calcul optique

Le calcul optique : des prémices aux horizons quantiques

Dossier : QuantiqueMagazine N°779 Novembre 2022
Par Tristan GAUTIÉ (X14)

Par­ent pau­vre du cal­cul élec­tron­ique, le cal­cul optique n’a pas encore réus­si à trou­ver des appli­ca­tions dans lesquelles il ait un avan­tage indis­cutable. Cela pour­rait cepen­dant chang­er bien­tôt grâce à de nou­velles tech­niques analogiques promet­teuses et au développe­ment du cal­cul quan­tique photonique.

La recherche en optique, qui est un des piliers les plus fer­tiles de la physique mod­erne, a livré au cours de son his­toire des appli­ca­tions sci­en­tifiques et tech­nologiques innom­brables. Par­mi les domaines qui ont par­ti­c­ulière­ment prof­ité de ces pro­grès se trou­vent les télé­com­mu­ni­ca­tions, l’imagerie téle­scopique et micro­scopique, la chirurgie de l’œil et l’ablation indus­trielle, ou encore plus récem­ment la généra­tion de nom­bres aléa­toires et la cryp­togra­phie. Dans le domaine du cal­cul optique en revanche, si la lumière pos­sède des avan­tages cru­ci­aux, son poten­tiel n’a pas encore été com­plète­ment révélé. L’idée d’exploiter les pro­priétés de vitesse et de mul­ti­plex­age de la lumière dans le but d’effectuer des cal­culs à haute fréquence est anci­enne, mais elle s’est heurtée à des dif­fi­cultés d’exécution et à la con­cur­rence des suc­cès gigan­tesques du cal­cul élec­tron­ique. Aujourd’hui, des tech­niques promet­teuses émer­gent, qui pour­raient faire entr­er le traite­ment optique de l’information dans une nou­velle ère. Cette ère est bien sûr celle de la sec­onde révo­lu­tion quan­tique, car­ac­térisée par une maîtrise de la lumière à l’échelle du pho­ton, et du développe­ment du cal­cul quan­tique pho­tonique. Mais c’est aus­si l’ère de tech­niques analogiques inno­vantes, qui nous réser­vent cer­taine­ment des surprises. 

Rêves du calcul optique…

La lumière se prête naturelle­ment au traite­ment de l’information, qui implique de trans­former un sig­nal d’entrée, par dif­férentes opéra­tions, en un sig­nal de sor­tie. En effet, pour une direc­tion de prop­a­ga­tion fixée, l’information optique est portée par un champ com­plexe dans le plan trans­verse, qui peut subir plusieurs trans­for­ma­tions au cours de l’évolution dans le sys­tème optique. Le fais­ceau ini­tial peut ain­si être mod­i­fié par le sys­tème, com­posé d’éléments comme des lentilles ou des milieux non linéaires et imagé en sor­tie sur un cap­teur pho­tographique. L’exemple fon­da­men­tal de trans­for­ma­tion non triv­iale naturelle­ment réal­isée par un sys­tème optique est celui de la trans­for­mée de Fouri­er réal­isée par une lentille dans son plan focal. Cet exem­ple per­met déjà d’imaginer des appli­ca­tions dans le cal­cul de cor­réla­tion et a nour­ri le début de la recherche sur le cal­cul optique dans les années 1950. Les pre­miers processeurs optiques ont ain­si été appliqués avec suc­cès au traite­ment de don­nées de radar à syn­thèse d’ouverture, avant d’être rem­placés par les tech­niques numériques. 

Les atouts prin­ci­paux de la lumière pour le traite­ment de l’information sont la rapid­ité de prop­a­ga­tion de la lumière, qui lim­ite le temps de cal­cul à une durée très courte, le faible coût énergé­tique du cal­cul et la pos­si­bil­ité de propager l’information en espace libre sans inter­ac­tions, ce qui per­met des archi­tec­tures par­al­lèles. Ces atouts fon­da­men­taux sont soutenus par les pro­grès tech­nologiques des soix­ante-dix dernières années, qui ont apporté une grande flex­i­bil­ité expéri­men­tale à la table optique. Le plus impor­tant est sans doute le laser, apparu dans les années 1960, qui pro­duit un fais­ceau cohérent. Les décen­nies suiv­antes ont apporté les mod­u­la­teurs spa­ti­aux SLM (spa­tial light mod­u­la­tors) qui per­me­t­tent de façon­ner le pro­fil du champ trans­verse d’un fais­ceau, dont la ver­sion la plus mod­erne, util­isée par exem­ple dans les vidéo­pro­jecteurs, est le DMD (dig­i­tal micromir­ror device). D’innombrables autres inno­va­tions, comme les com­posants non linéaires com­plex­es, résonateurs et autres VCSELs (ver­ti­cal-cav­i­ty sur­face-emit­ting lasers), ont mul­ti­plié les pos­si­bil­ités expérimentales. 

… et désillusions

Au cours de cette aven­ture tech­nologique, un axe de recherche cen­tral du cal­cul optique s’est heurté à un écueil insur­montable : celui de l’ordinateur numérique optique, capa­ble d’exécuter une suite d’opération arbi­traire sur un ensem­ble de bits, par l’intermédiaire de portes logiques à base de tran­sis­tors optiques réal­isés à l’aide d’un milieu non linéaire. Les tran­sis­tors optiques ne pas­sant pas à l’échelle en ter­mes de minia­tur­i­sa­tion et d’efficacité énergé­tique, cette ten­ta­tive de rat­trap­er l’informatique élec­tron­ique s’est sol­dée par un lourd échec dans les années 1980. Il appa­raît depuis lors que l’intérêt du cal­cul optique ne peut pas être de rem­plac­er le cal­cul élec­tron­ique, mais sim­ple­ment de pren­dre en charge cer­taines tâch­es très pré­cis­es pour lesquelles les tech­niques optiques analogiques sont plus adap­tées, en s’abstrayant de l’encodage binaire. Mal­gré un intense effort de recherche depuis les années 1980, avec par exem­ple la con­cep­tion de processeurs analogiques pour le cal­cul de cor­réla­tion et la détec­tion de courbes paramétriques, la flex­i­bil­ité et la per­for­mance du cal­cul élec­tron­ique ont étouf­fé les tech­niques optiques, jusque dans le domaine des trans­for­mées de Fourier.

De nouvelles techniques prometteuses

Les pro­grès dans les tech­nolo­gies habil­i­tantes comme les SLM ou les cap­teurs, dont les car­ac­téris­tiques lim­i­tent la per­for­mance d’un processeur optique, per­me­t­tent aujourd’hui d’espérer que les tech­niques optiques trou­vent leur appli­ca­tion dans la réso­lu­tion de cer­taines tâch­es. À l’heure de l’explosion des réseaux de neu­rones, la recherche d’architectures de cal­cul neu­ro­mor­phique par­ti­c­ulière­ment adap­tées à ces struc­tures est en ébul­li­tion. Les processeurs optiques ont des atouts, comme l’implémentation naturelle du pro­duit matriciel, et de nom­breuses propo­si­tions émer­gent dans le domaine des PDNNs (pho­ton­ic deep neur­al net­works). Dans un domaine proche, la start-up française LightOn résout optique­ment le prob­lème de la pro­jec­tion aléa­toire de grandes matri­ces, qui se pose dans cer­taines tech­niques d’apprentissage machine (machine learn­ing). Par ailleurs, l’optimisation com­bi­na­toire à grand nom­bre de paramètres est un prob­lème stratégique, car notoire­ment dif­fi­cile à résoudre pour un ordi­na­teur habituel, pour lequel des processeurs optiques orig­in­aux appelés machines d’Ising ont récem­ment obtenu des résul­tats promet­teurs en étant capa­bles d’extraire la con­fig­u­ra­tion opti­male d’un hamil­tonien arbitraire.

“Le calcul optique promet d’entrer bientôt dans une nouvelle ère.”

Enfin, les processeurs analogiques optiques ont un fort poten­tiel pour la réso­lu­tion de cer­taines opéra­tions math­é­ma­tiques pré­cis­es, comme la sim­u­la­tion de dynamiques non linéaires com­plex­es, qui sont très con­som­ma­tri­ces de ressources sur un ordi­na­teur clas­sique. J’ai eu l’occasion de par­ticiper au pro­jet de développe­ment d’un tel sim­u­la­teur optique non linéaire, dans le but de trou­ver des appli­ca­tions com­mer­ciales et cas d’usage indus­triels. La rigid­ité de ce genre de sys­tème et la faible capac­ité d’adaptation de la dynamique simulée, par rap­port à la flex­i­bil­ité des méth­odes numériques, ren­dent mal­heureuse­ment très dif­fi­cile les per­spec­tives d’adoption, mais cela reste un axe de recherche intéres­sant. Il est à not­er que le développe­ment de méta­matéri­aux, aux pro­priétés élec­tro­mag­né­tiques orig­i­nales, sera cer­taine­ment à l’avenir une source de flex­i­bil­ité pour le cal­cul optique analogique. 

Les débuts de l’ère du calcul quantique

Au-delà de ces tech­niques promet­teuses, le cal­cul optique promet d’entrer bien­tôt dans une nou­velle ère. Aujourd’hui, le développe­ment tech­nologique per­met le con­trôle et la détec­tion de pho­tons indi­vidu­els, ce qui ouvre la porte à des formes de cal­cul optique rad­i­cale­ment dif­férentes : c’est l’ère bal­bu­tiante du cal­cul quan­tique. Le cal­cul quan­tique repose sur le fait que le pho­ton est une par­tic­ule élé­men­taire qui peut être vue comme un sys­tème quan­tique à deux niveaux, c’est-à-dire un qubit. Cette infor­ma­tion quan­tique peut être encodée de dif­férentes manières, par exem­ple sur le chemin par­cou­ru par le pho­ton dans un inter­féromètre, sur sa phase, sa fréquence ou encore son moment angu­laire. Les opéra­tions logiques comme les portes à un qubit sont ain­si réal­isées par des sépara­teurs de fais­ceaux, lames d’ondes ou déphaseurs, et les portes à deux qubits par des inter­féromètres de type Mach-Zehn­der. Dans la lignée des processeurs optiques décrits plus hauts, l’écosystème indus­triel est organ­isé autour d’une struc­ture mod­u­laire : sources de pho­tons uniques d’un côté, puces optiques et enfin cap­teurs, avec des acteurs spé­cial­isés dans cha­cun de ces dispositifs. 

Les qualités et les espoirs du photon

En com­para­i­son avec les autres sup­ports explorés pour le cal­cul quan­tique, les pho­tons ont l’avantage de la sta­bil­ité à tem­péra­ture ambiante au cours de leur prop­a­ga­tion, béné­fi­cient des tech­niques de fab­ri­ca­tion de semi-con­duc­teurs CMOS (com­ple­men­tary met­al oxide semi­con­duc­tor) matures et de l’existence de sources de pho­tons uniques, comme celles com­mer­cial­isées par la start-up française Quan­dela. Les pho­tons sont de plus une tech­nolo­gie trans­ver­sale incon­tourn­able, car elle per­met la com­mu­ni­ca­tion à dis­tance. Notons en revanche les taux d’erreur élevés en lec­ture, l’impossibilité de stock­er les pho­tons et les dif­fi­cultés de con­cep­tion pour une archi­tec­ture per­me­t­tant de pass­er à l’échelle, qui sont des freins à ne pas sous-estimer. 

L’espoir est per­mis pour les prochaines années de voir la puis­sance du cal­cul quan­tique optique aug­menter au fur et à mesure que des jalons tech­nologiques seront passés, jusqu’à attein­dre une taille cri­tique néces­saire à la réso­lu­tion de prob­lèmes avec des appli­ca­tions intéres­santes, comme l’étude de molécules pour la syn­thèse de médica­ments ou la sci­ence des matéri­aux. Le cal­cul quan­tique pho­tonique a déjà obtenu les galons de la supré­matie quan­tique avec l’annonce récente du cana­di­en Xanadu, pour le prob­lème de l’échantillonnage bosonique gaussien qui n’a aucune appli­ca­tion directe mais qui per­met de nour­rir des espoirs sur le poten­tiel du domaine à attein­dre un réel avan­tage quan­tique sur un prob­lème appliqué. 

Enfin, notons que le pro­grès de ces tech­niques passera néces­saire­ment par le développe­ment accru d’applications métiers, dans le but de con­stru­ire des algo­rithmes adap­tés à la fois au sup­port optique et aux prob­lèmes les plus pres­sants des indus­triels parte­naires. Les envi­ron­nements numériques de développe­ment spé­ci­fiques aux pro­priétés des sys­tèmes optiques, comme la bib­lio­thèque algo­rith­mique Perce­val de la start-up Quan­dela, sont ain­si des out­ils impor­tants


Lire aus­si : Une Sil­i­con Val­ley à la française pour le quantique



Références


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