Centrale d’Hinkley Point, Somerset, Royaume-Uni.

Le programme AMR au Royaume-Uni : le renouveau du nucléaire anglais

Dossier : Le nucléaireMagazine N°780 Décembre 2022
Par Pierre-Yves CORDIER

Après avoir eu un rôle de pio­nnier, le Roy­aume-Uni a subi une longue perte de com­pé­tence. Mais le gou­verne­ment actuel s’est don­né des objec­tifs ambitieux et investit des sommes impor­tantes pour retrou­ver une posi­tion de pointe dans le nucléaire civ­il. 

Le Roy­aume-Uni a eu un rôle de pio­nnier dans le développe­ment de l’énergie nucléaire dès les années 1940. Après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, l’effort a con­tin­ué et la pre­mière cen­trale nucléaire de pro­duc­tion d’électricité com­mer­ciale a été con­stru­ite au Roy­aume-Uni en 1956 à Calder Hall. Un parc de 26 réac­teurs Mag­nox a ensuite été con­stru­it, suivi par 14 AGR (Advanced Gas-cooled Reac­tors), mis en ser­vice entre 1976 et 1989, puis un seul PWR (Pres­sur­ized Water Reac­tor, Sizewell B) mis en ser­vice en 1995. S’ensuivit une longue péri­ode sans aucun pro­jet, jusqu’au lance­ment de la con­struc­tion en sep­tem­bre 2016 des deux EPR par EDF Ener­gy et CGN (Chi­na Gen­er­al Nuclear) à Hink­ley Point C (HPC). Après avoir été un pio­nnier et un leader de l’atome, le Roy­aume-Uni con­stru­it donc en ce moment des réac­teurs de troisième généra­tion de tech­nolo­gie étrangère, ayant subi une perte de com­pé­tence pen­dant la ving­taine d’années où il ne s’est rien passé. 

Le renouveau de l’énergie nucléaire au Royaume-Uni

Ce renou­veau de l’énergie nucléaire au Roy­aume-Uni, motivé par la volon­té de décar­bon­er la pro­duc­tion élec­trique (objec­tif de net zero car­bon emis­sions by 2050) et par l’épuisement pro­gres­sif des ressources pétrolières et gaz­ières de la mer du Nord, s’accompagne d’une mon­tée en puis­sance à tous les niveaux : for­ma­tion, appren­tis, chaîne d’approvisionnement, indus­trie… Après avoir lais­sé pass­er la généra­tion III, ce mou­ve­ment de renou­veau veut trou­ver sa con­sécra­tion dans l’établissement d’un nou­veau lead­er­ship sur le long terme, cette fois sur les SMR (Small Mod­u­lar Reac­tors) et AMR (Advanced Mod­u­lar Reac­tors). Les SMR sont vus comme des mod­èles plus matures, essen­tielle­ment refroidis à l’eau, qui seraient déploy­ables autour de 2030. Les AMR sont à peu près l’équivalent de la Gen IV au sens du GIF (Gen­er­a­tion IV Inter­na­tion­al Forum), avec des sys­tèmes de refroidisse­ment-calo­por­teurs inno­vants. Les AMR sont vus à plus long terme comme une solu­tion pos­si­ble pour de nou­velles util­i­sa­tions de l’énergie, comme la chaleur à haute tem­péra­ture pour les procédés indus­triels, ouvrant une nou­velle voie pour la pro­duc­tion d’hydrogène par réac­tion chim­ique et la décar­bon­a­tion éventuelle de divers secteurs indus­triels (aciéries par exem­ple). 

Les rapports du NIRAB

Le Nuclear Inno­va­tion and Research Advi­so­ry Board (NIRAB), créé en 2014, a pour prin­ci­pales mis­sions d’évaluer les actions menées dans le cadre du Nuclear Inno­va­tion Pro­gramme (NIP) mené par le Depart­ment for Busi­ness, Ener­gy and Indus­tri­al Strat­e­gy (BEIS), de recom­man­der des domaines où l’innovation entraîn­erait une baisse des coûts et d’identifier les col­lab­o­ra­tions inter­na­tionales les plus per­ti­nentes. Il a pub­lié en 2019 son pre­mier rap­port Clean growth through inno­va­tion – the need for urgent action. Le rap­port recom­mande que le mix élec­trique se fonde à la fois sur des réac­teurs de Gen III et égale­ment sur des SMR et des AMR. Pour ce faire, le rap­port pro­pose comme scé­nario un pre­mier réac­teur de type SMR opéra­tionnel d’ici 2030 ; un AMR d’une tech­nolo­gie mature (réac­teur rapi­de refroi­di au sodi­um ou au gaz par exem­ple) après 2030 et un AMR plus inno­vant dans les années 2040. 

Dans un sec­ond rap­port pub­lié en juin 2020 (Achiev­ing Net Zero : the role of nuclear ener­gy in decar­bon­i­sa­tion), le NIRAB affine ses recom­man­da­tions. S’appuyant sur l’engagement du gou­verne­ment bri­tan­nique, gravé dans la loi en juin 2019, pour le net zero 2050, il insiste sur une vision glob­ale et inté­grée de l’énergie et pro­pose ain­si le développe­ment de trois voies par­al­lèles et com­plé­men­taires : les réac­teurs de puis­sance, les SMR et les AMR. Ces deux derniers pro­poseront des solu­tions pour les autres secteurs émet­tant du CO2 : trans­port, indus­trie, chaleur. Pour le développe­ment des AMR, le rap­port pré­conise un investisse­ment à par­tir de 2021 de 400 M£ pour la R & D et 600 M£ pour le pro­to­type en lui-même. Afin de men­er à bien le pro­jet, ces fonds publics devront être com­plétés par des investisse­ments privés, le coût pour men­er à bien un tel pro­jet se chiffrant à plusieurs mil­liards de livres. 

Les engagements budgétaires du gouvernement

En sep­tem­bre 2018, le BEIS a lancé son Advanced Mod­u­lar Reac­tor (AMR) Fea­si­bil­i­ty and Devel­op­ment Project (AMR F & D Project) dans lequel 44 M£ ont été investis. La pre­mière phase a attribué un total de 4 M£ à 8 pro­jets d’AMR retenus pour faire l’objet d’études de fais­abil­ité. La sec­onde phase lancée en juil­let 2020 a per­mis l’attribution des 40 M£ restants. Par­mi les trois pro­jets sélec­tion­nés, l’un con­cerne l’HTGR de U‑Battery, fil­iale de l’entreprise d’enrichissement d’uranium d’Urenco. Le AMR RD & D pro­gramme est financé à hau­teur de 170 mil­lions de livres par le gou­verne­ment bri­tan­nique. 

Un démon­stra­teur AMR devra être prêt pour la péri­ode 2030–2035 et le design de référence auquel les autres options seront com­parées est le réac­teur à haute tem­péra­ture refroi­di au gaz (High Tem­per­a­ture Gas Reac­tor ou HTGR). C’est ce qu’un rap­port du Nuclear Inno­va­tion and Research Office (NIRO), qui fait par­tie du Nation­al Nuclear Lab­o­ra­to­ry (NNL), avait pré­con­isé dans son rap­port de juil­let 2021, AMR Tech­ni­cal Assess­ment. 

À la suite à ce rap­port, le BEIS a ouvert en juil­let 2021 une con­sul­ta­tion publique sur le poten­tiel des HTGR dans le cadre du AMR RD & D pro­gramme. Lors de la con­férence annuelle de la Nuclear Indus­try Asso­ci­a­tion (NIA) en décem­bre 2021, le min­istre du BEIS de l’époque a con­fir­mé que la tech­nolo­gie retenue pour ce démon­stra­teur était celle des HTGR (le Roy­aume-Uni compte s’appuyer sur sa longue expéri­ence dans les réac­teurs refroidis au gaz : 26 réac­teurs Mag­nox et 14 réac­teurs AGR). 

En févri­er 2022 le BEIS a ren­du pub­lic son pre­mier appel à pro­jet dans ce cadre inti­t­ulé AMR Research, Devel­op­ment and Demon­stra­tion Pro­gramme (Phase A). Les lau­réats ont été désignés en sep­tem­bre 2022 et se parta­gent pour cette phase 2,5 M£ : EDF Ener­gy, Ultra Safe, U‑Battery et le NNL pour la par­tie Reac­tor Demon­stra­tion, et NNL et Spring­fields pour la par­tie Fuel Demon­stra­tion. Il faut enfin sig­naler qu’en par­al­lèle 830 k£ sont prévus pour aider le régu­la­teur nucléaire à ren­forcer ses capac­ités sur les AMR. Cela porte l’effort total du gou­verne­ment à 3,3 M£ pour cette pre­mière phase. Ce n’est que le début de l’histoire et il y aura d’autres appels à pro­jets afin d’aider le développe­ment à matu­rité d’un HTGR au début de la décen­nie 2030. 

Des objectifs ambitieux

Afin d’atteindre ses objec­tifs de neu­tral­ité car­bone d’ici 2050 et pour retrou­ver un cer­tain lead­er­ship sur les nou­velles tech­nolo­gies nucléaires, le Roy­aume-Uni compte sur les SMR et surtout sur les AMR pour ce faire. SMR et AMR sont com­plète­ment inté­grés dans la feuille de route pour le net zero 2050. Le HTGR est le choix de tech­nolo­gie affiché et les pre­miers appels à pro­jets lan­cent les études prélim­i­naires de con­cep­tion tech­nique. L’objectif affiché est d’avoir un HTGR opéra­tionnel au début de la décen­nie 2030. 


Références :

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