Le logement : 50 ans de contrastes pour quelle stratégie ?

Dossier : L'Europe socialeMagazine N°530 Décembre 1997Par : Alain LOUBEYRE (50)

Cet exposé va se con­sacr­er aux aspects régle­men­taires de la fonc­tion loge­ment, aux aspects soci­aux, aux aspects économiques et aux aspects budgé­taires, à l’ex­clu­sion des aspects tech­niques de la con­struc­tion des loge­ments et des aspects procé­duri­ers de leur util­i­sa­tion, par trop éloignés de la pro­tec­tion sociale.

1 — L’évolution du rapport locatif

Le parc glob­al de loge­ments est, fin 1996, de l’or­dre de 28 mil­lions de loge­ments, dont 22,6 mil­lions de rési­dences prin­ci­pales, 3 mil­lions de rési­dences sec­ondaires, 2,4 mil­lions de loge­ments vacants ; le parc s’ac­croît de 1,1 % l’an.

Les rési­dences prin­ci­pales sont occupées à 54 % par leurs pro­prié­taires, à 40 % par des locataires (20% de bailleurs per­son­nes physiques ; 14,6 % de bailleurs HLM ; 5,4 % d’autres sociétés), à 6 % sous d’autres statuts (fer­mage, loge­ments de fonc­tion, etc.).

En principe le pro­prié­taire occu­pant fait son affaire des prob­lèmes inhérents à son loge­ment (rem­bourse­ment des emprunts, charges de copro­priété). C’est le rap­port pro­prié­taire-locataire qui nous intéresse ici ; or la pro­priété ne s’ex­erce que dans le cadre de la société qui lui donne corps et la garan­tit, donc selon ses lois et c’est l’évo­lu­tion de ce rap­port locatif que nous allons examiner.

Dans une pre­mière péri­ode, jusqu’à la guerre de 1914, c’est la dom­i­na­tion sans partage du droit de pro­priété, c’est-à-dire que le rap­port locatif priv­ilégie le pro­prié­taire qui en tire une rente (par appli­ca­tion du Code civ­il qui laisse une large place à la lib­erté contractuelle).

Après la guerre de 1914, sec­onde péri­ode dans l’ex­er­ci­ce locatif du droit de pro­priété par l’ap­pari­tion d’une lég­is­la­tion déroga­toire, tem­po­raire, mais sans cesse recon­duite, qui sous­trait de larges frac­tions du parc locatif au droit civ­il pour les faire directe­ment admin­istr­er par un droit pub­lic, en agis­sant chaque fois sur la durée du bail pour assur­er la sta­bil­ité du locataire et sur le mon­tant du loy­er, sta­bil­ité des prix. En fait cette lég­is­la­tion a seule­ment sub­sti­tué au pro­prié­taire l’É­tat comme acteur prin­ci­pal dom­i­nant du rap­port locatif.

À la fin de la Sec­onde Guerre mon­di­ale, on observe une pénurie quan­ti­ta­tive dra­ma­tique de loge­ments (450 000 loge­ments détru­its, 1 400 000 endom­magés, 1 mil­lion de loge­ments insalu­bres). Il s’agis­sait d’abord de recon­stru­ire les loge­ments détru­its ou endom­magés et aus­si de rat­trap­er le retard pris par la France dans le domaine de la con­struc­tion entre les deux guer­res (seule­ment 300 000 HBM con­stru­its en vingt ans) et de loger une pop­u­la­tion urbaine qui s’ac­crois­sait très vite (poli­tique natal­iste et impor­tantes migra­tions des cam­pagnes vers les villes).

L’ac­tion a été triple :

  • à la fois gér­er la pénurie, un des rôles de la loi du 1er sep­tem­bre 1948 ;
  • favoris­er la con­struc­tion de loge­ments soci­aux (HLM) et les investisse­ments immo­biliers ; pour cela le lég­is­la­teur a décidé de main­tenir le régime libéral du Code civ­il et la lib­erté con­tractuelle pour la seule loca­tion des loge­ments achevés ou con­stru­its à par­tir de 1948 ; ce principe de lib­erté a puis­sam­ment aidé à la con­struc­tion de nom­breux loge­ments locat­ifs et a glob­ale­ment survécu jusqu’en 1982 ;
  • créa­tion d’une aide per­son­nelle au loge­ment par la loi du 1.9.1948. C’est une presta­tion famil­iale ; en solv­abil­isant la demande, cette allo­ca­tion visait notam­ment à stim­uler l’in­vestisse­ment des cap­i­taux privés dans le loge­ment ; par la voie de l’aide per­son­nelle, le mono­pole de droit jusqu’alors accordé aux organ­ismes HLM pour con­stru­ire des loge­ments soci­aux subis­sait une pre­mière exception.


À cette évo­lu­tion s’est super­posé un change­ment de nature de la chose louée par la con­struc­tion de masse à par­tir des années 1960 ; le loge­ment col­lec­tif com­porte désor­mais des élé­ments d’usage pri­vatif et des élé­ments d’usage com­mun, la logique indi­vidu­elle de la loca­tion devient soumise à une logique col­lec­tive rel­a­tive à l’ensem­ble rési­den­tiel avec l’ar­rivée con­comi­tante de ges­tion­naires immo­biliers. Les opéra­teurs soci­aux ne voient plus le rap­port locatif à par­tir du seul droit de pro­priété ; mais ceux qui ont été créés pour per­me­t­tre aux gens de se loger voient le rap­port locatif à par­tir de cet usage, con­sid­éré comme néces­saire à la survie biologique de la société ; donc dual­ité des pôles sur lesquels repose le rap­port locatif : rente et usage.

Ce frag­ile équili­bre a été rompu à la suite de la crise économique due aux chocs pétroliers de 1973 et 1975, avec crise du bâti­ment, raré­fac­tion des loge­ments locat­ifs, aug­men­ta­tion impor­tante et régulière des loy­ers et des charges locatives.

D’où mesures ponctuelles pour mod­ér­er ces hauss­es, puis à l’oc­ca­sion de change­ments de majorités par­lemen­taires, trois nou­velles lois 

  • loi du 22.6.82, dite loi Quillot,
  • loi du 23.12.86, dite loi Méhaignerie,
  • loi du 6.7.89, dite loi Quilès.


Seule la dernière sub­siste avec la loi de 1948, ayant repris les dis­po­si­tions astu­cieuses des deux lois inter­mé­di­aires. Toutes ces lois sont glob­ale­ment con­ver­gentes en ce sens qu’elles visent à assur­er la sta­bil­ité des locataires et la mod­éra­tion des quit­tances. Nous allons néan­moins en don­ner la philoso­phie sous-jacente pour per­me­t­tre de mar­quer l’évo­lu­tion des esprits.

La loi de 48 est red­outable­ment effi­cace et con­duit à faire des immeubles con­stru­its avant 1948 “un secteur privé à car­ac­tère social”, dont le coût social est sup­porté par les pro­prié­taires privés alors qu’il l’est ailleurs par l’É­tat ou les col­lec­tiv­ités publiques.

La loi de 1982 a le souci d’établir un nou­v­el équili­bre entre bailleurs et locataires dans leurs rela­tions indi­vidu­elles et col­lec­tives, en créant un “droit à l’habi­tat”. En fait en dehors de cette envolée lyrique, elle revient à mod­ér­er l’évo­lu­tion des loy­ers en vigueur, sous pré­texte de con­cer­ta­tion col­lec­tive ; c’est une tax­a­tion collective.

La loi de 86, c’est le retour à la lib­erté de négo­ci­a­tion, mais l’ap­pli­ca­tion en est paralysée par la durée et l’im­por­tance des dis­po­si­tions transitoires.

La loi de 89, c’est le retour à l’en­cadrement des loy­ers (loy­ers fixés par référence à ceux con­statés dans le voisinage).

Quel intérêt dans le rap­pel de cette évo­lu­tion qui, me direz-vous, n’a qu’une valeur his­torique ? J’y vois pour ma part trois enseignements

  • c’est d’abord de soulign­er la volon­té d’en­cadrement des loy­ers et des acces­soires, certes jus­ti­fiée en 1948 par la pénurie ; on peut quand même se deman­der si la péren­nité du bail ne serait pas mieux assurée par un marché ani­mé et por­teur que par un excès de pro­tec­tion indi­vidu­elle ; on demande peut-être trop à la loi et pas assez au con­trat, trop au droit des baux et pas assez au droit fiscal ;
  • à la lim­ite, le sys­tème fonde le droit qu’il con­sacre moins sur une poli­tique d’ac­cès au loge­ment que sur la péren­nité d’un rap­port locatif déjà établi entre bailleur et pre­neur ; les nan­tis sont alors les pro­prié­taires de leur loge­ment et les locataires priv­ilégiés dans les lieux ; les lois de 48–82-86–89, bien que des­tinées à organ­is­er des sit­u­a­tions économique­ment et sociale­ment très dif­férentes, ont un objec­tif com­mun, sta­bilis­er la sit­u­a­tion du pre­neur avec tous les risques con­nus de blocage de la société et des intéressés eux-mêmes dans les lieux (la cage) ; toute pro­tec­tion légale est un luxe à une époque où trop de per­son­nes ne trou­vent pas à se loger ;
  • la général­i­sa­tion con­jointe du salari­at et de l’ur­ban­i­sa­tion a com­plète­ment trans­for­mé les con­di­tions générales de la pro­duc­tion-repro­duc­tion de la population.


Jusqu’à une toute récente époque sub­sis­tait un secteur vivace de petite pro­duc­tion vivrière agri­cole, d’ar­ti­sanat, etc., con­sti­tu­ant d’im­por­tantes réserves de tra­vailleurs qui, for­més hors de la sphère de l’é­conomie marchande, venaient “tout faits” à celle-ci ; elle les en extrayait au rythme de ses besoins de main-d’oeu­vre (A. Jeantet).

L’emprise de l’é­conomie indus­trielle a durant ce dernier tiers de siè­cle détru­it tout ce qui sub­sis­tait des secteurs de petite pro­priété agri­cole et arti­sanale et épuisé les réserves humaines qui leur étaient liées, en ren­dant impos­si­ble leur recon­sti­tu­tion. Ce qui souligne le prob­lème glob­al des sociétés dévelop­pées, celui de la pro­duc­tion-repro­duc­tion de l’ensem­ble de leur pop­u­la­tion et non plus de cer­taines de leurs fractions.

C’est un prob­lème à côté duquel est passée l’évo­lu­tion du rap­port locatif ; la société indus­trielle et urbaine doit réguler main­tenant ce proces­sus à l’in­térieur de ses pro­pres mécan­ismes et en assumer la charge. La ques­tion du loge­ment est ain­si posée non seule­ment comme sup­port de rentabil­i­sa­tion des cap­i­taux investis, mais encore rel­a­tive­ment à son usage comme sup­port de la pro­duc­tion-repro­duc­tion de la pop­u­la­tion c’est-à-dire dans un rôle sociale­ment productif.

2 — Les aides personnelles au logement

Elles con­stituent l’essen­tiel des aides effec­tives aux con­som­ma­teurs du ser­vice loge­ment, c’est à dire locataires ou pro­prié­taires accédants.

Un sur­vol his­torique per­me­t­tra d’en mieux faire com­pren­dre la com­plex­ité qui est le résul­tat d’une strat­i­fi­ca­tion de mécan­ismes aux objec­tifs var­iés, voire contradictoires.

En 1948, l’al­lo­ca­tion de loge­ment à car­ac­tère famil­ial ALF est créée pour venir en aide aux familles qui ont du mal à pay­er des loy­ers qui vien­nent d’être libérés plus ou moins com­plète­ment ; dou­ble objec­tif à la fois social et nataliste.

En 1972, une presta­tion sociale, réservée à cer­taines caté­gories de ménages, plus frag­iles que les autres (per­son­nes âgées, hand­i­capés, jeunes tra­vailleurs) est créée. L’al­lo­ca­tion de loge­ment à car­ac­tère social ALS pren­dra de plus en plus d’am­pleur puisque c’est par elle qu’a été réal­isée le 1er jan­vi­er 1993 la général­i­sa­tion des aides à la per­son­ne, sous seule con­di­tion de ressources.

En 1977 est créée l’aide per­son­nal­isée au loge­ment APL des­tinée en principe à se sub­stituer pro­gres­sive­ment à l’al­lo­ca­tion de loge­ment, suite au rap­port Barre de 1977, mais ciblée à l’o­rig­ine sur les seuls loge­ments dits con­ven­tion­nés, c’est-à-dire les loge­ments soci­aux locat­ifs neufs PLA ou réha­bil­ités Palu­los avec loy­ers pla­fon­nés ou encore sur l’ac­ces­sion sociale à la pro­priété (PAP ou PC). C’est une aide économique et une presta­tion sociale par son mode de calcul.

L’APL prend en charge une par­tie de la dépense suiv­ant une for­mule iden­tique à toutes les autres aides :

  • Aide APL ou AL = K (L + C — Lo), où
  • L = loy­er ou men­su­al­ité dans la lim­ite d’un pla­fond, fonc­tion de la taille de la famille et de la zone géographique
  • C = charges éval­uées for­faitaire­ment en fonc­tion de la taille de la famille ; C à l’o­rig­ine a pu être supérieure aux charges réelles, d’où dans ce cas la cage nour­ris­sait l’oiseau
  • Lo = tick­et mod­éra­teur, dépense min­i­male fonc­tion du revenu et de la taille du ménage
  • K = coef­fi­cient pondéra­teur, fonc­tion des revenus et de la taille du ménage, vari­ant de 0,95 à nul ; en moyenne il est de 0,75 en APL.


Ces dif­férents coef­fi­cients sont actu­al­isés annuelle­ment. Ain­si tout ménage peut aujour­d’hui pré­ten­dre à une aide per­son­nelle au loge­ment (APL ou AL), sous seule con­di­tion de ressources (de fin 1992 à fin 1996, le nom­bre de béné­fi­ci­aires de l’ALS-étu­di­ant est passé de 270 000 à 900 000 pour un mon­tant com­plé­men­taire de presta­tions de 9 mil­liards de francs). En con­trepar­tie pour con­tenir la pro­gres­sion de la dépense publique, on fait sor­tir des caté­gories de béné­fi­ci­aires (abaisse­ment des pla­fonds de ressources qui en lim­i­tent l’ac­cès), on freine les reval­ori­sa­tions annuelles, on trans­fère à d’autres acteurs une par­tie du fardeau budgé­taire (sur le 1 % par exem­ple). Mesures con­tra­dic­toires et réac­tives, arbi­trées en fonc­tion de l’op­por­tu­nité du moment, d’où l’im­pres­sion de brico­lage tech­nique du système.

Une des cri­tiques les plus fortes con­tre les aides à la per­son­ne porte sur l’ab­sence de maîtrise budgé­taire et il est bon pour com­pren­dre de remon­ter au rap­port Barre de 1977 qui a changé l’an­cien sys­tème de nature, mais sans véri­ta­ble débat démoc­ra­tique ; trois raisons furent alors offi­cielle­ment avancées, indépen­dam­ment d’une rai­son cachée :

  • pro­mou­voir une poli­tique de qual­ité des loge­ments, soit un même loge­ment de qual­ité pour tous, avec trans­fert de pri­or­ité du quan­ti­tatif au qualitatif ;
  • adapter l’aide publique à l’évolution des sit­u­a­tions ; d’où objec­tif social obtenu à tra­vers une seg­men­ta­tion des pro­duits aidés en locatif ou en acces­sion et mul­ti­ples caté­gories de loge­ments et d’aides ;
  • mieux répon­dre aux besoins en loge­ments des caté­gories mod­estes, avec moins d’aides à la pierre d’où économies budgé­taires dès la pre­mière année et plus d’aides à la per­son­ne pour plus tard, mais celles-ci devant dimin­uer au fur et à mesure que les revenus des ménages augmenteraient.


Et c’est la jus­ti­fi­ca­tion de cette dernière rai­son qui nous per­me­t­tra de décou­vrir l’ob­jec­tif caché. Le rap­port Barre est par­ti de l’hy­pothèse d’une pour­suite de la crois­sance, mal­gré les deux chocs pétroliers de 1973 et 1975, en sup­posant pour l’avenir une hausse sen­si­ble des revenus nom­inaux de 10,5 % l’an et une infla­tion élevée de 8 % l’an, d’où un boni pour les revenus de 2 % l’an, ce qui aurait per­mis de lim­iter à huit ou dix ans, avec freinage des seuils, la durée d’ap­pli­ca­tion de l’APL. Or 1978 était juste­ment l’an­née d’élec­tions lég­isla­tives réputées dif­fi­ciles pour la majorité de droite de l’époque. Quoi de plus ten­tant alors de faire la poli­tique de ses adver­saires pour pren­dre des voix, en ciblant ces aides sur les occu­pants des loge­ments soci­aux ? C’est Gribouille !

On con­naît la suite, le niveau de vie a cessé de croître de 2 % l’an, ralen­tisse­ment de l’in­fla­tion dans le début des années 1980, met­tant en péril les accé­dants qui avaient emprun­té à des taux élevés et à annu­ités pro­gres­sives, général­i­sa­tion du chô­mage, d’où absence de maîtrise budgé­taire ; l’APL ne s’au­toéquili­brait pas, car la crois­sance nom­i­nale et réelle des revenus n’é­tait pas au rendez-vous.

Actuelle­ment le sys­tème des aides per­son­nelles se déforme sous la pres­sion de l’ex­ten­sion à des caté­gories nou­velles de béné­fi­ci­aires (RMI, API, chômeurs…,), du fait des mesures de bouclage (1 380 000 béné­fi­ci­aires de plus entre 1990 et 1994) et par une paupéri­sa­tion croissante.

Peut-on avoir alors une enveloppe glob­ale des aides effec­tive­ment ver­sées actuellement ?

  • l’ensemble des aides per­son­nelles en 1994 était de 70 mil­liards, en 1996 il est supérieur à 76 milliards ;
  • le nom­bre de ménages béné­fi­ci­aires de 5,8 mil­lions en 1994 est supérieur à 6 mil­lions de ménages en 1996 ;
  • 1,4 mil­lion de per­son­nes com­posent la pop­u­la­tion à la dérive, dont 250 000 SDF ; pour eux l’objectif est certes de se loger, mais surtout d’insérer ceux qui sont en sit­u­a­tion de grande exclusion.


Les aides per­son­nelles ver­sées par les Caiss­es d’al­lo­ca­tions famil­iales représen­tent le quart du total en masse finan­cière des presta­tions légales gérées par elles.

L’ac­tu­al­i­sa­tion annuelle des barèmes des aides per­son­nelles, compte tenu de leurs inci­dences budgé­taires, est ain­si l’un des moments clés des dis­cus­sions inter­min­istérielles en matière de loge­ment. Elle traduit par trans­parence les grands choix qu’­ef­fectuent les pou­voirs publics : choix de priv­ilégi­er le locatif au détri­ment de l’ac­ces­sion ; choix de préserv­er le flux des nou­veaux entrants au détri­ment du stock des béné­fi­ci­aires exis­tants ; choix de lim­iter la cible des aides per­son­nelles à la clien­tèle la plus sociale, en préser­vant la solv­abil­ité des ménages à revenu zéro (le revenu zéro ne prend pas en compte les aides acquis­es par ailleurs comme RMI, FNS, API, qui sont neu­tral­isées comme si les ménages ne dis­po­saient d’au­cune ressource) et en dimin­u­ant les pla­fonds d’ex­clu­sion pour ces aides.

Tous ces choix ont à un moment ou un autre été effec­tués par les décideurs, avant tout soucieux de lim­iter la crois­sance du coût des aides et ne dis­posant pas d’une stratégie claire­ment définie en la matière. Le sys­tème des aides per­son­nelles s’est ain­si déplacé de l’é­conomie du loge­ment vers une aide sociale ; le cou­plage effi­cac­ité économique et effi­cac­ité sociale a été per­du de vue ; alors que les aides ont con­sid­érable­ment aug­men­té, les mis­es en chantier de loge­ments sont passées de 440 000 à 280 000 par an.

Aujour­d’hui la pri­or­ité est de s’adapter à des évo­lu­tions aléa­toires des revenus, l’aide per­son­nelle doit pal­li­er une fragilité des revenus dont on n’est plus cer­tain qu’ils évolueront favor­able­ment. Or à l’o­rig­ine, le sys­tème d’aides per­son­nelles a été conçu pour des caté­gories sociales nor­male­ment salariées et inté­grées dans la société ; par com­para­i­son un act­if dis­posant de revenus faibles est pénal­isé lors d’une reprise d’activité.

3 — Impact économique

Main­tenir l’ac­tiv­ité et l’emploi dans le secteur du bâti­ment et les secteurs liés à fort con­tenu en main-d’oeu­vre con­stitue un enjeu économique majeur.

Mais main­tenant l’im­mo­bili­er ne peut plus compter sur une plus-val­ue automa­tique ; avant tout était basé sur le principe de la plus-val­ue ; désor­mais l’im­meu­ble doit être con­sid­éré comme un bien d’usage. Le seul immeu­ble qui rap­porte, c’est l’im­meu­ble occupé ; c’est la per­spec­tive de la plus-val­ue qui jus­ti­fi­ait, dans les années passées, le dif­féren­tiel de ren­de­ment entre l’im­mo­bili­er et les autres placements.

La fix­a­tion de l’ef­fort pub­lic des­tiné au secteur du loge­ment qui emploie 1,3 mil­lion de per­son­nes con­stitue donc un choix impor­tant, d’au­tant que la crois­sance de l’ac­tiv­ité en vol­ume crée rapi­de­ment des emplois, con­traire­ment à la plu­part des secteurs indus­triels où les investisse­ments de pro­duc­tiv­ité réduisent régulière­ment l’emploi. Mais cela avec une dou­ble con­trainte, d’une part soutenir le secteur du BTP et assur­er la solv­abil­i­sa­tion des ménages, d’autre part maîtris­er les déficits publics.

La recon­struc­tion fut sen­si­ble­ment achevée dès la fin des années 1950 (387 000 loge­ments recon­stru­its) ce qui a per­mis de met­tre sur pied une indus­trie du bâti­ment per­for­mante à laque­lle il fal­lait don­ner un nou­v­el objec­tif, d’au­tant que les besoins nou­veaux étaient impor­tants et jugés pri­or­i­taires. Les mesures pris­es (aides à la pierre pour les HLM, mesures fis­cales pour le secteur non aidé, primes et prêts spé­ci­aux du CFF, instau­ra­tion du 1 %) vont porter leurs fruits pro­gres­sive­ment : en 1950, 80 000 loge­ments en chantier, en 1960 320 000, en 1970 plus de 475 000. Nous ver­rons au chapitre suiv­ant les inci­ta­tions fiscales.

La con­struc­tion dite “sociale” va être le moteur de toute la con­struc­tion neuve : en 1950, 90 % des loge­ments mis en chantier sont “aidés” par l’É­tat et cette pro­por­tion ne sera jamais inférieure à 50 %. Cette poli­tique a con­tribué au développe­ment d’une indus­trie du bâti­ment par­ti­c­ulière­ment puis­sante et effi­cace. Mais on a assisté au début des années 1970 à une défor­ma­tion pro­gres­sive des aides publiques au prof­it des aides à la personne.

Depuis le rap­port Barre, le prob­lème du loge­ment social ne se situe plus en France au pre­mier rang des pri­or­ités nationales. Jusqu’à la fin des années 1980, la pri­or­ité a été l’équipement indus­triel (cf. ci-après les déra­pages de la banque-indus­trie), préal­able indis­pens­able à la bonne san­té de l’é­conomie et à l’amélio­ra­tion de la bal­ance du com­merce extérieur. Actuelle­ment le prob­lème du loge­ment, social ou non, n’est perçu qu’à tra­vers une autre pri­or­ité nationale majeure : le chômage.

On peut essay­er alors de quan­ti­fi­er l’im­pact des aides à la pierre sur l’emploi (enquête DAEI au min­istère de l’Équipement) :

  • 320 000 F de travaux dans l’entretien-amélioration aidé par l’État (PALULOS, ANAH, PAH) engen­drent un actif/an dans les entre­pris­es de bâtiment ;
  • 450 000 F dans le rési­den­tiel neuf aidé (locatif, acces­sion) engen­drent un actif/an dans les entre­pris­es de bâtiment ;
  • à ces emplois directs, il con­vient d’ajouter les emplois indi­rects dans les secteurs liés à la con­struc­tion : un emploi dans le BTP entraîne 0,75 emploi dans les secteurs liés.


Les effets bruts de cer­taines aides publiques sur l’ac­tiv­ité et l’emploi dans le secteur du bâti­ment peu­vent dans ces con­di­tions être estimées :

Coût budgé­taire (en mil­lion de francs) Activ­ité totale induite (en mil­lion de francs courants ttc) Activ­ité bâti­ment induite Emplois B.T. P main­tenus ou créés
sur les 12 pre­miers mois entre 13 et 24 mois au-delà de 25 mois
2 000 PLA
1 200 PAP
PALULOS
PAH
ANAH
100
100
100
100
100
609
461
533
453
383
272
301
373
317
268
277
146
160
136
115
60
14

1 560
1 100
1 775
1 354
1 275
Esti­ma­tion DAEI/CASP​


Les chiffres d’emplois indiqués ci-dessus doivent être mul­ti­pliés par 1,75 pour pren­dre en compte les emplois des secteurs liés.

Mais au coût direct des autori­sa­tions de pro­grammes vien­nent s’a­jouter pour l’É­tat les dépens­es liées aux aides à la per­son­ne dans le cadre des PLA ou des PAP (pour les Palu­los, PAH, les occu­pants les ont en principe déjà) ; l’es­ti­ma­tion de ce sur­croît de dépens­es découle de mul­ti­ples hypothès­es ; l’IN­SEE l’é­val­ue à 40 000 francs sur dix ans, ce qui paraît un peu juste ; pour notre part nous l’é­val­u­ons entre la moitié et les 3/4 du coût budgé­taire ini­tial, quoique ce sur­coût soit ain­si ren­voyé à plus tard, sur les dix années suivantes.

On peut vouloir encore peaufin­er en recher­chant l’ac­tiv­ité sup­plé­men­taire nette (c’est-à-dire moins l’ef­fet d’aubaine pour l’in­vestis­seur) ; cela n’a qu’un intérêt tout relatif, la sagesse con­siste à per­fec­tion­ner sans cesse les dis­posi­tifs exis­tants, en veil­lant à con­serv­er pour toute nou­velle mesure un coût équiv­a­lent pour le bud­get de l’É­tat, avec un résul­tat final égal ou supérieur ; exem­ple de la mise en oeu­vre du prêt à taux zéro en acces­sion, suc­cé­dant aux PAP, ce qui a per­mis pour un coût budgé­taire équiv­a­lent de financer 120 000 prêts au lieu de 60 000 PAP ; ou bien pour les PLA, pas­sage de la TVA à 5,5 % au lieu de 20,6%, avec en con­trepar­tie la sup­pres­sion de l’aide publique antérieure ver­sée à l’investissement.

De telles mesures néces­si­tent un pilotage à vue pour ne pas se laiss­er embar­quer dans une fuite en avant comme on a pu le con­stater avec le rap­port Barre, les nation­al­i­sa­tions des années 1981, la bulle finan­cière de 500 mil­liards des années 1990 ; celle-ci est par­tie d’un but louable, vouloir dop­er l’é­conomie ; mais bâtir des bureaux (8 mil­lions de m2) sans clien­tèle, faire de la spécu­la­tion sous le voca­ble de banque-industie, c’est très dan­gereux surtout pour ceux à qui on veut faire porter le cha­peau ou qui n’ont pas de muni­tions dissimulées.

4 — Aspects fiscaux et budgétaires

L’É­tat dis­pose de deux out­ils pour favoris­er la con­struc­tion de loge­ments : les aides directes, les inci­ta­tions fiscales.

Celles-ci sont un volet très impor­tant de la poli­tique du loge­ment, mais par­ti­c­ulière­ment obscur compte tenu de la mul­ti­plic­ité des par­ties prenantes (État, col­lec­tiv­ités), du nom­bre des assu­jet­tis (les occu­pants, les bailleurs) et sur lequel une opac­ité de bon aloi est main­tenue compte tenu des iné­gal­ités d’im­po­si­tion, de l’im­por­tance des sommes en jeu, des dis­par­ités au niveau européen (par exem­ple, les taux de TVA appliqués en Europe sur le loge­ment vari­ent de 0 à 25 %).

La panoplie des avan­tages fis­caux a été maintes fois util­isée pour encour­ager la con­struc­tion de tous types d’habi­ta­tions : exonéra­tions tem­po­raires de la taxe fon­cière des pro­priétés bâties ; exonéra­tion en faveur des organ­ismes privés HLM de l’im­pôt sur les sociétés ; exonéra­tion (aujour­d’hui sup­primée) des droits de pre­mière muta­tion à titre gra­tu­it des con­struc­tions neuves affec­tées à l’habi­ta­tion (sociale ou non) ; déduc­tion du revenu impos­able des intérêts d’emprunts con­trac­tés pour l’habi­ta­tion prin­ci­pale ; exonéra­tions spé­ciales aux SII (pas d’im­pôt sur les sociétés, actions exonérées des droits de suc­ces­sion, garanties con­tractuelles de l’É­tat con­tre les lim­i­ta­tions de loy­ers) ; etc.

Deux ques­tions sont sous-jacentes à ces aspects fis­caux : néces­sité pour l’É­tat d’as­sur­er le finance­ment de sa dette à tra­vers l’émis­sion d’oblig­a­tions dont la rentabil­ité, la liq­uid­ité, la fis­cal­ité soient supérieures à celles des investisse­ments immo­biliers ; d’où l’am­pleur de l’alour­disse­ment récent du poids de la fis­cal­ité immo­bil­ière et la défaveur des ménages pour ces place­ments en général et pour le loge­ment en particulier.

La total­ité des prélève­ments fis­caux relat­ifs au loge­ment a été de 227 mil­liards de francs en 1994 (non com­pris dans ce total la taxe d’habi­ta­tion qui est, pour une rai­son incon­nue, hors du champ des comptes du loge­ment et doit être supérieure à 40 mil­liards) ; sous cette réserve, les prélève­ments fis­caux de 227 mil­liards représen­tent 2,5 % des prélève­ments oblig­a­toires des admin­is­tra­tions publiques, mais avec une ten­dance très nette à pro­gress­er plus vite que les autres prélèvements.

Cette pro­gres­sion est encore plus sen­si­ble lorsqu’on con­sid­ère les impôts qui béné­fi­cient aux col­lec­tiv­ités locales ; c’est égale­ment le cas lorsqu’on rap­porte les impôts liés au loge­ment payés par les ménages aux autres impôts sur le revenu et le pat­ri­moine qu’ils acquit­tent : le poids des impôts liés au loge­ment représen­tent 40 % des impôts sur le revenu ou le pat­ri­moine qu’ils acquittent.

Les dix dernières années sont donc mar­quées par une forte pro­gres­sion de ces impôts liés au logement.

A con­trario quelle doit être l’am­pleur de l’aide au loge­ment accordée par les pou­voirs publics ?

Le prob­lème cen­tral, indépen­dam­ment de l’équili­bre opti­mum à rechercher entre les aides à la pierre (y com­pris fis­cales) et les aides à la per­son­ne, est de s’en­ten­dre sur le niveau glob­al de ces aides ; ce niveau doit être arbi­tré en fix­ant le taux d’ef­fort jugé légitime que les ménages doivent assur­er pour se loger.

En 1994, le mon­tant des aides effec­tives au loge­ment ver­sées par les dif­férents financeurs est de 94,2 mil­liards, celui des aides fis­cales de 24,2 mil­liards, soit un total de 118 mil­liards (comptes du loge­ment). Les aides fis­cales n’in­duisent pas à pro­pre­ment par­ler de dépens­es pour l’É­tat ; mais elles appor­tent aux agents béné­fi­ci­aires des avantages.

Rap­porté à des prélève­ments de 227 mil­liards, ce mon­tant de 118 mil­liards est en phase avec une part moyenne de 20 % des dépens­es de loge­ment dans le revenu des ménages ; mais celle-ci a ten­dance à légère­ment aug­menter (22 % en 1994 con­tre 19,7 % en 1990).

Les aides au loge­ment per­me­t­tent d’abaiss­er le taux d’ef­fort qui résul­terait spon­tané­ment du marché pour les ménages mod­estes ; mais il faut être bien con­scient que ce niveau con­traste avec le haut degré de social­i­sa­tion des dépens­es de santé.

5 — Quelle stratégie pour l’Europe ?

Ce rac­cour­ci des 50 dernières années, qui n’a même pas effleuré la tech­nique, l’ur­ban­isme, les procé­dures, devrait con­va­in­cre que le loge­ment n’est pas un monde figé. On est donc en droit de penser que la con­struc­tion européenne entraîn­era des adap­ta­tions impor­tantes, pour ne pas par­ler de boule­verse­ments, dans le domaine du loge­ment, compte tenu des inter­ac­tions entre tous les domaines de la pro­tec­tion sociale, du poli­tique, de l’économique.

Mais les pays européens n’ont-ils pas eu, en fait, une influ­ence réciproque cachée entre eux jusqu’à ce jour ? Par mimétisme, chaque pays copi­ant son voisin, une fois que les oblig­a­tions de la recon­struc­tion ont été rem­plies, on retrou­ve partout les mêmes erre­ments : aides à la pierre, à la per­son­ne, poli­tique favorisant l’ac­ces­sion, reci­blage du loge­ment social vers les plus frag­iles, etc. Une seule excep­tion d’im­por­tance, l’An­gleterre avec la vente des loge­ments soci­aux ; près de deux mil­lions de ceux-ci ont été ven­dus en quinze ans à leurs occu­pants, soit plus du quart du parc pub­lic et un rythme de vente plus de dix fois supérieur aux autres pays européens.

Même sans la per­spec­tive de l’Eu­rope, le domaine du loge­ment deman­derait aujour­d’hui des adap­ta­tions en con­tinu ; cer­taines sont esquis­sées en fil­igrane dans les développe­ments précé­dents, mais il n’est pas de notre rôle de les détailler ; vraisem­blable­ment leur listage ne ren­con­tr­erait qu’un acqui­esce­ment poli, sans plus.

Par con­tre les per­spec­tives européennes peu­vent être l’oc­ca­sion d’un exer­ci­ce sim­i­laire, dont le car­ac­tère prévi­sion­nel futur­iste s’ac­com­mod­era avec les incer­ti­tudes sous-jacentes. Nous les regrouper­ons sous les qua­tre titres qui étayèrent du XVIIe au XIXe siè­cle les débats sur les “Poor Laws” anglais­es : fatal­ité, sol­i­dar­ité, respon­s­abil­ité, réciprocité.

Fatal­ité

La fatal­ité a sou­vent bon dos, car son véri­ta­ble anti­dote est de prévoir pour ne pas avoir à subir.

Du strict point de vue des traités le loge­ment ne fait pas par­tie des com­pé­tences con­fiées par les dif­férents traités européens aux instances com­mu­nau­taires, ce qui n’empêche pas les Min­istres européens du loge­ment de se réu­nir sur une base annuelle en “con­seil informel”, afin d’échang­er leurs expéri­ences et leurs vues sur les prob­lèmes rencontrés.

Par con­tre le loge­ment est abor­dé indi­recte­ment dans les instances com­mu­nau­taires comme une com­posante de l’ac­tion dans le cadre social urbain, à savoir la prob­lé­ma­tique du développe­ment urbain et la cohé­sion économique et sociale. D’où des pres­sions internes sur la Com­mis­sion, émanant essen­tielle­ment du Par­lement européen par le biais de réso­lu­tions, et des pres­sions extérieures par des organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles agis­sant en vue de défendre leurs intérêts (exem­ple le Cecod­has, Comité européen de coor­di­na­tion de l’habi­tat social). Ain­si, au titre de l’habi­tat social, il est pré­con­isé de pro­mou­voir les migra­tions, pour que le loge­ment passe sous la com­pé­tence communautaire.

Par une réso­lu­tion du 24.5.96 le Par­lement européen a demandé que “les prêts et crédits soient directe­ment acces­si­bles… aux ONG, aux organ­i­sa­tions à com­posante com­mu­nau­taire, etc., sans inter­ven­tion gou­verne­men­tale, plaide en faveur de la recon­nais­sance des pou­voirs aux migrants, aux réfugiés et aux enfants des rues en sorte qu’ils puis­sent dis­pos­er des moyens poli­tiques et financiers leur per­me­t­tant d’in­fluer sur leurs con­di­tions de vie et de logement”.

L’in­stau­ra­tion de la mon­naie unique aura des inci­dences directes sur le finance­ment et sur les marchés du loge­ment des pays européens et remet­tra en cause les cir­cuits spé­ci­fiques de finance­ment. On s’at­tend à ce que l’é­pargne devi­enne plus mobile, car les fonds de pen­sion pour­ront inve­stir à l’é­tranger. Les emprun­teurs seront amenés à con­clure des con­trats avec des étab­lisse­ments d’autres États mem­bres ; mais alors com­ment seront coor­don­nées les dif­férentes règles d’ex­onéra­tions fis­cales, de rem­bourse­ment d’in­térêts ou de primes d’as­sur­ances liées aux con­trats hypothécaires ?

Brux­elles sera com­pé­tente sur les mécan­ismes, pas pour don­ner de l’ar­gent. Par exem­ple, il pour­ra être inter­dit à la Caisse des Dépôts de prêter de l’ar­gent à taux préféren­tiel pour cause de con­cur­rence déloyale vis-à-vis des ban­ques (en Espagne recours en cours de pro­mo­teurs, exclus du béné­fice des prêts bonifiés au loge­ment social, au motif de con­cur­rence déloyale) ; le 1 % loge­ment est une sur­charge pour les indus­tries ; l’aide des col­lec­tiv­ités locales (ces­sion gra­tu­ite de ter­rains à bâtir) peut être jugée comme con­cur­rence déloyale, etc.

L’ac­tion de la Com­mu­nauté s’in­scrit donc dans l’équili­bre entre d’une part impérat­ifs de libre cir­cu­la­tion, effi­cac­ité et dynamisme économiques, libre con­cur­rence et d’autre part prise en compte d’ob­jec­tifs d’in­térêt général.

Les four­nisseurs de ser­vices d’in­térêt général béné­fi­cient de l’ex­emp­tion des règles du traité, dans la mesure où elles entrav­eraient les mis­sions dont ils sont chargés (comme l’amé­nage­ment du ter­ri­toire, la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement). En ce qui con­cerne le loge­ment, une assim­i­la­tion aux ser­vices d’in­térêt général est recher­chée dans le com­bat con­tre l’ex­clu­sion et l’é­gal­i­sa­tion des chances ; le blocage juridique et poli­tique actuel ne doit pas mas­quer la pro­gres­sion des réflex­ions engagées au sein de la Com­mis­sion sur de tels sujets et leur impact éventuel sur les États membres.

Sol­i­dar­ité

Il n’y a pas de société juste et libre sans sol­i­dar­ité, car tout indi­vidu tra­verse des péri­odes de vie où il est dépen­dant des autres : enfance, vieil­lesse, mal­adie, chô­mage. Mais aus­si pas de prospérité sans lib­erté économique indi­vidu­elle, l’é­conomie de marché étant la plus effi­cace ; il faut con­cili­er marché et solidarité.

La sol­i­dar­ité respon­s­able est celle qui ne se trans­forme pas en par­a­sitisme (par exem­ple les droits à une retraite par répar­ti­tion dépen­dent des con­tri­bu­tions précédem­ment apportées). La sol­i­dar­ité doit être branchée sur les cycles de la vie et sur la suc­ces­sion des généra­tions. Une société libre est celle qui accepte durable­ment la per­spec­tive d’une crois­sance glob­ale, donc y com­pris démo­graphique, au con­traire d’une société sta­tion­naire, close et figée, à laque­lle con­duit le principe malthusien.

L’im­mi­gra­tion sup­pose le natal­isme ; c’est le natal­isme qui peut régler le niveau de l’im­mi­gra­tion et qui peut la ren­dre inté­grable. Con­tre la xéno­pho­bie et pour l’in­té­gra­tion des étrangers, le pre­mier remède est dans le renou­veau de la fécon­dité française.

Le loge­ment est un enjeu con­sid­érable pour la poli­tique famil­iale et il est urgent de réac­tiv­er le fait famil­ial dans la poli­tique des aides au loge­ment. Il faut dis­tinguer la poli­tique famil­iale de la poli­tique sociale des­tinée à la famille ; la poli­tique famil­iale s’adresse à toutes les familles ; les familles en dif­fi­culté béné­fi­cient en plus de la poli­tique sociale qui cherche à cor­riger les iné­gal­ités et qui apporte une aide aux plus dému­nis ; il ne faut pas con­fon­dre les deux.

Dans le cas de change­ment de sit­u­a­tion, il faut pou­voir dimin­uer le temps de réac­tion en util­isant au mieux les tra­vailleurs soci­aux et en col­lant à la réal­ité (une neu­tral­i­sa­tion de deux ans pour le cal­cul des ressources retenues dans la fix­a­tion des aides per­son­nelles est irréal­iste) ; l’ex­ploita­tion des fichiers infor­ma­tiques des CAF serait un pro­grès en ce sens.

Respon­s­abil­ité

La Famille, l’É­tat et la Société ont entre eux des rela­tions de core­spon­s­abil­ité. La famille est un for­mi­da­ble amor­tis­seur de crise ; elle a prob­a­ble­ment évité une explo­sion sociale depuis 1981. Aus­si main­tenir l’É­tat dans son rôle de seul acteur majeur pour le loge­ment serait une erreur, compte tenu de l’im­por­tance du parc disponible ; le fis­cal serait un moyen judi­cieux pour agir comme anti­dote à la bouf­fée de lib­erté nécessaire.

Parce que les dégâts de la “non-famille” sont dif­fi­ciles à chiffr­er ou més­es­timés, suiv­ant l’adage “toute mar­mite a son cou­ver­cle”, l’É­tat n’a tou­jours pas pris con­science de la place irrem­plaçable de la famille par­ti­c­ulière­ment dans une société en pleine muta­tion comme la nôtre ; il con­vient non pas d’as­sis­ter par principe la famille, mais de veiller à la respon­s­abilis­er afin qu’elle joue pleine­ment son rôle.

En ce qui con­cerne le loge­ment, respon­s­abilis­er les pro­prié­taires, leur ren­dre leur droit de pro­priété et de pou­voir louer ou ne pas louer à qui ils veu­lent. En con­trepar­tie les respon­s­abilis­er vis-à-vis des locataires qu’ils pren­nent et leur imput­er pécu­ni­aire­ment, si néces­saire, les man­que­ments de ceux-ci vis-à-vis de la société.

Respon­s­abilis­er aus­si pécu­ni­aire­ment les locataires vis-à-vis des per­son­nes qu’ils héber­gent (cf. la lég­is­la­tion récente sur l’héberge­ment de clandestins).

Réciproc­ité

L’al­lo­ca­tion loge­ment famil­iale ALF a comme con­trepar­tie la famille qu’elle aide ; l’ALS pour les jeunes vise à leur met­tre le pied à l’étri­er dans la vie ; l’ALS pour les vieux est un coup de cha­peau pour les ser­vices rendus.

L’APL, sous seule con­di­tion de ressources, a pour con­trepar­tie d’oc­cu­per un loge­ment con­ven­tion­né, c’est-à-dire à l’o­rig­ine d’être client des seuls organ­ismes soci­aux ; en général les bailleurs soci­aux sont très friands d’une garantie de loy­ers, d’où dans le parc HLM de nom­breux locataires qui dis­posent d’une rente de situation.

Faire du droit à l’habi­tat un droit fon­da­men­tal sans soupape de sécu­rité peut don­ner des idées aux dému­nis du nord de l’Eu­rope qui pour­raient vouloir se retir­er sur la Côte d’Azur, en ver­tu du principe de la libre cir­cu­la­tion ; est-on prêt à leur don­ner l’APL pour pay­er leur loy­er (cf. les dému­nis de Roumanie) ?

Les loge­ments soci­aux ont été créés à l’o­rig­ine pour loger les per­son­nes “peu for­tunées et notam­ment les tra­vailleurs vivant prin­ci­pale­ment de leurs ressources” (Code de la Con­struc­tion et de l’Habi­tat, R441‑2).

On a pu par­ler d’une véri­ta­ble “assig­na­tion à rési­dence des pau­vres” ; mais comme ces “pau­vres” représen­taient la masse laborieuse de la pop­u­la­tion, un incon­testable équili­bre soci­ologique y rég­nait. His­torique­ment, dans les pays où le loge­ment social est impor­tant (UK, RFA, France) sa fonc­tion était de loger les salariés aux revenus faibles, mais réguliers, dont l’in­dus­trie locale avait besoin. Le 1 % a sup­pléé en par­tie à ce défaut, puisqu’il ne crée aucun lien entre le loge­ment et le con­trat de tra­vail ; l’ou­vri­er qui quitte son employeur peut garder son logement.

Aujour­d’hui on con­state une ten­dance au reci­blage du loge­ment social vers des pop­u­la­tions plus frag­iles. L’ar­rivée de tra­vailleurs immi­grés, l’ac­cueil de sous-pro­lé­taires et de caté­gories sociales en sit­u­a­tion de mar­gin­al­ité, la mul­ti­pli­ca­tion de familles mono­parentales ont rompu cet équili­bre soci­ologique ini­tial, avec appari­tion de ghet­tos enfer­mant des eth­nies repliées sur elles-mêmes et cohab­i­ta­tions explosives.

La réciproc­ité voudrait donc que les locataires des loge­ments soci­aux puis­sent acheter l’ap­parte­ment ou la mai­son qu’ils occu­pent afin qu’ils se fix­ent et con­stituent des struc­tures sociales permanentes.

Quelle quintessence pour la stratégie en tirer ?

Les sug­ges­tions réper­toriées ci-dessus devraient s’in­té­gr­er dans des straté­gies et des tac­tiques qui dépassent le sim­ple cadre du loge­ment ; nous ne pou­vons donc que les évo­quer, car elles sont hors de notre sujet.

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