Pylône électrique

Le réseau électrique au cœur de la transition énergétique

Dossier : Les énergies renouvelablesMagazine N°730 Décembre 2017
Par Arthur HENRIOT (06)
Par Clotilde LEVILLAIN (85)

Le réseau élec­trique doit évo­luer et inno­ver pour satis­faire à sa mis­sion qui est d’as­su­rer à tous ses clients un accès à une ali­men­ta­tion élec­trique satis­fai­sante. A la pro­duc­tion loca­li­sée de grosses uni­tés s’a­joute pro­gres­si­ve­ment celle d’une mul­ti­tude de sources locales inter­mit­tentes et par­fois aléatoires. 

L’effi­ca­ci­té des mesures de maî­trise de la demande d’énergie, le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables décen­tra­li­sées, aux­quels vien­dront sans doute s’ajouter la mon­tée de l’autoconsommation et le sto­ckage, conduisent à un ques­tion­ne­ment accru de la valeur appor­tée par les réseaux de trans­port et de dis­tri­bu­tion d’électricité.

REPÈRES

La mission fondamentale de RTE, Réseau de transport d’électricité, est d’assurer à tous ses clients l’accès à une alimentation électrique économique, sûre et propre. À cet effet, RTE exploite, maintient et développe le réseau à haute et très haute tension. Il est le garant du bon fonctionnement et de la sûreté du système électrique.
RTE achemine l’électricité entre les fournisseurs d’électricité (français et européens) et les consommateurs, qu’ils soient distributeurs d’électricité ou industriels directement raccordés au réseau de transport.
105 000 km de lignes comprises entre 63 000 et 400 000 volts et 50 lignes transfrontalières connectent le réseau français à 33 pays européens, offrant ainsi des opportunités d’échanges d’électricité essentiels pour l’optimisation économique du système électrique.

UN PARTENARIAT ÉTROIT AVEC LES TERRITOIRES


50 lignes trans­fron­ta­lières connectent le réseau fran­çais à 33 pays européens.
© JONATHAN STUTZ / FOTOLIA.COM

His­to­ri­que­ment, le déve­lop­pe­ment des réseaux répond à une pré­oc­cu­pa­tion de soli­da­ri­té entre les ter­ri­toires : les réseaux per­mettent le rap­pro­che­ment de la pro­duc­tion et de la consom­ma­tion, notam­ment lorsque des dés­équi­libres existent entre les ter­ri­toires à la consom­ma­tion plus forte et ceux où sont loca­li­sés des moyens de production. 

Dans le sys­tème élec­trique qui se des­sine aujourd’hui, les cen­trales ther­miques de taille impor­tante laissent place à des res­sources plus répar­ties sur le ter­ri­toire. Les réseaux demeurent tou­te­fois un vec­teur de soli­da­ri­té entre des régions aux res­sources disparates. 

Ain­si, les capa­ci­tés de pro­duc­tion éolienne ins­tal­lées dans la région Hauts-de-France se mon­taient à fin décembre 2016 à près de 3 GW, sur un total de 12 GW en France, alors qu’elles étaient infé­rieures à 50 MW en Île-de-France ou en Pro­vence-Alpes-Côte d’Azur.

DES INVESTISSEMENTS CONSÉQUENTS POUR ACCUEILLIR LES ÉNERGIES RENOUVELABLES

En consé­quence, les ges­tion­naires de réseau s’impliquent pour accom­pa­gner les ter­ri­toires dans leur tran­si­tion éner­gé­tique : plus de deux mil­liards d’euros auront par exemple été inves­tis par RTE sur la décen­nie 2013–2022 en vue d’augmenter la capa­ci­té d’accueil des éner­gies renou­ve­lables de 27 GW. 

“ Les réseaux sont un vecteur de solidarité entre des régions aux ressources disparates ”

Méthodes et pro­ces­sus sont éga­le­ment adap­tés pour appor­ter des réponses ori­gi­nales et effi­caces aux attentes de la col­lec­ti­vi­té : on peut citer les Sché­mas régio­naux de rac­cor­de­ment au réseau des éner­gies renou­ve­lables (S3REnR), véri­tables outils d’aménagement d’un ter­ri­toire en pleine tran­si­tion énergétique. 

Éla­bo­ré par RTE et les ges­tion­naires de réseaux de dis­tri­bu­tion, ce dis­po­si­tif vise à anti­ci­per, pla­ni­fier et opti­mi­ser le déve­lop­pe­ment du réseau, sur la base des objec­tifs fixés dans les sché­mas régio­naux (Sché­mas régio­naux cli­mat air éner­gie aujourd’hui ; Sché­mas régio­naux d’aménagement, de déve­lop­pe­ment durable et d’égalité du ter­ri­toire demain). 

Les S3REnR sont pen­sés et construits en col­la­bo­ra­tion avec l’ensemble des par­ties pre­nantes locales : les fédé­ra­tions de pro­duc­teurs, la région, la chambre de com­merce et d’industrie, les populations. 

UN RÔLE ASSURANTIEL DE PLUS EN PLUS MARQUÉ

Tra­di­tion­nel­le­ment, les flux obser­vés sur le réseau de trans­port ali­men­taient clients indus­triels et réseaux de dis­tri­bu­tion depuis des moyens de pro­duc­tion de taille importante. 

“ Les réseaux permettent le foisonnement des phénomènes aléatoires ”

Avec le déve­lop­pe­ment de la pro­duc­tion décen­tra­li­sée, l’autoconsommation, et les éco­no­mies d’énergie, on observe une dimi­nu­tion de ces flux, en moyenne. 

Tou­te­fois, les réseaux sont tou­jours aus­si indis­pen­sables. D’une part, ils conservent plus que jamais une fonc­tion assu­ran­tielle de secours et de soli­da­ri­té éner­gé­tique entre ter­ri­toires : lorsque les éner­gies renou­ve­lables pro­duisent peu rela­ti­ve­ment à la consom­ma­tion locale, la sécu­ri­té d’alimentation repose sur les réseaux qui doivent mettre à dis­po­si­tion une capa­ci­té suf­fi­sante : en cas de fort déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables à une maille locale, la vola­ti­li­té des flux obser­vés sur les réseaux s’accroît, pour une pointe de consom­ma­tion qui reste stable. 

D’autre part, de nou­veaux flux appa­raissent, lorsque les trop-pleins d’énergie pro­duite loca­le­ment sont éva­cués depuis les réseaux de dis­tri­bu­tion vers le réseau de trans­port. La fonc­tion clas­sique d’acheminement de volumes d’énergie depuis des zones de pro­duc­tion vers des zones de consom­ma­tion laisse pro­gres­si­ve­ment la place à un rôle assu­ran­tiel d’alimentation de la consom­ma­tion qu’il y ait ou non de la pro­duc­tion locale. 

UN RÔLE D’OPTIMISATION DU SYSTÈME ACCRU

Foisonnement de la production photovoltaïque durant une journée
Foi­son­ne­ment de la pro­duc­tion pho­to­vol­taïque durant une jour­née type pour une ins­tal­la­tion seule, une région et la France. La pro­duc­tion à chaque maille est rap­por­tée à la pro­duc­tion maxi­male à cette maille durant la journée.
SOURCE : PANORAMA DES ÉNERGIES RENOUVELABLES 2015

RTE est le garant du bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème élec­trique. Pour cela, RTE s’assure de main­te­nir à chaque ins­tant l’équilibre entre la consom­ma­tion et la pro­duc­tion d’électricité, y com­pris en cas d’aléas (panne sou­daine d’une cen­trale de pro­duc­tion, varia­bi­li­té de la pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables…). Cet équi­libre se fait à la maille nationale. 

Les réseaux, en reliant de nom­breuses ins­tal­la­tions de pro­duc­tion et de consom­ma­tion, per­mettent le foi­son­ne­ment des phé­no­mènes aléa­toires : la consom­ma­tion agré­gée à l’échelle de la France pré­sente des varia­tions rela­tives plus faibles, et une pré­vi­si­bi­li­té plus aisée que la consom­ma­tion iso­lée d’un poste indus­triel ou résidentiel. 

C’est éga­le­ment le cas de la pro­duc­tion des éner­gies renou­ve­lables, dont la ges­tion est plus aisée lorsque l’on passe de la maille locale à la maille régio­nale, puis à la maille natio­nale et euro­péenne. Le gra­phique ci-contre illustre cet effet : au cours d’une jour­née type, la pro­duc­tion d’une ins­tal­la­tion pho­to­vol­taïque iso­lée pré­sente des varia­tions rela­tives beau­coup plus impor­tantes que la pro­duc­tion à l’échelle régio­nale ou nationale. 

UNE MOBILISATION DE L’ENSEMBLE DES LEVIERS…

L’optimisation du fonc­tion­ne­ment du sys­tème élec­trique à la maille natio­nale néces­site la mobi­li­sa­tion de l’ensemble des leviers de flexi­bi­li­té dis­po­nibles, quel que soit le niveau de ten­sion auquel ils se situent : consom­ma­teurs actifs accep­tant d’effacer ou de dif­fé­rer leur consom­ma­tion, éner­gies renou­ve­lables four­nis­sant des ser­vices pour l’opération du système… 

RTE pro­pose des évo­lu­tions des règles de mar­ché, éta­blies en concer­ta­tion avec les acteurs et sou­mises à l’approbation de la Com­mis­sion de régu­la­tion de l’énergie, pour faci­li­ter la par­ti­ci­pa­tion des éner­gies renou­ve­lables à l’optimisation du sys­tème élec­trique, sur le modèle de ce qui a été fait pour les effa­ce­ments de consom­ma­tion (sou­plesses d’agrégation, moda­li­tés de cer­ti­fi­ca­tion adap­tées, pro­gram­ma­tion, etc.). 

… JUSQU’À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

Mutua­li­sa­tion et com­pen­sa­tion des varia­tions locales sont encore plus effi­caces à l’échelle euro­péenne : plus la zone est vaste, plus les res­sources sont hété­ro­gènes, plus la météo dif­fère, et plus les aléas foisonnent. 

Les infra­struc­tures phy­siques d’interconnexion exis­tant entre les dif­fé­rents pays euro­péens, ain­si que les pla­te­formes d’échange aux­quelles elles servent de sup­port, per­mettent d’absorber pics de pro­duc­tion solaire et aléas de la pro­duc­tion éolienne, tout en assu­rant à moindre coût la sécu­ri­té d’approvisionnement à l’échelle européenne. 

Ces échanges per­mettent éga­le­ment aux acteurs, qui contri­buent à l’équilibre natio­nal ou euro­péen, d’accéder à de nou­velles oppor­tu­ni­tés de valo­ri­sa­tion de leurs flexi­bi­li­tés. À titre d’exemple, lors des pics de pro­duc­tion des éner­gies renou­ve­lables en Alle­magne, l’énergie pro­duite est éva­cuée vers la France ; lorsque la pro­duc­tion des éner­gies renou­ve­lables est plus faible, l’énergie impor­tée depuis la France contri­bue à la sécu­ri­té d’alimentation de l’Allemagne.

DES PERTES MAÎTRISÉES

LE DYNAMIC LINE RATING

Le Dynamic Line Rating constitue un autre exemple de technologie déployée sur le réseau de transport. Lorsqu’une ligne transporte beaucoup d’électricité, elle s’échauffe et se rapproche du sol, ce qui limite en pratique le flux pouvant transiter sur cette ligne. Lorsque le vent souffle, il contribue au refroidissement de la ligne, ce qui permet de faire transiter davantage d’énergie. RTE installe des capteurs innovants qui mesurent en temps réel le refroidissement opéré par le vent sur la ligne électrique.
En couplant ces capteurs à des données météorologiques et à des outils logiciels d’analyse, il est possible d’exploiter les capacités de l’infrastructure au plus près des limites de fonctionnement, en particulier lorsque le vent souffle et que les infrastructures sont sollicitées pour l’évacuation de la production des éoliennes.

L’optimisation du fonc­tion­ne­ment du sys­tème élec­trique par des échanges à la maille régio­nale, natio­nale, ou euro­péenne, a un coût. Lorsque l’énergie cir­cule sur les réseaux de trans­port et de dis­tri­bu­tion, dif­fé­rents phé­no­mènes phy­siques sont à l’origine de déper­di­tions éner­gé­tiques, par exemple sous forme de cha­leur (effet Joule). 

L’existence d’un réseau suf­fi­sam­ment maillé, le réglage de la ten­sion et le choix de maté­riaux adap­tés per­mettent tou­te­fois de limi­ter ces pertes à des taux de l’ordre de 2 % de l’énergie injec­tée pour le réseau de trans­port, et de 6 % de l’énergie injec­tée pour les réseaux de distribution. 

La maî­trise des volumes de pertes s’inscrit dans une opti­mi­sa­tion glo­bale du déve­lop­pe­ment et de l’exploitation du réseau public de trans­port : les pertes induites par le fonc­tion­ne­ment du réseau sont par exemple prises en compte dans les déci­sions d’investissement.

DES RÉSEAUX COUPLANT INFRASTRUCTURES PHYSIQUE ET NUMÉRIQUE

Face à l’émergence de flux et de contraintes plus variables et moins pré­vi­sibles, le déve­lop­pe­ment d’infrastructure de réseau ne consti­tue pas une panacée. 

Dispatcheur dans un centre de conduite du réseau électrique
Dis­pat­cheur à son poste dans un centre de conduite du réseau.
© COLOMBEL VANESSA / RTE / 2012

Pour tirer le meilleur par­ti du réseau exis­tant et réus­sir à moindre coût la tran­si­tion éner­gé­tique, les ges­tion­naires de réseau élar­gissent leur palette de solu­tions : cap­teurs de mesure et outils de trai­te­ment des don­nées ou de modé­li­sa­tion per­met­tant un pilo­tage plus fin des flux, déploie­ment d’automates per­met­tant d’agir rapi­de­ment en cas d’incident.

Ces solu­tions sont d’ores et déjà déployées sur le réseau de trans­port. Le poste élec­trique de Blo­caux, mis en ser­vice en 2016 dans la Somme, est repré­sen­ta­tif des postes « Nou­velle Géné­ra­tion » qui seront déployés sur le ter­ri­toire dans la décen­nie à venir. Grâce à l’intégration des der­nières tech­no­lo­gies numé­riques, ces postes reçoivent, traitent et trans­mettent un ensemble d’informations, afin d’ajuster en temps réel la confi­gu­ra­tion du réseau aux besoins. 

Le déve­lop­pe­ment d’un réseau cou­plant infra­struc­tures élec­triques et numé­riques ren­force l’adaptabilité et la rési­lience du sys­tème élec­trique à des confi­gu­ra­tions inédites liées à la tran­si­tion énergétique. 

“ Pour réussir à moindre coût la transition énergétique, les gestionnaires de réseau élargissent leur palette de solutions ”

L’activation opti­mi­sée de l’ensemble des flexi­bi­li­tés per­met­tant d’assurer le bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème élec­trique est ren­due pos­sible par la capa­ci­té à mesu­rer en per­ma­nence les per­for­mances et les flux, à exploi­ter ces don­nées pour éta­blir des modèles de pré­vi­sion les plus fiables pos­sible, et à trans­mettre des consignes pour mobi­li­ser rapi­de­ment les flexi­bi­li­tés les plus effi­caces pour résoudre les contraintes obser­vées ou anticipées. 

À infra­struc­ture égale, on estime que ces tech­no­lo­gies per­mettent d’accueillir jusqu’à 30 % d’énergie sup­plé­men­taire pro­duite par les éner­gies renouvelables. 

ANTICIPER LE RÉSEAU DE DEMAIN

Au-delà des tech­no­lo­gies déployées aujourd’hui sur les réseaux, des évo­lu­tions radi­cales sont éga­le­ment enga­gées pour rac­cor­der de nou­velles filières. Le réseau de demain, en se déve­lop­pant vers la mer, don­ne­ra accès à de nou­velles sources d’énergies renou­ve­lables : éolien off­shore, flot­tant, hydrolien. 

Drone de contrôle sur une installation électrique
Pour tirer le meilleur par­ti du réseau exis­tant les ges­tion­naires de réseau déploient des auto­mates per­met­tant d’agir rapi­de­ment en cas d’incident.
© FOVIVAFOTO / FOTOLIA.COM

Le pro­jet RINGO vise quant à lui le déploie­ment d’équipements com­po­sés de tech­no­lo­gies de sto­ckage et de logi­ciels, qui seront uti­li­sés pour créer une « ligne vir­tuelle » per­met­tant de résor­ber les conges­tions inter­mit­tentes sur le réseau sans avoir à construire de ligne physique. 

“ Des évolutions radicales sont engagées pour raccorder de nouvelles filières ”

L’accueil de larges quan­ti­tés d’énergies renou­ve­lables impose par ailleurs de pen­ser dif­fé­rem­ment l’ensemble du sys­tème élec­trique. RTE anti­cipe ces évo­lu­tions en mobi­li­sant sa R & D sur des pro­jets pilotes, locaux et euro­péens. C’est par exemple le cas du pro­jet euro­péen MIGRATE, qui a pour but d’analyser l’impact de la péné­tra­tion crois­sante d’énergies renou­ve­lables rac­cor­dées via de l’électronique de puis­sance sur la sta­bi­li­té du sys­tème, et de déve­lop­per de nou­velles lois de commande. 

Ces tra­vaux d’anticipation per­met­tront de fran­chir les seuils théo­riques de péné­tra­tion des éner­gies renou­ve­lables admis aujourd’hui.

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