Le clown et le savant

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°595 Mai 2004Par : Claude de Calan (58) et Pierre ÉtaixRédacteur : Thomas ARRIVÉ

A pri­ori, peu de choses rap­prochent Claude de Calan, spé­cial­iste de la théorie quan­tique des champs et de la physique des solides, de Pierre Étaix, illus­tra­teur et cinéaste (Le Soupi­rant, Yoyo, Tant qu’on a la san­té, Le Grand Amour, Pays de cocagne), qui a été l’assistant de Jacques Tati et qui a fondé l’École du cirque avec Annie Fratellini :

Claude De CALAN (58)
Claude de Calan (58)

“ Nous nous sommes pour­tant ren­con­trés, il y a sept ans, racon­te Claude de Calan. Le directeur du Cen­tre cul­turel de Bures-sur- Yvette, la ville où se trou­ve l’Institut des hautes études sci­en­tifiques, voulait organ­is­er des événe­ments. Il con­nais­sait Pierre Étaix, qui rêvait d’une soirée “comique et math­é­ma­tiques ”. Finale­ment, je me suis retrou­vé avec Pierre Étaix après la pro­jec­tion d’un film de Buster Keaton, à dia­loguer avec la salle sur les points com­muns entre nos deux activités. ”

Les deux hommes ont gardé le con­tact. Le rap­proche­ment entre leurs démarch­es n’a cessé de se con­firmer : “ D’autres rap­proche­ments auraient pu être crédi­bles, sourit Claude de Calan, math­é­ma­tiques et musique, comique et jar­di­nage, qui sait ? Notre choix était donc d’abord un plaisir. Mais notre livre traduit de vraies con­vic­tions, et nous avons con­staté que le comique et le sci­en­tifique se doivent tous les deux d’être hon­nêtes, logiques, inso­lents, ingénus.

Alors qu’un romanci­er, un com­pos­i­teur, par exem­ple, expri­ment avant tout leur pro­pre per­son­nal­ité, le sci­en­tifique et le comique, en revanche, n’ont qu’à dis­paraître der­rière leur tra­vail : l’un comme l’autre vont chercher un tré­sor, une vérité préex­is­tante, devant lesquels ils doivent totale­ment s’effacer. Un indi­vidu qui vous racon­te une his­toire en l’entrecoupant de “ Tu vas rire ” n’est jamais comique, vous avez remarqué ? ”

De Voltaire à Coluche

Cette déf­i­ni­tion de l’humour peut paraître restric­tive. N’y a‑t-il pas des artistes qui livrent une part d’euxmêmes, un engage­ment poli­tique par exem­ple, tout en gar­dant un humour effi­cace ? Claude de Calan pré­cise sa pen­sée : “ Quand Chap­lin fait son grand dis­cours à la fin du Dic­ta­teur ou quand il est sen­ti­men­tal dans Les Lumières de la ville, c’est très bon, mais on n’est plus dans le reg­istre de l’humour. Le comique est un obser­va­teur qui garde une dis­tance vis-à-vis de ses con­tem­po­rains. C’est vrai pour Voltaire comme pour Coluche. ”

Si une exi­gence qua­si sci­en­tifique est néces­saire au comique, on peut se deman­der en retour si le sci­en­tifique peut pro­duire un tra­vail ris­i­ble : “ Non, bien sûr, le sci­en­tifique ne cherche pas à faire rire. D’ailleurs, au fond, Pierre Étaix et moi avons plutôt écrit sur le comique que sur la sci­ence. Il est bien pos­si­ble que le livre, en insis­tant sur la pré­ci­sion, la logique, la rigueur, plaise davan­tage aux sci­en­tifiques qu’au milieu du spec­ta­cle, dans lequel on le trou­vera peut-être réducteur.

J’ai, par exem­ple, fait lire le livre à Jean-Pierre Bour­guignon, le directeur de l’Institut des hautes études sci­en­tifiques. Il a trou­vé que c’était un beau texte. Il était ravi. Mais Pierre Étaix, qui est un enne­mi de toute facil­ité, de toute vul­gar­ité, aime lui aus­si insis­ter sur cette exi­gence. Et qu’une per­son­nal­ité aus­si impor­tante que lui pub­lie aujourd’hui les prin­ci­paux aspects de son esthé­tique est en soi un événement. ”

Pierre Étaix et Claude de Calan ont tenu à ne pas faire de théorie austère : “ On risquait de tuer l’humour en dis­ser­tant sérieuse­ment sur l’humour. Nous avons donc cher­ché un ton zigza­gant, suff­isam­ment léger pour ne pas être ridicules. Après la rédac­tion de nos pre­mières ver­sions, encore un peu trop démon­stra­tives, le livre a finale­ment pris la forme d’un dia­logue entre deux pêcheurs. Il est agré­men­té d’une ving­taine de superbes dessins réal­isés par Pierre Étaix. ”

Les lecteurs ont 91 pages pour “ zigza­guer ” et décou­vrir que mal­gré la sincérité de leurs con­vic­tions les deux auteurs ont un point de vue très dif­férent de celui d’Henri Berg­son, dont ils se moquent d’ailleurs délicieusement

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