Trente ans d’assurance des catastrophes naturelles

Dossier : L'assurance face aux risques nouveauxMagazine N°665 Mai 2011
Par Thierry MASQUELIER (68)
Par Pierre MICHEL (88)

REPÈRES

REPÈRES
À la suite d’im­por­tantes inon­da­tions fin 1981 dans les val­lées de la Saône et du Rhône et dans le sud-ouest de la France, le lég­is­la­teur intro­duisit le régime des cat­a­stro­phes naturelles par la loi du 13 juil­let 1982. Toute indem­ni­sa­tion au titre de ce régime est sub­or­don­née à deux con­di­tions préal­ables : l’é­tat de cat­a­stro­phe naturelle doit avoir été con­staté par un arrêté inter­min­istériel ; les biens sin­istrés doivent être cou­verts par un con­trat d’as­sur­ance ” dom­mages aux biens “. Bien enten­du, un lien de causal­ité doit exis­ter entre la cat­a­stro­phe con­statée par l’ar­rêté et les dom­mages subis par l’assuré.

Le régime de cat­a­stro­phe naturelle cou­vre les immeubles et meubles assurés con­tre les dom­mages d’in­cendie ou tout autre type de dom­mages comme, par exem­ple, le vol ou le dégât des eaux. La cou­ver­ture suit la garantie de base du con­trat, c’est-à-dire le plus sou­vent la garantie incendie, et con­cerne donc générale­ment : les habi­ta­tions et leur con­tenu ; les instal­la­tions indus­trielles ou com­mer­ciales et leur con­tenu ; les bâti­ments appar­tenant aux col­lec­tiv­ités locales et leur con­tenu ; les bâti­ments agri­coles (y com­pris les récoltes, machines ou ani­maux se trou­vant à l’in­térieur des bâtiments).

Sont égale­ment cou­verts les véhicules, de même que les acces­soires et équipements auto­mo­biles si leur cou­ver­ture est prévue dans le con­trat de base.

Des inondations aux ouragans

Le lég­is­la­teur n’a pas dressé de liste exhaus­tive des périls couverts

L’énuméra­tion des périls com­prend : les inon­da­tions ou coulées de boue ; les séismes ; les mou­ve­ments de ter­rain ; la sécher­esse, que l’on désigne par ” les mou­ve­ments de ter­rain dif­féren­tiels con­sé­cu­tifs à la sécher­esse et à la réhy­drata­tion des sols”; les raz-de-marée ; les oura­gans dans les DOM.

À not­er que le lég­is­la­teur n’a pas dressé de liste exhaus­tive. La loi se lit comme suit : “Sont con­sid­érés comme les effets des cat­a­stro­phes naturelles […] les dom­mages matériels directs non assur­ables ayant eu pour cause déter­mi­nante l’in­ten­sité anor­male d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à pren­dre pour prévenir ces dom­mages n’ont pu empêch­er leur sur­ve­nance ou n’ont pu être pris­es.” (arti­cle L125‑1 du Code des assur­ances). Par agent naturel, il faut enten­dre un phénomène inan­imé : ain­si, par exem­ple, les dégâts causés par des ter­mites ne seraient pas couverts.

Le coût des dommages directs

Les exclu­sions
Relevons que le régime des cat­a­stro­phes naturelles ne cou­vre pas les dom­mages immatériels, sauf la perte d’ex­ploita­tion ; ne cou­vre pas les dom­mages cor­porels ; ne cou­vre pas davan­tage les dom­mages aux pro­duc­tions agri­coles, comme les cul­tures ou les éle­vages hors des bâti­ments ; ne con­cerne que des biens pour lesquels une per­son­ne, physique ou morale, a volon­taire­ment choisi de souscrire une police d’as­sur­ance de dom­mages ; ne fonc­tionne pas en présence d’un événe­ment d’o­rig­ine non naturelle, par exem­ple, une cat­a­stro­phe tech­nologique ou un acte de ter­ror­isme ; ne joue qu’en présence d’un événe­ment répon­dant aux critères légaux et admin­is­trat­ifs de la cat­a­stro­phe naturelle.

La garantie cou­vre le coût des dom­mages matériels directs à con­cur­rence de leur valeur fixée au con­trat. De même, la garantie des pertes d’ex­ploita­tion est cou­verte si elle fig­ure dans le con­trat du risque indus­triel. Par con­tre ne sont pas cou­verts les dom­mages immatériels non con­sé­cu­tifs, c’est-à-dire, par exem­ple, le con­tenu d’un réfrigéra­teur dans une mai­son qui n’est pas atteinte physique­ment par l’i­non­da­tion mais dont l’al­i­men­ta­tion élec­trique a été inter­rompue du fait de l’inondation.

La fran­chise est fixée par la régle­men­ta­tion. Elle est, pour l’essen­tiel : pour les biens à usage d’habi­ta­tion et pour les véhicules, de 380 euros, sauf pour la sécher­esse, pour laque­lle elle est de 1 520 euros : pour les biens à usage pro­fes­sion­nel, de 10 % des dom­mages avec un min­i­mum de 1140 euros, sauf pour la sécher­esse, pour laque­lle le min­i­mum est de 3 050 euros. Toute­fois, quand le con­trat prévoit une fran­chise plus élevée, c’est celle-ci qui s’applique.

Les fran­chis­es sont, dans cer­tains cas, affec­tées d’un coef­fi­cient mul­ti­pli­ca­teur. Ain­si, dans les com­munes qui n’ont pas de Plan de préven­tion des risques naturels prévis­i­bles (PPRN), elles sont dou­blées à la troisième con­stata­tion d’un même péril dans un délai de cinq ans.

Elles peu­vent être triplées ou quadru­plées lors d’une qua­trième ou cinquième con­stata­tion, tou­jours dans les cinq ans. Ce dis­posi­tif de mod­u­la­tion des fran­chis­es a pour objet d’inciter à la préven­tion les com­munes par­ti­c­ulière­ment exposées à cer­tains périls naturels.

Le régime des tempêtes

Le sys­tème présente une autre par­tic­u­lar­ité : le lég­is­la­teur a mis en place, pour les tem­pêtes, un régime dis­tinct de celui des cat­a­stro­phes naturelles. Si celui-ci passe aus­si par l’oblig­a­tion faite aux assureurs d’in­clure la garantie dans les polices de dom­mages aux biens, il fonc­tionne d’une manière spé­ci­fique qui, notam­ment, ne repose pas sur le mécan­isme des arrêtés interministériels.

Toute­fois, la loi du 13 décem­bre 2000 “d’ori­en­ta­tion pour l’outre-mer” dis­pose que “les effets du vent dû à un événe­ment cyclonique pour lequel les vents max­i­maux de sur­face enreg­istrés ou estimés sur la zone sin­istrée ont atteint ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix min­utes ou 215 km/h en rafales ” sor­tent du régime spé­ci­fique tem­pête pour retomber dans le régime des cat­a­stro­phes naturelles.

Con­séquence ? Pour une tem­pête, comme, par exem­ple, Xyn­thia, les dom­mages causés par le vent sont bien cou­verts par les assureurs, mais en dehors du régime des cat­a­stro­phes naturelles, tan­dis que les dom­mages dus aux inon­da­tions entrent dans le régime. Les con­di­tions de déclenche­ment de l’in­dem­ni­sa­tion et les fran­chis­es sont donc dif­férentes selon la cause des dommages.

La procédure d’indemnisation

La tar­i­fi­ca­tion
Le tarif est égale­ment imposé par la régle­men­ta­tion. Pour l’essen­tiel, la tar­i­fi­ca­tion est de : 12 % des primes ou coti­sa­tions afférentes aux con­trats de base pour les biens d’habi­ta­tion ou à usage pro­fes­sion­nel ; 6% des primes ou coti­sa­tions vol et incendie pour les véhicules ou, à défaut, 0,5 % de la prime ou coti­sa­tion dommages.

Lorsque survient une cat­a­stro­phe naturelle dans une com­mune, le maire for­mule une demande auprès du préfet de son départe­ment, qui établit un dossier aus­si com­plet que pos­si­ble, en principe dans le mois de la sur­ve­nance de la cat­a­stro­phe. Le dossier est trans­mis à une com­mis­sion inter­min­istérielle nationale, qui émet un avis sur l’ex­is­tence ou l’ab­sence de cat­a­stro­phe naturelle au sens de la loi. La com­mis­sion estime, d’une façon générale, qu’il y a cat­a­stro­phe naturelle au sens de la loi lorsque le phénomène se repro­duit avec une fréquence inférieure, en prob­a­bil­ité, à une fois tous les dix ans.

L’avis est con­crétisé par un arrêté inter­min­istériel pub­lié au Jour­nal offi­ciel.

L’as­suré doit déclar­er à son assureur tout sin­istre sus­cep­ti­ble de faire jouer la garantie dès qu’il en a con­nais­sance, et au plus tard dans les dix jours (trente jours pour la perte d’ex­ploita­tion) suiv­ant la paru­tion de l’ar­rêté inter­min­istériel au Jour­nal offi­ciel.

Ensuite, la procé­dure d’in­dem­ni­sa­tion sera sem­blable à toute autre procé­dure d’in­dem­ni­sa­tion. L’as­suré envoie à l’as­sureur un état esti­matif des dégâts. L’as­sureur enver­ra un expert éval­uer ceux-ci s’il l’es­time utile. Il fera une propo­si­tion de règle­ment, en principe dans les trois mois de l’en­voi par l’as­suré de l’é­tat esti­matif des dégâts ou, à défaut, versera une pro­vi­sion dans les deux mois.

La réas­sur­ance
Les grandes cat­a­stro­phes naturelles (comme la tem­pête Xyn­thia le 27 févri­er 2010 ou les inon­da­tions du Var le 15 juin) entraî­nent une mul­ti­plic­ité de dossiers de sin­istres qui sont sus­cep­ti­bles, par leur agré­ga­tion, de porter atteinte au résul­tat d’un assureur ou, pire, à ses fonds pro­pres. Aus­si les assureurs n’ont-ils accep­té de cou­vrir les cat­a­stro­phes naturelles que sous la con­di­tion qu’ils puis­sent se réassurer.
Le lég­is­la­teur a, par con­séquent, autorisé la Caisse cen­trale de réas­sur­ance (CCR), société anonyme détenue à 100% par l’É­tat, à offrir une telle réas­sur­ance avec la garantie que l’É­tat inter­viendrait si les ressources pro­pres du régime s’avéraient insuffisantes.
La CCR pro­pose, pour l’essen­tiel, une réas­sur­ance à la fois pro­por­tion­nelle (traité dit en quote-part) et non pro­por­tion­nelle (traité dit en stop loss).
Notons que l’as­sureur n’est pas obligé de se réas­sur­er ou qu’il peut se réas­sur­er auprès d’autres réas­sureurs. Cer­tains, parce que leurs garanties cat­a­stro­phes naturelles ne for­ment qu’une faible par­tie de leur chiffre d’af­faires, ne se réas­surent pas.
Les réas­sureurs, y com­pris la CCR, sont libres de tar­ifer leurs cou­ver­tures à l’é­gard des assureurs : les pour­cent­ages de sur­prime régle­men­tée men­tion­nés plus haut ne s’im­posent qu’aux polices d’as­sur­ance, pas aux traités de réassurance.

La prévention

La préven­tion s’ex­erce essen­tielle­ment par les Plans de préven­tion des risques naturels

La préven­tion s’ex­erce essen­tielle­ment par les Plans de préven­tion des risques naturels prévis­i­bles (PPRN). Quelque 12 000 PPRN, dont plus de 7 500 sont déjà approu­vés, sont en oeu­vre ou en cours d’élab­o­ra­tion. Rap­portés à env­i­ron 36 000 com­munes, dont un grand nom­bre n’est pas exposé de façon sig­ni­fica­tive aux périls naturels, ces Plans représen­tent un pre­mier résul­tat louable.

Mais on peut cer­taine­ment faire mieux. Sans porter atteinte à la sol­i­dar­ité, qui est l’un des fonde­ments du régime, une piste sem­ble être de mod­uler la prime en fonc­tion de l’ex­po­si­tion par com­mune ou par risque, dans un pre­mier temps pour les risques pro­fes­sion­nels (et éventuelle­ment dans un sec­ond temps pour les risques de par­ti­c­uliers). On pour­rait aus­si vouloir pénalis­er les con­struc­tions qui ne seraient pas con­formes à leur per­mis de con­stru­ire ou pour lesquelles les mesures de préven­tion prévues au PPRN ne seraient pas respec­tées, etc. Il s’ag­it là de pistes de réflexion.

La Faute-sur-Mer.


Inon­da­tions en Vendée le 1er mars 2010.

La modélisation

Quelle méthodolo­gie faut-il suiv­re lorsque l’on cherche à estimer l’im­pact des événe­ments naturels extrêmes ? Out­re la col­lecte de don­nées, on doit s’en­gager dans une démarche de mod­éli­sa­tion, la sim­ple exploita­tion sta­tis­tique des obser­va­tions ne pou­vant suf­fire. Pour com­mencer, on recherchera des descrip­tions aus­si com­plètes que pos­si­ble des événe­ments his­toriques. On ten­tera de les traduire en coûts actuels, ce qui sup­pose de tenir compte non seule­ment de l’in­fla­tion, mais aus­si de l’ac­croisse­ment des richess­es et plus pré­cisé­ment de leur accu­mu­la­tion dans des zones exposées (par exem­ple, le Bassin parisien est plus par­ti­c­ulière­ment exposé aux crues de la Seine, la région PACA aux crues tor­ren­tielles et aux séismes, et ain­si de suite).

Le (ré)assureur s’in­téressera non seule­ment à la hausse du niveau général des prix, mais inté­gr­era aus­si le fait qu’après un événe­ment cat­a­strophique la pénurie rel­a­tive de l’of­fre de matéri­aux et de main-d’oeu­vre pour la recon­struc­tion des sites endom­magés provoque des effets de ” sur­in­fla­tion ” tem­po­raire par­ti­c­ulière­ment pronon­cés, facile­ment au-delà de 20 à 30 %.

Il com­plétera son analyse en ten­ant compte des évo­lu­tions du taux de péné­tra­tion de l’as­sur­ance et des con­di­tions des polices : fran­chis­es, lim­ites de garantie, cou­ver­ture des préju­dices immatériels comme la perte d’ex­ploita­tion, etc. Il chiffr­era les effets sys­témiques tels que : le fonc­tion­nement en réseau des agents économiques, reposant sur les flux ten­dus et aug­men­tant leur inter­dépen­dance ; les pro­grès des matéri­aux et normes de con­struc­tion ; le développe­ment des mesures de préven­tion (pour bien faire, il faut tenir compte de leur appli­ca­tion effec­tive ou non sur le ter­ri­toire considéré).

Une éval­u­a­tion à par­tir des cat­a­stro­phes his­toriques est insuff­isante : il faut s’at­tach­er à car­ac­téris­er les événe­ments con­sid­érés comme pos­si­bles aujour­d’hui, qu’ils aient ou non été observés, ain­si que la dis­tri­b­u­tion de leur prob­a­bil­ité de sur­ve­nance. Bref, même du point de vue par­tiel de l’as­sur­ance, que l’on peut penser bien cir­con­scrit, quan­tifi­able et fondé sur des séries sta­tis­tiques longues, l’es­ti­ma­tion du coût poten­tiel des cat­a­stro­phes extrêmes est entachée d’in­cer­ti­tudes majeures.

Un rôle central

L’es­ti­ma­tion du coût poten­tiel des cat­a­stro­phes extrêmes est entachée d’in­cer­ti­tudes majeures

Les (ré)assureurs recueil­lent des don­nées et dis­posent de ressources, ce qui leur con­fère un rôle cen­tral dans la mod­éli­sa­tion des cat­a­stro­phes naturelles sous l’an­gle bien par­ti­c­uli­er du coût des dom­mages assurés (qui ne forme évidem­ment pas la vision com­plète des phénomènes).

L’as­sur­ance des cat­a­stro­phes naturelles existe main­tenant depuis bien­tôt trente ans. Pra­tique­ment, le régime n’a con­nu, au cours de ces trente années, de mod­i­fi­ca­tions lég­isla­tives que sur des détails. Les principes sont restés inchangés depuis l’o­rig­ine. C’est la preuve qu’ils sont glob­ale­ment appré­ciés des Français. Cepen­dant, ce régime peut être amélioré, notam­ment en vue de le ren­dre encore plus inci­tatif à la préven­tion. Il s’a­gi­rait d’in­tro­duire une cer­taine mod­u­la­tion de la prime en fonc­tion de l’ex­po­si­tion au risque, de traiter dif­férem­ment la sécher­esse sur les bâti­ments récents, etc.

Divers­es mesures en matière de respect des règles de con­struc­tion, de Plan de prévoy­ance des risques naturels, de per­mis de con­stru­ire seraient envis­agées. L’an­née du tren­tième anniver­saire sera-t-elle celle de la réforme ?

Quelques chiffres en France
Les tem­pêtes his­torique­ment vio­lentes, Lothar et Mar­tin, qui ont souf­flé sur l’ouest de l’Eu­rope du 25 au 28 décem­bre 1999, auront coûté aux seuls assureurs et réas­sureurs, au titre des dom­mages en France, de l’or­dre de 8,5 mil­liards d’eu­ros actuels.
Un trem­ble­ment de terre de grande ampli­tude dans la région de Nice pour­rait entraîn­er un préju­dice économique de l’or­dre de 10 mil­liards d’euros.
Le coût économique d’une crue cen­ten­nale de la Seine, sur­venant aujour­d’hui, est estimé, selon les experts, dans une fourchette de 5 à 10 mil­liards d’eu­ros. Met­tons ce chiffre en per­spec­tive : une péri­ode de récur­rence de cent ans est très loin de car­ac­téris­er l’événe­ment le plus grave pou­vant sur­venir. Con­cé­dons néan­moins que, s’agis­sant des péri­odes de retour élevées, il devient dif­fi­cile de dire où la prob­a­bil­ité de sur­ve­nance se situe précisément.
En d’autres ter­mes, pour un coût don­né, on ne sait pas réelle­ment si la péri­ode de retour est plutôt de cent ans, deux cent cinquante ans voire cinq cents ans.

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