La souveraineté nationale au sein du plan national quantique

La souveraineté nationale au sein du plan national quantique

Dossier : QuantiqueMagazine N°779 Novembre 2022
Par Neil ABROUG
La stratégie nationale quan­tique française, dotée d’un mil­liard d’euros d’investissement pub­lic, vise à plac­er notre pays en tête de la com­péti­tion inter­na­tionale dans l’utilisation des tech­nolo­gies quan­tiques. Il en va de notre indépen­dance nationale. Avec France 2030, l’État donne aux lab­o­ra­toires de recherche, aux étab­lisse­ments de for­ma­tion et aux entre­pris­es inno­vantes les moyens de con­stru­ire notre sou­veraineté future en matières de tech­nologiques quantiques.

Si les pre­mières appli­ca­tions de la physique quan­tique, à l’image des tran­sis­tors, des lasers, des cel­lules pho­to­voltaïques et des LED, ont prof­ité de la maîtrise du con­trôle des flux de quan­ta, une nou­velle classe de tech­nolo­gies quan­tiques, reposant sur la capac­ité à isol­er les objets quan­tiques pour les manip­uler indi­vidu­elle­ment, est en train d’émerger aujourd’hui. L’exploitation, dans ce con­texte, des pro­priétés éton­nantes de super­po­si­tion et d’intrication ouvre la voie à des rup­tures tech­nologiques majeures dans le domaine du cal­cul, de la métrolo­gie, de la com­mu­ni­ca­tion et de la cyber­sécu­rité, impac­tant forte­ment un large champ de secteurs économiques, ain­si que la sécu­rité nationale.

Un espoir de ruptures majeures 

À long terme, la per­spec­tive de réalis­er l’ordinateur quan­tique uni­versel pas­sant à l’échelle porte un espoir de rup­tures majeures, dans des secteurs stratégiques à l’image de la san­té, la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, l’alimentation, la phar­ma­ceu­tique, l’énergie et la cyber­sécu­rité. Cette ambi­tion représente un pari que la France est l’un des rares pays en mesure de relever. Les enjeux de sou­veraineté liés au développe­ment des tech­nolo­gies quan­tiques sont élevés. Sans accéléra­tion immé­di­ate, la France ne serait pas assurée d’un libre accès à ces tech­nolo­gies dans le con­texte géos­tratégique d’aujourd’hui, d’autant plus que le marché sera étroit et pointu, du moins dans un pre­mier temps.

Le choix français d’un environnement ouvert

Depuis quelques années, des écosys­tèmes très forte­ment inté­grés se con­stituent autour de machines qui, bien qu’elles ne con­fèrent pas d’avantage quan­tique avéré, per­me­t­tent d’anticiper les rup­tures futures tout en fédérant et fidélisant un écosys­tème de développeurs autour d’outils de développe­ments hard­ware-dépen­dants. Aujourd’hui, ces straté­gies con­stituent un frein à l’adoption du cal­cul quan­tique par les secteurs aval qui appréhen­dent, au regard des dif­férentes solu­tions tech­nologiques en com­péti­tion, le risque d’une dépen­dance pré­maturée à une solu­tion qui soit aban­don­née à terme au prof­it des autres. Elles représen­tent plus large­ment un risque sur l’indépendance tech­nologique nationale. Cet enjeu s’accompagne, égale­ment, d’une oppor­tu­nité de dévelop­per un mod­èle ouvert, interopérable et hard­ware-agnos­tique. C’est ce choix qu’a fait la France à tra­vers l’initiative HQI (Hybrid HPC Quan­tum Initiative).

“Un pari que la France est l’un des rares pays en mesure de relever.”

Pilotée par le CEA, l’initiative HQI mobilise par­ti­c­ulière­ment GENCI (Grand Équipement nation­al de cal­cul inten­sif) en charge du volet relatif aux acqui­si­tions de sim­u­la­teurs et cal­cu­la­teurs quan­tiques. Ce volet devrait être abondé au cours des prochaines années par des cofi­nance­ments européens et indus­triels. À plus long terme, la France vise à dévelop­per des ordi­na­teurs quan­tiques tolérants aux défauts, capa­bles de pass­er à l’échelle et de ren­dre pos­si­bles des cal­culs et mod­éli­sa­tions de plusieurs ordres de grandeur plus com­plex­es que ce qui est envis­age­able à court terme avec les super­cal­cu­la­teurs traditionnels.

Anticiper les risques de déchiffrement 

S’il est peu prob­a­ble à court terme, l’avènement post-2030 de l’ordinateur quan­tique capa­ble de déchiffr­er, éventuelle­ment rétroac­tive­ment, des don­nées pro­tégées par des algo­rithmes à clé publique actuels n’est pas exclu. Pour faire face à ce risque, les agences de sécu­rité comme l’ANSSI recom­man­dent de garan­tir la con­fi­den­tial­ité et l’intégrité des sys­tèmes d’information et des com­mu­ni­ca­tions de l’État de manière anticipée, en dévelop­pant et en déploy­ant des sché­mas crypto­graphiques asymétriques, appar­tenant à la « cryp­togra­phie postquan­tique », résis­tant à une crypt­analyse quan­tique (e.g. CRYS­TALS-Kyber et CRYS­TALS-Dilithi­um récem­ment retenus comme prochains stan­dards de cryp­togra­phie par le Nation­al Insti­tute of Stan­dards and Tech­nol­o­gy améri­cain), d’une part, et en déploy­ant, lorsque c’est per­ti­nent, des sché­mas de cryp­togra­phie symétrique clas­sique avec des tailles de clés adap­tées, sur lesquelles un ordi­na­teur quan­tique n’a pas d’impact con­nu (clés AES Advanced Encryp­tion Stan­dard en aug­men­tant la taille de la clé de chiffre­ment), d’autre part.

Des technologies habilitantes au quantique 

Quelle que soit l’issue de la course au développe­ment de l’ordinateur quan­tique, l’ensemble des com­péti­teurs auront besoin d’accéder à des tech­nolo­gies clas­siques dites capac­i­tances (cryo­génie, lasers, iso­topes sta­bles, machines de dépôt sous vide, amplifi­ca­teurs, fil­tres…). Ces tech­nolo­gies capac­i­tances, si elles ne sont pas maîtrisées en France et en Europe, pour­raient frein­er nos développe­ments, voire les blo­quer. Elles pour­raient a con­trario apporter un impact économique à court terme pour l’ensemble de la stratégie quan­tique. C’est pour cela que, de manière assez sin­gulière en com­para­i­son avec les autres États, la stratégie quan­tique française accorde une atten­tion par­ti­c­ulière à dévelop­per les fil­ières indus­trielles des tech­nolo­gies habil­i­tantes au quan­tique, à tra­vers plusieurs pro­grammes struc­turants visant à con­solid­er les chaînes de valeurs indus­trielles, notam­ment dans le domaine de la cryo­génie, des lasers, de l’électronique bas bruit et des lasers.

Une atten­tion par­ti­c­ulière est égale­ment accordée dans la stratégie quan­tique française à la stan­dard­i­s­a­tion, aus­si bien de jure (nor­mal­i­sa­tion) que de fac­to (con­sor­tia privés et straté­gies de con­sti­tu­tion d’écosystèmes). La stan­dard­i­s­a­tion per­met, en effet, par l’homogénéisation des spé­ci­fi­ca­tions des pro­duits et ser­vices, l’accès à l’ensemble des marchés mon­di­aux et leur offre un moyen d’accroître forte­ment l’impact économique d’une inno­va­tion ou d’un titre de pro­priété indus­trielle, lorsqu’elles savent se posi­tion­ner dans l’élaboration des normes. Le Lab­o­ra­toire nation­al de métrolo­gie et d’essais s’est ain­si vu con­fi­er par l’État la mis­sion d’animer les travaux de stan­dard­i­s­a­tion relat­ifs aux tech­nolo­gies quantiques.


Les objectifs clés de la Stratégie quantique française :

  • Maîtris­er les tech­nolo­gies quan­tiques offrant un avan­tage stratégique décisif, dont les accéléra­teurs, sim­u­la­teurs et ordi­na­teurs quan­tiques, les logi­ciels métiers pour le cal­cul quan­tique, les cap­teurs, les sys­tèmes de communication.
  • Dans le domaine du cal­cul, le thème cen­tral de la stratégie :
    devenir le pre­mier État à dis­pos­er d’un pro­to­type com­plet d’ordinateur quan­tique général­iste de pre­mière généra­tion dès 2023 ;
    - être un leader mon­di­al dans la course à l’ordinateur quan­tique uni­versel pas­sant à l’échelle, en antic­i­pant dès aujourd’hui les risques inhérents liés au faible niveau de matu­rité et à la com­plex­ité des technologies
    en cours d’exploration.
  • Maîtris­er les fil­ières indus­trielles cri­tiques dans le domaine des tech­nolo­gies quan­tiques, inclu­ant les tech­nolo­gies habilitantes.
  • S’affirmer comme l’un des lead­ers mondiaux
    en matière de cryo­génie ou de lasers pour les tech­nolo­gies quantiques.
  • Être la pre­mière nation à dis­pos­er d’une fil­ière com­plète pro­duc­trice de Si 28 indus­triel, notam­ment pour les besoins de la pro­duc­tion de qubits.
  • Dévelop­per les com­pé­tences et le cap­i­tal humain, ren­forcer les infra­struc­tures tech­nologiques, créer un envi­ron­nement favor­able à l’intensification de l’entrepreneuriat, au trans­fert de tech­nolo­gie, et pro­mou­voir l’attractivité vis-à-vis des acteurs inter­na­tionaux et des meilleurs tal­ents mondiaux.


Le plan national quantique 

Dans la con­ti­nu­ité du ren­force­ment tech­nologique de la France débuté avec le Plan IA de 2018, le Prési­dent de la République a présen­té, le 21 jan­vi­er 2021, le « Plan quan­tique » français. Ce plan est financé à hau­teur de 1,8 mil­liard d’euros sur cinq ans, grâce à des parte­nar­i­ats pub­lic-privé ren­for­cés et trans­vers­es. Il prévoit un investisse­ment dans les for­ma­tions en physique quan­tique à tous les niveaux académiques (LMD).

L’objectif majeur est celui du main­tien des com­pé­tences nationales et européennes : avec la créa­tion d’un pro­gramme pri­or­i­taire de recherche dédié à hau­teur de 150 M€ en lien avec le CNRS, le CEA et l’Inria, ain­si qu’avec le déploiement des tech­nolo­gies habil­i­tantes grâce à un investisse­ment de 300 M€. Enfin, le renou­velle­ment des com­pé­tences sera assuré par un investisse­ment dans des actions de recherche uni­ver­si­taires, avec le finance­ment de cent bours­es de thèse, cinquante post­doc­tor­ats et dix bours­es jeunes tal­ents, par année, sur cinq ans.

“La consolidation européenne est au cœur du plan national quantique avec l’objectif de créer un Hub quantique européen.”

Sur le plan indus­triel, la sou­veraineté tech­nologique de la France sera assurée avec un investisse­ment à hau­teur de 200 M€ en matière de cap­teurs quan­tiques et de 150 M€ pour la cryp­tographique postquan­tique. Des objec­tifs coopérat­ifs et trans­vers­es jalon­nent l’échéancier nation­al et européen : l’hébergement de la pre­mière infra­struc­ture au monde d’ordinateurs quan­tiques (350 M€), le développe­ment d’un ordi­na­teur quan­tique uni­versel (400 M€) et les pre­mières expéri­men­ta­tions en matière de com­mu­ni­ca­tion quan­tique (325 M€, en Île-de-France et dans la ville de Nice).

La con­sol­i­da­tion européenne est égale­ment au cœur de la stratégie nationale avec d’ores et déjà la coopéra­tion de six pays (France, Alle­magne, Ital­ie, Espagne, Irlande et Autriche), afin de créer une plate­forme com­mune dotée d’une puis­sance de 100 qubits à l’horizon 2023, pre­mière étape vers un Hub quan­tique européen. Joueront un rôle majeur les com­pé­tences de plusieurs start-up, béné­fi­ciant du sou­tien financier de BPIfrance, mais égale­ment des grands groupes comme d’Atos, Thales, Total, EDF, ain­si que l’Université Paris-Saclay, l’université de Greno­ble, l’Inria, le CEA, le CNRS, et aus­si le min­istère des Armées via la Direc­tion générale de l’armement.


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