici son ouvrage et ce n’en est, sans doute, pas un non plus, si Paul Quilès, un autre pied-noir de notre pro­mo­tion, en a rédigé la préface.

Mais dis­ons-le d’emblée, de nous trois c’est Cas­sou l’Africain ; ne serait-ce que pour avoir eu l’idée de sauver d’un oubli prob­a­ble­ment total l’épouvantable tragédie de ces Mis­sions Flat­ters. Même dans l’Algérie “de mon temps ”, le sou­venir n’en était rap­pelé que par le nom don­né à un point sur la carte, Fort Flat­ters, per­du dans le fin fond du Sahara, là où per­son­ne de bon sens n’aurait eu l’idée de se rendre !

De quoi s’agissait-il ? Dans les années qui suivirent la déroute de 1870, la France, soucieuse de redor­er son bla­son et de con­solid­er ses colonies africaines septen­tri­onales en un vaste empire com­pa­ra­ble à celui des Indes bri­tan­niques, conçut le pro­jet d’un chemin de fer transsa­harien. Le busi­ness plan, redé­cou­vert par Mar­cel Cas­sou, et fondé sur un cal­cul de coin de table, lais­sera le lecteur libre d’en sourire ou de regret­ter des années empreintes d’un for­mi­da­ble esprit d’entreprise C’était l’époque, rap­pelons- le, des grands chantiers transcon­ti­nen­taux, de la Pacif­ic West­ern, bien­tôt du Transsi­bérien et le canal de Suez avait à peine dix ans !

Pour pos­er le décor, et le livre y excelle, rap­pelon­snous que le Sahara était alors pra­tique­ment une ter­ra incog­ni­ta dont on s’attendait à ce que les rares habi­tants, les fameux Touaregs, soient hos­tiles à toute péné­tra­tion européenne. Sa tra­ver­sée débouchait, de plus, sur le Soudan dont on ne con­nais­sait pas grand-chose non plus !

À par­tir de là, dans un con­texte où il me sem­ble dif­fi­cile de démêler l’angélisme de la stu­pid­ité mais sur lequel Mar­cel Cas­sou émet une opin­ion plus indul­gente, le gou­verne­ment lance à deux repris­es suc­ces­sives une mis­sion d’exploration non armée ou à peu près, com­mandée les deux fois par le même colonel Flat­ters, accom­pa­g­né d’une poignée de Français, dont un poly­tech­ni­cien du corps des Mines, et d’à peine davan­tage “ d’indigènes ”.

Le lecteur décou­vri­ra la suite dans l’ouvrage. Les mots “ d’échec sanglant ” qui fig­urent dans le titre m’autorisent sim­ple­ment à con­firmer qu’elle fut épou­vantable ! Mais de cette hor­reur, Mar­cel Cas­sou a réus­si à faire un livre hale­tant qu’on ne quitte qu’une fois la dernière page tournée.

Il le fait avec une con­nais­sance éton­nante des lieux et des hommes qu’il laisse effleur­er à point nom­mé, quand le lecteur peine à recon­stituer un cadre ou un con­texte. Flat­ters n’était pas Lawrence d’Arabie. Pour­tant, il y a un peu des Sept Piliers de la sagesse dans ce livre, et du Goumi­er Saïd et de Fort Saganne aus­si. Et puis Cas­sou ne cra­pahute pas impuné­ment dans les dunes et le Hog­gar depuis quar­ante ans pour ne pas avoir glis­sé entre les pages un zeste de Guide du routard ! Ajoutons‑y enfin un éclairage, d’autant plus intéres­sant qu’il est presque involon­taire de la part de l’auteur, sur la nature de la coloni­sa­tion française ; ses con­temp­teurs sys­té­ma­tiques trou­veront là un sujet de médi­ta­tion et, espérons-le, le motif d’un peu plus d’objectivité.

En effet, sans déflo­r­er le sujet, là non plus, dis­ons sim­ple­ment qu’après l’échec, la France sut se retenir de men­er une expédi­tion puni­tive qui lui aurait per­mis sans grande dif­fi­culté de ray­er défini­tive­ment de la carte les mai­gres pop­u­la­tions de ces régions… et de plus, avec bonne con­science, puisque leur appel au dji­had (déjà !) cachait mal leur souci de défendre surtout leurs intérêts, juteux et bien com­pris, dans la traite des Noirs soudanais.

Pour­tant, la 7 th Cav­al­ry res­ta dans ses quartiers et le Sit­ting Bull des Ajjers ne fut jamais inquiété. Qui sait si cette indul­gence n’a pas ensuite coûté la vie à quelques pilotes de l’Aéropostale ; ce n’était pas le même Sahara, ni les mêmes tribus, et c’était cinquante ans plus tard, mais le livre nous apprend aus­si que, dans le désert, les nou­velles cir­cu­lent plus vite que les gazelles et que les Sahariens ont la mémoire longue.

Mer­ci à Mar­cel Cas­sou d’avoir fait revivre ce moment d’Histoire qui nour­ri­rait un excel­lent scé­nario et bonne lec­ture à tous.

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