A propos de l’effet de serre

Dossier : ExpressionsMagazine N°615 Mai 2006
Par Jean-Noël HERMAN (52)

Rappels concernant l’effet de serre

La con­sis­tance de l’at­mo­sphère ter­restre provoque, vis-à-vis du ray­on­nement solaire, un “effet de serre” ana­logue à celui sur lequel repose le fonc­tion­nement des ser­res de cul­ture ou celui de la cloche à mel­ons, c’est-à-dire qu’il freine la ré-émis­sion vers l’e­space du ray­on­nement infrarouge, lui-même provo­qué par l’ab­sorp­tion (par le sol, la végé­ta­tion et les océans), du ray­on­nement direct reçu du soleil. 

Cet effet de serre est man­i­feste­ment béné­fique : en son absence, la tem­péra­ture moyenne à la sur­face du globe serait de l’or­dre de — 20 °C, alors qu’elle est en réal­ité de + 15 °C.

Il faut cepen­dant être con­scient du fait que l’ef­fet de serre ne cap­ture pas à pro­pre­ment par­ler, le ray­on­nement infrarouge : le sys­tème for­mé par la terre, y com­pris son atmo­sphère, étant en équili­bre ther­mique (sous réserve de fluc­tu­a­tions à long terme, telles que le ” réchauf­fe­ment cli­ma­tique ” qui défraie actuelle­ment la chronique), l’ef­fet de serre a sim­ple­ment pour effet de provo­quer une aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture du sol et des océans suff­isante pour que l’én­ergie ray­on­née par la terre (qui est fonc­tion crois­sante de sa tem­péra­ture) équili­bre celle qu’elle reçoit. Ce phénomène est appelé en cli­ma­tolo­gie le ” forçage radi­atif “, for­mule sou­vent employée dans les débats relat­ifs à l’ef­fet de serre. 

Le com­posant de l’at­mo­sphère ter­restre qui est le prin­ci­pal fac­teur de l’ef­fet de serre est (con­traire­ment à ce que pour­raient laiss­er sup­pos­er maints arti­cles récents) la vapeur d’eau. S’a­joute toute­fois à l’ef­fet de la vapeur d’eau celui de plusieurs gaz présents dans l’at­mo­sphère à des dos­es plus faibles, prin­ci­pale­ment le gaz car­bonique, le méthane, le pro­toxyde d’a­zote et les com­posés halogénés du car­bone. Le gaz car­bonique, est respon­s­able à lui seul, des trois-quarts env­i­ron du forçage radi­atif provo­qué par les gaz autres que la vapeur d’eau, lequel est d’ailleurs faible : 2 à 3 W/m2, à rap­procher du ray­on­nement solaire reçu, de l’or­dre de 340 W/m2. Mais cette per­tur­ba­tion est sus­cep­ti­ble d’en­traîn­er des effets à long terme, compte tenu de la longue durée de présence dans l’at­mo­sphère des gaz en cause, de l’or­dre du siè­cle (con­traire­ment à la vapeur d’eau, laque­lle est recy­clée en quelques jours par les phénomènes climatiques). 

Genèse des interrogations actuelles

Dès 1896, le physi­cien sué­dois Arrhe­nius avait évo­qué la pos­si­bil­ité d’une influ­ence de l’u­til­i­sa­tion de com­bustibles fos­siles sur la teneur en gaz car­bonique de l’at­mo­sphère, puis, par voie de con­séquence, sur le climat. 

Mais ce n’est que dans la deux­ième moitié du xxe siè­cle, après que les con­séquences directes de la tour­mente de la Deux­ième Guerre mon­di­ale se soient dis­sipées, que le rap­proche­ment des travaux sci­en­tifiques issus de plusieurs dis­ci­plines (glaciolo­gie, paléo­cli­ma­tolo­gie, astronomie, physique du globe…) a con­duit à repren­dre, avec plus de force, cette idée, notam­ment après que l’an­née géo­physique inter­na­tionale eut con­duit, en 1957, à une col­lecte inten­sive de données. 

Les prin­ci­paux points de ques­tion­nement sont les suivants : 

• La teneur atmo­sphérique en gaz car­bonique, sta­ble pen­dant plusieurs siè­cles à env­i­ron 280 ppm (par­ties par mil­lion), com­mence à croître vers 1850, crois­sance qui n’a fait que s’ac­centuer depuis, pour attein­dre aujour­d’hui 360 ppm. Les teneurs en méthane et pro­toxyde d’a­zote ont con­nu une évo­lu­tion sim­i­laire. Un tel rythme de crois­sance est sans précé­dent au cours des 20 000 dernières années et la teneur actuelle en gaz car­bonique sem­ble n’avoir jamais été atteinte au cours des 400 000 dernières années. 

• D’une manière assez sim­i­laire, les tem­péra­tures de l’hémis­phère nord (celles de l’hémis­phère sud sont peu prop­ices à la paléo­cli­ma­tolo­gie faute de don­nées suff­isantes) après avoir fluc­tué pen­dant des siè­cles à un niveau légère­ment inférieur à la moyenne 1961–1990, crois­sent bru­tale­ment au cours du xxe siè­cle, à un rythme sans précé­dent au cours des neuf siè­cles précé­dents. On revien­dra plus loin sur la quan­tifi­ca­tion de ce dernier phénomène. 

Ces con­stata­tions inter­pel­lent d’au­tant plus les obser­va­teurs qu’elles por­tent sur une péri­ode qui a été celle de l’ex­pan­sion indus­trielle et d’une con­som­ma­tion crois­sante de com­bustibles fossiles. 

L’intervention des organisations internationales

Le débat était par nature mon­di­al, en par­ti­c­uli­er parce que le gaz car­bonique, facile­ment mis­ci­ble à l’air, se répand dans toute l’at­mo­sphère. En 1988, l’Or­gan­i­sa­tion météorologique mon­di­ale et le Pro­gramme des Nations unies pour l’en­vi­ron­nement ont créé con­join­te­ment le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat — GIEC, en anglais (Inter­gov­erne­men­tal Pan­el on Cli­mat Change — IPCC) chargé d’é­val­uer les don­nées sci­en­tifiques disponibles sur l’évo­lu­tion du cli­mat, les inci­dences écologiques et socio-économiques de cette évo­lu­tion et de for­muler des straté­gies de parade. 

Le pre­mier rap­port du GIEC, pro­duit en 1990, a servi de base à la négo­ci­a­tion de la con­ven­tion-cadre des Nations unies sur le change­ment cli­ma­tique de 1992. 

Le deux­ième rap­port du GIEC, pro­duit en 1995, entre­pre­nait une approche glob­ale de la ques­tion, puisqu’elle s’é­tendait à la fois à ses aspects sci­en­tifiques (groupe de tra­vail I), aux inci­dences de l’évo­lu­tion du cli­mat, ensem­ble les mesures d’adap­ta­tion et d’at­ténu­a­tion pos­si­bles (groupe de tra­vail II) ain­si qu’aux aspects socio-économiques de cette évo­lu­tion (groupe de tra­vail III). 

Ce deux­ième rap­port a été suivi du pro­to­cole de Kyoto (1997) dont la rat­i­fi­ca­tion est encore un sujet d’une brûlante actualité. 

Les travaux du GIEC ne se sont pas inter­rom­pus pour autant puisqu’il a pro­duit en 2001 un troisième rap­port, qui s’ef­force d’ap­porter des com­plé­ments d’in­for­ma­tion et des ren­seigne­ments de nature à sup­primer ou au moins atténuer les incer­ti­tudes dont fai­sait état le deux­ième rap­port, qui sont fort nom­breuses. Les ori­en­ta­tions de ce troisième rap­port soulèvent en out­re quelques prob­lèmes. Ces deux points seront repris ci-après. 

Le niveau actuel de connaissance du sujet et les questions qu’il pourrait appeler

A) La température — aspect rétrospectif

Le deux­ième rap­port du GIEC éval­u­ait l’aug­men­ta­tion moyenne de la tem­péra­ture à la sur­face du globe en un siè­cle (fin xixe-fin xxe) dans une fourchette de 0,3 à 0,6 °C.

Le troisième rap­port porte cette éval­u­a­tion à 0,6 plus ou moins 0,2 °C.

Cette marge d’in­cer­ti­tude sem­ble éton­nam­ment faible si l’on prend garde au fait qu’un tel résul­tat ayant été obtenu par dif­férence, la marge d’in­cer­ti­tude sur le résul­tat final est la somme des marges d’in­cer­ti­tude sur cha­cune des deux valeurs com­parées. Or celle qui remonte à un siè­cle est man­i­feste­ment hand­i­capée par le car­ac­tère incom­plet du réseau des sta­tions météorologiques à cette époque (pen­sons, par exem­ple au con­ti­nent africain…) et le car­ac­tère encore rudi­men­taire des instru­ments dont elles disposaient. 

Il paraît donc très éton­nant qu’une esti­ma­tion de la tem­péra­ture moyenne à la sur­face du globe à la fin du xixe siè­cle puisse être entachée d’une marge d’in­cer­ti­tude inférieure à + ou — 0,2 °C.


Dès lors que sig­ni­fie exacte­ment le résul­tat affiché ? 

B) La température (suite) aspect prospectif

Le deux­ième rap­port du GIEC prévoy­ait, entre 1990 et 2100, une aug­men­ta­tion de tem­péra­ture de 1 à 3,5 °C.

Le troisième rap­port porte cette éval­u­a­tion à la fourchette : 1,4 — 5,8 °C laque­lle est beau­coup plus ouverte que la précé­dente (4,4 au lieu de 2,5°).

Ce résul­tat est, au pre­mier abord, sur­prenant pour un rap­port qui tendait à affin­er les résultats. 

Il s’ex­plique, au moins pour par­tie, par le fait que la fourchette du troisième rap­port résulte de la com­pi­la­tion de 35 scé­nar­ios, quan­tifiés à l’aide de nom­breux mod­èles math­é­ma­tiques, les uns très sophis­tiqués, d’autres simplifiés. 

On peut cepen­dant s’in­ter­roger sur la portée de résul­tats aus­si dispersés… 

C) Le niveau de la mer

Le deux­ième rap­port du GIEC prévoy­ait, d’i­ci à 2100, une élé­va­tion du niveau moyen des mers de 15 à 95 cm. 

Le troisième rap­port ramène cette éval­u­a­tion à la fourchette : 9 — 88 cm. 

Cette dernière n’est pas très dif­férente de la précé­dente et présente la même ampli­tude (79 cm au lieu de 80).
On peut cepen­dant s’in­ter­roger, au vu du niveau de zéro de la borne inférieure, sur la prise en compte du phénomène suiv­ant : plusieurs des scé­nar­ios et mod­èles util­isés pour la prospec­tive feraient appa­raître comme corol­laire d’une élé­va­tion générale de la tem­péra­ture, celle des pré­cip­i­ta­tions, en par­ti­c­uli­er dans l’Antarc­tique. Or une élé­va­tion de tem­péra­ture de quelques degrés main­tiendrait des tem­péra­tures con­stam­ment néga­tives sur le con­ti­nent antarc­tique. Il y aurait donc accu­mu­la­tion de quan­tités crois­santes d’eau, sous forme de glace, sur ce con­ti­nent, fac­teur de baisse du niveau des mers (ceci est évo­qué dans le troisième rapport). 

En défini­tive, doit-on s’at­ten­dre à une élé­va­tion ou à un abaisse­ment du niveau de la mer ? 

D) Le carbone

La quan­tité de car­bone rejetée dans l’at­mo­sphère du fait de l’u­til­i­sa­tion de com­bustibles fos­siles est, au pre­mier abord, impres­sion­nante : env­i­ron 5,5 Gt1 par an. 

Elle mérite cepen­dant d’être rel­a­tivisée au regard des phénomènes naturels : les échanges annuels de car­bone entre l’at­mo­sphère et les océans sont de l’or­dre de 90 Gt et ceux qui inter­vi­en­nent entre les sols ou la végé­ta­tion et l’at­mo­sphère de l’or­dre de 60 Gt. 

L’océan, les sols, la végé­ta­tion sont donc des milieux qui absorbent (et rejet­tent, au sec­ond ordre près) de très impor­tantes quan­tités de car­bone (des ” puits ” de car­bone dans le lan­gage des spé­cial­istes) : près de 30 fois les rejets provenant des com­bustibles fossiles. 

Or, on sait que la capac­ité d’ab­sorp­tion des puits de car­bone est fonc­tion décrois­sante de la tem­péra­ture, c’est-à-dire qu’une élé­va­tion générale de la tem­péra­ture (quelle qu’en soit la cause) tend à provo­quer un dégage­ment de car­bone dans l’atmosphère. 

À par­tir de cette remar­que il eût prob­a­ble­ment été intéres­sant de faire tourn­er quelques-uns des mod­èles très sophis­tiqués qui exis­tent aujour­d’hui avec les don­nées suivantes : 

• arrêt des émis­sions anthrophiques de gaz carbonique,
•  élé­va­tion de la tem­péra­ture de 3,6 °C en un siè­cle (milieu de la fourchette du troisième rap­port du GIEC), et de voir s’il en résul­terait une argu­men­ta­tion sig­ni­fica­tive de la teneur en gaz car­bonique de l’atmosphère. 

Une telle véri­fi­ca­tion eût per­mis de répon­dre à la ques­tion suiv­ante (qui n’a jamais été posée) : l’élé­va­tion de la tem­péra­ture est-elle la con­séquence ou la cause d’une aug­men­ta­tion de la teneur de l’at­mo­sphère en gaz carbonique ? 

E) Les conséquences physiques, économiques et sociales

La lit­téra­ture trai­tant, à divers titres, de l’ef­fet de serre en par­ti­c­uli­er les rap­ports du GIEC, évo­quent dif­férentes con­séquences physiques, économiques et sociales, prévues ou sup­posées, d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique et, plus générale­ment, des change­ments cli­ma­tiques asso­ciés à un réchauf­fe­ment général, qui pour­raient com­pren­dre l’élé­va­tion générale du niveau des mers déjà évo­quée mais aus­si des phénomènes plus local­isés tels que vari­a­tion de la plu­viométrie, des courants marins, etc. 

Ces prévi­sions sont pour la plu­part de car­ac­tère défa­vor­able voire catastrophique : 

•  per­tur­ba­tion des écosys­tèmes forestiers pou­vant entraîn­er une baisse de pro­duc­tion de bois (en dépit du car­ac­tère ” d’al­i­ment ” du gaz car­bonique pour les arbres) ;
•  fréquence accrue des tem­pêtes et raz-de-marée, éro­sion des côtes ;
• accroisse­ment de la plu­viométrie, entraî­nant inon­da­tions et éro­sions dans cer­taines régions ; aggra­va­tion de l’arid­ité dans d’autres régions ;
•  baiss­es de pro­duc­tions agri­coles, découlant des inon­da­tions, de l’arid­ité, de la pro­liféra­tion des par­a­sites favorisée par le réchauffement ;
•  détéri­o­ra­tion des con­di­tions san­i­taires découlant soit d’ef­fets directs du change­ment cli­ma­tique (vagues de chaleur par exem­ple) soit d’ef­fets indi­rects : recrude­s­cence de mal­adies infec­tieuses trans­mis­es par des vecteurs dont l’aire de répar­ti­tion s’ac­croî­trait ou la péri­ode de repro­duc­tion s’al­longerait (palud­isme, fièvre jaune entre autres). 

Le non-spé­cial­iste ne peut qu’être quelque peu sur­pris par cette accu­mu­la­tion de scé­nar­ios cat­a­stro­phes. On sait en effet que le réchauf­fe­ment de quelques degrés qui a suivi la dernière glacia­tion a eu des effets large­ment béné­fiques, tout au moins dans nos lat­i­tudes et on s’at­tendrait plutôt à ce que ce soit l’hy­pothèse d’un refroidisse­ment qui entraîn­erait, notam­ment des baiss­es de pro­duc­tion agricole. 

Récipro­que­ment, on pour­rait escompter que, dans l’hy­pothèse d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique, un ter­ri­toire comme l’Is­lande, aujour­d’hui glacé et désolé, se cou­vre de verts pâturages et devi­enne une nou­velle Nor­mandie. Or, de tels scé­nar­ios ne sont jamais évoqués… 

Cette polar­i­sa­tion cat­a­strophiste pour­rait laiss­er crain­dre que la lit­téra­ture ” offi­cielle ” actuelle con­ti­enne une cer­taine charge idéologique. On revien­dra sur ce point. 

Les incertitudes

Le sec­ond rap­port du GIEC employ­ait à de nom­breuses repris­es des for­mules assez prudentes : 

“La plu­part de ces études (celles aux­quelles le rap­port se réfère) ont per­mis de détecter des change­ments sig­ni­fi­cat­ifs démon­trant que la ten­dance au réchauf­fe­ment observée n’est vraisem­blable­ment pas unique­ment d’o­rig­ine naturelle.” 

“Notre capac­ité à mesur­er l’in­flu­ence de l’homme sur le cli­mat glob­al reste lim­itée...”

“… le fais­ceau d’élé­ments disponibles sug­gère qu’il y a une influ­ence per­cep­ti­ble de l’homme sur le cli­mat global.” 

Le troisième rap­port fait état d’une pro­gres­sion des con­nais­sances et des savoirs (en par­ti­c­uli­er dans le domaine des mod­èles math­é­ma­tiques sophistiqués). 

Il con­serve cepen­dant une cer­taine pru­dence, notam­ment en cod­i­fi­ant les niveaux de con­fi­ance accordés à dif­férentes assertions : 

virtuelle­ment cer­tain (au moins 99 % de chances d’exactitude) ;
•  très prob­a­ble (90 à 99 %°),
•  prob­a­ble (66 à 90 %),
•  etc. 

Il admet par exem­ple que cer­tains fac­teurs sec­ondaires de forçage radi­atif (autres que les qua­tre caté­gories de gaz déjà évo­quées : gaz car­bonique, méthane, pro­toxyde d’a­zote, com­posés halogénés du car­bone) dont cer­tains peu­vent avoir un effet négatif (aérosols, change­ment d’usage des sols entraî­nant une mod­i­fi­ca­tion de leur capac­ité de réflex­ion d’én­ergie) ne font l’ob­jet pour le moment, que d’un niveau de con­nais­sance sci­en­tifique très bas. 

Plus générale­ment, il admet que de nom­breux fac­teurs d’in­cer­ti­tude énon­cés dans le sec­ond rap­port con­ser­vent une part de leur portée. 

Plus ponctuelle­ment, il admet, par exem­ple, que la val­i­da­tion de l’hy­pothèse d’une accen­tu­a­tion de la fluc­tu­a­tion de l’im­por­tance des pluies de mous­son en Asie est à la lim­ite des pos­si­bil­ités des mod­èles actuelle­ment disponibles. 

Et ce rap­port con­clut que de nou­velles recherch­es sont néces­saires pour amélior­er notre capac­ité à détecter et à com­pren­dre les change­ments cli­ma­tiques puis à les reli­er à leurs fac­teurs essen­tiels et enfin pour réduire les incer­ti­tudes attachées aux prévi­sions de change­ments cli­ma­tiques dans l’avenir. 

Il est remar­quable que ces restric­tions et réserves, qui traduisent un haut degré de pro­bité sci­en­tifique, ne sont pra­tique­ment jamais évo­quées dans les développe­ments inspirés par ces mêmes travaux lorsque l’on passe aux pré­con­i­sa­tions de mesures d’adap­ta­tion et d’atténuation. 

Que faire en présence d’un réchauffement climatique ?

En dépit des incer­ti­tudes lour­des ci-dessus évo­quées, le scé­nario d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique con­sé­cu­tif à un accroisse­ment de l’ef­fet de serre qui serait lui-même, au moins pour par­tie, d’o­rig­ine anthropique, doit être envis­agé au moins comme une hypothèse plau­si­ble (même si elle n’est pas validée à ce jour par une véri­ta­ble démonstration). 

À par­tir de là, la lit­téra­ture actuelle (y com­pris les accords inter­na­tionaux) se polarise de manière qua­si exclu­sive sur les mesures sus­cep­ti­bles d’at­ténuer, voire annuler, l’ac­croisse­ment de l’ef­fet de serre d’o­rig­ine anthropique et essen­tielle­ment sur la réduc­tion des émis­sions de gaz carbonique. 

D’autres voies pour­raient cepen­dant être explorées, en par­ti­c­uli­er les moyens d’adapter les sociétés humaines à un cer­tain réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Cette approche con­duirait alors à com­par­er en ter­mes économiques, les coûts des mesures d’adap­ta­tion à ceux des mesures envis­agées pour réduire les émis­sions de CO2 ou aux coûts des con­séquences du réchauf­fe­ment en l’ab­sence de con­tre-mesures quelconques. 

Mal­heureuse­ment, cette voie de recherche est ren­due dif­fi­cile par l’évo­lu­tion des ori­en­ta­tions du GIEC entre le deux­ième et le troisième rap­port : alors que le deux­ième rap­port envis­ageait les inci­dences de mesures d’adap­ta­tion à l’évo­lu­tion du cli­mat et celles de mesures d’at­ténu­a­tion des fac­teurs de cette évo­lu­tion, le GIEC a décidé, dès 1998, de con­cen­tr­er la par­tie prospec­tive de ses travaux sur les seules mesures d’atténuation. 

La voie de l’adap­ta­tion mérit­erait cepen­dant d’être prospec­tée, ne serait-ce que pour véri­fi­er qu’elle n’est, peut-être, que par­tielle­ment pos­si­ble, ce qui con­duirait à revenir à des mesures d’at­ténu­a­tion par­tielle donc moins con­traig­nantes que les mesures dras­tiques qu’on nous promet aujourd’hui. 

Il n’est pas très dif­fi­cile d’énumér­er quelques mesures d’adap­ta­tion plausibles : 

•  en présence d’une élé­va­tion du niveau de la mer de quelques décimètres (les scé­nar­ios qui l’é­val­u­ent en mètres relèvent de la sci­ence-fic­tion), con­struc­tion d’ou­vrages de pro­tec­tion de cer­taines ter­res bass­es (les Hol­landais savent faire !) ou sup­pres­sion des étab­lisse­ments humains dans celles dont la pro­tec­tion serait impos­si­ble ou ruineuse ; 

•  en présence d’une exten­sion de la zone de dif­fu­sion de cer­tains virus, bacilles ou par­a­sites, développe­ment de la médecine préven­tive et cura­tive. On pense en pre­mier lieu au palud­isme, dont on a oublié qu’il sévis­sait à l’é­tat endémique dans de nom­breuses régions d’Eu­rope (sous le nom de malar­ia) jusqu’au xixe siè­cle et que nous avons réus­si ensuite à éradiquer ; 

•  en présence d’une baisse de ren­de­ment de cer­taines pro­duc­tions agri­coles con­séc­u­tive à une vari­a­tion sécu­laire du cli­mat (tem­péra­ture, plu­viométrie) : mise en œuvre d’autres spécu­la­tions agri­coles mieux adap­tées au cli­mat du moment, même chaud (il existe une agri­cul­ture trop­i­cale !). À not­er d’ailleurs qu’une élé­va­tion de la teneur en CO2 de l’at­mo­sphère tend, toutes choses égales par ailleurs, à favoris­er la crois­sance des végé­taux, etc. 

Mais, là encore, de telles voies ne sont presque jamais étudiées ni même mentionnées… 

En guise de conclusion

Il n’est évidem­ment pas ques­tion de tir­er de véri­ta­bles con­clu­sions d’un sur­vol aus­si suc­cinct de phénomènes aus­si complexes. 

On observera cepen­dant de fréquents décalages entre les con­nais­sances acquis­es et les con­séquences que l’on pré­tend par­fois en tirer. 

Or, ces con­séquences peu­vent aller très loin. 

C’est ain­si que l’on con­sid­ère, sur la base des capac­ités de prévi­sion actuelles, qu’une sta­bil­i­sa­tion à terme de la teneur de l’at­mo­sphère en gaz car­bonique aux envi­rons de 550 ppm (con­tre 360 à l’heure actuelle et 280 au xvi­iie siè­cle) niveau con­sid­éré comme accept­able par cer­tains sci­en­tifiques, néces­sit­erait une réduc­tion de l’or­dre de 50 % des rejets mon­di­aux de gaz car­bonique d’o­rig­ine anthropique par rap­port au niveau actuel. 

Mais il n’est évidem­ment pas ques­tion d’en­vis­ager d’im­pos­er uni­for­mé­ment un tel taux à tous les con­ti­nents et à tous les pays, cer­tains pays amorçant seule­ment à l’heure actuelle un développe­ment qui les con­duira inéluctable­ment et pen­dant plusieurs décen­nies, à aug­menter forte­ment leur con­som­ma­tion d’énergie. 

À par­tir de cette remar­que, on en arrive vite à pré­conis­er une réduc­tion de l’or­dre de 75 % pour les pays dévelop­pés, comme le nôtre. 

Un tel objec­tif paraît très dif­fi­cile à attein­dre, si l’on prend acte des pos­si­bil­ités assez lim­itées des éner­gies renou­ve­lables (si ce n’est à long terme), a for­tiori si on jette l’anathème sur l’én­ergie nucléaire (ce que ne man­quent pas de faire la plu­part des zéla­teurs de telles thèses). 

Il faudrait alors, pour avoir une chance d’at­tein­dre de tels objec­tifs, accepter des mesures dras­tiques telles que l’in­ter­dic­tion des voitures par­ti­c­ulières, l’in­ter­dic­tion de la cli­ma­ti­sa­tion, etc. 

Peut-on envis­ager de telles poli­tiques qui con­duiraient à sub­stituer à notre société, qui est démoc­ra­tique (quoi qu’en dis­ent cer­tains), une véri­ta­ble société total­i­taire, alors que les bases con­ceptuelles des thès­es qui con­duisent à pré­conis­er les dites poli­tiques sont entachées de divers­es incer­ti­tudes (dont cer­taines ont été évo­quées ci-dessus) et que les raison­nements qui con­duisent à des con­séquences aus­si extrêmes sem­blent par­fois biaisés par des pré­sup­posés idéologiques. 

Yves Lenoir, chef de pro­jet à l’É­cole des mines de Paris (et ancien de Green­peace), auteur d’un ouvrage sur le sujet, ne craig­nait pas d’ex­pliciter cette dernière crainte d’une manière très crue en écrivant : 

La men­ace cli­ma­tique suf­fit, à elle seule, à jus­ti­fi­er le mod­èle de société que les écol­o­gistes aimeraient voir s’im­pos­er au monde… Si le mod­èle de développe­ment en cours est en passe de détra­quer le cli­mat, alors il incar­ne le mal absolu… sur le plan dialec­tique, le tour est joué ; aucun con­tre-argu­ment de nature économique ou sociale ne tient face à la per­spec­tive de destruc­tion des con­di­tions de survie.

À ce stade, l’ob­ser­va­teur frileux (si l’on peut dire…) pensera vraisem­blable­ment à un autre thème très à la mode : le ” principe de précaution “. 

Mais qu’en est-il, en par­ti­c­uli­er dans ce domaine ? 

Si l’on décrypte la for­mule ” principe de pré­cau­tion “, on pour­rait aboutir à la for­mu­la­tion suiv­ante, bien en rap­port avec le présent débat :
“accepter de jus­ti­fi­er des déci­sions, même lour­des de con­séquences (et celles qu’on nous pro­pose en la matière le sont au plus haut point) par des hypothès­es dont on admet d’emblée qu’elles sont peut-être fauss­es“2.

Sous cette forme il s’ag­it d’une propo­si­tion inac­cept­able pour quiconque a reçu une for­ma­tion scientifique. 

Mieux vaudrait sans doute savoir pour agir. 

_______________________________________________
1. 1 Gt = 1 Giga­tonne = 1 mil­liard de tonnes.
2. Il existe des for­mu­la­tions plus accept­a­bles telles que le critère “min­i­max-regret” mais ce débat séman­tique et logique sort du domaine ici évoqué. 

Bibliographie sommaire

• Deux­ième Rap­port du GIEC, 1995, Édi­tion française par­tielle : Édi­tions Mul­ti­mon­des, Sainte-Foy (Province du Québec) Cana­da, et en particulier :
— Groupe de tra­vail I, Aspects sci­en­tifiques de l’évo­lu­tion du climat ;
— Groupe de tra­vail II, Analyse sci­en­tifique et tech­nique des inci­dences de l’évo­lu­tion du cli­mat, mesures d’adap­ta­tion et d’atténuation.
• Troisième Rap­port du GIEC, 2001, et en par­ti­c­uli­er Groupe de tra­vail I, Bases scientifiques.
• Groupe X Envi­ron­nement, Cycle de qua­tre con­férences sur l’ef­fet de serre (Mécan­ismes physiques, Con­séquences pos­si­bles sur les pop­u­la­tions, Réduc­tion des émis­sions de gaz car­bonique, Sys­tème de per­mis négo­cia­bles) 1999–2000 (comptes ren­dus non pub­liés, mais repris sous une forme syn­thé­tique dans le numéro de mai 2000 de La Jaune et la Rouge).
• Yves LENOIR, Cli­mat de panique, 2001, Édi­tions Favre, Lau­sanne (le fait que cet ouvrage n’ait pas été édité en France n’est peut-être pas fortuit).
• Office par­lemen­taire d’é­val­u­a­tion des choix sci­en­tifiques et tech­nologiques, Rap­port sur l’é­val­u­a­tion de l’am­pleur des change­ments cli­ma­tiques, de leurs caus­es et de leur impact prévis­i­ble sur la géo­gra­phie de la France à l’hori­zon 2025, 2050 et 2100, Rap­port élaboré sous la direc­tion de Mar­cel DENEUX, févri­er 2002 (disponible à La Doc­u­men­ta­tion Française).
• Con­seil d’analyse économique, Kyoto et l’é­conomie de l’ef­fet de serre, rap­port élaboré sous la direc­tion de Roger GUESNERIE, juil­let 2002, La Doc­u­men­ta­tion Française.
• Björn LOMBORG, L’É­col­o­giste scep­tique, Édi­tions du Cherche-Midi. Édi­tion française de 2004 à par­tir de l’édi­tion anglaise de 2001, pré­face de Claude Allè­gre (Chapitre 24).
• Brigitte VAN VLIET-LANOË, La planète des glaces, 2005, Vuib­ert éditeur. 

Poster un commentaire