Polytechnicien s'évadant par un lampadaire

Le Bêta

Dossier : La Tradition et les Traditions de l'X des origines à nos joursMagazine N°331 Juin 1978Par : Philippe NAIGEON (69)
N° 331 Juin 1978
Le Bêta est une activ­ité mys­térieuse pour laque­lle nous avons con­sulté un ami de l’X, ami aus­si de Rouletabille dont il aime le sens de l’ob­ser­va­tion et le goût du raisonnement.
« Qu’est-ce que le bêta ? »
Pour vous présen­ter mes con­clu­sion, il va fal­loir, chers amis, que je présente à votre esprit juridique tous les « Con­sid­érant » et tous les « Atten­du » qui les ont guidées.

Le Bêta est une activ­ité mys­térieuse pour laque­lle nous avons con­sulté un ami de l’X, ami aus­si de Rouletabille dont il aime le sens de l’ob­ser­va­tion et le goût du raisonnement.

« Qu’est-ce que le bêta ? »

Pour vous présen­ter mes con­clu­sion, il va fal­loir, chers amis, que je présente à votre esprit juridique tous les « Con­sid­érant » et tous les « Atten­du » qui les ont guidées.

C’est ain­si que nous allons nous promen­er en ces lieux où les Anciens avaient cou­tume de jouer les monte-en-l’air de la liberté.

Dans la brume du temps et les nuage des sou­venirs. vous recon­nais­sez les lieux et de deux cents ans votre âme raje­u­nit. D’ailleurs reportez-vous au Kro­bar1 et revivez l’aventure …

Écoutez l’An­cien qui expli­qua, j’en ai la preuve. au Con­scouère2 admi­ratif, que le Bêta est ce procédé util­isé pour sor­tir ou pour ren­tr­er, par celui qui red­oute par dessus tout de déranger les officiers pour la sig­na­ture d’un vul­gaire L.P. (Lais­sez-Pass­er) et veut éviter ain­si d’odieuses paperasseries.

On m’a dit avoir vu ain­si dans la nuit, sous la lune vague, un Car­va escalad­er le mur de la Honte, face Nord, avec un pau­vre taupin qui voulait repos­er dans ce Pan­théon mod­erne, et le guider au matin. en sens inverse. à tra­vers les fusains du square Langevin.

On a cru aus­si voir, sur la petite place Descartes, un fier indi­vidu, tan­gente au côté, bicorne sur la tête, dans un mou­ve­ment som­bre de sa cape envelop­per le doux chamô en robe de bal auquel il fai­sait franchir les halle­bardes de la grille.

Il parait que cer­tains soirs, enfin, un mur s’él­e­vait lente­ment, sour­de­ment con­stru­it par la Mili, et puis était l’ob­jet de bril­lantes attaques, elles aus­si vespérales. On a même pu dire que cer­taines clés avaient le pou­voir mag­ique d’ou­vrir les portes de l’aven­ture et de la nuit à des ombres astu­cieuses. Tout cela n’est-il pas incroyable ?

Ni vous ni moi, cer­taine­ment, n’ac­cor­dons le moin­dre crédit à ces inven­tions. Je ne vois autour de moi qu’in­no­cence. Qui pour­rait-on accuser ?

Dans la tragédie grecque. la foule. qui par­tic­i­pait déjà, avait cou­tume de reporter sa haine sur un bouc — devenu émis­saire — aus­si , ai-je eu l’in­ten­tion, dans ma colère, d’in­ter­roger cette tête antique qui se cache dans le mur de la ter­rasse des Bernardins. Elle m’a assuré n’être en rien com­plice de fugues noc­turnes dont elle n’eut qu’à souf­frir. tant le poids d’un car­va-sauteur, — fût-il en espadrilles d’e­scrime — est peu pro­pre à favoris­er les rêves les plus doux.

Le bélier, une des voies d'évasion de l'ancienne école polytechnique
Le béli­er

D’ailleurs, par une habile immo­bil­ité des cornes, par l’élé­va­tion de ses pen­sées et la hau­teur de son front, cette superbe tête ne pou­vait, fût-ce à regret, sim­pli­fi­er ces noc­turnes escapades.

J’ap­pris alors que, non loin de là, de louch­es sil­hou­ettes se livraient à d’é­ton­nantes activ­ités. Le Styx. soupi­rail borgne amputé de sa grille, était là, dor­mant dans les pro­fondeurs de l’É­cole, son œil unique fixé sur les ombrages du Square Langevin. Je vis bien une corde sus­pecte qui pou­vait per­me­t­tre une éva­sion en douceur. Mais si le lieu avait bien le nom qu’on lui prê­tait. ses sept cer­cles devaient soit retenir les noires sil­hou­ettes. soit les ren­dre invin­ci­bles, et ma recherche per­dait son objet ou son efficacité.

J’al­lais de décep­tion en décep­tion. Je guet­tai avec le Bazoff de Ser3. des nuits durant, les ombres fran­chissant les grilles ven­ger­ess­es. Rien. Nos opin­ions étaient iden­tiques : tout se pas­sait bien, c’est-à-dire que rien ne se pas­sait, ni per­son­ne d’ailleurs. Et ne dites pas qu’il n’est de pire sourd que celui qui ne veut enten­dre : il est trop évi­dent que ces bruits sourds que nous entend ions étaient dus à quelques oiseaux mal­adroits, dérangés par la noc­turne agi­ta­tion du quartier.

Quant à ce lam­padaire que l’on trou­ve un peu plus haut dans la rue Descartes, les ser­vices du Gaz et de l’Elec­tric­ité m’ont assuré. après con­sul­ta­tion de leurs archives et pour les péri­odes de leurs con­ces­sions respec­tives du pres­tigieux ser­vice de l’é­clairage pub­lic, que ” on pou­vait être cer­tain de son par­fait fonc­tion­nement : Les coupables éventuels n’ayant aucun intérêt, sauf cas de méga­lo­manie, désir de provo­ca­tion ou goût du risque incon­sid­éré, à une pub­lic­ité par trop inutile, cette solu­tion restait sans intérêt.

Quant à ce fameux mur de la Honte, je vous prends à témoin, vous qui n’êtes pour­tant pas détec­tive pro­fes­sion­nel. com­ment expli­quer étant don­née la con­stante fraîcheur de son ciment, prou­vant son excel­lente fab­ri­ca­tion et son ingénieuse con­cep­tion, qu’il ait pu être l’ob­jet d’au­cun débo­cardage4, d’au­cun out­rage diraient certains ?

C’est là où le méti­er, la cul­ture et la per­spi­cac­ité inter­vi­en­nent : si fuites il y avait, elles ne pou­vaient avoir lieu, comme le recon­naî­trait mon ami Rouletabille, que par en dessous ou par dessus » puisque le niveau vul­gaire était impénétrable.

J’ai pu ain­si décou­vrir enfin qu’une sim­ple carte des égouts de la ville de Paris per­met à tout Car­va d’aller voir Giselle à l’Opéra, sans avoir à ren­con­tr­er la gent humaine, et qu’il suf­fit d’une corde de 48 mètres pour s’é­vad­er des lieux, par la Tour Umb.

Cette deux­ième pos­si­bil­ité ne peut cepen­dant s’ex­ercer qu’« en rap­pel », ce qui indique bien son car­ac­tère aléa­toire et incer­tain, même en grand uni­forme, un soir de bal de l’X.

Un Polytechnicien choisit la liberté.
Un Poly­tech­ni­cien choisit la liber­té.

Franchissement d'une grille de l'école par un polytechnicien accompagné

Pour­tant la preuve était alors bien faite que ceux que d’au­cuns appel­lent « nos chères têtes blondes » et qu’en l’ab­sence de sta­tis­tiques fiables et pour respecter la con­ti­nu­ité du pro­pos je nom­merai les Car­vas, exerçaient péri­odique­ment leur bravoure. Com­ment l’ex­pli­quer sinon par un pen­chant naturel, par soif d’aven­ture ? J’ai, en effet, pu m’as­sur­er qu’il exis­tait un cer­tain nom­bre de clés, stricte­ment pro­hibées, per­me­t­tant des éva­sions par­ti­c­ulière­ment tran­quilles et que, de jour, il suff­i­sait tout sim­ple­ment, lorsque les sor­ties n’é­taient pas autorisées, de courir plus vite que le basoff de ser­vice au P 5.

Le bêta était donc bien l’un des plus sains exer­ci­ces de bravoure qui soit. L’un de ceux qu’il con­vient de faire régulière­ment, même si l’on n’a stricte­ment aucune rai­son de sortir.

Con­sul­ta­tion adressée à
Louis (23) et Philippe (69) Naigeon

______________________________
1. C’est-à-dire au croquis
2. Par oppo­si­tion ô Ancien.
3. sous-offici­er de service.
4. La mili bocarde. c’est-à-dire recon­stru­it, la khomiss et les élèves débo­car­dent : d’où l’éter­nelle jeunesse de ce mur, Et cette puni­tion : 15 JAR « a par­ticipé à la réou­ver­ture d’une issue clandestine »

Les « PASSE », le « petit oméga ».
Abréviation bien connue de passe-partout. Lévy et Pinet notent en 1894 que les caissiers vendent les passe au prix de trois francs. En 1974, le prix était cent fois plus élevé. Entre temps, en 1923 par exemple, c’était le « pitaine clé » un missaire choisi pour son adresse manuelle, en ce qui concerne les travaux à l’établi, qui fournissait moyennant une petite somme, tous les élèves qui désiraient un « petit oméga ». C’était alors le nom du passe.
C’était aussi, en réalité, plutôt un grand oméga. Certains carvas l’ont conservé longtemps après leur sortie de l’X.
Le petit oméga, fausse clé
Le « petit oméga »
Les β varient sans cesse. En effet, dès qu’ils ont été décelés, pitaines et basoffs y tendent de dangereuses embuscades. L’ingéniosité des élèves s’emploie à les renouveler.
Ainsi en 1923–25, l’École était à Descartes pour la première année. On faisait le β par le binet de Charpy (Chimie) où l’on entrait avec le petit oméga et où l’on ouvrait la fenêtre qui donnait sur l’impasse Clopin. On la franchissait et on se trouvait sur une corniche de 15 cm de largeur que l’on descendait jusqu’à la rue du Cardinal-Lemoine.
A Lhomond, en 2e année, la caserne était séparée de Normale, au sous-sol par un galandage en planche. Le pitaine clé avait aussitôt scié une planche, mis des charnières, de sorte qu’on pouvait sortir très facilement. Les charnières étant du côté de Normale, elles ne furent pas découvertes avant longtemps. Quand la sortie fut découverte et cadenassée, on en fit une autre à côté.
Lorsque la sortie de l’École était strictement réglementée, l’Astra utilisait, pour lutter contre le β, la cruelle méthode du contre-appel nocturne, les basoffs armés d’une lampe de poche, passant dans les caserts pour vérifier si tous les élèves étaient bien dans leur lit. Ceux-ci, pour se défendre contre cette inquisition, utilisaient les méthodes du « cocon gigonnaire » et du « cocon synthétique ».
La première consistait à faire coucher, lorsqu’on s’absentait, un camarade dans son lit. En cas de contre-appel, il y avait bien un lit vide, celui du camarade complaisant, mais, aussitôt la ronde passée, celui-ci allait se présenter au sous- officier de service, expliquant qu’il s’était levé pour un motif facile à imaginer.
La méthode du « cocon synthétique » était une variété mineure de la précédente. L’élève qui découchait plaçait dans son lit un mannequin, généralement constitué par un traversin coiffé d’un chandail. Dans l’obscurité du casernement, cette supercherie passait généralement inaperçue.
Mais il arrivait que ces ruses fussent éventées par un basoff expérimenté. Ces motifs de punitions en témoignent :
  • 27.7.1814- … 30 jours de con­signe pour s’être couché dans le lit de M. Bouglé qui découchait sans permission.
  • 16.1.1923- 15 JAR : a découché après avoir mis un masque dans son lit.
L ‘organisation des β était également l’objet de sanctions sévères :
  • 17.10.1955- … 8 JAR : a scié les bar­reaux d’une grille don­nant sur l’extérieur.
  • 7.11.1955- …_ 15 JAR : a par­ticipé à la réou­ver­ture d’une issue clandestine.

Poster un commentaire