Le patrimoine forestier mondial

Dossier : Les milieux naturels continentauxMagazine N°566 Juin/Juillet 2001
Par Jean-Paul LANLY (57)

Qu’est-ce qu’une forêt ?

Cer­taine­ment une réal­ité très dif­férente suiv­ant la zone biogéo­graphique où l’on se trou­ve — boréale, tem­pérée, méditer­ranéenne, trop­i­cale sèche, trop­i­cale humide… — et aus­si, et surtout, suiv­ant les pro­duits et les ser­vices que l’homme attend des for­ma­tions végé­tales ou des écosys­tèmes forestiers, et les valeurs qu’il y attache.

Pro­prié­taires et nations, et les entités qui par­lent en leur nom, mesurent leur pat­ri­moine foresti­er avant tout en super­fi­cies. Celles-ci cor­re­spon­dent à des types de cou­ver­ture végé­tale et d’oc­cu­pa­tion des ter­res très dif­férents d’un pays à l’autre, quand ce n’est pas à l’in­térieur d’un même pays.

Un exem­ple par­mi tant d’autres : dans les années 50 et 60, l’Or­gan­i­sa­tion des Nations unies pour l’al­i­men­ta­tion et l’a­gri­cul­ture (FAO) se livrait à une com­pi­la­tion des sta­tis­tiques forestières que lui envoy­aient ses États mem­bres (et leurs colonies d’alors) pour établir ” l’in­ven­taire foresti­er mon­di­al ” qu’elle pub­li­ait tous les cinq ans.

Accep­tant tels quels à cette époque les chiffres que lui adres­saient les admin­is­tra­tions forestières -, les choses ont heureuse­ment changé depuis -, elle attribuait à la Mau­ri­tanie, pays sahélien et saharien, la même sur­face forestière que la Côte-d’Ivoire, pays des tropiques humides et sub­hu­mides. Pourquoi ? Parce que l’ad­min­is­tra­tion mau­ri­tani­enne clas­sait comme ” forêt ” les seules for­ma­tions végé­tales ligneuses qu’elle pos­sé­dait, à savoir les savanes et steppes arbus­tives de la frange mérid­ionale du territoire.

Alors que pour son homo­logue ivoiri­enne ne méri­taient le nom de forêt que les for­ma­tions de forêt dense humide de la moitié sud du pays, mais non les autres for­ma­tions d’ar­bres que con­stituent les ” forêts claires “, les savanes boisées et arborées de sa moitié nord, pour­tant beau­coup plus forestières que les espaces arbus­tifs mauritaniens.

Des forêts stricto sensu

Un effort de clar­i­fi­ca­tion s’im­po­sait. La FAO définit main­tenant, pour l’ensem­ble du monde, une forêt comme : ” toute for­ma­tion végé­tale com­prenant des arbres dont les cimes cou­vrent au moins 10 % du sol “, l’ar­bre étant une ” plante ligneuse de grandes dimen­sions — en fait de plus de 5 à 7 mètres de haut à l’âge adulte dans des con­di­tions nor­males de crois­sance — avec un tronc unique sup­por­t­ant une cime de forme et de dimen­sions variables “.

Ceci dit, une forêt n’est pas seule­ment une pop­u­la­tion d’ar­bres : elle con­stitue un écosys­tème avec aus­si ses autres com­posantes végé­tales, ses com­posantes ani­males et les inter­ac­tions entre toutes ses com­posantes et avec le milieu et les écosys­tèmes voisins.

et des ” autres surfaces boisées ”

Cette caté­gorie très hétérogène inclut toutes les cou­ver­tures végé­tales com­prenant des élé­ments ligneux (arbres dont les cimes cou­vrent de 5 à 10 % de la sur­face du sol) ou des arbustes et brous­sailles ; par exemple :

  • des for­ma­tions ligneuses très peu denses,
  • les ” accrus ” naturels forestiers sur des ter­res, récem­ment aban­don­nées par l’agriculture,
  • les accrus forestiers dans les cycles de l’a­gri­cul­ture itinérante dans les pays tropicaux.

Des définitions pas toujours simples à appliquer

Il existe des tran­si­tions gradu­elles de hau­teur et de den­sité du cou­vert. Les forêts en régénéra­tion gar­dent un car­ac­tère foresti­er mal­gré l’ab­sence momen­tanée de strate arborée, et l’on excipe alors de l’u­til­i­sa­tion forestière du sol. Cer­tains pays inclu­ent des sur­faces non boisées impor­tantes dans la caté­gorie juridique des ter­res forestières1, d’où une dif­fi­culté supplémentaire.

Des classifications variées pour les scientifiques et gestionnaires

On peut grossière­ment dis­tinguer les clas­si­fi­ca­tions fondées essentiellement :

  • sur des critères essen­tielle­ment cli­ma­tiques et de milieu,
  • sur des car­ac­téris­tiques phy­s­ionomiques de la végétation,
  • sur un ensem­ble de critères de dif­férentes natures2.


L’u­til­i­sa­tion de la télédé­tec­tion a intro­duit des clas­si­fi­ca­tions basées sur la réflectance de la végé­ta­tion dans cer­taines ban­des de longueurs d’onde (ou sur la struc­ture du ter­rain avec les images radar) qui ne sont pas tou­jours faciles à reli­er à la réal­ité de la cou­ver­ture végé­tale au sol.

et des cartographies diverses

Elles représen­tent selon les cas :

  • la végé­ta­tion forestière telle qu’elle serait sans les inter­férences de l’homme, déri­vant des seules con­di­tions cli­ma­tiques et de milieu (végé­ta­tion ” cli­max ”) con­sti­tuée de for­ma­tions ” pri­maires ” ou ” naturelles ” au sens strict ;
  • la végé­ta­tion forestière telle qu’elle existe au moment où elle a été car­tographiée, c’est-à-dire telle qu’elle résulte des dif­férentes actions de l’homme : déboise­ment, dégra­da­tion par les incendies et les dif­férentes formes de sur­ex­ploita­tion, mod­i­fi­ca­tion par les traite­ments sylvi­coles — en futaie régulière ou irrégulière, lim­itée ou non à une ou plusieurs essences, en tail­lis sous futaie, tail­lis… — et par les boise­ment et reboisements.

Qualification des forêts

Des qual­i­fi­cat­ifs, appliqués de façon par­fois sub­jec­tive, sont cen­sés car­ac­téris­er l’é­tat d’une forêt d’un cer­tain type à un moment donné.

Une forêt pri­maire précédem­ment mod­i­fiée par des inter­ven­tions humaines peut revenir à son état cli­macique par une série de stades ” sec­ondaires ” de suc­ces­sion si elle n’est pas de nou­veau per­tur­bée pen­dant suff­isam­ment longtemps : on admet en général qu’après une inter­rup­tion d’un ou deux siè­cles l’évo­lu­tion est suff­isam­ment engagée pour qu’on puisse qual­i­fi­er de nou­veau la forêt de ” naturelle “.

Elle peut au con­traire rester ” sec­ondaire ” en étant main­tenue arti­fi­cielle­ment à un stade don­né de la suc­ces­sion par une sylvi­cul­ture plus ou moins ” proche de la nature ” et on la qual­i­fiera alors de ” semi-naturelle “. Enfin, les forêts peu­vent être arti­fi­cielle­ment créées (boise­ment), ou recréées (reboise­ment), par plan­ta­tion d’e­spèces locales (indigènes) ou intro­duites (“exo­tiques ”).

Plus de 90 % des forêts européennes actuelles sont soit des forêts mod­i­fiées par la sylvi­cul­ture et l’ex­ploita­tion, soit des plan­ta­tions. Dans le reste du monde tem­péré et boréal, près des deux tiers des forêts sont con­sid­érées comme naturelles (con­sti­tuées en majeure par­tie par les forêts sibéri­ennes), cette pro­por­tion étant estimée à env­i­ron 80 % pour les forêts dens­es tropicales.

Tableau I​— Sur­faces en l’an 2000
Région­s/­sous-région­s​ Superficie
(mil­lions ha)
Taux de boisement Part de l’ensemble
Pays indus­tri­al­isés
dont : Europe
 CEI
 Amérique du Nord
 Autres
1 724
169
894
471
190
32,6%
34,7%
41,9%
25,7%
22,9%
44,6%
4,4%
23,1%
12,2%
4,9%
Pays en développement
 dont pays tropicaux
 dont Afrique tropicale
 Amérique tropicale
 Asie-Océanie tropicale
 dont pays non tropicaux
2 138
1 860
635
901
324
278
25,4%
38,9%
28,4%
54,7%
36,1%
9,8%
55,4%
48,2%
16,5%
23,3%
8,4%
7,2%
TOTAL​ 3 862 29,5% 100,0%

L’étendue des forêts

Les forêts stricto sensu

Les forêts du monde cou­vrent 3 862 mil­lions d’hectares, soit près de 30 % de la sur­face totale des ter­res émergées de notre planète (égale à 13 050 mil­lions d’hectares ou 130,5 mil­lions de km2 en exclu­ant l’Antarc­tique et le Groen­land), soit 70 fois la sur­face de l’Hexa­gone (55 mil­lions d’hectares) et 250 fois celle de ses forêts (15 mil­lions d’hectares).

Tableau II​— Les huit plus grands pays forestiers du monde (sur­faces en l’an 2000)
Pays Surface
(mil­lions ha)
Taux de boisement Part des forêts mondiales
Terres Forêts
Russie 1 689 851 50,4 % 22,0%
Brésil 846 532 63,0 % 13,8 %
Canada 922 245 26,5 % 6,3 %
États-Unis 916 226 24,8 % 5,9 %
Chine 933 163 17,1 % 4,2 %
Australie 768 158 20,6 % 4,1 %
R. D. Con­go (ex-Zaïre) 227 135 59,6 % 3,5 %
Indonésie 181 105 55,4 % 2,7 %
Ensem­ble des 8 pays 6842 2 415 37,3 % 62,5 %
Reste du monde 5 566 1 442 22,0 % 37,5 %

Le tableau I mon­tre bien la prépondérance des deux grandes mass­es forestières que con­stituent la Sibérie (CEI) et l’A­ma­zonie (Amérique trop­i­cale) et, dans une moin­dre mesure, de celles de l’Afrique trop­i­cale (bassin du Con­go et zones arborées des tropiques secs) et de l’Amérique du Nord.

Ain­si que le faible taux de cou­ver­ture forestière des pays en développe­ment non trop­i­caux, par­ti­c­ulière­ment de la Chine et du Moyen-Ori­ent, résul­tat com­biné d’une occu­pa­tion humaine dense et anci­enne, et d’une forte pro­por­tion de ter­res arides et semi-arides non boisées.

Huit pays pos­sè­dent cha­cun plus de mille mil­lions d’hectares de forêts et ensem­ble 65,5 % des forêts du monde.

À quelques excep­tions près, on peut con­sid­ér­er que les forêts des pays indus­tri­al­isés sont tem­pérées ou boréales alors que celles des pays en développe­ment sont à 85 % des forêts trop­i­cales (forêts dens­es humides et for­ma­tions mixtes forestières et herbacées des tropiques secs).

Les autres surfaces boisées

L’ensem­ble hétérogène des ” autres sur­faces boisées ” occu­pait très approx­i­ma­tive­ment 2 100 mil­lions d’hectares, soit 16 % de la sur­face des ter­res, pro­por­tion à peu près iden­tique dans le monde indus­tri­al­isé et le monde en développement.

Évolution du patrimoine forestier mondial

Bien distinguer surface et état des forêts

Lorsqu’on par­le d’évo­lu­tion du pat­ri­moine foresti­er mon­di­al, il est fon­da­men­tal de bien dis­tinguer entre les vari­a­tions dans l’é­ten­due des forêts et celles de leur état et con­tenu (den­sité et hau­teur du cou­vert arboré, com­po­si­tion en espèces végé­tales et ani­males — con­sti­tu­ant le niveau ” spé­ci­fique ” de leur diver­sité biologique -, présence et nature de sous-bois, sols, san­té du peu­ple­ment forestier…).

Les pre­mières s’ex­pri­ment quan­ti­ta­tive­ment en sur­faces de cou­ver­ture forestière et cor­re­spon­dent aux notions de déboise­ment (ou déforesta­tion) — là où il y avait une forêt (telle qu’elle a été définie préal­able­ment), on ne trou­ve plus de forêt -, ou de boise­ment (ou foresta­tion) par accru naturel ou par plan­ta­tion — là où il n’y avait pas de forêt existe main­tenant une forêt. Des pro­grès impor­tants et con­ti­nus ont été réal­isés depuis les années quar­ante jusqu’à aujour­d’hui dans les tech­niques d’é­val­u­a­tion des sur­faces de forêts et de leurs vari­a­tions dans le temps avec l’u­til­i­sa­tion des pho­togra­phies aéri­ennes puis des images satel­li­taires dans les longueurs d’onde vis­i­bles, du proche infrarouge et radar.

Des appréciations discutables

Les évo­lu­tions sur l’é­tat et le con­tenu des forêts con­cer­nent un grand nom­bre d’aspects et de car­ac­téris­tiques sou­vent dif­fi­ciles à traduire, et encore plus à syn­thé­tis­er quan­ti­ta­tive­ment. Elles sont en général gradu­elles, pas néces­saire­ment rapi­des, et s’ex­pri­ment glob­ale­ment par dif­férents voca­bles comme ceux de dégra­da­tion, ou, à l’op­posé, d’amélioration.

On peut certes s’ac­corder sur le car­ac­tère négatif de l’évo­lu­tion, c’est-à-dire de dégra­da­tion, d’une forêt soumise à des atteintes fortes et répétées (incendies) ou à des sur­ex­ploita­tions con­tin­ues par le pâturage ou pour le bois, ou sur l’aspect posi­tif, d’un point de vue stricte­ment foresti­er, d’une ” remon­tée biologique ” se traduisant par exem­ple par le retour d’e­spèces arborées sur un pâturage aban­don­né. Par con­tre, des mod­i­fi­ca­tions moins fortes et moins répétées seront diverse­ment appré­ciées suiv­ant les objec­tifs que les uns ou les autres assig­nent aux forêts (pro­duc­tion soutenue de bois ou d’autres pro­duits forestiers, réser­voir de diver­sité biologique, pro­tec­tion pour la con­ser­va­tion des eaux et des sols, accueil du pub­lic et éco­tourisme, etc.).

L’ef­fet de ces diver­gences de vues sur l’es­ti­ma­tion de l’évo­lu­tion de l’é­tat des forêts est aggravé par l’u­til­i­sa­tion de con­cepts un peu flous, tels que celui de ” nat­u­ral­ité ” ou plus vagues encore, tels que celui ” d’au­then­tic­ité ” dont l’u­til­i­sa­tion a été prônée par cer­taines organ­i­sa­tions écologistes.

Un débat pollué

En focal­isant à tort et presque exclu­sive­ment sur l’ex­ploita­tion forestière, et non pas sur la néces­saire amélio­ra­tion des pra­tiques agri­coles et pas­torales et la lutte con­tre la pau­vreté des pop­u­la­tions rurales des tropiques comme fac­teur de déforesta­tion, on n’a fait que retarder la recherche et l’ap­pli­ca­tion des véri­ta­bles solutions.

Le débat sur le devenir des forêts, et notam­ment celui des forêts trop­i­cales, a été, et con­tin­ue d’être, pol­lué par l’ab­sence de dis­tinc­tion entre l’évo­lu­tion des sur­faces de forêts, qui peut être quan­tifiée objec­tive­ment, et les mod­i­fi­ca­tions de leur état.

L’u­til­i­sa­tion lax­iste et indif­féren­ciée du terme ” déforesta­tion ” pour les zones trop­i­cales a ain­si con­duit à ” met­tre dans un même panier ” d’une part, les défriche­ments agri­coles, déboisant effec­tive­ment et changeant sinon défini­tive­ment, du moins pour une longue péri­ode, l’usage des ter­res, et, d’autre part, l’ex­ploita­tion forestière qui, mal con­duite et non inté­grée dans un plan de ges­tion, con­stitue certes un fac­teur de dégra­da­tion, mais générale­ment pas de déboisement.

Évolutions de l’étendue des forêts

Depuis la dernière glacia­tion, l’homme a eu un impact gran­dis­sant sur l’é­ten­due et l’é­tat des écosys­tèmes forestiers, qu’on peut très grossière­ment sché­ma­tis­er comme suit :

  • jusqu’au XIXe siè­cle : déboise­ment et dégra­da­tion sur la plus grande par­tie des zones tem­pérées et méditer­ranéennes, et plus local­isés dans les régions tropicales ;
  • au cours de la deux­ième moitié du XXe siècle :
    — déboise­ment et dégra­da­tion accélérés en zone tropicale,
    — recon­quête et accroisse­ment de la maîtrise de la ges­tion (mise en valeur et con­ser­va­tion) dans les régions tempérées,
    — et une sit­u­a­tion con­trastée pour les forêts boréales et méditerranéennes.

Dans les pays industrialisés

À l’échelle d’un ter­ri­toire don­né d’une cer­taine éten­due — dis­ons celui d’un pays de plusieurs dizaines à cen­taines de mil­liers de km2 (plusieurs mil­lions à dizaines de mil­lions d’hectares) — l’évo­lu­tion de la sur­face forestière en fonc­tion du temps depuis le néolithique peut être représen­tée de façon approx­i­ma­tive par une courbe ayant la forme d’un S ren­ver­sé par­tant d’un max­i­mum, puis, sous l’ef­fet des défriche­ments, décrois­sant lente­ment, ensuite rapi­de­ment et, après un point d’in­flex­ion, de nou­veau lente­ment jusqu’à un min­i­mum à par­tir duquel la forêt regagne du ter­rain sur l’ensem­ble des autres occu­pa­tions du sol par accru naturel et par plantation.

La majorité des pays indus­tri­al­isés ont con­nu ce min­i­mum au XIXe siè­cle (pays européens) ou au début du XXe (pays ” pio­nniers ” d’Amérique du Nord). Bien sûr, la courbe réelle n’est pas lisse, et des oscil­la­tions appa­rais­sent, les creux cor­re­spon­dant aux péri­odes de développe­ment (forts défriche­ments de l’a­gri­cul­ture) et les hauts à celles des guer­res et des épidémies qui réduisent l’im­pact de l’homme sur la forêt.

En France par exemple

Un exem­ple de ce sché­ma général est don­né par l’évo­lu­tion de la cou­ver­ture forestière sur ce qui est aujour­d’hui le ter­ri­toire français mét­ro­pol­i­tain (55 mil­lions d’hectares) au cours des 16 derniers mil­lé­naires. De 14 000 à 6 500 avant J.-C., les forêts ont cou­vert pro­gres­sive­ment la qua­si-total­ité du territoire.

Evolution du boisement en Europe centrale entre 900 et 1900 Les pre­miers défriche­ments sont liés à la ” révo­lu­tion ” du néolithique avec les débuts de l’a­gri­cul­ture et l’aug­men­ta­tion de la pop­u­la­tion ; les défriche­ments gal­lo-romains et médié­vaux réduisent pro­gres­sive­ment la sur­face forestière, de 50 à 12 mil­lions d’hectares env­i­ron vers 1300, péri­ode à laque­lle la pop­u­la­tion atteint une ving­taine de mil­lions d’habitants.

La super­fi­cie forestière aug­mente ensuite légère­ment pen­dant la crise démo­graphique très impor­tante de la fin du Moyen Âge, puis reprend sa décrois­sance avec l’aug­men­ta­tion de la pop­u­la­tion et de la con­som­ma­tion préin­dus­trielle de bois jusqu’à un min­i­mum inférieur à 10 mil­lions d’hectares vers 1850.

La crois­sance pro­gres­sive ultérieure de la super­fi­cie forestière — passée de 10 à 15 mil­lions d’hectares entre le début et la fin du XXe siè­cle — et ce, mal­gré l’aug­men­ta­tion de pop­u­la­tion, est liée à toute une série de fac­teurs : rem­place­ment du bois par les com­bustibles fos­siles comme source d’én­ergie prin­ci­pale, pro­grès des tech­niques agri­coles entraî­nant une réduc­tion des sur­faces util­isées par l’a­gri­cul­ture, exode rur­al et développe­ment d’une civil­i­sa­tion urbaine avec d’autres exi­gences de mode de vie, aug­men­ta­tion de la pro­duc­tiv­ité forestière due, entre autres, à une sylvi­cul­ture plus dynamique, poli­tiques de mise en valeur de ter­res pau­vres (lan­des de Gascogne) et restau­ra­tion des ter­rains en mon­tagne et, à par­tir de la fin des années quar­ante, mise en œuvre, notam­ment par des boise­ments et reboise­ments, du Fonds foresti­er nation­al créé pour réduire le déficit en bois de notre pays.

Le code foresti­er et le développe­ment des pro­grammes de recherche et de for­ma­tion ont aus­si con­tribué à cette inver­sion de ten­dance. Il est impor­tant cepen­dant de not­er que celle-ci a bien résulté d’un ensem­ble de fac­teurs de nature dif­férente, et non de la seule volon­té poli­tique et du pou­voir réglementaire.

Et en Europe centrale

La diminu­tion des sur­faces et leur frag­men­ta­tion du Xe au XXe siè­cle sont illus­trées par les cartes ci-après.

Actuelle­ment, la super­fi­cie forestière croît dans tous les pays européens (à l’ex­cep­tion de l’Al­ban­ie), à un rythme annuel un peu inférieur à 0,3 % (env­i­ron 450 000 ha au total), ce pour­cent­age étant de près de 0,5 % pour la France. Elle croît aus­si dans tous les autres pays indus­tri­al­isés, seul le cas de la Russie et des autres pays de l’ex-URSS don­nant lieu à des esti­ma­tions diver­gentes, toutes faibles en valeur rel­a­tive mais de signe opposé.

Dans les pays en développement

La sit­u­a­tion est tout autre dans les pays en développe­ment situés en total­ité ou en majorité dans la bande intertrop­i­cale (tableau III).

La part des dif­férents fac­teurs de déboise­ment dans les tropiques peut être éval­uée approx­i­ma­tive­ment comme suit :

  • agri­cul­ture de sub­sis­tance 63 % (45 % sur les 63 % provenant de ” l’a­gri­cul­ture itinérante ”),
  • agri­cul­ture per­ma­nente 17 % (“ agri­cul­ture de rente ”),
  • ” ranch­ing ” (éle­vage exten­sif) 6 % (surtout en Amérique latine),
  • sur­ex­ploita­tion bois de feu 7 % (con­duisant à un déboise­ment prolongé),
  • sur­ex­ploita­tion bois d’œu­vre 6 % (con­duisant à un déboise­ment prolongé),
  • infra­struc­tures et mines 1 %.


Les trois pre­miers fac­teurs, respon­s­ables donc de 83 % du déboise­ment, cor­re­spon­dent à des formes d’ex­pan­sion ” hor­i­zon­tale ” de l’a­gri­cul­ture (par oppo­si­tion à sa com­posante ” ver­ti­cale ” con­sis­tant dans l’aug­men­ta­tion des ren­de­ments à l’u­nité de sur­face) liée elle-même à la crois­sance de la pop­u­la­tion ; c’est le même phénomène que celui qui s’est pro­duit en Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle.

La sur­ex­ploita­tion pour la pro­duc­tion de bois d’œu­vre dans les tropiques humides n’est qu’une cause mineure de la déforesta­tion pro­pre­ment dite, con­traire­ment à une opin­ion courante ; mais cette pro­duc­tion peut avoir des effets négat­ifs sur l’é­tat des forêts exis­tantes (cf. plus loin) et par ailleurs, la réal­i­sa­tion d’in­fra­struc­tures peut con­stituer un fac­teur indi­rect impor­tant en facil­i­tant l’ac­cès à de nou­velles zones précédem­ment inac­ces­si­bles à l’agriculture.

Une situation disparate

Ain­si donc, c’est l’équiv­a­lent de la cou­ver­ture forestière de la France mét­ro­pol­i­taine qui dis­paraît chaque année de la sur­face de la planète dans le monde trop­i­cal, perte com­pen­sée, en sur­face seule­ment et pour moins de 20 % par des boise­ments nou­veaux (essen­tielle­ment en Asie tropicale).

Ce chiffre glob­al, impres­sion­nant en valeur absolue, cache une dis­par­ité con­sid­érable de sit­u­a­tions : depuis des pays surpe­u­plés comme Haïti ou le Burun­di, où la dis­pari­tion des quelques forêts sub­sis­tant sur les reliefs con­tribue à la dégra­da­tion de leurs ter­res et, par là même, à leur détresse économique, sociale et poli­tique ; à des pays très peu peu­plés, très boisés et plus rich­es comme le Gabon ou le Guyana, dans lesquels le déboise­ment est pra­tique­ment sans inci­dence physique ou socioé­conomique. Entre ces deux extrêmes existe toute une var­iété de sit­u­a­tions et d’im­pacts de la déforestation.

Une situation mal perçue

Ces sit­u­a­tions sont par­fois mal perçues chez nous. Ain­si en est-il pour l’A­ma­zonie brésili­enne qui focalise toute l’at­ten­tion. Certes, les sur­faces déboisées chaque année y sont impor­tantes, de l’or­dre de 1,5 mil­lion d’hectares de forêt trop­i­cale humide (aux­quels il con­vient d’a­jouter le déboise­ment des ” cer­ra­dos ” et autres for­ma­tions ouvertes).

Mais réalise-t-on en même temps que le taux de déforesta­tion du Brésil est plus de deux fois inférieur au taux moyen de déforesta­tion dans le monde trop­i­cal ; que le déboise­ment affecte cet immense mas­sif foresti­er grand comme cinq fois la France, surtout sur ses marges ; et que le Brésil a un taux de boise­ment de 63 %, c’est à près de 2,5 fois celui de la France mét­ro­pol­i­taine, et 6 fois celui du Roy­aume-Uni ? De façon évi­dente, un hectare déboisé n’a pas le même effet sur le milieu physique et le développe­ment socio-économique en Haïti, au Gabon et au Brésil.

Et, quel que soit le pays con­sid­éré, la per­cep­tion qu’en ont, d’une part, les pop­u­la­tions locales, qui sont les plus con­cernées, d’autre part, les autorités nationales et, enfin, la ” com­mu­nauté inter­na­tionale ” est mal­heureuse­ment très différente.

Cette dernière, con­sid­érant surtout que les forêts trop­i­cales sont un pat­ri­moine de l’hu­man­ité tout entière, attache une impor­tance par­ti­c­ulière, et c’est dans l’or­dre des choses, à l’in­ci­dence de la déforesta­tion trop­i­cale par rap­port aux deux grandes préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales actuelles, à savoir la réduc­tion de la bio­di­ver­sité et le réchauf­fe­ment de l’atmosphère.

Une perte de biodiversité

Con­cer­nant la pre­mière on ne saurait trop la blâmer, les forêts des tropiques humiques ren­fer­mant une pro­por­tion certes mal con­nue, mais sans doute très supérieure à la moitié des espèces végé­tales et ani­males de notre planète. Les esti­ma­tions du nom­bre d’e­spèces qui dis­parais­sent chaque année du fait de la déforesta­tion trop­i­cale restent haute­ment spécu­la­tives, ne serait-ce que parce qu’on est très loin de con­naître toutes les espèces.

Tableau III​— Évo­lu­tion des sur­faces des forêts des régions trop­i­cales de 1990 à 2000
Régions Vari­a­tion annuelle de sur­face en mil­lions d’hectares
Déforestation
annuelle
Plantation
annuelle
Déforestation
+ plantation
Afriqu​e tropicale –5,42​(soit – 0,8%) + 0,13 + 0,13
Amérique tropicale – 4,69 (soit – 0,5%) + 0,36 – 4,33
Asie-Océanie tropicale – 4,80 (soit – 1,5%) + 2,27 – 2,53
Pays trop­i­caux – 14,91 (soit – 0,8%) + 2,76 – 12,15

Sur la base des courbes de nom­bres d’e­spèces de plantes supérieures en fonc­tion des sur­faces forestières totales par grands types de forêt trop­i­cale, la FAO esti­mait en 1995 que les pour­cent­ages d’ex­tinc­tion durant la décen­nie 1981–1990 étaient com­pris entre 1,0 et 2,5 % en Afrique trop­i­cale, entre 1,6 et 4,0 % en Amérique trop­i­cale et entre 1,6 et 4,3 % en Asie trop­i­cale, soit un nom­bre d’essences dis­parues vari­ant entre 20 et 1 750 suiv­ant les types de forêt dans ces trois régions.

aggravée par la fragmentation

L’im­pact négatif de l’im­por­tance de la sur­face déboisée sur la diver­sité spé­ci­fique est aggravé par la frag­men­ta­tion des mas­sifs forestiers. Rai­son pour laque­lle, dans le monde indus­tri­al­isé, et notam­ment en Europe où le man­teau foresti­er orig­inel s’est con­sid­érable­ment éclaté (comme le mon­trent par­faite­ment les cartes forestières de l’Eu­rope cen­trale), on cherche à recon­stituer une ” trame verte ” avec des cor­ri­dors per­me­t­tant de com­mu­ni­quer entre les dif­férents espaces naturels ou semi-naturels.

Une aggravation très relative de l’effet de serre

Quant à la préoc­cu­pa­tion de la ” com­mu­nauté inter­na­tionale “, dom­inée par le monde indus­tri­al­isé, pour l’im­pact de la déforesta­tion trop­i­cale sur les émis­sions de CO2 (estimé entre 0,5 et 1,6 giga­tonne de C par an), on aimerait qu’elle soit plus dirigée vers celui de l’u­til­i­sa­tion des com­bustibles fos­siles éval­ué, lui, à 5,5 giga­tonnes de C…

Évolutions de l’état des forêts

L’homme ne se con­tente pas de défrich­er. Dans les espaces qu’il garde en forêt, ses actions ont sou­vent un impact négatif sur l’é­tat de la végé­ta­tion forestière. Actuelle­ment, on peut sig­naler dans les pays indus­tri­al­isés les types suiv­ants de dégradation :

  • des sur­ex­ploita­tions, très local­isées en Europe, sur des échelles plus larges dans les pays ” pio­nniers ” (Cana­da, USA, Russie) ;
  • des incendies trop répétés localement ;
  • des pertes de diver­sité biologique forestière fau­nis­tique ou floris­tique, rarement au niveau nation­al main­tenant (mais venant après une réduc­tion sen­si­ble de cette diver­sité durant des siè­cles de déboise­ment et de surexploitation) ;
  • les impacts de la pol­lu­tion atmo­sphérique sur la végé­ta­tion et les sols forestiers.


La dégra­da­tion des écosys­tèmes forestiers est plus mar­quée dans les pays en développe­ment, pas seule­ment trop­i­caux, et peut aboutir, si elle per­siste, à un déboise­ment de fait. Par­mi les fac­teurs de dégra­da­tion, il faut retenir principalement :

  • la sur­ex­ploita­tion pour le bois d’œu­vre, notam­ment dans les zones trop­i­cales humides, pou­vant men­ac­er d’ex­tinc­tion cer­taines espèces com­mer­ciales ou, à tout le moins, réduire leur vari­abil­ité intraspé­ci­fique, dimin­uer la vital­ité et la capac­ité de recon­sti­tu­tion des écosys­tèmes forestiers, éroder des sols… ;
  • la sur­ex­ploita­tion pour le bois de feu, notam­ment dans les zones trop­i­cales sèch­es, avec des impacts négat­ifs de même nature que les précé­dents (entraî­nant en par­ti­c­uli­er la ” latéri­ti­sa­tion des sols ”) ;
  • les ” feux de brousse ” répétés ;
  • le sur­pâ­turage en forêt (région méditer­ranéenne, for­ma­tions mixtes forestières et herbacées des tropiques secs…).

    Conclusion

    ” Les forêts précè­dent les peu­ples, les déserts les suiv­ent ” écrivait Chateaubriand. Ce rac­cour­ci est sans doute trop pes­simiste, mais force est de recon­naître que, dans l’his­toire des sociétés humaines, les forêts ont le plus sou­vent été con­sid­érées à la fois comme un obsta­cle au développe­ment, une réserve de ter­res pour l’a­gri­cul­ture et l’él­e­vage et une ” mine ” de bois pour la con­struc­tion, la marine et l’én­ergie ; et, qu’en règle générale, elles n’ont fait l’ob­jet d’une ges­tion soutenue de la part des États, des com­mu­nautés ou des par­ti­c­uliers qu’après que la pénurie en bois, mais aus­si l’éro­sion des sols et les inon­da­tions ont affec­té grande­ment le milieu physique, le développe­ment économique et social, et plus générale­ment le bien-être des com­mu­nautés con­cernées. À quoi il faut ajouter que, fac­teur aggra­vant, le long terme d’une bonne ges­tion forestière s’ac­com­mode mal du court terme de pop­u­la­tions rurales lut­tant pour leur survie, et de celui des décideurs poli­tiques d’aujourd’hui.

    Dans les pays rich­es, où les forêts regag­nent du ter­rain et se por­tent plutôt bien, les sociétés atten­dent des forêts non seule­ment du bois — ” éco­matéri­au ” renou­ve­lable incom­pa­ra­ble -, mais aus­si, et de plus en plus, des ser­vices non marchands, exter­nal­ités pos­i­tives peu ou pas rémunérées — réserve de diver­sité biologique, con­ser­va­tion des sols, régu­la­tion du débit et qual­ité des eaux, fix­a­tion du car­bone, aménités divers­es… Toutes ces attentes se traduisent par la demande faite aux pro­prié­taires de gér­er de façon ” durable ” leurs forêts, et, en ter­mes com­mer­ci­aux, par des démarch­es d’écocertification.

    Ces sociétés nanties posent aux pays en développe­ment, et plus par­ti­c­ulière­ment aux pays trop­i­caux, les mêmes exi­gences, sem­blant ignor­er les caus­es socioé­conomiques pro­fondes de la déforesta­tion, et mon­trent à l’en­droit de ces pays une cer­taine impa­tience que ne jus­ti­fient ni la faib­lesse de l’aide qu’elles leur accor­dent ni le fait qu’elles ont pen­dant très longtemps, et jusqu’il y a un siè­cle à peine, con­sid­érable­ment réduit leur pro­pre pat­ri­moine foresti­er3.

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    1. Les ” montes ” espag­nols par exemple.
    2. Par exem­ple ” Clas­si­fi­ca­tion inter­na­tionale de la végé­ta­tion ” de l’Unesco, ou clas­si­fi­ca­tions ” écofloris­tiques ” ou ” phy­toso­ci­ologiques ” françaises.
    3. Pour une infor­ma­tion com­plé­men­taire : Les forêts trop­i­cales par Jean-Claude Bergonzi­ni et Jean-Paul Lan­ly — La librairie du Cirad — TA 283/04, avenue Agropo­lis, 34398 Mont­pel­li­er cedex 5, et Kartha­la, 22–24, boule­vard Ara­go, 75013 Paris.

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