Le mot du président : Des mères ” coupables ”

Dossier : ExpressionsMagazine N°658 Octobre 2010
Par Christian GERONDEAU (57)

Ce con­stat mérite qu’on s’y arrête. Comme c’est le cas pour la plu­part des espèces ani­males, notre pat­ri­moine géné­tique veut que ce soit les mères qui s’oc­cu­pent essen­tielle­ment des petits. À par­tir du moment où les femmes ont de plus en plus la pos­si­bil­ité d’ac­céder aux études supérieures, il ne faut pas s’é­ton­ner que leur pre­mier souci soit d’aider leurs enfants au long du cycle pri­maire et sec­ondaire des études et par­fois au-delà. 

Agir ailleurs

Ce sont donc les mères qui sont “respon­s­ables” de la pro­por­tion très élevée des enfants des class­es sociales intel­lectuelles au sein de ceux et de celles qui réus­sis­sent le con­cours de l’É­cole poly­tech­nique ou des autres étab­lisse­ments d’en­seigne­ment supérieur de pre­mier plan. Mais qui oserait inter­dire aux mères d’aimer et d’aider leurs enfants ? 

C’est ailleurs qu’il faut agir pour atténuer les iné­gal­ités liées à la nais­sance. Fort heureuse­ment, le pes­simisme ne s’im­pose pas. 

S’il est vrai que la sit­u­a­tion à Poly­tech­nique et dans les autres écoles de pre­mier rang est celle qui vient d’être décrite, la réal­ité est bien dif­férente quand on con­sid­ère la glob­al­ité des quelque 150 écoles d’ingénieurs recon­nues par la Con­férence des Grandes Écoles. 

Perpétuer l’ascenseur social

Celles-ci offrent 2 000 places de plus qu’il y a de can­di­dats. Autrement dit, tous les jeunes qui ont une cer­taine dis­po­si­tion pour les matières sci­en­tifiques peu­vent en tra­vail­lant suff­isam­ment accéder à une école qui leur pro­cur­era une for­ma­tion sanc­tion­née par un diplôme recon­nu par l’É­tat. Celui-ci leur ouvri­ra grandes les portes du marché de l’emploi et leur assur­era l’ac­cès aux class­es dites favorisées, quelle que soit leur pro­pre orig­ine sociale. 

Pris­es dans leur glob­al­ité, les grandes écoles con­tin­u­ent à jouer pleine­ment le rôle “d’as­censeur social” qui a tou­jours été le leur, et que seul per­met un proces­sus de sélec­tion fondé sur des con­cours qui ren­dent impos­si­ble tout favoritisme car ils sont fondés sur des épreuves anonymes et par nature quantifiables. 

Main­tenir un sys­tème de sélec­tion conçu pour met­tre fin au règne des privilèges 

Tout autre mode de recrute­ment, tels ceux basés sur des quo­tas, ne peut que débouch­er sur des échecs en cours de sco­lar­ité ou sur des diplômes déval­orisés ne don­nant pas de véri­ta­ble accès au marché du tra­vail. Il faut donc main­tenir un sys­tème de sélec­tion qui remonte aux orig­ines de la République et qui a été pré­cisé­ment conçu pour met­tre fin au règne des priv­ilèges qui car­ac­téri­sait l’An­cien Régime. 

Ce mode de sélec­tion ne garan­tit en effet à per­son­ne un accès facile aux grandes écoles les plus recher­chées. Il exige bien au con­traire de la part des jeunes qui s’y présen­tent des années d’un tra­vail austère et intense en vue de con­cours d’une dif­fi­culté sans égale dans le monde occi­den­tal. Comme l’ex­plique remar­quable­ment Jean-Paul Brighel­li, pro­fesseur de classe pré­para­toire lit­téraire, dans un récent ouvrage au titre révéla­teur, Tueurs d’élites, qui répond à ceux qui cri­tiquent les grandes écoles, un tel dis­posi­tif tire vers le haut tout notre enseigne­ment supérieur, et pas seule­ment les dizaines de mil­liers de jeunes qui fréquentent les class­es préparatoires. 

Donner l’espoir

Mais il faut aus­si don­ner le max­i­mum de chances à ceux qui n’ont pas trou­vé dans leur envi­ron­nement famil­ial l’ap­pui dont ont pu béné­fici­er ceux qui appar­ti­en­nent à des milieux intel­lectuelle­ment favorisés. C’est ce que font pré­cisé­ment les jeunes poly­tech­ni­ciens présents à l’É­cole. Chaque semaine, près de 200 d’en­tre eux mènent des activ­ités de tutorat ou de pro­mo­tion sociale auprès de 3500 jeunes lycéens de milieux défa­vorisés pour les inciter, les aider, ou leur don­ner les moyens académiques, cul­turels, ou soci­aux pour se lancer dans les études supérieures. 

C’est par de telles actions con­duites par nos cama­rades et par d’autres, que pour­ront être con­cil­iés la spé­ci­ficité d’un mode de sélec­tion et de for­ma­tion qui nous est pro­pre et dont nous pou­vons être fiers, et la sauve­g­arde de pos­si­bil­ités de pro­mo­tion sociale indis­pens­ables pour qu’une par­tie de notre jeunesse ne perde pas espoir.

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