Dynamique des écosystèmes terrestres

Dossier : Les milieux naturels continentauxMagazine N°566 Juin/Juillet 2001
Par Jean-Claude RAMEAU

La diver­sité d’un paysage s’ex­plique déjà par une logique spa­tiale liée aux vari­a­tions des con­di­tions de sta­tion (topogra­phie, sol.…). Un paysage est une mosaïque de com­par­ti­ments sta­tion­nels qui pos­sè­dent cha­cun des car­ac­tères écologiques pro­pres ; ils sont car­ac­térisés par des com­mu­nautés végé­tales et ani­males dotées d’un fonc­tion­nement spé­ci­fique (écosys­tèmes).

Mais tout paysage répond aus­si et surtout à une logique dynamique d’or­dre tem­porel. Le tapis végé­tal est en mou­vance générale et per­ma­nente. Plusieurs phénomènes sont à l’o­rig­ine de cette mouvance :

  • des proces­sus pro­gres­sifs, lents, qui inter­vi­en­nent sans arrêt au sein du tapis végé­tal : la crois­sance et la mor­tal­ité des indi­vidus, la con­cur­rence intra et surtout inter­spé­ci­fique (pour l’e­space, la lumière, la nourriture…) ;
  • des per­tur­ba­tions ou cat­a­stro­phes, phénomènes bru­taux, imprévis­i­bles, aléa­toires, pou­vant con­cern­er de vastes espaces (tem­pêtes, incendies, érup­tions vol­caniques, crues bru­tales, attaques d’in­sectes…), à l’o­rig­ine de phénomènes régres­sifs qui réac­tivent de nou­veaux proces­sus pro­gres­sifs (voir pho­tos page suivante)…

Les actions anthropiques dévelop­pées depuis des mil­lé­naires mar­quent pro­fondé­ment de leur empreinte les paysages actuels ; elles sont ain­si à l’o­rig­ine de la diver­si­fi­ca­tion des tra­jec­toires dynamiques observées. Cer­taines activ­ités (agropas­torales…) se traduisent par con­tre par des blocages de la dynamique. Des muta­tions récentes (déprise agri­cole) provo­quent la lev­ée de ces blocages : entraî­nant la trans­for­ma­tion des paysages dans de nom­breuses régions.

Ces phénomènes dynamiques induisent des mod­i­fi­ca­tions des pop­u­la­tions (dynamique démo­graphique des pop­u­la­tions d’e­spèces végé­tales, par exem­ple), des com­mu­nautés végé­tales (trans­for­ma­tion pro­gres­sive d’une com­mu­nauté en une autre), de cer­taines con­di­tions sta­tion­nelles (sols, con­di­tions micro­cli­ma­tiques…), des peu­ple­ments ani­maux…<>

Quelques bases conceptuelles

Successions

Par­tons d’un champ labouré et aban­don­né : y appa­rais­sent rapi­de­ment des ger­mi­na­tions de divers­es espèces dont l’o­rig­ine est var­iée (banque de semences du sol, apports par dis­sémi­na­tion avec le vent, les ani­maux…). La com­po­si­tion de la flo­re ini­tiale est donc le résul­tat de mul­ti­ples hasards.

Puis, les espèces sont con­fron­tées aux con­di­tions du milieu ; cer­taines non adap­tées aux con­di­tions réu­nies locale­ment sont élim­inées. Peu à peu le cou­vert végé­tal se den­si­fie avec con­cur­rence intra et inter­spé­ci­fique con­duisant là encore à la dis­pari­tion de nou­velles espèces.

Il en résulte une com­mu­nauté végé­tale avec un cer­tain cortège floris­tique, momen­tané­ment sta­ble, cortège qui évolue pro­gres­sive­ment avec l’ap­port de nou­velles semences. Après une péri­ode où le hasard joue un rôle très impor­tant s’in­stau­re une logique qui peut cepen­dant être remise en cause par les impacts d’une perturbation.

La suc­ces­sion est la trans­for­ma­tion pro­gres­sive du tapis végé­tal vers le plus haut degré de mat­u­ra­tion que per­me­t­tent locale­ment le sol et le cli­mat. Elle se réalise par étapes ou stades car­ac­térisés par des for­ma­tions végé­tales dif­férentes (au niveau du champ : stade pio­nnier à annuelles et bisan­nuelles dis­per­sées, stade pelouse fer­mée, stade fru­ticée1, stade foresti­er). Chaque stade est car­ac­térisé par des phas­es (le stade foresti­er peut par exem­ple com­mencer par une phase pio­nnière à érable, frêne, puis pass­er à une phase tran­si­toire à chêne et enfin attein­dre une phase de matu­rité à hêtre) et chaque phase par des états de crois­sance (semis, four­rés, futaie mûre pour la phase de matu­rité à hêtre par exemple).

A la Réunion. Reconstition de la végétation après une éruption
À gauche, exem­ple de per­tur­ba­tion : érup­tion du piton de la Four­naise à la Réu­nion, provo­quant la destruc­tion de lam­beaux forestiers. À droite, sur les coulées de laves, quelques années après, s’installent des lichens, puis des fougères et enfin le bois de rem­parts. Il fau­dra cepen­dant atten­dre un cer­tain nom­bre de siè­cles avant que le sol antérieur se recon­stitue ain­si que la forêt d’origine !

Climax et blocages

Le plus haut degré de mat­u­ra­tion (dénom­mé générale­ment le cli­max) est vari­able selon le ter­ri­toire ou au sein d’un même ter­ri­toire. En fonc­tion des fac­teurs cli­ma­tiques (pré­cip­i­ta­tions, durée de la péri­ode de végé­ta­tion…), la végé­ta­tion régionale peut évoluer vers un stade foresti­er ou être blo­quée à un stade antérieur : pelous­es (étage alpin, steppes des milieux arides d’Eu­rope cen­trale ou froids de Patag­o­nie), semi-arboré, fru­ticée ou lande à la lim­ite de la taï­ga et de la toundra.

Au sein d’une région où le cli­max est foresti­er dans des con­di­tions écologiques favor­ables, des fac­teurs écologiques par­ti­c­uliers (sols super­fi­ciels à très faible réserve en eau, milieux aqua­tiques…) peu­vent blo­quer la dynamique au stade pio­nnier, au stade pelouse ou fruticée.

Les activ­ités pas­torales blo­quent la végé­ta­tion au stade pelouse ou prairie, empêchant les régénéra­tions ligneuses de se dévelop­per. Cer­tains espaces de pelous­es ou de lan­des cou­vrant les som­mets de mon­tagnes peu élevées (Vos­ges, Mas­sif cen­tral) sem­blent ” pri­maires ” à cer­tains éco­logues, du fait du cli­mat dras­tique qui y règne. Or, des enquêtes menées dans les Vos­ges après des péri­odes de trou­bles, à la fin du XIXe siè­cle, mon­trent qu’une forêt ” rabougrie ” y avait repris ses droits…

Pour définir les stade de matu­rité de la végé­ta­tion il con­vient donc d’analyser fine­ment non seule­ment les don­nées écologiques mais aus­si et surtout les don­nées anthropiques historiques…

Une suc­ces­sion est dite pri­maire quand la dynamique se développe à par­tir d’e­spaces dénudés (moraines glaciaires dégagées par la décrue du glac­i­er…). Le plus sou­vent elle est sec­ondaire cor­re­spon­dant à la recon­sti­tu­tion de la végé­ta­tion après destruc­tion totale ou par­tielle d’une com­mu­nauté végé­tale préex­is­tante ou après lev­ée de blocage (arrêt du pâturage par exem­ple). Dans ces deux cas la dynamique est pro­gres­sive.

On par­le de suc­ces­sion régres­sive lorsque la végé­ta­tion retourne à une phase ou un stade de moin­dre mat­u­ra­tion, soit brusque­ment, cas le plus fréquent après une per­tur­ba­tion, soit lente­ment (par action du pâturage en forêt con­duisant à une forêt claire et finale­ment à une pelouse, par l’ef­fet d’une sur­pop­u­la­tion de grands mam­mifères (ongulés), ou tout sim­ple­ment par une ges­tion forestière dégradante).

Dynamique des écosystèmes forestiers

Elle est car­ac­térisée par des cycles qui peu­vent être appréhendés à des échelles tem­porelles et spa­tiales très différentes.

Ain­si, un cycle inter­glaciaire s’é­tale sur plusieurs dizaines de mil­liers d’an­nées et con­cerne un con­ti­nent ; on y observe la réin­stal­la­tion lente de la forêt puis sa dis­pari­tion au prof­it d’une steppe, d’une toundra ou de glac­i­ers. Les vari­a­tions de tem­péra­ture et plus glob­ale­ment du cli­mat sont le moteur de ces processus.

Les phénomènes qui suiv­ent l’a­ban­don des activ­ités anthropiques s’é­tal­ent sur quelques siè­cles, à l’échelle d’un paysage.

Cycles sylvigenétiques

Une forêt sauvage (non exploitée par l’homme) présente des cycles dits sylvi­gené­tiques qui car­ac­térisent la dynamique interne des milieux forestiers.

À l’échelle d’une trouée forestière, l’ensem­ble des semis qui se dévelop­pent con­stitue une unité de régénéra­tion. La dynamique y est liée à la com­péti­tion interindi­vidu­elle (crois­sance en diamètre et en hau­teur, élim­i­na­tion de cer­tains indi­vidus, mise en place pro­gres­sive des futurs statuts des arbres : dom­i­nants et dominés).

À l’échelle de l’e­space vital d’un arbre s’ob­ser­vent de nom­breuses mod­i­fi­ca­tions au cours de sa crois­sance. Les phénomènes dynamiques (vari­a­tions de l’hu­mus, du tapis herbacé…) sont en rela­tion avec le développe­ment du mod­èle archi­tec­tur­al de l’e­spèce, con­trar­ié par les effets de la com­péti­tion mis en œuvre par les indi­vidus voisins (mul­ti­ples réitérations).

Quelle que soit l’échelle con­sid­érée, les essences forestières pos­sè­dent un cer­tain nom­bre d’in­vari­ants à l’o­rig­ine de logiques dynamiques identiques.

Nous pré­cis­erons deux de ces invari­ants : les straté­gies adap­ta­tives des essences (et les groupes fonc­tion­nels d’essences qui en découlent), et les poten­tiels de semences.

Par stratégie adap­ta­tive on entend des car­ac­tères hérédi­taires ayant valeur adap­ta­tive, favorisant telle ou telle espèce, à un moment de la succession.

Les straté­gies de repro­duc­tion, de com­péti­tion, le com­porte­ment juvénile des semis vis-à-vis de la lumière jouent un rôle con­sid­érable et expliquent en grande par­tie les modal­ités de la dynamique des pop­u­la­tions des dif­férentes essences et leur par­tic­i­pa­tion à une phase déter­minée de la succession.

Selon les espèces, l’in­vestisse­ment dans la repro­duc­tion (four­ni­ture de semences) est plus ou moins impor­tant. Par ailleurs inter­vi­en­nent égale­ment : la pré­coc­ité de la matu­rité sex­uelle, la longévité des arbres, de leur fécon­dité, la fréquence des bonnes années à fruits, le nom­bre de graines viables, les moyens de dis­sémi­na­tion plus ou moins per­for­mants, les dis­tances moyennes de dis­per­sion, la durée de survie des semences dans le sol, les proces­sus de lev­ée de dormance…

Cer­taines essences sont dotées d’un fort pou­voir dynamique qui leur assure la dom­i­nance presque absolue dans la strate supérieure de la forêt, ceci lorsqu’elles se trou­vent dans des con­di­tions opti­males pour leur développe­ment (exem­ple le hêtre ou le sapin).

Essences d’ombre et de lumière

Le com­porte­ment des ger­mi­na­tions et des régénéra­tions (stades juvéniles) vis-à-vis de la lumière est cap­i­tal pour expli­quer les logiques dynamiques qui s’in­stau­rent. Les espèces de pleine lumière au stade juvénile s’in­stal­lent directe­ment en plein décou­vert. Les espèces d’om­bre qui exi­gent une ambiance tamisée pour se dévelop­per s’in­stal­lent ensuite dans les espaces lais­sés ouverts ou sous cou­vert. Il est ain­si pos­si­ble d’éla­bor­er des gra­di­ents des tem­péra­ments pho­tiques2 juvéniles des dif­férentes essences ; ces gra­di­ents per­me­t­tent de com­pren­dre aisé­ment les modal­ités de la dynamique forestière.

Groupes d’espèces

Des espèces pos­sé­dant des car­ac­tères assez iden­tiques sont rassem­blées dans des groupes fonc­tion­nels :

  • le groupe des pio­nnières, essences à courte durée de vie, hélio­philes pour leur ger­mi­na­tion et le développe­ment des semis, sou­vent à bois ten­dres, pro­duisant un grand nom­bre de graines, créant des con­di­tions favor­ables à l’in­stal­la­tion d’essences des autres groupes fonc­tion­nels par l’amélio­ra­tion des pro­priétés du sol ou surtout par l’am­biance micro­cli­ma­tique engen­drée (phénomènes de facil­i­ta­tion) ; dans ce groupe on peut citer : les bouleaux, les trem­bles, les saules, les aulnes, les cytises… ;
  • le groupe des post­pi­onnières, essences plus longé­vives, à bois durs, plus ou moins hélio­philes ; dans cet ensem­ble entrent les érables, les frênes, les ormes, les tilleuls, les chênes, les merisiers, les sor­biers, les pins, les mélèzes ;
  • le groupe des dryades, à grande longévité, à bois dur, plus ou moins sciaphiles3, qui car­ac­térisent les phas­es de matu­rité dans cer­taines con­di­tions cli­ma­tiques (bilan hydrique favor­able) ; la flo­re den­drologique européenne ne compte que trois dryades : le sapin, l’épicéa, le hêtre (alors que les forêts équa­to­ri­ales en pos­sè­dent des centaines…) ;
  • le groupe des nomades : espèces oppor­tunistes des groupes des post­pi­onnières (frêne, érable, merisi­er, sor­bier, chêne, pin, mélèze…) ou des dryades (l’épicéa seule­ment), capa­bles de s’in­staller directe­ment avec ou à la place des pionnières.

Provenance des semences

Cer­taines graines sont apportées après une per­tur­ba­tion par le vent : poten­tiel advec­tif (graines légères ou dotées d’or­ganes favorisant leur dis­per­sion), par les ani­maux, oiseaux fru­gi­vores ou grani­vores par exem­ple (nos forêts comptent de nom­breux ” reboiseurs ” : geai, grive, mésange, mer­le noir, sit­telle…). D’autres sont déposées au sol avant la per­tur­ba­tion, à l’é­tat de dor­mance, atten­dant juste­ment une per­tur­ba­tion pour se dévelop­per (banque de semences du sol). Enfin il faut ajouter le recrû végé­tatif, c’est-à-dire les régénéra­tions déjà obtenues en sous-bois, issues d’essences dryades (sapin…).

La dernière reconquête postglaciaire

Les vari­a­tions cli­ma­tiques de l’Holocène ont entraîné de mul­ti­ples migra­tions des espèces à l’o­rig­ine des flo­res et forêts actuelles. Les cortèges floris­tiques des com­mu­nautés forestières se sont élaborés progressivement :

  • 12 000 ans : bouleau, pin sylvestre ;
  • 9 000 ans : noiseti­er, chêne, orme, frêne, tilleul, érable ;
  • 5 500 ans : hêtre, sapin… puis épicéa à des péri­odes dif­férentes, selon les régions.

Nos forêts provi­en­nent donc d’une mat­u­ra­tion sylvi­gené­tique pro­gres­sive qui s’est réal­isée par arrivée suc­ces­sive de nou­velles essences depuis leurs refuges glaciaires4. Ces suc­ces­sions sont con­formes aux règles définies précédemment :

  • ordon­nance­ment des essences selon leurs straté­gies adap­ta­tives (pio­nnières, puis nomades, puis post­pi­onnières et enfin dryades) ; instal­la­tion de nou­velles essences avec par­fois dis­pari­tion des essences antérieures (sap­inière — hêtraie mon­tag­narde se sub­sti­tu­ant à la chê­naie antérieure…) ;
  • redis­tri­b­u­tion dif­férente des essences selon les régions et le tem­péra­ment des essences (hêtre assur­ant au cours de sa migra­tion la mat­u­ra­tion de nom­breuses chê­naies collinéennes préex­is­tantes lorsque les pré­cip­i­ta­tions sont suff­isantes, les chênes restant en phase transitoire) ;
  • spé­cial­i­sa­tion sta­tion­nelle de cer­taines espèces se réfu­giant en sit­u­a­tion mar­ginale là où les espèces plus récentes ne sont pas com­péti­tives (main­tien de végé­ta­tions relictuelles comme le genévri­er thu­rifère sur les falais­es des Alpes du Sud, de chê­naies pubes­centes sur les adrets secs du Nord-Est).

On observe ain­si une mat­u­ra­tion de plus en plus accen­tuée des sylvi­genès­es régionales, en rela­tion avec l’amélio­ra­tion des con­di­tions cli­ma­tiques. Le degré d’évo­lu­tion d’une sylvi­genèse dépend de la nature des groupes fonc­tion­nels qui entrent dans son développe­ment. Ain­si à l’échelle européenne, on peut con­sid­ér­er la hêtraie sap­inière à épicéa mon­tag­narde comme l’é­cosys­tème le plus évolué (présence des trois dryades).

Et à l’échelle de la planète ? Ce sont les forêts ombrophiles équa­to­ri­ales qui offrent le degré max­i­mum d’évo­lu­tion, avec par­fois des cen­taines de dryades (on véri­fie l’in­flu­ence du bilan hydrique sur le degré d’évo­lu­tion des sylvigenèses !).

Par con­tre, les saulaies riveraines, com­posées des seules essences pio­nnières, offrent une sylvi­genèse peu évoluée. En règle générale les sylvi­genès­es les plus évoluées s’ob­ser­vent dans les con­di­tions sta­tion­nelles les plus favor­ables et plus les con­di­tions devi­en­nent mar­ginales, plus la sylvi­genèse, par blocage, est simplifiée.

Influence des activités anthropiques anciennes

Dans cer­taines régions sil­iceuses (Vos­ges, Ouest…), les actions anthropiques dévelop­pées sous forme de cul­ture tem­po­raire sur brûlis, de pâturage, d’u­til­i­sa­tion des litières ou du tapis herbacé foresti­er pour la fumure des cul­tures ont entraîné une acid­i­fi­ca­tion accrue des sols et leur dégra­da­tion par­fois irréversible. On est passé ain­si de sols bruns acides encore rich­es en élé­ments minéraux à des sols pod­zoliques appau­vris, ce qui a conduit :

  • à la dis­pari­tion de cer­taines essences néces­si­tant une bonne richesse trophique ;
  • au rem­place­ment irréversible du cli­max foresti­er par des lan­des, ceci lorsque la dégra­da­tion est très poussée (pod­zol à alios). On par­le de para-cli­max pour désign­er ces for­ma­tions végé­tales blo­quées dans leur évo­lu­tion vers la forêt (exem­ple les lan­des du plateau de Fréhel en Bretagne).

La dynamique des forêts sauvages

Dans le cas d’une forêt gérée, la péren­nité de l’é­tat boisé est assurée par le foresti­er qui opère la régénéra­tion (naturelle ou arti­fi­cielle par plantations).

Quels sont les proces­sus qui entre­ti­en­nent cette péren­nité, à tra­vers le temps dans une forêt ” sauvage ” non gérée ? Pour étudi­er cette dynamique cyclique, il faut s’in­téress­er aux forêts naturelles (non ou très peu mod­i­fiées par l’homme et ayant donc gardé tous les car­ac­tères prim­i­tifs) ou sub-naturelles (aban­don­nées par l’homme depuis longtemps ou peu influ­encées par celui-ci) :

  • forêts boréales européennes, nord-américaines ;
  • forêts de mon­tagne inac­ces­si­bles ou aban­don­nées depuis longtemps ;
    quelques rares forêts tem­pérées européennes en réserve intégrale ;
  • forêts trop­i­cales ou équa­to­ri­ales (forêts pri­maires qui n’ont pas fait l’ob­jet de destruc­tion anthropique par oppo­si­tion aux forêts sec­ondaires, recon­sti­tuées après déforestation).

Ces forêts sont le siège d’un proces­sus fon­da­men­tal : la régénéra­tion ; toute sur­face boisée est soumise à deux phas­es qui alter­nent en dis­con­ti­nu­ité dans l’e­space et dans le temps :

  • phase de crois­sance avec pré­dom­i­nance de phénomènes lents (crois­sance, mat­u­ra­tion, vieil­lisse­ment sans change­ments impor­tants dans l’écosystème) ;
  • phase de raje­u­nisse­ment courte qui démarre par une rup­ture plus ou moins bru­tale, plus ou moins éten­due de la canopée à l’oc­ca­sion d’un chablis (imprévis­i­ble) ou sim­ple­ment de la mort d’un arbre (prévis­i­ble) donc d’une trouée.

Selon la taille de la trouée, l’é­tat préex­is­tant des essences présentes (à l’é­tat adulte, recrû végé­tatif, poten­tiels de semences) le peu­ple­ment d’avenir va se recon­stituer par cica­tri­sa­tion avec les arbres voisins de la trouée, par développe­ment du recrû (ger­mi­na­tion des semences présentes dans le sol ou apportées).

Cartographie des peuplements naturels en hêtraie (réserve biologique de la Tillaie en forêt de Fontainebleau)
Car­togra­phie des peu­ple­ments naturels en hêtraie (réserve biologique de la Tillaie en forêt de Fontainebleau) : mosaïque d’unités sylvi­gené­tiques (d’après Bou­chon et al. 1973).

Une ouver­ture du peu­ple­ment favorise la péné­tra­tion du ray­on­nement solaire qui con­tribue au raje­u­nisse­ment de la forêt, à sa régénéra­tion en favorisant la coloni­sa­tion par les semis.

Au cours de cette phase de réor­gan­i­sa­tion, les élé­ments qui s’in­stal­lent freinent ou sélec­tion­nent par des inhi­bi­tions ou des facil­i­ta­tions physiques ou biologiques l’ar­rivée de nou­veaux occu­pants. La voûte se ferme, se cica­trise et un nou­veau cycle recommence.

L’ou­ver­ture de la trouée entraîne un trau­ma­tisme pas­sager ; l’évo­lu­tion du peu­ple­ment qui en est issu dépend de sa dimen­sion et de l’époque de la per­tur­ba­tion. Une petite ouver­ture qui cor­re­spond à un arbre qui meurt et un chablis de quelques cen­taines d’hectares n’au­ront pas les mêmes effets…

Les résul­tats seront dif­férents selon que la trouée survient à une époque de fruc­ti­fi­ca­tion ou est en avance ou en retard sur celle-ci. Elle provoque de brusques change­ments dans les con­di­tions écologiques, avec des dif­férences nota­bles selon les car­ac­tères sta­tion­nels (mod­i­fi­ca­tion du micro­cli­mat, de l’hu­mus, du sol lorsque les arbres sont dérac­inés, de la végé­ta­tion herbacée). Dans les petites trouées, la végé­ta­tion herbacée forestière se main­tient, sans gêne pour la régénéra­tion. Par con­tre, dans les grandes trouées peu­vent se dévelop­per des espèces sociales (sur sols acides, sols hydro­mor­phes) qui retar­dent le retour des ligneux par la con­cur­rence exer­cée. Quelles sont les logiques des essences forestières à l’in­térieur de ces ouvertures ?

Les grandes trouées sont colonisées par les espèces pio­nnières (bouleau, saules, peu­pli­ers, aulnes, cytis­es en région tem­pérée et sous les tropiques par des euphor­biacées, mal­vacées, ulmacées, mimosées…). Elles mon­trent une crois­sance rapi­de, restent de dimen­sions mod­estes ; elles sont issues sou­vent de la banque de semences du sol où elles sont capa­bles d’une longue dor­mance (à l’ex­cep­tion des saules à dor­mance très courte).

Beau­coup de lianes en font par­tie (renon­cu­lacées, bignon­i­acées, sapin­dacées). Le cycle biologique de ces plantes se réalise entière­ment dans les grandes trouées (ou en lisières) : on par­le d’une stratégie de type trouée-trouée. Ain­si les grands fleuves européens non endigués, lors des crues excep­tion­nelles con­nais­sent de grands chablis suiv­is par la régénéra­tion des saules et peu­pli­ers, rem­plaçant momen­tané­ment les forêts à bois durs détru­ites (à orme, frêne…). Les immenses ouver­tures de la sap­inière québé­coise touchée par un incendie sont réoc­cupées dans un pre­mier temps par une phase pio­nnière à bouleaux, trembles…

Les espèces post­pi­onnières suc­cè­dent aux pio­nnières ou les accom­pa­g­nent ou s’in­stal­lent directe­ment dans des trouées plus réduites. Elles ren­for­cent l’éd­i­fice foresti­er grâce à leur struc­ture imposante. Elles sont trans­portées là où elles ger­ment. Leur per­sis­tance dans le temps a un effet con­sid­érable dans la char­p­ente forestière. Leur longévité leur garan­tit de meilleures chances de régénéra­tion notam­ment si les con­di­tions favor­ables à la ger­mi­na­tion et au développe­ment juvénile sont trop aléa­toires. Typ­ique­ment ces espèces ne présen­tent pas de régénéra­tion durable en sous-bois et appa­rais­sent par vague dans les trouées. Leur stratégie est du type forêt-trouée. Elles par­ticipent aux phas­es pio­nnières et tran­si­toires (chêne, frêne, érable, orme, tilleul, pin, arau­caria, mélèze…).

Les dryades ont une stratégie de type forêt-forêt. Ces espèces se recru­tent sou­vent au niveau du recrû végé­tatif (plan­tules ou arbres juvéniles ayant ger­mé et poussé lente­ment à l’om­bre plus ou moins dense d’un sous-bois). Un min­i­mum de lumière fil­trée est req­uis pour la ger­mi­na­tion de leurs graines à via­bil­ité fréquem­ment réduite, à réserves nutri­tives impor­tantes. Les graines ont besoin d’une bonne humid­ité au niveau du sol. Leur pho­to­syn­thèse est effec­tive à faible niveau radi­atif ; la crois­sance est favorisée par l’ou­ver­ture de petites trouées au micro­cli­mat tam­pon­né. Si l’ou­ver­ture se referme la crois­sance se ralen­tit. L’ar­bre entre en dor­mance dans l’at­tente de con­di­tions meilleures, par­fois sur de longues durées (sapin). Peu à peu les exi­gences en lumière aug­mentent : la crois­sance dans une ” chem­inée ” créée par un arbre mort est un par­cours habituel jusqu’à l’émer­gence dans la voûte : il y a sub­sti­tu­tion de l’ar­bre mort par un jeune arbre en attente. On observe ces phénomènes dans nos sap­inières, dans les forêts d’érables à sucre du bord du Saint-Lau­rent, en forêt trop­i­cale atlan­tique brésili­enne avec un ocotea (lau­racées).

Les essences des forêts tem­pérées et froides sont dom­inées par les pio­nnières et post­pi­onnières, avec peu de dryades. Les grands réser­voirs de dryades se trou­vent dans les derniers retranche­ments intacts des forêts trop­i­cales. Les per­tur­ba­tions de la voûte forestière sont plus ponctuelles qu’ailleurs, sauf dans les régions bal­ayées par les cyclones. Mais cet état change cepen­dant rapi­de­ment : avec la destruc­tion mas­sive des forêts de par le monde et la sec­on­dari­sa­tion général­isée des paysages trop­i­caux, les pio­nnières et les nomades post­pi­onnières s’é­ten­dent au détri­ment des dryades.

Mais la forêt sauvage n’est pas faite que de trouées ! Elle est un emboîte­ment d’é­tat de crois­sance et de mélanges non for­tu­its d’e­spèces en con­tin­uel flux dans le temps. L’or­gan­i­sa­tion spa­tiale est un réseau d’élé­ments de taille vari­able dont la lim­ite inférieure est déter­minée par la trouée créée par un arbre mourant.

Le cou­vert foresti­er est une mosaïque en per­pétuelle mou­vance. L’in­tri­ca­tion étroite des proces­sus de raje­u­nisse­ment et de sénes­cence, la coex­is­tence de la vie et de la mort, le recy­clage com­plet des sub­stances organiques et minérales à tra­vers le flux d’én­ergie et de matière, dans lesquels s’in­sèrent les organ­ismes en réseaux ali­men­taires com­plex­es, traduisent une organ­i­sa­tion d’essence supérieure du plus haut niveau que puisse attein­dre un écosys­tème terrestre.

La fréquence, la dimen­sion, le moment de l’oc­cur­rence des chablis sont déter­mi­nants pour le type de sylvigenèse :

  • autorégénéra­tion : le poten­tiel d’avenir s’auto-entretient,
  • antic­i­pa­tion : le poten­tiel d’avenir passe à une phase plus évoluée,
  • régres­sion : le poten­tiel d’avenir retourne à une phase moins évoluée.

La phase de matu­rité forestière est sou­vent con­sid­érée comme le ” cli­max “, auquel on asso­cie les car­ac­tères de sta­bil­ité et de com­plex­ité max­i­male. Qu’en est-il réelle­ment ? Compte tenu de la longévité des arbres, la sta­bil­ité est fugace et illu­soire, remise en cause fréquem­ment par les per­tur­ba­tions. Il est donc néces­saire de sub­stituer à la notion de sta­bil­ité celle de résilience, c’est-à-dire la capac­ité d’au­torégénéra­tion, de cica­tri­sa­tion, que pos­sède une forêt naturelle, ceci quelle que soit la taille des trouées ouvertes, au bout d’un temps plus ou moins long. La résilience est la résul­tante de la coex­is­tence, dans la mosaïque forestière, de l’ensem­ble des groupes fonc­tion­nels d’essences, capa­bles d’in­ter­venir quels que soient les effets d’une perturbation.

En ce qui con­cerne la com­plex­ité ? Une phase de matu­rité offre sou­vent une sim­plic­ité décon­cer­tante (hêtraie, sapinière…).

Le con­cept de cli­max est donc à revoir ! Il s’ap­plique en pri­or­ité aux forêts sauvages, livrées à une dynamique naturelle. Il y est atteint quand, sur la sur­face du mas­sif, se ren­con­trent les dif­férentes phas­es de la sylvi­genèse et en par­ti­c­uli­er les phas­es tran­si­toire et de matu­rité (cette dernière ne pou­vant être franchie du fait des blocages imposés par le cli­mat actuel et le sol). Le cli­max ain­si conçu comme une mosaïque spa­tiotem­porelle de phas­es sylvi­gené­tiques, comme un équili­bre dynamique ouvert dans l’e­space et dans le temps est une entité qui pos­sède une grande résilience face aux divers­es per­tur­ba­tions qui peu­vent se produire.

> La dynamique induite par la déprise agricole

La sur­face boisée en France pro­gresse surtout par les con­séquences de la dynamique naturelle qui s’opère aux dépens d’e­spaces pas­toraux. La déprise agri­cole con­cerne de nom­breuses régions, où par ailleurs s’ob­ser­vent fréquem­ment les traces de dépris­es anci­ennes qui se sont suc­cédé pen­dant les deux derniers siè­cles écoulés. L’a­ban­don de ces espaces entraîne une recon­quête forestière à par­tir des poten­tiels de semences présents dans le paysage.

Cet aban­don peut être bru­tal ou pro­gres­sif (par pas­sage de l’in­ten­sif à l’ex­ten­sif, avec des péri­odes d’ar­rêt et de reprise) ; il en découle des états dif­férents du tapis végé­tal au moment de l’a­ban­don défini­tif pou­vant induire des logiques dynamiques ultérieures très variables.

Prenons l’ex­em­ple des plateaux cal­caires collinéens. Lorsqu’une pres­sion faible de pâturage sub­siste, les semences apportées par les oiseaux pro­duisent de petits four­rés qui s’in­stal­lent par nucléa­tion. Ils sont con­sti­tués d’ar­bris­seaux épineux ou à rameaux durs, capa­bles de résis­ter aux agres­sions du bétail (prunel­li­er, églantier…). C’est à l’abri de ces épineux pro­tecteurs que se dévelop­pent les ligneux plus frag­iles (noiseti­er, charme, frêne, érable, alisi­er, chêne) : on observe là un mod­èle de facil­i­ta­tion évident.

Après un arrêt bru­tal du pâturage, le tapis végé­tal peut être envahi par une espèce herbacée monop­o­liste, à mul­ti­pli­ca­tion clonale (par développe­ment des rhi­zomes) par exem­ple le brachy­pode pen­né (gram­inée fréquente sur les sub­strats cal­caires ou faible­ment acides). Il pos­sède un pou­voir de com­péti­tion très élevé et élim­ine, peu à peu, la plu­part des espèces préex­is­tantes. Le poten­tiel de semences est issu des lisières (ou éco­tones), des bor­dures de par­celles et éventuelle­ment de noy­aux déjà instal­lés dans la pelouse (zones de refus). La pro­gres­sion des pop­u­la­tions se fait par coloni­sa­tion frontale et par dis­per­sion, puis nucléa­tion. Le feu sur­venant dans ces milieux provoque une per­tur­ba­tion bru­tale qui détru­it les plantes en touffes mais épargne les espèces à rhi­zome : le brachy­pode béné­fi­cie alors de cette per­tur­ba­tion (“ pyro­phyte ”) et la suc­ces­sion redé­marre à son seul profit.

Le tapis végé­tal est devenu une pelouse pré­forestière. Les con­di­tions sont réu­nies pour l’ar­rivée des ligneux, arbus­tifs sou­vent d’abord, offrant des microsites favor­ables à l’in­stal­la­tion des pre­miers semis d’ar­bres ou directe­ment des arbres (mod­èle de tolérance), par exem­ple le pin sylvestre.

On passe ain­si peu à peu au stade foresti­er. La phase pio­nnière peut être très var­iée : bouleau, trem­ble, pin sylvestre, orme cham­pêtre, érable cham­pêtre, chêne pédon­culé, chêne pubescent.

Toutes ces essences (pio­nnières ou nomades) ont pour point com­mun d’être intolérantes à l’om­brage ; ces divers­es modal­ités se réalisent en fonc­tion des poten­tiels de semences présents dans le paysage et répon­dent à des logiques sta­tion­nelles (frêne, érable syco­more, merisi­er s’in­stal­lent sur des sols rich­es, le chêne pubes­cent inter­vient en pio­nnier très fréquem­ment sous le cli­mat doux du Bassin aquitain…).

Que devi­en­nent ces dif­férentes phas­es pio­nnières ? Elles peu­vent être util­isées par l’homme (en tail­lis pour le bois de feu), ce qui con­duit à un blocage de l’évo­lu­tion ultérieure (accrus à frêne, érable, à chêne pédon­culé pérennisé).

Le blocage est aus­si sou­vent lié à l’ab­sence, au moins momen­tanée locale­ment, de poten­tiels de semences des groupes fonc­tion­nels plus forestiers.

L’évo­lu­tion en con­di­tions non per­tur­bées con­duit à une phase tran­si­toire dom­inée par le chêne pédon­culé, le charme. Puis appa­rais­sent le chêne ses­sile, un peu plus tolérant à l’om­brage et surtout le hêtre, espèce sciaphile à l’é­tat juvénile et à fort pou­voir dynamique. Il assure la dom­i­nance de la phase de matu­rité. Là encore, le hasard, impor­tant en phase pio­nnière (et encore les essences qui inter­vi­en­nent appar­ti­en­nent au paysage !), fait place à une logique com­mandée par les com­porte­ments juvéniles (tolérance à l’om­brage, den­sité de régénéra­tion, pou­voir dynamique).

Avec ces accrus les forêts ” anci­ennes ” se trou­vent par­fois cein­turées par plusieurs enveloppes con­cen­triques boisées, qui cor­re­spon­dent à des phas­es dynamiques différentes.

Compte tenu des mul­ti­ples dépris­es que nos ter­ri­toires ont con­nues, l’an­ci­en­neté du retour à l’é­tat boisé de cer­tains mas­sifs est très vari­able. Cer­taines grandes forêts qui sem­blent avoir tou­jours existé, sans dis­con­ti­nu­ité, étaient en réal­ité totale­ment déboisées à l’époque gal­lo-romaine comme en témoignent les ves­tiges qui les parsèment.

Il résulte de ce qui précède que la con­nais­sance du stock den­drologique5 région­al, des poten­tiels de semences du paysage, des straté­gies des essences per­met de prédire les modal­ités pos­si­bles et prob­a­bles de la suc­ces­sion forestière et surtout la com­po­si­tion de la phase de matu­rité ou végé­ta­tion poten­tielle.

Par végé­ta­tion poten­tielle nous enten­dons la com­po­si­tion den­drologique pré­dictible de la phase de matu­rité d’un espace ne l’ayant pas encore atteint. Pour qu’elle se réalise, les poten­tiels de semences doivent être présents, à prox­im­ité de la par­celle aban­don­née (mais… le foresti­er peut les installer !) ; les hasards des per­tur­ba­tions peu­vent remet­tre en ques­tion, au moins tem­po­raire­ment, le pas­sage au ” climax “.

Que faire de ces accrus cou­vrant une super­fi­cie non nég­lige­able ? Il s’ag­it, avant d’établir une stratégie, de définir déjà les tra­jec­toires dynamiques avec la com­po­si­tion hypothé­tique des phas­es successives.

Une phase pio­nnière com­posée d’érable syco­more, frêne, merisi­er (trois feuil­lus pré­cieux…) est à val­oris­er par quelques inter­ven­tions appro­priées et donc à pérenniser.

Un peu­ple­ment pio­nnier de pin sylvestre (dans le Trièves par exem­ple) peut pro­cur­er une ombre béné­fique à des plan­ta­tions de hêtres ou de sap­ins. On utilise ain­si les principes de la dynamique des essences, en accélérant les proces­sus pour obtenir plus rapi­de­ment une forêt pro­duc­tive. ” Imiter la nature et hâter son œuvre “…

Quelles peuvent être les utilisations de ces connaissances pour la gestion des espaces ?

Les appli­ca­tions sont mul­ti­ples dans les divers domaines de la ges­tion des milieux naturels.

Gestion forestière

Pour men­er à bien leurs travaux, les ges­tion­naires ont besoin d’outils fab­riqués par les chercheurs. L’un de ceux-ci est la typolo­gie régionale des sta­tions forestières qui per­met l’i­den­ti­fi­ca­tion des prin­ci­paux types d’é­cosys­tèmes d’une région naturelle et qui pré­cise les don­nées fonc­tion­nelles fon­da­men­tales et les poten­tial­ités en essences util­is­ables avec profit.

Pour chaque unité sta­tion­nelle il est impor­tant de pré­cis­er le plus haut degré de mat­u­ra­tion que la végé­ta­tion forestière peut attein­dre, compte tenu des con­di­tions sta­tion­nelles. Pour le ges­tion­naire, qui hérite de forêts plus ou moins dégradées par des siè­cles de mau­vais traite­ments ou qui dis­pose de sur­faces récem­ment en accrus, se pose la ques­tion de la renat­u­ra­tion, de la regra­da­tion de ces peu­ple­ments et donc de la con­nais­sance de l’hy­pothé­tique terme ultime des suc­ces­sions dans les dif­férentes sit­u­a­tions stationnelles.

Il n’est pas cer­tain que la com­bi­nai­son ” cli­macique ” soit tou­jours la meilleure solu­tion à recon­stituer, actuelle­ment, sur le plan économique (ain­si sur des limons pro­fonds où le hêtre représente la phase de matu­rité, il est générale­ment con­seil­lé de per­pétuer le chêne ses­sile de la phase tran­si­toire, chêne qui don­nera là des pro­duits de haute valeur), mais sa déter­mi­na­tion est cap­i­tale pour con­naître les con­di­tions écologiques qui lui sont liées et agir en conséquence.

Pour illus­tr­er cette néces­sité de con­naître la ” végé­ta­tion poten­tielle ” nous rap­pellerons l’ex­em­ple du chêne pédon­culé. Dans de nom­breuses régions la dom­i­nance du chêne pédon­culé dans les peu­ple­ments est le résul­tat de la ges­tion en tail­lis sous futaie ou de la recon­quête d’e­spaces agri­coles, phénomènes favorisant le chêne le plus hélio­phile. La végé­ta­tion poten­tielle est le plus sou­vent une chê­naie ses­sil­iflo­re6 ou une hêtraie chê­naie ses­sil­iflo­re. La sen­si­bil­ité de ces peu­ple­ments appau­vris aux stress hydriques vient con­firmer le diag­nos­tic phy­to-dynamique et il est urgent de remet­tre en place la végé­ta­tion potentielle !

Dans le cadre de ces typolo­gies il est donc impor­tant de car­ac­téris­er chaque com­par­ti­ment sta­tion­nel par son sys­tème dynamique de végé­ta­tion (phas­es pro­gres­sives forestières, phas­es régres­sives issues de la ges­tion passée, et éventuelle­ment stades non forestiers sur lesquels le ges­tion­naire peut avoir à intervenir).

Le foresti­er ren­con­tre par­fois des dif­fi­cultés pour régénér­er naturelle­ment cer­tains peu­ple­ments. C’est le cas par exem­ple des mélézins alpins. Nous sommes en présence d’une espèce nomade qui con­stitue des phas­es pionnières…

Il est dif­fi­cile de per­pétuer des phas­es pio­nnières qui ont ten­dance à évoluer vers une phase de matu­rité (sap­inière ou cem­braie dans ce cas). Il s’ag­it de recon­stituer les con­di­tions d’in­stal­la­tion d’une phase pio­nnière par de grandes éclaircies.

Les sap­inières pures vos­gi­en­nes instal­lées sur des sols rich­es ont de grandes dif­fi­cultés à se per­pétuer, mais si des hêtres ou des épicéas ont été épargnés s’ob­ser­vent alors sous leur cou­vert des semis de sapin… La forêt naturelle mon­tag­narde est diver­si­fiée : avec dom­i­nance du sapin, accom­pa­g­né de hêtres et d’épicéas, et elle se car­ac­térise par une alter­nance, dans le temps, des essences au sein des peu­ple­ments assur­ant l’évite­ment des inhi­bi­tions d’or­dre chim­ique (allélopathie) qui sont à l’o­rig­ine de la dégénéres­cence des semis de sapin en forêt monospécifique.

Reconstitution des forêts après la tempête de 1999

La recon­sti­tu­tion de la forêt après la tem­pête de 1999 démon­tre par­faite­ment la néces­sité de ces con­nais­sances. On est au cœur d’une per­tur­ba­tion qui a entraîné des dom­mages très sérieux sur un ter­ri­toire étendu.

Elle est à l’o­rig­ine de trouées plus ou moins impor­tantes (grandes trouées, peu­ple­ments mités, ou éclair­cis). Comme nous l’avons vu, dans les con­di­tions naturelles, en l’ab­sence de forestiers, elle est suiv­ie de proces­sus de régénéra­tion naturelle obtenue à par­tir des divers poten­tiels de semences (semenciers épargnés, proches ou loin­tains, présents dans l’en­vi­ron­nement, de régénéra­tions déjà instal­lées, de graines dor­mantes dans la banque de semences du sol).

L’idée fon­da­men­tale, pour la recon­sti­tu­tion est, si pos­si­ble, d’at­ten­dre deux à cinq ans ou plus, l’ex­pres­sion de ces poten­tiels de semences et d’établir en fonc­tion de la com­po­si­tion de ces régénéra­tions la stratégie la plus appro­priée pour recon­stituer les peu­ple­ments de demain.

Atten­tion ! Atten­dre ne veut pas dire ne rien faire ! Rapi­de­ment des diag­nos­tics sont à réalis­er. La recon­sti­tu­tion doit alli­er patience et méthode.

Dans cer­tains cas, ces diag­nos­tics con­duisent à la néces­sité d’ac­tions immé­di­ates (inter­ven­tions sur les sols, les réma­nents, le tapis herbacé ; préven­tions des dégâts occa­sion­nés par les ongulés, les ravageurs ; plantations…).

Il faut observ­er la régénéra­tion naturelle en cours d’in­stal­la­tion et l’as­sis­ter : agir en temps voulu pour l’ac­com­pa­g­n­er (avec des inter­ven­tions menées au moment oppor­tun : com­plé­ments, plan­ta­tions, dégage­ments), mesur­er les éventuelles men­aces (gibiers, ravageurs, plantes sociales concurrentes…).

L’u­til­i­sa­tion de la régénéra­tion naturelle pour la recon­sti­tu­tion, solu­tion que nous pré­con­isons, présente de mul­ti­ples intérêts sur les plans économique et écologique.

Les destruc­tions observées doivent être égale­ment l’oc­ca­sion d’une réflex­ion appro­fondie sur la forêt que l’on souhaite pour demain, réflex­ion inté­grant un exa­m­en cri­tique de la forêt sin­istrée… Forêt mul­ti­fonc­tion­nelle, diver­si­fiée en essences, en struc­ture, présen­tant une plus grande sta­bil­ité, une forte résilience (en cas de nou­velle per­tur­ba­tion), avec des essences adap­tées aux stress cli­ma­tiques (cf. change­ments durables).

Les méth­odes util­isées, la com­po­si­tion, la struc­ture et la ges­tion de la forêt du futur doivent s’in­scrire totale­ment et par­faite­ment dans le cadre des exi­gences inter­na­tionales de ges­tion forestière durable.

Les actions menées à court et moyen terme doivent se fon­dre dans la réal­i­sa­tion du pro­jet ain­si établi ” une nou­velle forêt pour demain “.

Pour ce faire les ges­tion­naires ont besoin de dis­pos­er, pour chaque grand type sta­tion­nel, des tra­jec­toires dynamiques prédictibles.

Com­ment ren­dre une forêt plus résiliente à l’avenir ? Il s’ag­it de regarder les forêts sauvages… La résilience est fonc­tion de la diver­sité des groupes fonc­tion­nels et de leur richesse en essences. Ne peut-on prof­iter de la cat­a­stro­phe pour ” méta­mor­phoser ” quelques hêtraies mono­spé­ci­fiques, peu résilientes… ?

Il s’ag­it de garder en lisière quelques pio­nnières, d’u­tilis­er les sols plus pro­fonds pour installer des par­quets de chêne ses­sile, et de garder par bou­quet, en liai­son avec le cloi­son­nement, au sein de la future hêtraie des bou­quets de nomades (érable, frêne, merisier).

Cette forêt de demain sera très pro­duc­tive, plus sta­ble et plus résiliente, plus apte à héberg­er une faune et une flo­re var­iées, peut-être aus­si plus agréable à par­courir pour le promeneur… On peut rêver…

En haute montagne

La ges­tion forestière devient sou­vent dif­fi­cile compte tenu des prob­lèmes d’ex­ploita­tion (acces­si­bil­ité déli­cate) ou de val­ori­sa­tion des bois. Ne serait-il pas préférable par­fois de pass­er à une ges­tion très exten­sive ou, par­fois même d’a­ban­don­ner toutes interventions.

Mais peut-on aban­don­ner sans risque des mas­sifs qui jouent fréquem­ment un rôle essen­tiel de pro­tec­tion des sols con­tre l’éro­sion ou vis-à-vis des activ­ités humaines con­tre les glisse­ments de ter­rain ou les avalanches ?

Que se passera-t-il si l’a­ban­don est décidé ? Les peu­ple­ments actuels ont-ils atteint une phase et une struc­ture de matu­rité qui leur assurent une sta­bil­ité réelle et surtout une solide résilience face aux mul­ti­ples per­tur­ba­tions qui peu­vent les toucher ?

N’est-il pas néces­saire dans un pre­mier temps d’ir­régu­laris­er ces peu­ple­ments pour les ren­dre plus sta­bles ? La con­nais­sance des modal­ités de la dynamique et de son terme, dans chaque sit­u­a­tion, est néces­saire mais aus­si et surtout les types de struc­ture et de fonc­tion­nement des forêts sauvages ou sub­na­turelles qui peu­vent se ren­con­tr­er dans ces situations.

On com­prend le grand intérêt de dis­pos­er d’un réseau de réserves inté­grales dans chaque grande sit­u­a­tion écologique, véri­ta­ble lab­o­ra­toire per­me­t­tant de rassem­bler divers enseigne­ments sur la dynamique cyclique des forêts naturelles et leur pou­voir d’au­torégénéra­tion face à une perturbation.

Par ailleurs, au siè­cle dernier divers­es plan­ta­tions résineuses ont été réal­isées dans les Alpes pour fix­er les sols touchés par l’éro­sion (travaux de ” restau­ra­tion des ter­rains de mon­tagne ”). Ces peu­ple­ments arrivent à matu­rité ; sou­vent le prix de vente est faible ou le ges­tion­naire se heurte à des dif­fi­cultés sérieuses pour régénér­er naturelle­ment ces peu­ple­ments. Pourquoi ne pas se servir de nos con­nais­sances dynamiques en réin­tro­duisant peu à peu des essences autochtones des divers groupes fonc­tion­nels ? On peut ain­si obtenir à moyen et long terme des peu­ple­ments résilients capa­bles de s’au­to-entretenir et d’as­sumer dans la durée la fonc­tion de pro­tec­tion. Il est grand temps d’ailleurs de pren­dre des déci­sions et d’a­gir sur ces peu­ple­ments vieillissants !

Gestion des paysages

Avec les dif­fi­cultés crois­santes frap­pant cer­tains secteurs agri­coles, les phénomènes de déprise s’ac­centuent. Les élus et les respon­s­ables de l’amé­nage­ment du ter­ri­toire mul­ti­plient les ques­tions. Que se passera-t-il si l’homme n’in­ter­vient pas ? Quelles seront les modal­ités et les vitesses de la recon­quête forestière ? Est-il pos­si­ble d’ac­célér­er la dynamique naturelle pour obtenir plus rapi­de­ment une forêt pro­duc­tive ? Cer­tains espaces ouverts pos­sè­dent une grande qual­ité écologique ou paysagère qui impose leur main­tien en l’é­tat. Dans ce cas quel type de ges­tion pré­conis­er pour assur­er un blocage du tapis végé­tal ? Après exploita­tion agri­cole les car­ac­tères sta­tion­nels ont pu être mod­i­fiés ; la dynamique naturelle ne peut-elle con­tribuer à restau­r­er la qual­ité des terrains ?

L’é­co­logue au fait des phénomènes dynamiques peut apporter quelques répons­es : déter­min­er les zones sen­si­bles sur le plan paysager, les espaces de grande valeur pour la bio­di­ver­sité et pro­pos­er des règles de ges­tion pour en assur­er la péren­nité, définir les tra­jec­toires dynamiques et leur vitesse, déter­min­er les poten­tial­ités forestières pour les ini­ti­er au niveau des accrus, appréhen­der les poten­tial­ités réelles pas­torales et cul­tur­ales afin que l’on sou­ti­enne ces activ­ités dans les meilleures con­di­tions… On est là au cœur des prob­lèmes de l’amé­nage­ment de l’e­space rural.

Gestion des éléments de la biodiversité

La péren­nité d’une pop­u­la­tion d’une espèce forestière pro­tégée passe par une con­nais­sance pré­cise de son com­porte­ment dans la dynamique de la végé­ta­tion, lié à ses exi­gences photiques.

Si on prend l’ex­em­ple d’une espèce emblé­ma­tique comme le sabot de Vénus (orchidées), son opti­mum se situe en lisière et en clair­ière forestière, à la rigueur sous des peu­ple­ments rel­a­tive­ment clairs qui lais­sent pass­er suff­isam­ment de lumière au sol. La péren­nité de ses pop­u­la­tions exige déjà des pré­cau­tions au niveau des lisières (éviter les dépôts de bois), ensuite la ges­tion doit assur­er le main­tien de peu­ple­ments suff­isam­ment clairs. Si une clair­ière se ferme, il est pos­si­ble d’en ouvrir une autre à prox­im­ité… Les mêmes mesures sont à pren­dre pour les pivoines sauvages, la fraxinelle…

La con­ser­va­tion de nom­breux milieux (pelous­es, prairies, cer­tains marais) néces­site de rechercher les anciens modes de ges­tion qui ont per­mis par le passé de les main­tenir en état. Ce sont ces tech­niques qu’il con­vient de remet­tre en œuvre pour y éviter des proces­sus dynamiques qui feraient dis­paraître leur intérêt patrimonial.

Les forêts gérées sont exploitées bien avant l’âge biologique des essences. Il en résulte que, dans la plu­part des mas­sifs exploités, le groupe fonc­tion­nel des saprox­y­lophages (êtres vivants se nour­ris­sant des divers dérivés du bois mort) a pra­tique­ment dis­paru. Une ges­tion écologique de la forêt entraîne la con­ser­va­tion d’une cer­taine den­sité de vieux bois qui mour­ront et se décom­poseront en forêt ser­vant d’abris, de nour­ri­t­ure à divers­es espèces, comme dans les forêts sauvages. Mais une bonne solu­tion réside dans la con­sti­tu­tion d’îlots de vieil­lisse­ment où l’âge d’ex­ploitabil­ité est dou­blé (des cav­ités appa­rais­sant à la place des vieilles branch­es mortes sont occupées par des chauve-souris ; les pics revi­en­nent trou­vant une nour­ri­t­ure abon­dante dans ces arbres…).

La tâche du foresti­er se com­plique énor­mé­ment pour assumer toutes ses respon­s­abil­ités… et sat­is­faire pleine­ment aux impérat­ifs de ges­tion durable…

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1. Plantes à tiges ligneuses ; arbrisseaux.
2. Vis-à-vis de l’éclairement.
3. Aimant l’om­bre.
4. La migra­tion vers le Sud (refuges) en début de glacia­tion a été lim­itée en Europe par l’ori­en­ta­tion est-ouest des chaînes de mon­tagnes. Leur ori­en­ta­tion nord-sud en Amérique du Nord a facil­ité des allers retours qui expliquent une plus grande var­iété actuelle des essences.
5. La den­drolo­gie est la par­tie de la botanique qui a pour objet l’é­tude des arbres.
6. Le chêne pédon­culé (quer­cus pedoncu­la­ta — glands attachés par un pédon­cule) sup­porte moins bien le cou­vert des semis, est plus exigeant pour la qual­ité des sols et plus sen­si­ble à la sécher­esse que le chêne rou­vre dit aus­si chêne ses­sile (quer­cus ses­sil­iflo­ra — glands sans pédoncule).

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DJENONTIN André Jonasrépondre
6 avril 2014 à 11 h 37 min

Dynamique des écosys­tèmes pas­toraux
Arti­cle très suc­cinct et complet

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