La 17e édition du Forum Teratec

Le numérique de grande puissance : un enjeu stratégique pour l’Europe

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°771 Janvier 2022
Par Hervé MOUREN (67)

Super­cal­cu­la­teurs, sim­u­la­tion numérique, intel­li­gence arti­fi­cielle, les tech­nolo­gies numériques et demain les tech­nolo­gies quan­tiques seront les clés de notre com­péti­tiv­ité indus­trielle, et des fac­teurs déter­mi­nants de la sou­veraineté tech­nologique et indus­trielle de la France et de l’Europe. Depuis 15 ans, TERATEC oeu­vre en faveur de la maîtrise et de la dif­fu­sion des tech­nolo­gies numériques en France. Hervé Mouren (67), directeur de TERATEC, répond à nos ques­tions et nous en dit plus.

Présentez-nous TERATEC et ses missions.

Créée en 2005, TERATEC a pour mis­sion de faciliter la maîtrise des tech­nolo­gies numériques dans l’industrie et d’en accélér­er la dif­fu­sion. Depuis quinze ans, nous avons assisté à la général­i­sa­tion des super­cal­cu­la­teurs et de la sim­u­la­tion, plus récem­ment de l’intelligence arti­fi­cielle et nous nous pré­parons au développe­ment du quantique. 

TERATEC regroupe plus de 80 mem­bres, entre­pris­es tech­nologiques et indus­trielles, cen­tres de recherche et étab­lisse­ments d’enseignement qui tra­vail­lent ensem­ble sur ce sujet stratégique. 

En quoi la maîtrise du HPC et de la simulation est-elle essentielle aujourd’hui pour les entreprises et l’industrie plus particulièrement ?

L’usage des tech­nolo­gies numériques de grande puis­sance mod­i­fie pro­fondé­ment nos activ­ités dans de très nom­breux domaines et cela tout par­ti­c­ulière­ment dans l’industrie. Dans chaque secteur indus­triel, on assiste à une recon­struc­tion fondée sur l’intégration de ces tech­nolo­gies numériques et leur com­bi­nai­son avec les savoir-faire métiers spé­ci­fiques du domaine. Il faut bien mesur­er que cette recon­struc­tion est une for­mi­da­ble occa­sion de recon­quérir des pans entiers de notre activ­ité industrielle. 

Les lead­ers de demain seront les entre­pris­es qui maîtris­eront le mieux la fusion entre leur savoir-faire méti­er et ces tech­nolo­gies numériques, et égale­ment de nou­veaux entrants qui sauront se posi­tion­ner sur de nou­veaux développe­ments per­mis par ces tech­nolo­gies numériques. 

Sur un plan technologique et technique, quels sont les principaux sujets qui se posent ?

Il y a trois grands volets : la puis­sance de cal­cul, la sim­u­la­tion et le traite­ment des don­nées (don­nées mas­sives et appren­tis­sage). Nous sommes par­tis, il y a quinze ans, de l’informatique de grande puis­sance avec des super­cal­cu­la­teurs de plus en plus puis­sants et le cou­plage de la puis­sance de cal­cul avec la sim­u­la­tion. Aujourd’hui, nous dis­posons, en plus, des tech­niques de traite­ment des don­nées util­isant les out­ils d’intelligence arti­fi­cielle, appren­tis­sage pro­fond et appren­tis­sage machine, qui per­me­t­tent de décou­vrir des règles par l’analyse des données.

Cette évo­lu­tion tech­nique est con­stante et se pour­suit, et elle touche tous les secteurs d’activité : des indus­tries clas­siques au monde des ser­vices en pas­sant par la san­té. Pour accom­pa­g­n­er ces évo­lu­tions, se pose la ques­tion du développe­ment des com­pé­tences néces­saires et de la for­ma­tion req­uise pour dis­pos­er des ressources qui pour­ront utilis­er ces tech­nolo­gies récentes. S’ajoute à cela la néces­sité de s’inscrire dans une démarche de co-con­struc­tion (co-design) entre les four­nisseurs de tech­nolo­gies et les indus­triels, qui sont les util­isa­teurs fin­aux de ces tech­nolo­gies. En effet, les archi­tec­tures des nou­velles solu­tions tech­nologiques numériques sont aujourd’hui sou­ples et flex­i­bles et il faut pren­dre en compte les car­ac­téris­tiques des sujets à traiter pour met­tre au point l’architecture la plus adaptée. 

C’est un con­stat général­isé qui s’applique à tous les secteurs et à toutes les industries.

Quels sont les usages connus ? Quels sont ceux qui se profilent déjà ?

His­torique­ment, ce sont les grands secteurs indus­triels clas­siques comme l’aéronautique, l’automobile, l’énergie qui se sont d’abord emparés de ces tech­nolo­gies. Depuis déjà plusieurs décen­nies, on conçoit les avions et les auto­mo­biles de manière numérique. 

Aujourd’hui, c’est le monde des biotech­nolo­gies, de la san­té, de la chimie, de la cos­mé­tique, des matéri­aux qui utilisent ces tech­nolo­gies avec des appli­ca­tions de plus en plus poussées. Prenons le cas du jumeau numérique. Actuelle­ment, nous savons faire un jumeau numérique d’un sys­tème com­plet comme un avion, un véhicule, un sous-marin… Demain, nous pour­rons aus­si faire un jumeau numérique des organes humains. C’est vrai pour l’œil, les indus­triels de l’optique pour­ront créer un jumeau numérique de l’œil d’un patient et déter­min­er de manière exacte les cor­rec­tions visuelles à pren­dre en compte pour la fab­ri­ca­tion de lunettes, mais il sera aus­si pos­si­ble de créer un jumeau numérique pour tous les organes (le cœur, les poumons…) ce qui laisse entrevoir des per­spec­tives et des usages nou­veaux comme la mod­éli­sa­tion numérique car­diaque per­son­nal­isée, des essais clin­iques avec des patients virtuels, ou le jumeau virtuel d’un cerveau pour l’aide à la déci­sion chirur­gi­cale dans le traite­ment de l’épilepsie…

On peut aus­si citer d’autres cas d’application comme les sys­tèmes autonomes, la cyber­sécu­rité ou celui de la qual­ité et la véri­fi­ca­tion des infor­ma­tions. Nous vivons dans un monde où nous dis­posons de vol­umes très impor­tants de don­nées et d’informations de qual­ité très vari­able. Ces don­nées, qui sont très large­ment dif­fusées, ne sont pas tou­jours fiables et peu­vent être à l’origine de fauss­es infor­ma­tions. Des études mon­trent que nous pour­rions cap­i­talis­er sur ces tech­nolo­gies pour con­stru­ire une infor­ma­tion plus fiable et de bien meilleure qual­ité. En effet, il n’existe à l’heure actuelle aucune boucle de véri­fi­ca­tion et ces tech­nolo­gies devraient nous per­me­t­tre d’éliminer des infor­ma­tions, volon­taire­ment ou non, erronées. 

En quoi est-ce également un enjeu pour la souveraineté française et européenne ?

C’est un sujet majeur sur lequel nous revenons chaque année pen­dant notre Forum TERATEC qui regroupe plus de 1 300 per­son­nes. La dernière édi­tion a été inau­gurée par la min­istre de l’Industrie qui a insisté sur le risque que pour­rait pos­er le décrochage de l’Europe de ces sujets stratégiques pour notre com­péti­tiv­ité et notre souveraineté. 

Et dans son inter­ven­tion dans notre Forum 2020, Thier­ry Bre­ton a déclaré : « Je vois la décen­nie à venir comme la décen­nie numérique dans laque­lle l’Europe peut devenir un leader sur la scène tech­nologique mondiale. »

La ques­tion de la poli­tique indus­trielle de l’Europe est rev­enue sur le devant de la scène, car c’est un enjeu de pre­mière impor­tance pour le développe­ment économique, la com­péti­tiv­ité et la sou­veraineté de l’Europe et donc de la France. 

Nous nous devons d’être un acteur de pre­mier plan sur l’ensemble de ces sujets !

Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs sur ce sujet ?

La maîtrise de l’ensemble de ces tech­nolo­gies est la clé de la com­péti­tiv­ité et de la croissance.

Con­scient de cet enjeu économique et indus­triel, la Com­mis­sion européenne a lancé un pro­gramme de grande enver­gure, EuroH­PC, doté d’un bud­get de 7 mil­liards d’euros pour la péri­ode 2021 à 2027. Ce pro­gramme porte à la fois sur le développe­ment des tech­nolo­gies, avec la con­struc­tion de super­cal­cu­la­teurs par­mi les plus puis­sants au monde et sur le développe­ment des usages dans de très nom­breux domaines. Pour sa mise en œuvre, la Com­mis­sion a iden­ti­fié, dans chaque pays, un acteur référent pour organ­is­er et pren­dre en charge la dif­fu­sion des infor­ma­tions et des bonnes pra­tiques dans le cadre de ce pro­gramme. En France, cet acteur est TERATEC qui a la respon­s­abil­ité de ce cen­tre de com­pé­tences, cofi­nancé par l’Europe et la France et réal­isé en parte­nar­i­at avec GENCI et le CERFACS. Nous tra­vail­lons sur la con­struc­tion d’une place de marché autour de ces tech­nolo­gies qui va être bien­tôt disponible et qui va recenser les acteurs qui inter­vi­en­nent dans ces domaines, les exper­tis­es et les com­pé­tences acces­si­bles, les offres de pro­duits et de ser­vices ain­si que les for­ma­tions exis­tantes. C’est notre rôle de con­stru­ire des passerelles entre ces tech­nolo­gies numériques et le monde indus­triel. Le grand enjeu est de mobilis­er l’ensemble des par­ties prenantes, notam­ment les étu­di­ants, les chercheurs et les développeurs de solu­tions pour qu’ils intè­grent la dimen­sion stratégique et cri­tique de ces sujets, qui vont mod­i­fi­er pro­fondé­ment tout notre écosys­tème indus­triel, tech­nologique, économique et social dans la durée. 

C’est ce que je souhaite partager avec vos lecteurs pour que la com­préhen­sion et la mesure de l’importance de ces trans­for­ma­tions soient à la hau­teur du proces­sus qui est en train de s’opérer sous nos yeux. 

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