L’entrepreneur en France, ce mal-aimé !

Dossier : Créer des entreprisesMagazine N°584 Avril 2003
Par Philippe HAYAT (85)

L’entrepreneuriat est mal compris en France

L’entrepreneuriat est mal compris en France

La créa­tion d’en­tre­pris­es est absente des préoc­cu­pa­tions nationales : elle est pra­tique­ment absente de l’en­seigne­ment (très récente dans les écoles de com­merce) ; mais égale­ment absente des débats poli­tiques, focal­isés davan­tage sur les grandes entre­pris­es et les enjeux macroé­conomiques. Com­ment peut-il en être autrement, alors que les chefs d’en­tre­pris­es représen­tent 6 % des députés, con­tre 23 % pour les enseignants et 17 % pour les fonctionnaires ?

Cer­taines idées reçues tein­tent néga­tive­ment la créa­tion d’en­tre­pris­es : la créa­tion d’en­tre­pris­es est plus sou­vent con­sid­érée comme un par­cours du com­bat­tant et le sac­ri­fice de sa vie privée que comme une véri­ta­ble aven­ture, source d’é­panouisse­ment et de réal­i­sa­tion de soi-même. Cette image est d’ailleurs sou­vent véhiculée par les entre­pre­neurs eux-mêmes, que l’on mon­tre plus sou­vent abat­tus que ravis.

Les dernières lois sociales vont à l’en­con­tre de l’e­sprit entre­pre­neur­ial : com­ment insuf­fler le goût de l’ef­fort lorsqu’on annonce qu’il est désor­mais pos­si­ble de tra­vailler moins en gag­nant autant, et lorsqu’on oppose tra­vail et loisir ? Com­ment cul­tiv­er l’e­sprit de con­quête, lorsqu’on se résout à partager la capac­ité d’emploi exis­tante plutôt que chercher à l’aug­menter ? Com­ment favoris­er la moti­va­tion des équipes, fac­teur fon­da­men­tal de réus­site d’une petite entre­prise, lorsqu’on ne cesse d’op­pos­er les intérêts du salarié à ceux de son entre­prise (réduc­tion du temps de tra­vail, dia­boli­sa­tion des réduc­tions d’ef­fec­tifs) ? Com­ment respon­s­abilis­er les décideurs en leur imposant de façon autori­taire des lois uni­formes, indépen­dantes du con­texte spé­ci­fique à chaque entre­prise (heures sup­plé­men­taires régle­men­tées…) ? Com­ment enfin respon­s­abilis­er l’in­di­vidu dans sa rela­tion au tra­vail en maquil­lant, par des mesures coû­teuses et arti­fi­cielles (dur­cisse­ment des plans soci­aux), le fait qu’une sit­u­a­tion pro­fes­sion­nelle est aujour­d’hui faite d’incertitudes ?

L’idée de départ des 35 heures aurait pu don­ner lieu à un débat de société riche et posi­tif con­cer­nant l’équili­bre des vies pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle. Elle a au con­traire con­duit à déval­oris­er le goût de l’ef­fort, et finale­ment la notion même de la valeur du travail.

Cet état d’e­sprit qui règne en France fait con­sid­ér­er l’emploi comme un objec­tif de l’en­tre­prise, alors qu’il n’est qu’une con­séquence de sa bonne san­té. Car l’en­tre­prise cherche, avant tout, à péren­nis­er son avenir en aug­men­tant sa capac­ité d’aut­o­fi­nance­ment et de développe­ment, et en rémunérant con­ven­able­ment ses action­naires pour ren­forcer son capital.

Le phénomène est irréversible : la con­cur­rence étant aujour­d’hui instan­ta­née et mon­di­ale toute lég­is­la­tion priv­ilé­giant la sauve­g­arde de l’emploi relève d’un com­bat d’ar­rière-garde, alors que le vrai prob­lème est de dévelop­per les moyens de for­mer et réin­sér­er ceux qui se trou­vent aujour­d’hui dépassés par les exi­gences des économies nouvelles.

Les PME, plus sen­si­bles aux soubre­sauts et aux aléas du marché et de la con­cur­rence, ont plus besoin de capac­ité de réac­tion et de sou­p­lesse, que de con­traintes. Elles ne se dévelop­pent que grâce à leurs salariés, qui seront d’au­tant mieux rémunérés et épanouis que leur entre­prise se porte bien ; con­ver­gence des intérêts des salariés et de leur entre­prise qui ne doit pas être détru­ite par une lég­is­la­tion à contre-courant.

La situation personnelle de l’entrepreneur reste précaire

La pré­car­ité ne se situe pas au niveau des assur­ances mal­adie et vieillesse.

Il existe plusieurs statuts pour l’entrepreneur :

  • le tra­vailleur indépen­dant (entre­prise indi­vidu­elle ; 50 % des cas), un non-salarié, dont le pat­ri­moine pro­fes­sion­nel se con­fond avec ses biens propres ;
  • le gérant majori­taire (EURL ou SARL) qui a créé la société qu’il dirige, et qui délim­ite son pat­ri­moine pro­fes­sion­nel ; égale­ment un non-salarié (30 % des cas) ;
  • le dirigeant salarié des autres types de sociétés (SA, etc.), un salarié, mais en tant que man­dataire social (révo­ca­ble “ad nutum” sans droit aux Assedic).


Si le dirigeant salarié est bien cou­vert comme tout salarié, qu’en est-il du chef d’en­tre­prise non salarié (80 % des cas) ?

Les assur­ances d’un non-salarié et d’un salarié sont équiv­a­lentes depuis le 1er jan­vi­er 2001. L’en­tre­pre­neur non salarié peut, de plus, souscrire une garantie sup­plé­men­taire “arrêt de tra­vail pour cause d’ac­ci­dent” lui con­férant les mêmes droits que ceux du régime salarié.

Le sys­tème des retraites est plus intéres­sant pour le non-salarié que pour le salarié : depuis 1973, même sécu­rité vieil­lesse (régime de base Organ­ic). Mais, l’en­tre­pre­neur non salarié peut souscrire une retraite com­plé­men­taire par cap­i­tal­i­sa­tion (loi Madelin de 1994) qui s’avère plus effi­cace que les caiss­es de retraite par répar­ti­tion du régime salarié, à mon­tant de coti­sa­tion identique.

Les coûts de la cou­ver­ture maladie/vieillesse d’un non-salarié et d’un salarié sont équiv­a­lents dans la mesure où la dif­férence per­me­t­tra au gérant majori­taire de cotis­er à une retraite com­plé­men­taire par cap­i­tal­i­sa­tion pour béné­fici­er d’une cou­ver­ture équivalente.

Le statut de gérant majori­taire s’avère par­ti­c­ulière­ment intéres­sant depuis la loi Madelin de 1994 (déductibil­ité des charges payées au titre de la cou­ver­ture sociale mal­adie, décès/invalidité et vieillesse).

Cela per­met de vers­er à l’en­tre­pre­neur un revenu net de charges (env­i­ron 35 %, déductible du résul­tat de la société) tout en séparant son pat­ri­moine pro­fes­sion­nel de son pat­ri­moine privé.

Le vrai prob­lème de la cou­ver­ture sociale pour l’en­tre­pre­neur, out­re l’ex­cep­tion notable du chô­mage, réside dans le fait de devoir cotis­er à ces assur­ances sans même génér­er du chiffre d’af­faires ; un coût lourd en début d’ac­tiv­ité, qu’il sup­porte seul puisque sa richesse et celle de l’en­tre­prise se confondent.

De nom­breux entre­pre­neurs sont exclus de l’as­sur­ance chô­mage : alors que l’en­tre­pre­neur, salarié avant la créa­tion, peut béné­fici­er de l’as­sur­ance chô­mage, en cas de ces­sa­tion d’ac­tiv­ité au cours des trente-six pre­miers mois, ceux qui n’ont jamais cotisé à l’as­sur­ance chô­mage (tra­vailleurs indépen­dants, étu­di­ants, fonc­tion­naires ou man­dataires soci­aux) en sont exclus. Sont exclus égale­ment les entre­pre­neurs ayant déposé leur bilan après trois ans d’ac­tiv­ité. Certes les dirigeants peu­vent souscrire à des assur­ances chô­mage per­son­nelles (hormis les pro­fes­sions libérales), mais elles sont imparfaites.

Le con­gé pour créa­tion d’en­tre­prise, offrant en théorie la pos­si­bil­ité au salarié de retrou­ver son poste en cas d’échec, com­porte des con­traintes ren­dant le dis­posi­tif peu utilisé.

Par ailleurs, l’en­tre­pre­neur, qui aurait démis­sion­né pour mon­ter son pro­jet, vit sur son seul pat­ri­moine pen­dant la phase d’é­tude précréa­tion, con­traire­ment au salarié licen­cié qui touche ses droits Assedic.

L’en­tre­pre­neur est sou­vent respon­s­able sur son pat­ri­moine per­son­nel : la délim­i­ta­tion entre les pat­ri­moines per­son­nel et pro­fes­sion­nel du chef d’en­tre­prise s’avère sou­vent dif­fi­cile à établir. Le tra­vailleur indépen­dant est respon­s­able sur ses biens pro­pres. C’est égale­ment le cas pour le chef d’en­tre­prise ayant dû con­céder une cau­tion per­son­nelle lors de l’ob­ten­tion d’un prêt. Au risque opéra­tionnel pro­pre à toute ini­tia­tive vient donc s’a­jouter un risque exis­ten­tiel touchant au pat­ri­moine familial.

L’en­tre­pre­neur encourt des risques pénaux par­fois injustes : pour com­pléter la panoplie des risques de l’en­tre­pre­neur, sig­nalons que le Code du tra­vail ne com­porte pas moins de 140 dis­po­si­tions sanc­tion­nées pénale­ment pour le man­dataire social. Les garde-fous ten­dant à empêch­er le chef d’en­tre­prise de nég­liger la sécu­rité de son per­son­nel ou de pren­dre des lib­ertés avec les comptes de sa société sont bien sûr légitimes. Force est de con­stater que la ten­ta­tion est grande pour cer­tains juges de faire du “patron” un sus­pect a pri­ori, ou une cible de choix.

La fiscalité personnelle de l’entrepreneur est décourageante

La con­jonc­tion des fis­cal­ités s’avère lourde à sup­port­er : l’en­tre­pre­neur est assu­jet­ti à la fis­cal­ité comme tous ; mais, s’il paye l’im­pôt sur le revenu (tax­a­tion sur les place­ments et IRPP) il paye, au titre de l’ISF, un impôt sur la valeur de ses biens à laque­lle vient s’a­jouter la valeur de sa par­tic­i­pa­tion dans la société : ce qui peut con­duire à un taux glob­al de prélève­ment sur ses revenus très important.

Cet effet fis­cal est com­plété par une tax­a­tion, en cas de vente, sur la plus-val­ue réalisée.

La com­para­i­son européenne est mal­heureuse­ment sans appel : la France reste dans les normes européennes, en ce qui con­cerne l’im­pôt sur les sociétés (33,3 % vraisem­blable­ment à par­tir de 2003) et celui sur les plus-val­ues (26 %, voire 0 si le place­ment se trou­ve dans un PEA). Elle a fait un effort sur l’im­pôt sur les microso­ciétés (15 % pour les sociétés réal­isant moins de 38 112 € de béné­fice, à par­tir du 1er jan­vi­er 2002).

En revanche, la France est à l’a­vant-dernier rang européen con­cer­nant l’im­pôt sur la for­tune (nul en Alle­magne, Ital­ie et Grande-Bre­tagne), au dernier rang européen con­cer­nant le taux mar­gin­al d’im­pôt sur le revenu (60,5 %, con­tre 47 % pour l’Alle­magne, 46 % pour l’I­tal­ie et 40 % pour la Grande-Bre­tagne), au dernier rang européen con­cer­nant la fis­cal­ité des div­i­den­des (62,4 %, con­tre 47,5 % pour l’Alle­magne, 44,9 % pour l’I­tal­ie et 53,4 % pour la Grande-Bre­tagne), (source Medef).

Enfin, la France se situe égale­ment au dernier rang con­cer­nant l’im­pôt sur la trans­mis­sion d’en­tre­prise (38,7 %, con­tre 11 % pour l’Alle­magne, 15,5 % pour l’I­tal­ie et 0 pour la Grande-Bre­tagne), (source Medef). Ce qui entraîne de graves con­séquences sur la péren­nité d’une entre­prise, les descen­dants du fon­da­teur pou­vant être con­traints de ven­dre l’en­tre­prise famil­iale pour en régler les frais de transmission.

L’im­pôt de sol­i­dar­ité sur la for­tune entraîne des sit­u­a­tions aber­rantes : les dis­po­si­tions de la régle­men­ta­tion française con­duisent à des anom­alies qui ont des effets négat­ifs. Passé cer­taines lim­ites (déten­tion de moins de 25 % du cap­i­tal, représen­tant moins de 75 % de son pat­ri­moine) la par­tic­i­pa­tion dans la société n’est plus con­sid­érée comme out­il de tra­vail ; non enrichi (il ne pos­sède que du “papi­er” ; il a même restreint son salaire pour inve­stir dans sa société), l’en­tre­pre­neur doit pay­er chaque année entre 0,55 % et 1,8 % de la valeur estimée de ses actions ; valeur dont on ne peut préjuger l’évo­lu­tion. Une fois encore, des moti­va­tions d’or­dre dog­ma­tique (l’ISF, mal­gré sa mod­ic­ité) pren­nent le pas sur l’ef­fi­cac­ité économique.

La fis­cal­ité fait per­dre à la France une part de son attrac­tiv­ité : on con­state ain­si le départ à l’é­tranger de pat­ri­moines impor­tants, qui auraient pu être investis dans la créa­tion d’en­tre­pris­es en France. Les chiffres offi­ciels (2 mil­liards d’eu­ros par an) sem­blent sous-estimés. Les con­tribuables (25 000 en 1997 ; 24 000 en 1998) ont trans­féré leur domi­cile fis­cal à l’é­tranger. Env­i­ron 75 mil­liards d’eu­ros de cap­i­taux ont quit­té la France entre 1996 et 2000. Les experts esti­ment aujour­d’hui la fuite des cap­i­taux à env­i­ron 8 mil­liards d’eu­ros par an (source Rap­port d’In­for­ma­tion 2000–2001 du Sénat).

L’entrepreneur est seul face à la complexité de la création

La créa­tion d’en­tre­pris­es est d’une com­plex­ité effrayante : l’en­tre­pre­neur est con­fron­té à un nom­bre impres­sion­nant de paramètres juridiques, statu­taires et fis­caux, sur lesquels il doit se posi­tion­ner dans les trois pre­miers mois d’activité :

  • types d’ac­tiv­ité : agri­cole, pro­fes­sion libérale, arti­sanale ou commerciale,
  • formes juridiques pour l’en­tre­prise : de l’en­tre­prise indi­vidu­elle jusqu’à la société arti­sanale ou commerciale,
  • statuts pour le chef d’en­tre­prise com­por­tant des cou­ver­tures sociales différentes,
  • mul­ti­plic­ité d’or­gan­ismes soci­aux, selon le statut choisi, cor­re­spon­dant à des régimes différents,
  • fis­cal­ités pour le dirigeant d’entreprise,
  • cen­tres d’enregistrement,
  • un proces­sus d’ap­port en nature, fréquent dans le cas d’as­so­ci­a­tion de com­pé­tences et de savoir-faire, égale­ment com­plexe et contraignant.


Les struc­tures d’ac­com­pa­g­ne­ment sont par­ti­c­ulière­ment inef­fi­caces : la plu­part des entre­pre­neurs restent encore livrés à eux-mêmes lorsqu’ils créent leur entre­prise. Bien que de nom­breuses mesures de sim­pli­fi­ca­tion admin­is­tra­tive aient vu le jour depuis 1994 et que la créa­tion, en 1981, des Cen­tres de For­mal­ités des Entre­pris­es (Cham­bres de com­merce et de métiers) ait ren­du pos­si­ble la cen­tral­i­sa­tion des for­mal­ités de créa­tion. Mais ces Cen­tres restent avant tout des cen­tres d’en­reg­istrement, et non des lieux d’ac­cueil, d’in­for­ma­tion, d’ori­en­ta­tion ou de formation.

Les Cham­bres de com­merce ont accordé par la démarche “entre­pren­dre en France” un accom­pa­g­ne­ment à 3 000 créa­teurs en 1998, 1,5 % du nom­bre total des créa­teurs, con­tre 15 000 ini­tiale­ment prévus (source Inspec­tion générale des finances). Au total, 3 000 struc­tures publiques ou para­publiques ont pour mis­sion d’ac­com­pa­g­n­er les entre­pre­neurs (les Cham­bres de com­merce, Cham­bres des métiers, Bou­tiques de Ges­tion, plates-formes de France Ini­tia­tive Réseaux, etc.).

À titre d’ex­em­ple, dans les seules Cham­bres de com­merce, près de 4 000 employés sont affec­tés à la créa­tion d’en­tre­pris­es, soit deux créa­tions par employé et par mois ! Mal­gré ces moyens, seule­ment 10 % des créa­teurs béné­fi­cient chaque année d’un accom­pa­g­ne­ment. Par ailleurs, l’of­fre iné­gale de ces réseaux et leur éventuelle con­cur­rence sur le ter­rain dimin­u­ent leur effi­cac­ité (Rap­port de l’Assem­blée nationale de jan­vi­er 2001).

L’État impose des charges illogiques au démarrage

L’en­tre­prise com­mence par pay­er des charges avant de génér­er du chiffre d’af­faires : par­mi elles fig­urent, en par­ti­c­uli­er, les charges sociales. Par exem­ple, dans le cas d’une entre­prise indi­vidu­elle, un mon­tant for­faitaire de l’or­dre de 3 000 € est prélevé en l’ab­sence de toute référence d’activité.

Notons au pas­sage que l’ex­onéra­tion de charges sociales pour l’embauche du pre­mier salarié vient d’être sup­primée à par­tir du 1er jan­vi­er 2002 (rem­placée par un allége­ment de coti­sa­tions lié aux 35 heures !).

Le niveau des charges sociales est réd­hibitoire : ce n’est plus l’ob­jet d’un débat, puisque tout le monde s’ac­corde à les trou­ver trop élevées. Lorsque l’en­tre­prise rémunère un salarié 1 000 €, cela lui coûte 1 500 €, et le salarié n’en reçoit que 800 avant impôt sur le revenu !

Quelques réduc­tions de charges exis­tent pour les bas salaires, les chômeurs longue durée, etc., mais glob­ale­ment le prob­lème demeure entier pour la majeure par­tie des entre­pris­es et des emplois.

Les entre­pris­es français­es subis­sent un lourd hand­i­cap par rap­port à leurs con­cur­rentes européennes : à salaire et sit­u­a­tion iden­tiques (revenu net après impôt de 70 €) le coût pour l’en­tre­prise serait en France de 179 k€, con­tre 116 en Alle­magne, 111 en Grande-Bre­tagne, 172 en Ital­ie, 141 aux Pays-Bas. Pour un céli­bataire, le coût pour l’en­tre­prise en France s’élève à 229 k€, con­tre 129 en Alle­magne, 116 en Grande-Bre­tagne, 189 en Ital­ie, 147 aux Pays-Bas (source Fran­cis Lefebvre).

L’en­tre­prise finance la TVA de ses achats à la place de l’É­tat : les achats effec­tués par la jeune entre­prise sont payés TTC, c’est-à-dire qu’elle paie la TVA. Le rem­bourse­ment de celle-ci par l’É­tat n’in­ter­vient que lorsque l’en­tre­prise com­mence à génér­er du chiffre d’af­faires (en déduc­tion de la TVA due sur les ventes).

Il en résulte un besoin de finance­ment (finance­ment si dif­fi­cile à obtenir) des­tiné à financer… l’État !

La taxe pro­fes­sion­nelle est absurde : véri­ta­ble ser­pent de mer, ce sujet a été abor­dé par tous les gou­verne­ments et con­stitue tou­jours un con­tre­sens économique. Cette taxe touche les fac­teurs de pro­duc­tion, donc pénalise les entre­pris­es qui recru­tent et qui investis­sent. Elle est payée avant toute créa­tion de richesse, puisque son mode de cal­cul est fixe quel que soit le prof­it réalisé.

Les salariés ne sont pas convenablement intéressés

Le suc­cès d’une entre­prise réside essen­tielle­ment dans sa capac­ité à faire tra­vailler une équipe d’hommes et de femmes, motivée autour d’un pro­jet com­mun pour lequel ils s’é­panouiront, pour leur plus grand bien et celui de leur société. Il est donc fon­da­men­tal que les salariés se sen­tent intéressés à la fois au suc­cès de leur pro­pre tra­vail et à l’avenir de leur entre­prise en par­tic­i­pant à son capital.

Les plans d’in­téresse­ment usuels sont très lim­ités : la par­tic­i­pa­tion des salariés aux béné­fices de l’en­tre­prise (pas toutes les entre­pris­es) ne suf­fit pas, par ses mon­tants, à dévelop­per une réelle moti­va­tion finan­cière. Elle ne per­met pas non plus la pro­priété de cap­i­tal, généra­teur poten­tiel de plus-val­ue. Le plan d’in­téresse­ment, fac­ul­tatif, s’in­scrit dans le même con­texte. Enfin, le Plan d’É­pargne Entre­prise ressem­ble plus à une retraite com­plé­men­taire qu’à une par­tic­i­pa­tion cap­i­tal­is­tique ; de plus, ses mon­tants sont limités.

Le régime des stock-options n’est pas favor­able aux salariés : sa fis­cal­ité, ses con­traintes et sa com­plex­ité en font un out­il peu intéres­sant, les taux d’im­po­si­tion vari­ant en fonc­tion tant de l’im­por­tance de la plus-val­ue que de la date de cession.

Les délais (qua­tre et six ans) ne tien­nent en out­re pas compte de l’an­ci­en­neté du salarié, mais de la date d’at­tri­bu­tion des stock-options.

Le dis­posi­tif des BSPCE reste incom­plet : la créa­tion des BSPCE (bons de souscrip­tion de parts de créa­teur d’en­tre­prise) con­stitue une avancée impor­tante, mais encore impar­faite. Ils sont réservés à des entre­pris­es com­mer­ciales de moins de quinze ans, pou­vant être cotées sur le nou­veau marché ou ses équiv­a­lents européens, détenues au moins à 25 % par des per­son­nes physiques. Ils per­me­t­tent une fis­cal­ité intéres­sante sur les plus-val­ues. Mais ce dis­posi­tif exclut les PME vieilles de plus de quinze ans, les PME cotées sur le sec­ond marché et les PME issues de l’es­saim­age ; il exclut égale­ment les non-salariés des PME (admin­is­tra­teurs, con­sul­tants, etc.), qui y trou­veraient une moti­va­tion pécu­ni­aire en l’ab­sence de capac­ité de rémunéra­tion de l’entreprise.

D’une manière générale, l’ad­min­is­tra­tion fis­cale se mon­tre très sus­picieuse en matière d’at­tri­bu­tion d’ac­tions à un salarié ; un prix préféren­tiel reste très mal vu, car il peut cacher un salaire déguisé, exonéré de charges sociales (une décote de 5 à 10 % sur le prix de la trans­ac­tion finan­cière la plus récente est tolérée).

Enfin, un salarié ayant exer­cé ses bons de souscrip­tion d’ac­tions se retrou­ve en général pro­prié­taire de moins de 25 % de l’en­tre­prise. Ses actions ne sont donc plus con­sid­érées comme un out­il de tra­vail, et entrent dans l’assi­ette d’im­po­si­tion à l’ISF. Si ce pat­ri­moine dépasse 715 000 €, le salarié devra pay­er un impôt sur une richesse aléa­toire qu’il n’a pas encore perçue. Para­doxale­ment, un out­il de tra­vail n’est pas l’en­tre­prise dans laque­lle on travaille…

En matière de conclusion

La créa­tion d’en­tre­pris­es con­stitue le sujet des années à venir, tant dans le domaine économique que social. Plus que des mesures divers­es essayant d’en­cour­ager les uns (les entre­pre­neurs) sans s’at­tir­er les foudres des autres (les poli­tiques et une par­tie de l’élec­torat), il con­viendrait de déclencher un vrai choc psy­chologique : se déclar­er franche­ment en faveur des entre­pre­neurs, et tout faire pour les encour­ager et leur faciliter la tâche.

Une tâche dif­fi­cile et de longue haleine.

Et pour­tant, il y a urgence…

Philippe Hay­at pos­sède une expéri­ence de créa­teur de plus de dix ans (Les Bâch­es de France, Kan­ga­roo Vil­lage, incu­ba­teur de pro­jets). Il tra­vaille aujour­d’hui à la Société Générale où il s’oc­cupe de cap­i­tal-risque. Il est pro­fesseur à l’ESSEC, où il a fondé la fil­ière “Créa­tion d’entreprise”.

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