L’assurance-crédit contre le risque d’impayés

Dossier : L'assurance face aux risques nouveauxMagazine N°665 Mai 2011
Par Michel MOLLARD (83)

REPÈRES

REPÈRES
En France, le mon­tant du crédit inter­en­tre­pris­es peut être estimé à 700 mil­liards d’eu­ros. Le crédit clients représente en moyenne 20 % du bilan des entre­pris­es, chiffre élevé non pas du fait d’une faible pro­por­tion des fonds pro­pres des entre­pris­es français­es (sujet qui n’est plus vrai­ment d’ac­tu­al­ité con­traire­ment à la sit­u­a­tion des années 1990) mais du fait d’une rel­a­tive faible part de la dette finan­cière dans les bilans des entreprises.

Délais de paiement

Les prin­ci­paux ban­quiers des entre­pris­es sont les entre­pris­es elles-mêmes

L’af­fir­ma­tion fera peut-être sourire mais c’est une réal­ité : les prin­ci­paux ban­quiers des entre­pris­es sont… les entre­pris­es elles-mêmes. La très grande majorité des rela­tions com­mer­ciales entre entre­pris­es dans le monde (rela­tions B to B, busi­ness to busi­ness) ne s’ef­fectuent en effet pas au comp­tant mais voient les four­nisseurs con­sen­tir des délais de paiement à leurs clients (mécan­isme dit d’open account).

Les délais de paiement vari­ent selon les pays, entre une trentaine de jours aux États-Unis jusqu’à un an ou presque dans cer­tains pays d’Eu­rope du Sud. Il en résulte ce que l’on appelle le crédit inter­en­tre­pris­es, qui a deux com­posantes selon le point de vue que l’on adopte. Le crédit clients (asset receiv­ables en anglais, A/R) cor­re­spond au crédit accordé par un four­nisseur à ses clients. Au bilan, il fig­ure alors à l’ac­t­if et se traduit par un besoin de finance­ment pour le four­nisseur. La dette four­nisseurs (asset payables en anglais, A/P) cor­re­spond à la dette due par le client à ses four­nisseurs. Au bilan, elle fig­ure au pas­sif et s’analyse comme un finance­ment du client par ses fournisseurs.

La somme des crédits clients est égale à la somme des dettes four­nisseurs et elle est égale au mon­tant du crédit inter­en­tre­pris­es. Celui-ci s’élève à env­i­ron 25 000 Md€ dans le monde (soit env­i­ron la moitié du PIB mondial).

Deux grands paradoxes

Crédits non encadrés
Com­ment ne pas être éton­né que l’ac­tiv­ité de crédit soit stricte­ment encadrée lorsqu’il s’ag­it de finance­ment ban­caire (Bâle II aujour­d’hui, Bâle III demain) mais extrême­ment peu lorsqu’il s’ag­it d’opéra­tions com­mer­ciales, seules les normes compt­a­bles IFRS exigeant des entre­pris­es et fil­iales d’en­tre­pris­es cotées qu’elles indiquent dans leur rap­port annuel la manière dont elles gèrent leur poste clients et le risque qu’il représente ?

Ces élé­ments posés, on voit tout de suite émerg­er deux grands para­dox­es. Le pre­mier est lié au fait que la plu­part des entre­pris­es actives dans le B to B se retrou­vent dans une posi­tion de ban­quier, alors que ce n’est en rien leur méti­er et qu’elles n’en mesurent pas tou­jours les risques.

Ces derniers sont loin d’être nég­lige­ables : on estime en effet qu’une fail­lite d’une entre­prise sur qua­tre dans le monde est provo­quée par l’in­solv­abil­ité d’un de ses clients. C’est le fameux effet domi­no : du fait du poids du poste clients dans le bilan, le non-paiement de cer­taines créances peut large­ment dépass­er le résul­tat d’une entre­prise et entraîn­er à son tour son dépôt de bilan.

Le sec­ond para­doxe est lié au fait qu’il ne viendrait à l’idée d’au­cune entre­prise bien gérée de ne pas assur­er ses prin­ci­paux act­ifs mais qu’il en va dif­férem­ment lorsqu’il s’ag­it du poste clients qui peut représen­ter jusqu’à 40 % de l’ac­t­if d’une entre­prise oeu­vrant dans le B to B. Or un nom­bre non nég­lige­able d’en­tre­pris­es, surtout les plus petites d’en­tre elles, con­tin­u­ent aujour­d’hui de ne pas se pro­téger con­tre le défaut de leurs clients, l’as­sur­ance con­tre ce type de risque n’é­tant en rien obligatoire.

Se prémunir des faillites

Infor­ma­tion pertinente
Par infor­ma­tion per­ti­nente, il ne faut pas enten­dre une infor­ma­tion que tout le monde peut trou­ver sur Inter­net, à faible valeur ajoutée, ou les derniers états financiers qui peu­vent ne refléter en rien la sit­u­a­tion actuelle réelle d’une entre­prise, tout par­ti­c­ulière­ment en péri­ode de retourne­ment de cycle, mais au con­traire une infor­ma­tion par­faite­ment à jour, à forte valeur ajoutée car con­nue d’un faible nom­bre d’intervenants.

L’o­rig­ine de l’as­sur­ance-crédit remonte au dix-huitième siè­cle. En France, c’est dans les années 1830, pré­cisé­ment en 1839, qu’un écon­o­miste ital­ien, Bona­ju­to Paris San­guinet­ti, adresse un pro­jet aux prési­dents des Cham­bres de com­merce français­es recom­man­dant d’établir “en France une Com­pag­nie d’as­sur­ances mutuelles con­tre les fail­lites “. Toute­fois, l’as­sur­ance- crédit, comme ailleurs dans les prin­ci­paux pays européens (Alle­magne, Roy­aume- Uni, Ital­ie…), n’y prospère véri­ta­ble­ment qu’à l’is­sue de la Pre­mière Guerre mondiale.

Avec le recul du temps, deux raisons essen­tielles ont poussé au développe­ment de cette activ­ité. La pre­mière, de bon sens, tient tout sim­ple­ment à la volon­té des entre­pris­es de pro­téger un élé­ment clé de leur act­if. C’est une approche assur­antielle clas­sique. La sec­onde, plus sub­tile, relève de la ques­tion de savoir s’il est plus effi­cace pour une entre­prise de dis­pos­er en interne d’une équipe de ges­tion du risque de crédit ou d’ex­ter­nalis­er cette fonction.

Il ne s’ag­it pas là d’un débat entre assur­ance et auto-assur­ance mais de bien autre chose. La déci­sion de con­sen­tir un crédit ou non à un client néces­site en effet tout d’abord d’in­ve­stir dans une ressource rare et coû­teuse à obtenir si elle est per­ti­nente : l’in­for­ma­tion sur ce client.

Mutualisation des coûts

Fonds pro­pres
Si une entre­prise ne trans­fère pas son risque à un tiers, elle doit en théorie mobilis­er des fonds pro­pres pour cou­vrir celui-ci. Là aus­si, il est évi­dent que moins de fonds pro­pres devront être mobil­isés si les risques sont mutu­al­isés chez un assureur que s’ils restent au sein de l’entreprise.

Cette infor­ma­tion per­ti­nente, l’en­tre­prise a le choix entre l’ac­quérir elle-même ou à recourir à un assureur-crédit. Si elle fait le choix de l’ac­quérir elle-même, elle s’ex­pose à des coûts fix­es (chaque fois qu’elle acquiert un nou­veau client) et récur­rents (pour entretenir la qual­ité de sa base de don­nées) très conséquents.

Les assureurs-crédits dis­posent des meilleures bases de don­nées sur les entreprises

L’as­sureur-crédit, a con­trario, a la fac­ulté de mutu­alis­er le coût d’ac­qui­si­tion de cette infor­ma­tion sur l’ensem­ble des assurés qui por­tent des risques sur ce client. Il peut donc faire dimin­uer ce coût ou, à coût égal, amélior­er con­sid­érable­ment la qual­ité de l’in­for­ma­tion. De fait, les assureurs-crédits dis­posent cer­taine­ment des meilleures bases de don­nées et des plus com­plètes au monde sur les entre­pris­es. Ce coût con­sid­érable que représente l’ac­qui­si­tion d’in­for­ma­tions per­ti­nentes explique égale­ment pourquoi le secteur s’est con­cen­tré comme il l’a fait ces dernières années.

Transparence

Une troisième rai­son émerge aujour­d’hui qui pousse puis­sam­ment de plus en plus d’en­tre­pris­es, notam­ment les plus grands groupes inter­na­tionaux, à recourir à une assur­ance-crédit : les exi­gences crois­santes en matière de gou­ver­nance. Com­bi­en de dirigeants sont en effet inca­pables de men­tion­ner les plus grands risques clients portés par leur entreprise.

À leur décharge, la com­plex­ité des liens cap­i­tal­is­tiques et financiers unis­sant cer­taines de leurs con­trepar­ties ne cesse de croître. Com­ment se faire une idée du sou­tien réel apporté par une mai­son mère à l’une de ses fil­iales quand les cas d’a­ban­don pur et sim­ple se mul­ti­plient de la part de très grands groupes ? Com­ment estimer le risque porté sur une fil­iale européenne d’une entre­prise améri­caine en dif­fi­culté ? Com­ment y voir clair dans les accords de cash pool­ing ? Autant de ques­tions aux­quelles il est dif­fi­cile de répon­dre sans des inves­ti­ga­tions très complexes.

Prévention des risques

L’as­suré peut éviter une grande par­tie des sin­istres qu’il aurait eu à assumer

L’as­sur­ance-crédit est un type d’as­sur­ance orig­i­nal dans la mesure où elle inter­vient pour cou­vrir le risque de défaut des clients moins par un mécan­isme assur­antiel pur que par un mécan­isme de préven­tion. Cou­vrir le risque de manière pure­ment assur­antielle, sans préven­tion, coûterait en effet trop cher aux entreprises.

Celles-ci devraient en effet pay­er une prime au moins égale au taux de défail­lance moyen des entre­pris­es. Cela représen­terait une ponc­tion con­sid­érable sur leur taux de marge que l’on peut estimer en moyenne à un quart mais qui dans cer­tains cas pour­rait attein­dre, voire dépass­er les 100%. Le mécan­isme de préven­tion repose sur des con­tacts fréquents, qui peu­vent être quo­ti­di­ens, entre l’as­sureur-crédit et l’assuré.

Effets induits
Les échanges entre assureur et assuré, qui s’ap­par­entent à ceux exis­tant au sein de l’en­tre­prise entre la direc­tion finan­cière et la direc­tion com­mer­ciale, présen­tent un car­ac­tère éminem­ment vertueux, quoiqu’ils ne soient pas tou­jours aisés : ils poussent en effet l’en­tre­prise à dévelop­per une clien­tèle prof­itable. Rien n’est en effet plus inef­fi­cace pour une entre­prise que de pouss­er ses forces de vente sur des marchés qui n’ex­is­teront plus demain, rien n’est plus effi­cace que de dévelop­per des rela­tions d’af­faires avec des clients à potentiel.

Chaque fois que ce dernier con­tracte avec un nou­veau client ou développe son activ­ité avec un client exis­tant, il dis­cute avec son assureur-crédit des garanties dont il peut dis­pos­er. De son côté, l’as­sureur informe régulière­ment son assuré de l’évo­lu­tion de la sit­u­a­tion de ses clients, notam­ment s’agis­sant de leur solv­abil­ité. Lorsque pour un débi­teur don­né celle-ci est men­acée à court terme, ou que la prime payée par l’as­suré n’est plus com­pat­i­ble avec le risque pris, l’as­sureur peut décider d’une réduc­tion, voire d’une annu­la­tion des garanties sur ce débiteur.

Cette réduc­tion ou cette annu­la­tion ne pren­nent évidem­ment effet que pour les fac­tures futures et avec un préavis min­i­mum qui varie selon les pays. L’as­suré peut ain­si éviter une grande par­tie des sin­istres qu’il aurait eu à assumer. Si l’as­sureur n’est pas en mesure d’as­sur­er une préven­tion adéquate des sin­istres, il indem­nise alors son assuré et procède la plu­part du temps pour son compte au recou­vre­ment des créances.

Un exem­ple concret
En décem­bre 2009, l’en­tre­prise A n’est pas assurée. Elle a 10000 clients et réalise un CA de 870 M?. Cinq défauts de paiement de respec­tive­ment 1,45 M€, 0,98 M€, 0,53 M€, 0,82 M€ et 0,57 M€ ont mar­qué l’an­née pour un total de 4,35 M€ (0,5 % du CA). Si elle avait été assurée, elle n’au­rait subi des pertes que dans le dernier cas et son loss ratio aurait été ramené à 0,07%.
En décem­bre 2010, elle est assurée. Avec 10700 clients, elle réalise un CA de 915 M€. Grâce à son assur­ance son loss ratio s’établit à 0,07 %. Elle paie une prime égale à 0,2% de son CA. Le gain net pour elle est égal à 4,35 M€ — (0,2% + 0,07%) x 915 M€, soit 1,88 M€.

Prévoir les crises

Antic­i­pa­tion
Dès le milieu de l’an­née 2007 aux États-Unis et dès le début de 2008 en France (c’est-à-dire plusieurs mois avant la chute de Lehman Broth­ers), il a été pos­si­ble de dis­cern­er les signes avant-coureurs clairs d’une crise de très grande ampleur : les délais de paiement s’al­longeaient, les défauts crois­saient d’une manière qui ne pou­vait pas tromper.

Une des par­tic­u­lar­ités de l’as­sur­ance-crédit est de se situer en amont des cycles économiques et, plus générale­ment, de servir de révéla­teur des ten­dances économiques de fond.

Cela est dû tout d’abord au fait qu’a­vant de ne pas pay­er son ban­quier et ris­quer ain­si de met­tre en péril son finance­ment, une entre­prise qui con­naît des dif­fi­cultés a ten­dance à com­mencer à ne pas rem­bours­er ses four­nisseurs, ou, à tout le moins, cer­tains d’en­tre eux. De par les oblig­a­tions con­tractuelles de ses assurés, l’as­sureur-crédit est le récep­ta­cle naturel de ces infor­ma­tions rel­a­tives à l’al­longe­ment des délais de paiement qui annonce des dif­fi­cultés à venir.

Bâle III
Un autre fac­teur joue en faveur du développe­ment du crédit inter­en­tre­pris­es : le ren­force­ment de la régle­men­ta­tion ban­caire. Bâle III notam­ment ne devrait en rien faciliter le finance­ment des entre­pris­es. Or celles-ci ont des besoins de finance­ment pour se développer.
Le cap­i­tal est cher et donc le crédit inter­en­tre­pris­es, qui l’est moins et n’est d’ailleurs pas tou­jours fac­turé à son juste prix, ne peut que se développer.

Plus générale­ment, l’as­sureur-crédit cou­vrant l’in­té­gral­ité du poste clients de ses assurés, il perçoit aus­si claire­ment l’évo­lu­tion des straté­gies des entre­pris­es, notam­ment en matière de développe­ment inter­na­tion­al. De par la richesse et la pro­fondeur de ses bases de don­nées sur les entre­pris­es, il est égale­ment capa­ble, en les con­sol­i­dant, d’an­ticiper les grands mou­ve­ments de plaques tec­toniques de l’é­conomie mondiale.

De ce point de vue, force est de con­stater la mon­tée en puis­sance ful­gu­rante, beau­coup plus rapi­de que ce que beau­coup pensent encore, de grands groupes indus­triels et financiers dans les pays désor­mais émergés d’Asie et d’Amérique latine.

Des besoins au niveau mondial

Avec la crois­sance des échanges inter­na­tionaux qui pro­gressent en moyenne à un rythme dou­ble du PIB mon­di­al, le crédit inter­en­tre­pris­es ne cesse de croître. Par ailleurs, on observe très claire­ment en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Ori­ent une mon­tée en puis­sance du mécan­isme d’open account, moins lourd et d’un coût plus faible que d’autres moyens de finance­ment comme la let­tre de crédit.

Le développe­ment économique s’est tou­jours accom­pa­g­né de risques

Est-ce une bonne chose ou une mau­vaise chose ? C’est avant tout une réal­ité. Le crédit inter­en­tre­pris­es existe partout dans le monde. Des ten­ta­tives exis­tent pour le réguler mais qui con­nais­sent des for­tunes divers­es. Ain­si en a‑t-il été en France de la loi LME sur la réduc­tion des délais de paiement qui par­tait d’un souhait louable. Ce qui joue en soi n’est en effet pas seule­ment le délai de paiement lui-même mais l’ef­fet net entre délais four­nisseurs et délais clients. Cela sig­ni­fie que toute régu­la­tion peut ultime­ment s’analyser comme un trans­fert de tré­sorerie de cer­taines entre­pris­es ou cer­tains secteurs d’ac­tiv­ité à d’autres, sujet dont on mesure la sensibilité.

Cette mon­tée en puis­sance du crédit inter­en­tre­pris­es entraîne à sa suite celle de l’as­sur­ance- crédit, non seule­ment parce que le vol­ume du crédit inter­en­tre­pris­es croît mais aus­si parce que les risques dont il est por­teur évolu­ent. Quelle entre­prise européenne peut ain­si affirmer qu’elle con­naît par­faite­ment ses con­trepar­ties russ­es, chi­nois­es, indi­ennes ou brésili­ennes ? Qu’elle maîtrise par­faite­ment le droit des fail­lites dans les grandes économies émergées qui con­stituent désor­mais le moteur de la crois­sance mondial ?

Mais là n’est finale­ment pas l’essen­tiel. Le développe­ment économique s’est tou­jours accom­pa­g­né de risques et c’est bien ain­si. Il faut seule­ment savoir les recon­naître et les maîtriser.

Dom­i­na­tion française
Le marché mon­di­al de l’as­sur­ance-crédit représente env­i­ron 5 mil­liards d’eu­ros de primes et s’or­gan­ise autour de trois grands acteurs mon­di­aux : Euler Her­mes, Coface et Atra­dius. Alors qu’on ne cesse de dire que la France n’est pas un pays suff­isam­ment expor­ta­teur, force est de con­stater que les deux pre­miers par­mi ces trois acteurs mon­di­aux sont français : Euler Her­mes et Coface. Cette remar­quable spé­ci­ficité trou­ve son orig­ine essen­tielle­ment dans la manière dont ces groupes ont su tir­er par­ti de la mon­di­al­i­sa­tion dans les années 1990 en bâtis­sant des lead­ers mon­di­aux à par­tir des lead­ers français.

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