Jubilé de François-Joseph Ier en 1898.

“ Le Printemps des peuples ” : l’Europe centrale

Dossier : Libres proposMagazine N°567 Septembre 2001Par Gérard PILÉ (41)

Ici s’achève cette suite d’ar­ti­cles con­sacrés à la révo­lu­tion de 1848, sou­vent con­sid­érée avec rai­son comme la crise inau­gu­rale de l’his­toire con­tem­po­raine de l’Eu­rope, prélu­dant à loin­taine échéance aux tragédies frat­ri­cides de la pre­mière moitié du XXe siècle.

Ren­dons-nous main­tenant à l’épi­cen­tre du séisme ayant fail­li emporter l’empire des Hab­s­bourg Lor­raine, clé de voûte de l’or­dre poli­tique européen depuis 1815, séisme dont on a déjà vu les sec­ouss­es périphériques en Ital­ie du Nord et en Alle­magne du Sud, où l’Autriche était finale­ment par­v­enue à rétablir une sit­u­a­tion très com­pro­mise (La Jaune et la Rouge, jan­vi­er 2001).

Si l’embrasement du vaste Bassin danu­bi­en est général, le prin­ci­pal foy­er, le plus opiniâtre, est l’in­sur­rec­tion hon­groise. Dans un pre­mier temps, le gou­verne­ment autrichien qui a évac­ué Vienne est sur la défen­sive, lou­voie, cherche à exploiter les divi­sions advers­es mais c’est bien­tôt l’épreuve de force entre Vienne et Budapest.

Cet affron­te­ment, inscrit de prime abord dans le con­texte général du réveil des nation­al­ités, mon­tre aus­si un autre vis­age, celui de deux impéri­al­ismes en com­péti­tion. En effet, de leur côté, les Hon­grois se refusent caté­gorique­ment à faire droit aux reven­di­ca­tions d’au­tonomie de leurs pro­pres minorités : slaves au Nord et au Sud, roumaines à l’Est, intran­sigeance con­tribuant à leur défaite finale.

Début octo­bre 1849, répres­sion et repré­sailles s’a­bat­tent sur la Hon­grie. Partout dans l’Em­pire autrichien recon­sti­tué, de nou­veau ” l’or­dre règne “. Autrement dit, on est revenu à la case départ avec un ver­rouil­lage abso­lutiste renforcé.

Une ques­tion se posait : fal­lait-il ou non inter­rompre ce réc­it com­plexe d’événe­ments entremêlés, his­toire d’une révo­lu­tion man­quée, sans chercher à en lire cer­tains signes et traces conséquentes ?

Il va de soi que cette crise, par sa soudaineté, sa flam­bée de vio­lence con­tagieuse, sa durée, dévoile les sour­des men­aces con­flictuelles planant désor­mais sur l’Eu­rope, à com­mencer par l’am­pleur jusqu’alors mal soupçon­née des ambi­tions ou reven­di­ca­tions nationales remet­tant en ques­tion la carte poli­tique de l’Europe.

Rap­pelons que c’est bien­tôt l’heure de l’Alle­magne, unifiée sous le scep­tre impér­i­al de la Prusse, parachevant dans son sil­lage l’u­nité ital­i­enne dans la per­spec­tive de la ” Trip­lice “. À l’in­verse, le vieil empire d’Autriche, sur la défen­sive, se voit bien­tôt con­traint à se repli­er sur son aire d’o­rig­ine, cette Mit­teleu­ropa danu­bi­enne en quête de sta­bil­i­sa­tion poli­tique. Mal­heureuse­ment pour son des­tin et celui de l’Eu­rope, l’Autriche ne saura pas men­er à terme (ou plutôt n’osera pas en pren­dre les moyens) son prob­lème des minorités nationales.

En géopoli­tique où la générosité procède nor­male­ment d’un sage cal­cul, créer le lien inter­per­son­nel porte un nom : fédér­er. Or, les dirigeants autrichiens vont se refuser obstiné­ment à amé­nag­er leur Empire dans un sens con­forme à sa réal­ité eth­nique ” d’Aus­troslavie “, pour s’en tenir au com­pro­mis dual­iste de 1867 : l’Autriche-Hongrie.


Jubilé de François-Joseph Ier en 1898 (soit cinquante ans après 1848). Grande toile du fond : la reine Marie-Antoinette (grand-tante de l’Empereur) et ses enfants, par Vigée-Lebrun.  © COLLECTION VIOLLET

Ce parte­nar­i­at encore mar­qué, au-delà de l’e­sprit de dom­i­na­tion, du mépris et de la froideur des grands Empires, va se révéler moins une étape qu’un obsta­cle (surtout du fait hon­grois) sur la voie d’une authen­tique fédéra­tion danu­bi­enne, avec les per­spec­tives de com­mu­nauté de des­tin à risques libre­ment partagés que l’on pou­vait raisonnable­ment en attendre.

Com­ment expli­quer autrement l’am­biance d’hos­til­ité voire de haine, ayant régné à l’is­sue de la Pre­mière Guerre mon­di­ale sur les décom­bres de la dou­ble monar­chie, ayant présidé à son déman­tèle­ment sauvage, au tracé arbi­traire des fron­tières (plus par­ti­c­ulière­ment celles de Tri­anon sevrant plusieurs mil­lions de Hon­grois de la mère patrie, pri­vant des villes de leurs zones d’at­trac­tion, de leur poten­tiel économique et humain, les con­damnant au dépérisse­ment, etc.).

C’est bien à ce cli­mat de règle­ment de comptes que cédèrent les auteurs du traité de Ver­sailles, plus soucieux de sanc­tion­ner des ” respon­s­ables ” que de créer les con­di­tions prop­ices à la restau­ra­tion économique et à la sécu­rité col­lec­tive. Invi­tons à ce pro­pos le lecteur à se reporter au très intéres­sant arti­cle de notre cama­rade Ind­joud­jian, dans La Jaune et la Rouge1.

Si la Deux­ième Guerre mon­di­ale et le funeste traité de Ver­sailles ne sont pas étrangers l’un à l’autre, on peut, sem­ble-t-il, faire une remar­que ana­logue entre ce dernier et la révo­lu­tion de 1848 en dépit du laps de temps triple les séparant. Le lien est tis­sé par quelques hommes, tous issus de la révo­lu­tion de 1848, dont les options poli­tiques per­son­nelles vont se révéler déter­mi­nantes sur le cours ultérieur de l’his­toire de l’Eu­rope. Nous les avons déjà repérés : Napoléon III, Vic­tor-Emmanuel II et son min­istre Cavour et surtout Bis­mar­ck. On ne saurait ici s’é­ten­dre davan­tage à leur sujet. Si l’on passe à l’Autriche dont l’his­toire nous est moins famil­ière, deux noms s’im­posent par leur influ­ence fatidique.

Le pre­mier n’est autre que le terne empereur François-Joseph, le futur ” bril­lant sec­ond ” de Guil­laume II (selon le mot célèbre de ce dernier), trait d’u­nion vivant entre l’embrasement de 1848 et la Pre­mière Guerre mon­di­ale. (Soix­ante-huit ans de règne, mieux que Vic­to­ria, soixante-quatre !)

Dans son aveu­gle­ment, sa con­fi­ance (à peine entamée par des échecs et drames d’or­dre famil­ial) en la grandeur de sa mis­sion, com­ment François-Joseph aurait-il pu admet­tre que la survie de son Empire tenait seule­ment au besoin que l’Alle­magne avait de lui ?

Le sec­ond est un Hon­grois, Gyu­la Andrassy, con­damné à mort par con­tu­mace pour sa par­tic­i­pa­tion à l’in­sur­rec­tion de 1848, appelé, à la suite d’un sin­guli­er ren­verse­ment de sit­u­a­tion, à présider au des­tin de l’Autriche-Hon­grie. Ne va-t-il pas :

1) s’op­pos­er à l’en­trée en guerre de l’Autriche aux côtés de la France en 1870 ;
2) l’en­gager en 1872 dans la dan­gereuse alliance avec l’Allemagne ;
3) faire occu­per la Bosnie-Herzé­govine après le con­grès de Berlin en 1878.

Sa démis­sion l’an­née suiv­ante n’ar­rête pas le proces­sus irréversible engagé vers les précipices que l’on sait.

L’Autriche avant 1848 : METTERNICH

Prince de Metternich.Est-il une image de Met­ter­nich aus­si vivace dans la mémoire français que celle du geôli­er sans état d’âme, cam­pée par Edmond Ros­tand dans L’Aiglon ? Por­trait sans doute for­cé mais crédi­ble quand on sait à quel point sa poli­tique et ses com­porte­ments ont été assu­jet­tis à l’im­placa­ble rai­son d’État.

Né à Cob­lence, issu d’une vieille famille rhé­nane fidèle­ment attachée aux Hab­s­bourg, s’é­tant illus­trée à son ser­vice depuis la guerre de Trente Ans, Met­ter­nich a fréquen­té, comme son com­pa­tri­ote Goethe, l’u­ni­ver­sité de Stras­bourg. C’est un esprit uni­versel, avide de toutes les formes de con­nais­sances (médi­cales, sci­en­tifiques…). Il a cul­tivé de bonne heure l’usage des cinq prin­ci­pales langues de l’Eu­rope occi­den­tale qu’il maîtrise par­faite­ment tout en s’ini­tiant, plus tar­di­ve­ment, aux langues slaves.

Ses con­tem­po­rains, ses biographes s’ac­cor­dent à voir en lui un aris­to­crate, fig­ure attardée du Siè­cle des lumières, un esprit ratio­nal­iste et cos­mopo­lite, assez voltairien, fin et spir­ituel mais scep­tique sur l’homme, vic­time à ses yeux de ses pul­sions col­lec­tives. C’est ain­si qu’il ne croit guère à l’ex­is­tence d’un peu­ple alle­mand et aux rêves d’u­nité que com­men­cent à lui prêter cer­tains idéo­logues. Exécrant la Révo­lu­tion française, il se veut l’ad­ver­saire sans con­ces­sion des idées et des traces lais­sées à l’Eu­rope. Atti­tude bien exces­sive, mal jus­ti­fiée, si l’on con­sid­ère que les guer­res de la Révo­lu­tion et de l’Em­pire ont lais­sé dans la pop­u­la­tion des sou­venirs mit­igés et que les eth­nies dis­parates la com­posant sont dans l’ensem­ble encore peu politisées.

Met­ter­nich, grand admi­ra­teur de Frédéric II, comme Joseph II au siè­cle précé­dent, ne démord pas de l’idée que le ” despo­tisme éclairé “, cette forme mod­erne de l’ab­so­lutisme, reste le ” mod­èle indé­passé ” du gou­verne­ment des hommes et la meilleure sauve­g­arde des monar­chies con­tre les tem­pêtes de l’his­toire. C’est assuré­ment un sujet d’é­ton­nement qu’un homme aus­si fin et intel­li­gent, tout à l’op­posé de l’im­bé­cile solen­nel, se soit entêté à ce point et lais­sé pren­dre au piège de ses principes. Il faut toute­fois observ­er qu’après la dis­pari­tion en 1835 de l’empereur François Ier * (l’ad­ver­saire mal­heureux de la Révo­lu­tion française et de Napoléon Ier) qui se repo­sait presque entière­ment sur lui, Met­ter­nich n’est plus à sa place comme chance­li­er et tout à fait le maître, devant partager la réal­ité du pou­voir au sein d’une ” Con­férence d’É­tat ” restreinte à trois mem­bres où siège non pas le nou­v­el empereur Fer­di­nand Ier, per­son­nal­ité assez effacée, mais son oncle l’archiduc Louis. Les diver­gences sont fréquentes et l’ab­sence d’un véri­ta­ble arbi­tre se fait sentir.

Autant Met­ter­nich est à l’aise dans le grand jeu diplo­ma­tique, autant, par la suite, il ne s’in­téresse que de loin aux ques­tions intérieures aban­don­nées sans vrai con­trôle à des nota­bles et des sub­al­ternes comme en témoigne de bonne heure un agent à Vienne de la monar­chie de Juillet.

Le gou­verne­ment n’a aucune action et l’on ne le retrou­ve nulle part… Ce sont les sous-ordres qui sont les maîtres. Le prince de Met­ter­nich n’ex­erce aucune influ­ence sur ce qui n’est pas de son ressort…

Ce ” ressort ” n’est autre qu’une vieille méth­ode de gou­verne­ment : divis­er pour mieux régn­er, quand les divers­es diètes nationales en ses­sion émet­tent des propo­si­tions de réformes, on joue les unes con­tre les autres en exploitant leurs diver­gences pour faire pré­val­oir le statu quo, une obstruc­tion ayant atteint à la longue ses lim­ites mal­gré la mod­éra­tion de ces parlementaires.
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* Ex-François II, dernier empereur du Saint empire romain ger­manique jusqu’à 1806.

Nous avons saisi l’oc­ca­sion de cet arti­cle pour con­sacr­er à l’homme d’É­tat hon­grois, prin­ci­pal relais à Vienne de la stratégie bis­mar­ck­i­enne, une brève postface.

Pour illus­tr­er par ailleurs les séquelles lais­sées par l’his­toire en Europe cen­trale, nous avons pris l’ex­em­ple des tribu­la­tions de la Slo­vaquie som­maire­ment rap­pelées in fine.

RÉVOLUTION À VIENNE

Le 13 mars 1848, une man­i­fes­ta­tion à Vienne, rassem­blant ouvri­ers et étu­di­ants, dégénère en un soulève­ment général prenant pour cible Met­ter­nich, con­traint de fuir pré­cipi­ta­m­ment. Le principe monar­chique en la per­son­ne de l’empereur Fer­di­nand Ier resté pop­u­laire n’est pas encore en cause et c’est vers lui que l’on se tourne, à Vienne comme à Budapest (insurgée deux jours plus tard).

Les libéraux vien­nois trou­vent au sein du gou­verne­ment un inter­locu­teur récep­tif, le min­istre de la Jus­tice, Alexan­dre Bach, lequel lassé de l’im­mo­bil­isme et des excès du pou­voir impér­i­al s’é­tait déjà fait le porte-parole des réformateurs.

C’est sans résis­tance que Fer­di­nand Ier, sur les con­seils de Bach, souscrit aux exi­gences des libéraux, d’une Con­sti­tu­tion de type fédéral basée sur la recon­nais­sance des nation­al­ités et une large décentralisation.

Une chose est de définir des principes et des ori­en­ta­tions rich­es de per­spec­tives, une autre, de faire face à tous les mécon­tente­ments, lenteurs et résis­tances de toutes sortes à leur mise en œuvre, surtout dans les rangs de la noblesse et de la bureau­cratie alle­mande appelées à per­dre, la pre­mière ses prérog­a­tives, la sec­onde sa supré­matie dans l’Empire.

Par sur­croît, une foule de prob­lèmes sur­gis­sent, ayant peu de rap­ports avec les lib­ertés nationales, à Vienne, à Budapest ou ailleurs, les ques­tions soulevées restant le plus sou­vent sans répons­es. Ain­si, loin d’a­pais­er les esprits, les réformes con­sti­tu­tion­nelles qui tar­dent à se con­cré­tis­er les échauffent.

Au cours du print­emps 1848, la con­fu­sion s’é­tend un peu partout dans l’Em­pire, des émeutes écla­tent en juin à Vienne et à Prague, met­tant le comble à l’in­quié­tude de la cour et du gou­verne­ment qui se voit débordé.

En butte aux cri­tiques des milieux con­ser­va­teurs qui lui reprochent d’avoir trop accordé et trop vite, Bach sus­pend toutes les réformes, don­nant pri­or­ité au rétab­lisse­ment de l’or­dre. Pour plus de sûreté, la cour gagne Inns­bruck restée à l’abri des trou­bles, tan­dis que les forces autrichi­ennes se regroupent et se réor­gan­isent sous la con­duite énergique du feld-maréchal prince Windis­chgrätz, impa­tient d’in­ter­venir. Prague la pre­mière va faire la cru­elle expéri­ence de ce raidissement.

RÉVOLTE ET RÉPRESSION À PRAGUE ET À VIENNE

Rat­tachée aux Hab­s­bourg depuis le début du xvie siè­cle, la Bohême avait dis­paru depuis lors de la scène poli­tique à ceci près qu’une cer­taine renais­sance cul­turelle et nationale s’y était dévelop­pée depuis 1815 sous l’im­pul­sion d’une généra­tion d’écrivains et d’artistes ” Les Éveilleurs ” eux-mêmes poli­tique­ment partagés en deux courants :

  • les ” Aus­troslaves “, par­ti­sans de l’au­tonomie, mais au sein de l’Empire,
  • les ” Néoslaves “, par­ti­sans de l’indépen­dance pure et simple.
     

Charge de cavalerie contre le peuple à Vienne pendant les journées de mars 1848.
Charge de cav­a­lerie con­tre le peu­ple à Vienne pen­dant les journées de mars 1848.  © COLLECTION VIOLLET

La Bohême, à la sur­prise générale, avait dépêché à Vienne des délégués pour obtenir, out­re son autonomie, sa fusion avec la Moravie et la Silésie autrichi­enne. N’ob­tenant pas une réponse claire et prof­i­tant des embar­ras de l’Em­pire, la Bohême sans atten­dre s’é­tait dotée début avril d’un gou­verne­ment pro­vi­soire, con­som­mant ain­si sa rup­ture avec Vienne. Cette indépen­dance devait être de courte durée : en juin 1848, alors que s’achève à Prague un con­grès slave avec la par­tic­i­pa­tion polon­aise, des inci­dents sanglants se pro­duisent entre man­i­fes­tants et forces de l’or­dre, four­nissant aux Autrichiens le pré­texte atten­du pour inter­venir. Windis­chgrätz se porte rapi­de­ment sur Prague, bom­barde la ville, l’in­vestit, écrase l’in­sur­rec­tion, exerce une impi­toy­able répres­sion (met­tant fin pour soix­ante-dix ans aux vel­léités d’indépen­dance des Tchèques).

La sit­u­a­tion poli­tique n’en reste pas moins pré­caire. Le 3 octo­bre, une insur­rec­tion, la troisième, éclate à Vienne où l’on pend le min­istre de la Guerre, au pré­texte d’empêcher le départ de ren­forts autrichiens vers la Hongrie.

Monument du prince Schwarzenberg.
Mon­u­ment du prince Schwarzenberg.
© COLLECTION VIOLLET

Les troupes de Windis­chgrätz, ramenées sur Vienne, repren­nent la cap­i­tale le 31 octo­bre après trois jours de siège, y exer­cent une dure répres­sion. Windis­chgrätz, tou­jours lui, usant du pres­tige qu’il s’est acquis à la cour et dans les milieux con­ser­va­teurs pro­pose à l’empereur, réfugié à Olmütz, de con­stituer un nou­veau gou­verne­ment, con­fié au prince Felix Schwarzen­berg, son pro­pre beau-frère, lequel, cinq jours plus tard, le 2 décem­bre 1848, con­va­inc Fer­di­nand Ier de renon­cer au trône au prof­it de son neveu François-Joseph, alors âgé de 18 ans, sautant ain­si son suc­cesseur légitime, François-Charles, père de ce dernier. Fer­di­nand Ier accepte, ou plutôt s’incline.

Le nou­v­el empereur, qui se con­sid­ère libre des engage­ments pris par son prédécesseur, octroie le 4 mars 1849 à tout l’Em­pire, Hon­grie com­prise, une nou­velle Con­sti­tu­tion prévoy­ant deux cham­bres, recon­nais­sant l’é­gal­ité en droits des nation­al­ités dans leur représen­ta­tion, mais non leur indépendance.

Par cette ini­tia­tive, il entend mar­quer les lim­ites des con­ces­sions que la monar­chie est dis­posée à faire. Remar­quons que le cli­mat poli­tique en Europe n’est pas encore fer­mé aux réformes libérales. Rap­pelons en effet qu’au cours de ce même mois de mars 1849 le Par­lement de Franc­fort offre à Frédéric-Guil­laume IV la direc­tion de l’Alle­magne confédérée.

Ce qui va faire échouer ce com­pro­mis de la dernière chance et provo­quer par con­tre­coup le retour à l’ab­so­lutisme le plus strict est le rejet par la Hon­grie con­cernée au pre­mier chef, con­sid­érant comme un acquis son indépen­dance après une vic­toire rem­portée à Gödölö per­me­t­tant aux insurgés de repren­dre Budapest. Revenons ici un peu en arrière et por­tons atten­tion de ce côté.

LA SÉCESSION HONGROISE

Ten­sions séparatistes

Comte Étienne Széchenyi.
Comte Éti­enne Széchenyi. 
© COLLECTION VIOLLET

Il est bien révolu le temps où, en 1809, le ban et l’ar­rière-ban de la noblesse mag­yare, sourds à l’ap­pel lancé par Napoléon Ier de faire séces­sion avec Vienne, se sont rangés aux côtés des forces autrichi­ennes con­tre l’en­vahisseur pour essuy­er une cuisante défaite près de Györ. Au fil des ans et de l’autisme per­sis­tant de Vienne aux reven­di­ca­tions hon­grois­es (sur les lib­ertés civiques, l’usage de la langue mag­yare, etc.), les liens d’al­légeance avec les Hab­s­bourg se sont dis­ten­dus et les idées libérales ont fait leur chemin. Le prin­ci­pal ter­rain de fer­men­ta­tion poli­tique est la jeunesse par­lemen­taire et estu­di­antine (surtout en droit) où s’est for­mé un act­if mou­ve­ment d’af­fran­chisse­ment de la pesante tutelle vien­noise der­rière les deux fig­ures de proue du nation­al­isme hongrois.

Le pre­mier est le comte Ist­van Széchenyi, prob­a­ble­ment le Hon­grois le plus remar­quable de son temps et même du siè­cle. Fidèle à une tra­di­tion famil­iale de mécé­nat (son père n’est-il pas le fon­da­teur du musée nation­al et de la bib­lio­thèque nationale), il se dépense sans compter, met ses com­pé­tences, ses ressources et son énergie, qui sont grandes, au ser­vice de sa patrie.

On ne compte plus ses ini­tia­tives : mise en train de gigan­tesques travaux d’endigue­ment (des inon­da­tions cat­a­strophiques rav­agent les meilleures ter­res), mod­erni­sa­tion du réseau de com­mu­ni­ca­tion et des trans­ports (tels les pre­miers bateaux à vapeur sur le Danube), des tech­niques agronomiques, d’él­e­vage, des trans­ac­tions ban­caires, etc.

Lajos Kossuth.
Lajos Kos­suth.  © COLLECTION VIOLLET

Le sec­ond, plus jeune de dix ans, appelé à devenir (comme Garibal­di) une fig­ure légendaire des luttes de son siè­cle pour l’af­fran­chisse­ment des peu­ples est Lajos Kos­suth (1802–1894). Issu d’une famille protes­tante slo­vaque de petite noblesse, d’abord fonc­tion­naire dans le dis­trict des célèbres vins de Tokay, il révèle des qual­ités peu com­munes de courage, de sens des respon­s­abil­ités et d’or­gan­i­sa­tion, lors d’une épidémie de choléra et de graves désor­dres soci­aux en 1831. Nour­ris­sant des ambi­tions poli­tiques, il s’en­gage dans le com­bat pour l’indépen­dance comme avo­cat, pub­li­ciste, et se fait élire député à la Diète hon­groise qui siège alors à Poz­sony (Pres­bourg, aujour­d’hui Bratislava).

Son élo­quence, son influ­ence, son mil­i­tan­tisme anti-autrichien (il est le prin­ci­pal insti­ga­teur du boy­cott des pro­duits autrichiens) lui valent trois ans d’in­car­céra­tion (de 1837 à 1840), la pop­u­lar­ité, de nom­breux par­ti­sans et pour finir une élec­tion tri­om­phale en 1847 comme député de Pest où il s’im­pose aus­sitôt comme le chef de file de l’aile rad­i­cale du par­ti libéral nationaliste.

Si Széchenyi et Kos­suth, ardents patri­otes l’un et l’autre, s’ac­cor­dent sur les objec­tifs d’indépen­dance, s’es­ti­ment mutuelle­ment, n’é­tant pas à pro­pre­ment par­ler rivaux, ils n’en diver­gent pas moins, s’op­posent même sur la con­duite à tenir, dis­ons que leurs rap­ports au temps ne sont pas les mêmes. Le pre­mier red­oute en effet les con­séquences funestes d’un embrase­ment général et mise sur la patience pour faire enten­dre rai­son aux Autrichiens. Le sec­ond, de tem­péra­ment fougueux, meneur d’hommes né, estime que c’est peine per­due et que seule l’ac­tion dans l’en­t­hou­si­asme peut bal­ay­er les obstacles.

L’insurrection

L’en­lise­ment du dia­logue entre la Diète hon­groise et Vienne, la nou­velle du soulève­ment du 13 mars dans la cap­i­tale déclenchent l’in­sur­rec­tion à Budapest le 15 mars. Partout dans les rues cir­cu­lent les tracts d’un man­i­feste de reven­di­ca­tions soutenu par un chant nation­al impro­visé la veille par le grand patri­ote et poète lyrique Petö­fi alors âgé de 25 ans.

La liesse est générale tant l’avenir sem­ble radieux aux insurgés qui obti­en­nent de Vienne huit jours plus tard la recon­nais­sance en bonne et due forme du gou­verne­ment nation­al hon­grois et l’empereur en per­son­ne se rend même à Poznyi pour clore la ses­sion de la Diète. Széchenyi et Kos­suth se retrou­vent côte à côte au sein du gou­verne­ment, le pre­mier en charge des Travaux publics, le sec­ond des Finances ; le poste de Pre­mier min­istre échouant au comte Lajos Batthyány dont la répu­ta­tion d’in­tégrité ajoute à l’au­ra de l’équipe.

L’émis­sion de mon­naie fidu­ci­aire, ” le bil­let Kos­suth “, per­met, l’en­t­hou­si­asme aidant, d’as­sur­er pro­vi­soire­ment la con­fi­ance et le fonc­tion­nement des cir­cuits économiques.

Régime pour le moins archaïque que celui sub­sis­tant dans la Hon­grie en ce milieu du xixe siè­cle : l’aris­to­cratie y gère de vastes domaines qui lui ont été jadis con­fiés à titre non hérédi­taire par le sou­verain, se déchargeant sur elle de l’ap­pareil admin­is­tratif, mil­i­taire et civ­il de base avec les mul­ti­ples dys­fonc­tion­nements et abus que l’on peut imag­in­er. Com­ment pass­er d’un tel régime qua­si féo­dal à un État mod­erne ? Tel est le défi, la véri­ta­ble gageure aux­quels s’at­taque­nt le gou­verne­ment et le Par­lement révolutionnaires.

Sig­nalons seule­ment dans le train de réformes des insti­tu­tions, la mesure la plus inso­lite (démoc­ra­tique­ment par­lant) : le béné­fice de pleine pro­priété de ses domaines accordé à la noblesse (sans doute en con­trepar­tie de l’af­fran­chisse­ment des serfs et de l’abo­li­tion des droits féo­daux inscrits dans la loi de référence).

LES “DOUZE” POINTS DE REVENDICATION

Que souhaite la nation hongroise ?
Paix, lib­erté et entente !

1° Nous souhaitons la lib­erté de la presse,
l’abolition de la censure.

2° Un min­istère respon­s­able à Budapest.

12° L’union avec la Tran­syl­vanie (alors sous con­trôle direct de l’Autriche.)
Lib­erté, égal­ité, fraternité !

Le poète Sandor Petöfi
Le poète San­dor Petö­fi. © COLLECTION VIOLLET

CHANT NATIONAL HONGROIS

(Que per­son­ne ne réus­sit à met­tre digne­ment en musique.)

“ Debout, Ho​ngrois, la patrie nous appelle.
C’est l’heure, à présent ou jamais !
Serons-nous esclaves ou libres ?
Voilà le choix, décidez !

Nous jurons que jamais plus esclaves nous ne serons ! ”

Écrit en une nuit par Petöfi.

La révolte croate

Les Croates que les Hon­grois con­sid­èrent main­tenant comme leurs sujets (ne dépendaient-ils pas admin­is­tra­tive­ment d’eux dans l’Em­pire ?) aspirent de leur côté à l’indépen­dance sur le mod­èle de ces derniers, et ne se privent pas de le faire savoir à Vienne, où l’on com­mence à regret­ter amère­ment d’avoir cédé si hâtive­ment aux reven­di­ca­tions hon­grois­es sans même en avoir pesé les con­séquences de proche en proche.

Faut-il rap­pel­er que les guer­res napoléoni­ennes ont lais­sé des traces dans les provinces illyri­ennes nou­velle­ment créées, rat­tachées à l’Em­pire français entre 1809 et 1813, courte péri­ode certes, mar­quée néan­moins par des trans­for­ma­tions rad­i­cales : en Dal­matie, en Slovénie et dans la majeure par­tie de la Croat­ie, à la suite de l’abo­li­tion de la féo­dal­ité et de l’adop­tion du Code civ­il, on com­mence à s’éveiller à l’idée d’au­tonomie, à la lim­ite, d’indépen­dance, au sein d’un mou­ve­ment ” illyrien ” d’abord cul­turel où l’on rêve de rassem­bler les Slaves du Sud de l’Em­pire autrichien.

On est encore loin de l’idée d’une rup­ture avec Vienne, quand la Révo­lu­tion de 1848 éclate, pré­cip­i­tant la prise de con­science du par­ti à pren­dre : Croates, Slovènes et Serbes réu­nis à Kar­lowitz en mai 1848 envis­agent leur union, mais surtout Jelacic, ban de la Voïvo­dine, qui a servi comme général dans les rangs de l’ar­mée autrichi­enne, refuse caté­gorique­ment de se join­dre aux insurgés hon­grois dont il red­oute l’e­sprit de dom­i­na­tion, il pousse les Ser­bo-Croates de sa région à pren­dre les armes et le par­ti de Vienne sur la foi de divers­es promess­es reçues.

Jelacic, au début de l’été 1848, envahit le ter­ri­toire hon­grois avec ses troupes.

La Hongrie en armes

La men­ace exer­cée au sud par Jelacic n’est pas la seule. Les Roumains de Tran­syl­vanie s’agi­tent, des trou­bles écla­tent en Slo­vaquie (voir la post­face). Il devient clair que le gou­verne­ment autrichien, qui les encour­age en sous-main, se pré­pare à inter­venir le moment venu.

Face à la manœu­vre d’encer­clement qui se des­sine, le gou­verne­ment hon­grois réag­it avec vigueur pour pren­dre de vitesse ses adver­saires : lev­ées en hâte, des forces ter­ri­to­ri­ales stop­pent l’a­vance des Croates qui, au lieu de refluer vers Zagreb, pren­nent la direc­tion de Vienne, leurs pour­suiv­ants font de même, sit­u­a­tion mil­i­taire bien con­fuse, où aucune des deux par­ties n’a les moyens de forcer la déci­sion et ne se risque à entr­er dans Vienne.

À Budapest en juil­let 1848, le cli­mat s’est rad­i­cal­isé devant l’ur­gence de dot­er la nation d’une véri­ta­ble armée. Ce sera l’hon­neur de Kos­suth de s’at­tel­er avec suc­cès à cette tâche prioritaire.

À par­tir d’u­nités ter­ri­to­ri­ales faible­ment équipées et instru­ites, il crée de toutes pièces ou presque une armée nationale, la ” Honved “, réus­sis­sant à l’ha­biller, l’armer, l’en­cadr­er et la dot­er d’ar­tillerie : avec peu de moyens, un habile fondeur tran­syl­vain Aron Gabor impro­vise une canon­ner­ie opéra­tionnelle dans un temps record.

Notons incidem­ment que la com­mu­nauté juive hon­groise, gag­née à la cause indépen­dan­tiste, rival­isant de zèle et d’ingéniosité, a mobil­isé tous ses moyens matériels et humains. Prési­dent du comité de Défense nationale, Kos­suth est en fait à la fin de l’été 1848 le véri­ta­ble maître de la Hongrie.

Quand l’ar­mée hon­groise tente de bris­er l’encer­clement de Vienne par les troupes impéri­ales réor­gan­isées, elle subit un échec, se voit con­trainte à se repli­er sur le sol hon­grois et même à aban­don­ner Budapest à l’en­ne­mi. Par la suite la con­tre-offen­sive autrichi­enne pié­tine, cède le ter­rain con­quis en sorte qu’au print­emps 1849 les forces hon­grois­es ont partout repris l’initiative.

Hongrie - Révolution au château d’Ofener.
Hon­grie — Révo­lu­tion au château d’Ofener. © COLLECTION VIOLLET

Rupture des négociations et défaites

Para­doxale­ment, le principe de l’é­gal­ité des nation­al­ités au sein de l’Em­pire énon­cé par la nou­velle Con­sti­tu­tion d’Olmütz avait été mal reçu par les Hon­grois déjà béné­fi­ci­aires d’un statut spé­cial, trans­posé de celui accordé par les Hab­s­bourg après l’ex­pul­sion des Ottomans à la fin du xvi­ie siè­cle (et donc régi par le droit mil­i­taire de l’époque).

Répression en Hongrie.
Répres­sion en Hon­grie.  © COLLECTION VIOLLET

Où ne va-t-on pas si l’on doit faire droit à toutes les aspi­ra­tions plus ou moins légitimes des minorités de l’hin­ter­land his­torique hon­grois (Slo­vaquie, Tran­syl­vanie, Slavonie…) dont on a tou­jours nié l’existence !

Par­ti­sans de la recherche d’un com­pro­mis et indépen­dan­tistes intran­sigeants s’af­fron­tent à Debre­cen au cours de débats pas­sion­nés. Finale­ment les sec­onds l’emportent, Kos­suth devient le ” gou­verneur ” d’une équipe où acceptent de siéger quelques mod­érés comme Batthyány (mais non Széchenyi).

Et c’est la fuite en avant, après que l’ir­ré­para­ble, l’i­nac­cept­able pour Vienne a été com­mis : la déchéance des Hab­s­bourg solen­nelle­ment proclamée à Debre­cen le 14 avril 1849. Cet ultime et téméraire défi lancé à l’Autriche par les insurgés va provo­quer leur défaite.

C’est en effet compter sans la réac­tion très défa­vor­able du puis­sant voisin russe au ” mau­vais ” exem­ple don­né par les Hon­grois. Nico­las Ier, en quête par ailleurs d’un appui à l’Ouest dans sa poli­tique expan­sion­niste vers les Détroits, saisit le pré­texte de la sol­i­dar­ité monar­chique pour pro­pos­er son aide mil­i­taire, lors d’une ren­con­tre à Varso­vie, à François-Joseph qui, dans son désar­roi, s’empresse d’accepter.

Il faut dans le camp hon­grois se ren­dre à l’év­i­dence : pris entre deux feux et même un troisième (les Croates de Jelacic), les com­bat­tants de la lib­erté n’ont guère de chances sérieuses de rompre une coali­tion, sauf à ten­ter d’user l’en­ne­mi en se retran­chant dans des sites fortifiés.

Kos­suth qui n’avait jamais reçu le sou­tien des class­es les plus influ­entes (les grands pro­prié­taires fonciers et le clergé catholique) se voit main­tenant ouverte­ment cri­tiqué et démis­sionne après avoir investi des pleins pou­voirs le général Artur Görgey, com­man­dant en chef de l’armée.

Or ce dernier, obéis­sant à des mobiles mal éclair­cis, va capit­uler devant les Cosaques le 13 août 1849 à Vila­gos, près d’Arad en Tran­syl­vanie [A1] se fiant aux promess­es d’am­nistie des généraux russ­es, promess­es hon­teuse­ment trahies après leur retrait, par les Autrichiens.

En effet, le gou­verne­ment de Vienne qui s’at­tendait à une forte résis­tance était dis­posé à négoci­er mais, à la nou­velle de cette capit­u­la­tion, change d’at­ti­tude, donne carte blanche au com­man­dant en chef, le général Hay­nau, qui s’est déjà acquis une sin­istre répu­ta­tion en Ital­ie où ses atroc­ités lui ont valu le surnom de la ” hyène de Bres­cia “. Hay­nau fait fusiller le 6 octo­bre 13 généraux, pen­dre des cen­taines d’in­surgés et enrôler de force ceux qu’il n’a pas fait jeter en prison. Ce même 6 octo­bre voit l’exé­cu­tion à Pest du comte Batthyány, pour­tant le plus mod­éré par­mi les insurgés.

ÉPILOGUE

Ces exé­cu­tions som­maires et déshon­o­rantes, que la rai­son d’É­tat ne jus­ti­fi­ait en rien, vont laiss­er dans la mémoire hon­groise des cica­tri­ces pro­fondes, par­fois inso­lites [A2]. Écou­tons un his­to­rien hon­grois, Ist­van Lazar, évo­quer pour nous aujour­d’hui la chape de plomb, ” l’ère Bach “, qui s’a­bat sur la Hon­grie après la répression :

Budapest, la statue de Kossuth sur la place du Parlement.
Budapest, la stat­ue de Kos­suth sur la place du Par­lement.  
© COLLECTION VIOLLET

Pen­dant des années, la Hon­grie porte des habits de deuil, vis­ite ses pris­on­niers, rédi­ge des deman­des de grâce, recèle des pris­on­niers en fuite et se repaît de chimères. Elle fonde ses espérances sur des événe­ments extérieurs : les mou­ve­ments ital­iens de Garibal­di autour de qui se rassem­blent pro­vi­soire­ment les com­bat­tants de la lib­erté en Europe, l’avène­ment de Napoléon III n’ayant hérité du célèbre Corse que le nom…

Pour en finir avec cette som­bre péri­ode qu’ad­vient-il des autres chefs de l’insurrection ?

Le des­tin de Széchenyi n’est guère plus envi­able que celui de Batthyány : incon­solable, il se cul­pa­bilise de l’échec de la révo­lu­tion (trau­ma­tisme intime­ment aggravé par l’échec d’un remariage).

Cet ” Ham­let mod­erne ” comme l’en­trevoit un écrivain hon­grois, trag­ique vic­time d’une voca­tion dont l’ac­com­plisse­ment le fuit, va lui-même met­tre fin à ses jours en 1860 dans un asile d’al­iénés, proche de Budapest.

À l’in­verse, Kos­suth, escorté de sa cour d’émi­grés, voy­age beau­coup, allant de pays en pays sol­liciter de l’aide et recueil­lir des mar­ques de sym­pa­thie, surtout à Lon­dres et aux États-Unis qui lui réser­vent un accueil tri­om­phal. (Rap­pelons qu’à Lon­dres il se lie avec d’autres lead­ers répub­li­cains tel Ledru-Rollin.)

Il est peu dou­teux que sa prestance et son élo­quence ont beau­coup con­tribué à pop­u­laris­er la cause hon­groise comme à nuire à l’im­age des Hab­s­bourg dans l’opin­ion publique occidentale.

Par la suite Kos­suth gagne Turin d’où il tente de pré­par­er le soulève­ment de sa patrie mais l’armistice de Vil­lafran­ca entre Napoléon III et l’Autriche ruine ses espoirs.

Il con­damne non sans rai­son le com­pro­mis de 1867. Son refus, après son amnistie, de siéger à l’Assem­blée nationale où il garde nom­bre de fidèles, n’empêche pas la créa­tion en son sein d’un par­ti de l’indépen­dance se récla­mant de lui.

Au soir de sa longue vie, la sagesse venue, il amendera ses con­vic­tions, appelant de ses vœux la con­sti­tu­tion d’une véri­ta­ble fédéra­tion danubienne.

L’un des traits les plus inat­ten­dus de la fougueuse per­son­nal­ité de Kos­suth, presque une sec­onde voca­tion chez lui, a été son goût et sa grande com­pé­tence de nat­u­ral­iste, notam­ment d’entomologiste.

POSTFACES

Andrassy

Par un sin­guli­er retour de for­tune dont l’his­toire est cou­tu­mière, il se trou­ve, par­mi les insurgés hon­grois de 1848, un homme des­tiné à faire une ren­trée alors imprévis­i­ble sur la scène poli­tique européenne et même con­tribuer à infléchir le cours directeur des événe­ments de son siè­cle : le comte Gyu­la Andrassy (1823–1890). Né à Kosice2, d’o­rig­ine slo­vaque comme Kos­suth, élu en 1847 à la Diète de Pres­bourg (comme député de cette ville), il fait cause com­mune avec lui.

Gyula Andrassy.
Gyu­la Andrassy.  © COLLECTION VIOLLET

L’in­sur­rec­tion le voit d’abord exercer un com­man­de­ment au sein du Honved mais le gou­verne­ment pro­vi­soire juge plus utile d’en faire son représen­tant à Istan­bul dont on espère l’ap­pui éventuel, mis­sion éphémère, vite inter­rompue par la capit­u­la­tion de Vilagos.

Le voilà réduit à pren­dre… le chemin de l’ex­il, à gag­n­er Lon­dres (ensuite Paris) où le rejoint la nou­velle de sa con­damna­tion à mort et de sa pendai­son en effigie par un tri­bunal mil­i­taire autrichien en 1851. Cepen­dant Andrassy com­mence à pren­dre ses dis­tances avec ses col­lègues, transfuges de la révo­lu­tion hon­groise tels Kos­suth et Tele­ki. Aus­si résolu qu’eux à pour­suiv­re le com­bat pour la cause nationale hon­groise, il juge stérile leur intran­sigeance et s’en sépare au plan des objec­tifs et de la stratégie à adopter.

Andrassy a eu le loisir de réfléchir aux don­nées poli­tiques de l’Eu­rope, s’é­tant déjà exer­cé à démêler l’éche­veau de leurs impli­ca­tions au cours d’un voy­age d’é­tude accom­pli avant 1848. Tirant les leçons de l’échec subi, il s’est affer­mi dans l’idée que l’indépen­dance d’une Hon­grie déjà affaib­lie par ses ten­sions internes du fait de ses tur­bu­lentes minorités slaves au Nord et au Sud ne se révèle à l’ex­péri­ence prob­lé­ma­tique, voire illu­soire en devenant le théâtre per­ma­nent des luttes d’in­flu­ence, des rival­ités entre ses trop puis­sants voisins autrichien et russe.

Ne faudrait-il pas mieux chercher à établir dans le respect mutuel des indépen­dances un accord prof­itable de parte­nar­i­at avec l’un d’eux. Tel appa­raît aux yeux d’An­drassy le véri­ta­ble défi à relever. Face à ce choix alter­natif, Andrassy ne bal­ance pas : sa cul­ture, ses affinités le font ger­manophile jusqu’à approu­ver sans réserve la néga­tion du nation­al­isme tchèque par les Autrichiens.

Au cours de la car­rière poli­tique qui l’at­tend, Andrassy ne vari­era pas dans ses con­vic­tions le des­ti­nant, comme nous allons le voir, à se faire l’aux­il­i­aire de la poli­tique bis­mar­ck­i­enne et même l’al­lié objec­tif le plus sûr du chance­li­er alle­mand en Autriche.

Rap­pelons les étapes de sa spec­tac­u­laire ren­trée dans l’arène politique.

Le cab­i­net autrichien n’ig­nore rien des divi­sions au sein de la dias­po­ra nation­al­iste hon­groise. Dans un geste d’a­paise­ment, sig­nal de libéral­i­sa­tion à l’adresse de l’opin­ion tant intérieure qu’ex­térieure (très cri­tique vis-à-vis de sa poli­tique hon­groise) il amnistie Andrassy l’au­torisant à ren­tr­er dans son pays et même à y jouer un rôle politique.

Annex­es

[A1] Qu’est-ce qui avait pu pouss­er Görgey à se ren­dre, avant que le sort des armes se fût pronon­cé : trahi­son, souci d’é­pargn­er la vie de ses hommes, démoral­i­sa­tion de l’ar­mée (du côté des Russ­es décimés par le choléra, la sit­u­a­tion n’é­tait guère plus bril­lante) ? His­to­riens et même dra­maturges hon­grois en ont beau­coup débat­tu sans con­clure pour autant. C’est pour­tant un fait que, sur le front Ouest, des forces hon­grois­es com­mandées par le général Klap­ka, solide­ment retranchées à Kos­maron, face aux Autrichiens, leur don­nèrent telle­ment de fil à retor­dre que ces derniers leur pro­posèrent des con­di­tions de capit­u­la­tion plus qu’honor­ables accep­tées et respectées.

[A2] En voici quelques exemples :

  • Le sou­venir des ” 13 mar­tyrs d’Arad ” est tou­jours fidèle­ment com­mé­moré chaque année en Hongrie.
  • Pen­dant longtemps les Hon­grois se résigneront mal à la mort de leur poète, Petö­fi, alors com­man­dant et aide de camp de Görgey. La dis­pari­tion de son corps accrédit­era la légende de sa cap­tiv­ité en Russie… et l’ap­pari­tion de faux Petöfi.
  • Hon­nie à jamais, la fig­ure schiz­o­phrénique de Hay­nau sur­vivra dans les légen­des fan­toma­tiques pop­u­laires de l’Est hon­grois (où il s’é­tait retiré) sous les traits d’épou­vante d’un Drac­u­la ver­sion hongroise.
  • La scène représen­tant l’exé­cu­tion de Batthyány avait fait l’ob­jet d’une com­mande offi­cielle : un tableau des­tiné à… orner à la demande de François-Joseph (sadisme ou expi­a­tion de sa part ?) sa rési­dence de Burg.

[A3] L’in­sti­tu­tion en 1867 de la monar­chie duale aus­tro-hon­groise doit être con­sid­érée dans ses rap­ports avec le traité de Prague (épi­logue de la défaite de Sad­owa), ce chef-d’œu­vre de la diplo­matie bismarckienne.
Com­ment ne pas voir les avan­tages que le chance­li­er alle­mand retire d’un tel mon­tage (qu’il encour­age prob­a­ble­ment en sous-main) : en déplaçant vers l’est le cen­tre de grav­ité de sa future alliée, qu’il vient de chas­s­er d’Alle­magne, il l’incite à ne plus regarder en arrière mais du côté de ses march­es slaves. En un mot il ” hun­garise ” son impéri­al­isme sans compter qu’il fait des dirigeants hon­grois des sym­pa­thisants poten­tiels de l’Alle­magne et ses alliés objec­tifs pour faire échec aux ambi­tions russ­es dans les Balka­ns. C’est un fait que les prin­ci­paux dirigeants d’An­drassy à Hor­thy vont jouer la carte allemande.

Après ses revers en Ital­ie, l’Autriche pressée de toutes parts se résout en 1860 à assou­plir son atti­tude vis-à-vis de ses minorités nationales et à faire des con­ces­sions, mais sans aller jusqu’à recon­naître les lois con­sti­tu­tion­nelles hon­grois­es comme sa sit­u­a­tion par­ti­c­ulière au sein de la monar­chie danubienne.

Andrassy fait cam­pagne con­tre ces propo­si­tions et mar­que son hos­til­ité à toute solu­tion qui accorderait dans un cadre fédéral les mêmes droits aux Tchèques et aux Hon­grois. Il rejoint en cela la fierté et le nation­al­isme ombrageux de ses com­pa­tri­otes tout en sachant qu’à Vienne on accorde une atten­tion pri­or­i­taire aux reven­di­ca­tions hon­grois­es, qui jouis­sent main­tenant de sou­tiens act­ifs dans les chancelleries.

Cette pugnac­ité va se révéler pleine­ment payante quand, vice-prési­dent de la Diète hon­groise, il sec­onde son com­pa­tri­ote Deak, devenu l’in­ter­locu­teur priv­ilégié du cab­i­net de Vienne. Tous deux, par la force de leurs con­vic­tions et de leur bonne foi, font une forte impres­sion sur l’empereur François-Joseph lui-même.

C’est Andrassy qui imag­ine, dans le cadre du com­pro­mis de 1867 étab­lis­sant une dou­ble monar­chie, le sys­tème des deux délé­ga­tions désignées par les Par­lements respec­tifs de Vienne et de Budapest pour vot­er le bud­get commun.

Nom­mé le pre­mier prési­dent du Con­seil de la Hon­grie restau­rée dans son indépen­dance, il s’at­telle à la lourde tâche de dot­er son pays d’un appareil éta­tique mod­erne jusqu’alors inex­is­tant, tout en con­tenant l’op­po­si­tion à la fois des patri­otes ultra de Kos­suth et des minorités nationales slaves (Ser­bo-Croates et Slo­vaques), voire roumaines. Son hos­til­ité vig­i­lante à la poli­tique de revanche sur la Prusse le con­duit d’abord à s’op­pos­er à l’en­trée en guerre de l’Autriche-Hon­grie aux côtés de la France en 1870.

Bis­mar­ck qui ne red­oute rien tant qu’une telle alliance sait qu’il peut compter sur Andrassy pro­mu min­istre des Affaires étrangères de l’Empire.

À Vienne, le désas­tre mil­i­taire français a ravivé le sou­venir cuisant de l’hu­mil­i­a­tion si proche de Sad­owa (en 1866). On diverge sur l’at­ti­tude à adopter vis-à-vis de l’Alle­magne. Le chance­li­er Beust (ex-pre­mier min­istre de la Saxe, hos­tile à Bis­mar­ck qui s’est mis au ser­vice des Hab­s­bourg) démissionne.

Andrassy qui lui suc­cède a tôt fait de con­va­in­cre François-Joseph qu’il est chimérique d’e­spér­er une revanche sur la Prusse, que le meilleur par­ti est celui de la réc­on­cil­i­a­tion. Celle-ci a lieu en sep­tem­bre 1872 à Berlin qui voit les trois empereurs Guil­laume Ier, François-Joseph et Alexan­dre II con­venir de resser­rer leurs liens. En réal­ité der­rière cette façade de sol­i­dar­ité se pro­fi­lent bien des ques­tions en sus­pens sur l’analyse de la sit­u­a­tion faite par cha­cun et ses intentions.

On ne saurait, dans le cadre restreint de ce chem­ine­ment déjà éloigné de son point de départ, évo­quer dans ses divers­es impli­ca­tions et com­pli­ca­tions la grande diver­sion opérée par le rebondisse­ment de l’épineuse ques­tion d’Ori­ent, liée au déclin per­sis­tant de la puis­sance ottomane, le ” malade de l’Eu­rope “, cible des con­voitis­es ou des craintes des chancelleries.

Pour son mal­heur et celui de l’Eu­rope, l’Autriche-Hon­grie, cédant au mirage loin­tain de la ” Route de Salonique “, va bien­tôt s’aven­tur­er incon­sid­éré­ment dans les Balka­ns, zone de tous les dangers.

Or cette ” faute his­torique “, si lourde de con­séquences, a deux pro­tag­o­nistes, alliés de cir­con­stance obéis­sant à leurs logiques pro­pres. D’abord Bis­mar­ck, l’in­sti­ga­teur, le ten­ta­teur, celui qui tire machi­avélique­ment les fils. Il désire con­solid­er l’al­liance des deux Empires, élargie à l’I­tal­ie (la ” Trip­lice ”), faire en sorte d’ef­fac­er les séquelles du passé et leur con­tentieux dans les mémoires.

Il n’est pour cela de meilleur remède qu’une recon­ver­sion, une réori­en­ta­tion du regard vers le Sud-Est, ces vastes ter­ri­toires balka­niques à la des­tinée poli­tique incer­taine, offrant éventuelle­ment des per­spec­tives d’ex­ten­sion pour l’Em­pire aus­tro-hon­grois, à cette réserve près que, pour sa part, le chance­li­er alle­mand ne s’avoue pas dis­posé à y expos­er la vie d’un grenadier poméranien [A3].

La suite est bien con­nue. Le con­grès de Berlin de 1878 con­sacre en apparence le tri­om­phe de la nou­velle poli­tique : l’Autriche-Hon­grie se voy­ant en effet accorder le droit d’oc­cu­per mil­i­taire­ment la Bosnie-Herzé­govine et faire ain­si l’é­conomie d’une guerre dans les Balka­ns. Toute­fois l’oc­cu­pa­tion ne se fait pas sans mal, se heur­tant à l’hos­til­ité des pop­u­la­tions plus spé­ciale­ment des Serbes de Bosnie qui organ­isent la résistance.

Devant ces obsta­cles d’ailleurs prévis­i­bles, l’opin­ion publique à Vienne comme à Budapest se fait très cri­tique : hos­tile à la Russie, elle admet mal que l’on ait sac­ri­fié le dogme de l’in­tégrité de l’Em­pire ottoman en sorte qu’An­drassy, prin­ci­pal pro­tag­o­niste de l’aven­ture balka­nique, préfère démis­sion­ner l’an­née suiv­ante en 1879.

Slovaquie

Découpée dans le vaste mas­sif carpa­tique, la Slo­vaquie se développe d’ouest en est, avec, au nord, le mas­sif des Hautes Tatras célèbre pour être évo­qué dans la sec­onde par­tie de l’hymne tché­coslo­vaque (“Au-dessus des Tatras bril­lent les éclairs… ” des paroles qui remon­taient pré­cisé­ment à l’an­née 1848).

La forêt y domine en dehors des bass­es ter­res labourables de la rive gauche du Danube détachées de la Hon­grie au traité de Tri­anon en juin 1920 bien que peu­plées majori­taire­ment de Mag­yars. His­torique­ment liés à la Hon­grie, les Slo­vaques accueil­lent avec joie la nou­velle de la révo­lu­tion de Vienne comme celle de l’in­sur­rec­tion hon­groise. Pleins d’e­spoir pour eux-mêmes, ils présen­tent à la junte au pou­voir à Budapest leurs pro­pres revendications.

Mal leur en prend, non seule­ment on les écon­duit, mais on leur envoie les troupes de Kos­suth pour les met­tre au pas, étouf­fer sauvage­ment toute forme de rébel­lion : des potences hâtive­ment dressées, vite surnom­mées ” les arbres de la lib­erté de Kos­suth ” dont le lugubre sou­venir restera longtemps gravé dans les mémoires.

Indignés, les Slo­vaques, en dés­espoir de cause, en appel­lent à Vienne, se rangeant à ses côtés dans le con­flit avec la Hon­grie mais sans en obtenir par la suite une quel­conque recon­nais­sance. Moins de dix ans plus tard, c’est en vain qu’ils protes­tent con­tre leur rat­tache­ment à la Translei­thanie lors du partage ter­ri­to­r­i­al dual­iste de 1866.

De nou­veau le gou­verne­ment de Budapest leur fait pay­er très cher cette volon­té réitérée de divorce, faisant des Slo­vaques des citoyens de sec­onde zone en matière de droits civiques, de langue (le mag­yar est seul enseigné), de cul­ture (dis­so­lu­tion en 1875 de la ” Mat­ice Sloven­s­ka “, leur grande société culturelle…).

Des décon­v­enues, lour­des de con­séquence encore à l’heure actuelle, les atten­dent au siè­cle suiv­ant dans le cadre de leur union avec les Tchèques.

La con­ven­tion de Pitts­burgh signée en mai 1918 par Masaryk garan­tis­sant l’au­tonomie slo­vaque, et prélu­dant à l’ac­cord d’u­nion con­clu en octo­bre ne sera jamais appliquée. Le mécon­tente­ment crois­sant provo­qué par la poli­tique cen­tral­isatrice abu­sive de Prague est à l’o­rig­ine d’une séces­sion s’ap­puyant sur l’an­cien mou­ve­ment indépen­dan­tiste (créé en 1905 par l’ab­bé Hin­ka) dont les suc­cesseurs devenus pron­azis procla­ment uni­latérale­ment en octo­bre 1938 l’indépen­dance de la Slo­vaquie, c’est la crise ouverte avec Prague et l’oc­ca­sion pour Hitler d’ac­corder ce que Prague refuse, à Mgr Tiso con­vo­qué pour la cir­con­stance à Munich.

Voici donc la Slo­vaquie passée sous pro­tec­torat alle­mand sous cou­vert d’un fort par­ti pron­azi, engagée de gré pour les uns, de force pour les autres, d’abord au nord dans le bref inter­mède con­tre la Pologne, ensuite à l’est en 1941 con­tre l’URSS. Les yeux se dessil­lent, la résis­tance s’or­gan­ise, se pour­suit après l’in­sur­rec­tion en 1944 de Ban­ská Bystri­ca au cœur du pays, noyée dans le sang par l’ar­mée allemande.

Par une sin­gulière ironie du des­tin, après l’ef­face­ment de la voie démoc­ra­tique en 1948 à Prague, la Slo­vaquie forte de sa sit­u­a­tion géos­tratégique au cœur du COMECON va con­naître un développe­ment économique rapi­de, moteur d’un renou­veau démo­graphique : les Sovié­tiques lui réser­vent en effet une place cen­trale dans leurs plans d’industrialisation.

Ils met­tent en valeur ses poten­tial­ités hydroélec­triques, dévelop­pent le réseau des voies de com­mu­ni­ca­tion et édi­fient entre autres deux vastes com­plex­es sidérurgiques, le pre­mier à Kosice (rece­vant son char­bon de Silésie, son min­erai de fer d’Ukraine), le sec­ond à Ziar trai­tant la baux­ite de Hongrie.

Mal­heureuse­ment depuis l’ef­fon­drement du bloc com­mu­niste, tous les élé­ments d’une crise économique pro­fonde se trou­vent réu­nis : le gigan­tisme d’in­stal­la­tions vieil­lies, la nature des pro­duc­tions très ori­en­tées vers l’arme­ment, la dégra­da­tion de l’en­vi­ron­nement ren­dent très dif­fi­cile leur recon­ver­sion, entraî­nant par­mi une pop­u­la­tion active très accrue mais insuff­isam­ment qual­i­fiée un chô­mage très supérieur à celui des pays voisins.

Telle est sans doute la cause pro­fonde du divorce récent entre Tchèques et Slo­vaques, ces derniers, encore mar­qués par l’ère com­mu­niste restés attachés au social­isme d’É­tat, se plaig­nant du peu de sol­i­dar­ité de leurs parte­naires tchèques à leur égard et red­outant sans doute la main­mise sur leur économie.

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1. Numéro de mars 2001 : texte de sa remar­quable con­férence “ Le traité de Ver­sailles et les autres traités des ban­lieues nous con­cer­nent-ils encore aujourd’hui ? ” le 13 décem­bre dernier à la Mai­son des X.
2. Ville de l’est de la Slo­vaquie, dotée par les Russ­es après la Deux­ième Guerre mon­di­ale d’un grand com­plexe sidérurgique, en grande dif­fi­culté à l’heure actuelle, comme on peut s’en douter.
P.-S. : ce tour d’hori­zon néces­saire­ment lim­ité a omis de ren­dre compte d’événe­ments nota­bles sur­venus dans d’autres pays d’Eu­rope durant la péri­ode 1847–1852.
Rap­pelons cepen­dant le cas de la Suisse où l’an­née 1847 a été mar­quée par la guerre du Son­der­bund où Hen­ri Dufour (X 1807) a joué un rôle de pre­mier plan, étape déci­sive sur la voie de son unité fédérale (cf. La Jaune et la Rouge, mars 1988, l’ex­cel­lent arti­cle de Pierre Stroh, 31).

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