Voitures autonomes

La voiture autonome : progrès techniques et perspectives

Dossier : Robotique et intelligence artificielleMagazine N°750 Décembre 2019
Par Frédéric WILHELM (2008)
Par Benoît GUILLERMAIN (2013)

Les pro­grès tech­niques devraient per­me­t­tre d’arriver, dans les années à venir, à une con­duite auto­mo­bile com­plète­ment autonome, s’affranchissant de la super­vi­sion du con­duc­teur. On peut en par­ti­c­uli­er s’attendre au développe­ment des voitures autonomes en envi­ron­nement autorouti­er et péri­ur­bain dès les prochaines années.

Pour le moment, l’automatisation est restreinte à une assis­tance au con­duc­teur, lequel reste totale­ment respon­s­able du com­porte­ment de son véhicule. Mais le change­ment arrive pro­gres­sive­ment avec l’automatisation des véhicules que l’on observe depuis plusieurs années grâce aux sys­tèmes d’aide à la con­duite intel­li­gents (ou ADAS, Advanced Dri­ver Assis­tance Sys­tems), tels que les régu­la­teurs de vitesse adap­tat­ifs, les aides au main­tien dans la voie ou les sys­tèmes anti­col­li­sion. Les pro­grès tech­nologiques des cap­teurs, cal­cu­la­teurs et algo­rithmes per­me­t­tent petit à petit d’augmenter le niveau d’automatisation des véhicules et donc d’alléger la tâche du conducteur.


REPÈRES

Pour définir le niveau d’automatisation, on utilise sou­vent les cinq niveaux du référen­tiel SAE (J3016). Au niveau 1, le véhicule assiste le con­duc­teur sur une seule dimen­sion de la con­duite (latérale ou lon­gi­tu­di­nale), par exem­ple avec un régu­la­teur de vitesse adap­tatif ou un suivi de voie automa­tique. Au niveau 2, le véhicule assure la dynamique de la con­duite sur les deux dimen­sions latérales et lon­gi­tu­di­nales, tout en étant sous super­vi­sion con­stante du con­duc­teur qui reste entière­ment respon­s­able. Le niveau 3 est le véri­ta­ble gap tech­nologique et lég­is­latif qui reste encore à franchir, car le véhicule peut alors tem­po­raire­ment se pass­er de super­vi­sion du con­duc­teur et être entière­ment respon­s­able de la con­duite – on com­mence alors véri­ta­ble­ment à par­ler de véhicule autonome. L’absence de super­vi­sion du con­duc­teur devient per­ma­nente au niveau 4. Enfin un véhicule niveau 5 n’a tout sim­ple­ment ni con­duc­teur ni volant. 


De la voiture automatisée à la voiture autonome

Les voitures à con­duite déléguée sont classées selon le niveau d’automatisation. Au-delà du niveau d’auto­matisation, une voiture autonome se car­ac­térise par son domaine opéra­tionnel (ou ODD, Oper­a­tional Design Domain), pou­vant aller d’une sim­ple rue définie à une ville com­plète. Les exi­gences pour la per­for­mance du sys­tème et des cap­teurs ne seront pas les mêmes sur une autoroute ou en milieu urbain. L’infrastructure doit s’adapter aux voitures autonomes, par exem­ple avec des mar­quages au sol clairs et en bon état pour faciliter la recon­nais­sance par les caméras, et aus­si avec des sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tion V2I (Vehi­cle to Infra­struc­ture) qui vont faciliter la pro­gres­sion du véhicule autonome dans son environnement. 

En Europe, des pro­jets publics comme Scoop et Safe Strip visent à expéri­menter l’équipement de routes avec de tels sys­tèmes. L’infrastructure peut alors trans­met­tre aux véhicules les infor­ma­tions sur des événe­ments à venir (zone de travaux, voie fer­mée, etc.) et égale­ment recevoir des infor­ma­tions en temps réel sur les événe­ments détec­tés par les cap­teurs des véhicules (route glis­sante, acci­dent, etc.).

Aujourd’hui, la régle­men­ta­tion lim­ite le niveau d’automatisation des véhicules ven­dus sur le marché au niveau 2. Cepen­dant les niveaux suiv­ants sont de plus en plus dévelop­pés, et de nom­breux pro­to­types exis­tent et par­courent déjà les routes en France et dans le monde. Cer­tains mod­èles de véhicule en série revendiquent une con­fig­u­ra­tion matérielle (cap­teurs, cal­cu­la­teurs) com­pat­i­ble avec les niveaux 3 ou 4, une sim­ple mise à jour logi­cielle per­me­t­tant d’atteindre ces niveaux dans un domaine défini.

La cartographie HD permet une localisation précise des voitures autonomes
L’arrivée de car­togra­phies haute déf­i­ni­tion per­met au véhicule de se localis­er avec pré­ci­sion. Exem­ple avec la local­i­sa­tion de Valeo basée sur les lidars. ©️ Europe1

Approche progressive et approche disruptive

Les inno­va­tions de la voiture autonome suiv­ent aujourd’hui deux chemins par­al­lèles. Le pre­mier est celui des con­struc­teurs d’automobiles « clas­siques » dont l’approche est pro­gres­sive. Il s’agit d’automatiser les nou­velles gammes de véhicule avec des fonc­tions d’assistance de plus en plus avancées (main­tien au cen­tre de voie, régu­la­teur de vitesse adap­tatif, change­ment de voie automatique).

Dans l’ensemble, les con­struc­teurs esti­ment que les tech­nolo­gies de niveau 2 (le véhicule régule sa vitesse et sa posi­tion dans la voie), qui sont déjà sur le marché, vont se généralis­er et se démoc­ra­tis­er dans les prochaines années. Il est ensuite très prob­a­ble de voir appa­raître, au début des années 2020, des tech­nolo­gies de niveau 3 avec lesquelles le con­duc­teur n’a plus besoin de super­vis­er le véhicule dans des con­di­tions définies (embouteil­lages, voies à chaussées séparées). L’extension se fera ensuite sur les autoroutes à plus haute vitesse et sur du niveau 4, puis à terme sur les autres routes et en zone urbaine.

La sec­onde approche est essen­tielle­ment suiv­ie par de nou­veaux acteurs, sou­vent des acteurs du numérique, dont l’ambition est de pré­par­er directe­ment des flottes de voitures autonomes com­plètes (niveau 4–5) en autopartage. Le véhicule n’est plus une voiture per­son­nelle qui s’achète mais un véhicule exploité en libre-ser­vice, dont les con­traintes en ter­mes de coût et d’esthétique sont réduites et per­me­t­tent l’intégration de cap­teurs plus per­for­mants. Ces nou­veaux acteurs s’allient le plus sou­vent avec un ou plusieurs con­struc­teurs d’automobiles (Way­mo-JLR, Uber-Vol­vo…) et annon­cent des flottes de taxis robots dans des futurs proches, cer­tains dès le début des années 2020.

“Aucun capteur n’est aussi efficace qu’une paire de bons yeux.”

Percevoir l’environnement avec des capteurs plus performants et plus divers

Le prin­ci­pal défi du développe­ment de la voiture autonome est de détecter et com­pren­dre l’environnement com­plexe qui l’entoure. Cet envi­ron­nement inclut d’autres véhicules, autonomes ou non, une sig­nal­i­sa­tion qui peut être de qual­ité vari­able, des pié­tons, des cyclistes et désor­mais des trot­tinettes. Ces trois dernières caté­gories sont vul­nérables et ont des tra­jec­toires dif­fi­ciles à prédire. Con­traire­ment à une voiture, si un pié­ton avance tout droit à un instant, il y a des chances pour qu’à l’instant suiv­ant il ait fait un quart de tour pour s’engager sur la voie et traverser…

Le sys­tème autonome est équipé de cap­teurs, qui sont l’équivalent des yeux et des oreilles du con­duc­teur tra­di­tion­nel. Ces cap­teurs se diver­si­fient et sont en con­stant pro­grès depuis quelques années. Mais aucun cap­teur, pris indi­vidu­elle­ment, n’est aus­si effi­cace qu’une paire de bons yeux. La clé du défi est donc de vari­er les tech­nolo­gies util­isées afin d’assurer une com­plé­men­tar­ité des cap­teurs et une redon­dance de la détection.

La com­plé­men­tar­ité des cap­teurs con­siste à utilis­er le meilleur de chaque tech­nolo­gie pour max­imiser les per­for­mances de détec­tion. Par exem­ple, une caméra est idéale pour détecter les car­ac­téris­tiques séman­tiques d’un objet : dif­férenci­er une voiture et un vélo, détecter et lire un pan­neau, etc. Les lasers scan­ners (ou lidars), dont le Scala®️ de Valeo est le pre­mier en série sur le marché auto­mo­bile, sont les plus aptes à détecter un objet loin­tain (jusqu’à 300 m) avec une pré­ci­sion cen­timétrique. S’ajoutent les radars qui exploitent l’effet Doppler afin de mesur­er la vitesse des objets envi­ron­nants et les ultra­sons (appelés abu­sive­ment « radars de recul ») qui détectent prin­ci­pale­ment les objets proches. On est capa­ble de fusion­ner les infor­ma­tions de tous ces cap­teurs afin de pré­cis­er les car­ac­téris­tiques d’un objet.

Au-delà de cette com­plé­men­tar­ité des cap­teurs, leur diver­sité per­met d’assurer une redon­dance de la fonc­tion. Par exem­ple, quand les con­di­tions de vis­i­bil­ité sont faibles (nuit, brume, etc.), les lasers scan­ners et les radars con­tin­u­ent à détecter l’environnement avec suff­isam­ment d’information pour éviter tout acci­dent. On tire aus­si par­ti des pro­grès de l’intelligence arti­fi­cielle, notam­ment des tech­niques d’apprentissage pro­fond. Aujourd’hui, l’état de l’art des algo­rithmes est très com­plet en ce qui con­cerne le traite­ment d’images et s’applique facile­ment aux caméras des véhicules.

Se localiser avec précision

Un autre défi tout aus­si impor­tant pour un véhicule autonome est sa local­i­sa­tion. En milieu urbain, celle-ci doit être pré­cise à une dizaine de cen­timètres, donc bien en deçà des GPS tra­di­tion­nels de nos véhicules (quelques mètres). Les tech­nolo­gies de GPS plus pré­cis­es (par exem­ple les GPS RTK) ont un coût beau­coup trop élevé et sont tou­jours affec­tées par les pertes de sig­naux inter­mit­tents en envi­ron­nement urbain ou dans les tun­nels. L’arrivée de car­togra­phies très pré­cis­es des routes (cartes HD) per­met d’atteindre cette pré­ci­sion de local­i­sa­tion tout en se pas­sant d’un tel matériel. Grâce aux cap­teurs, le sys­tème détecte des élé­ments de repère envi­ron­nants (ou land­marks), par exem­ple les mar­quages au sol et l’infrastructure, et les fait coïn­cider avec la car­togra­phie pour déduire sa posi­tion avec pré­ci­sion. L’autre avan­tage est de pou­voir faire automa­tique­ment remon­ter les infor­ma­tions au four­nisseur de car­togra­phie et met­tre à jour la carte en temps réel en fonc­tion des change­ments détec­tés dans l’environnement.

La redondance des capteurs permet d’assurer la sûreté de fonctionnement du véhicule autonome
La redon­dance des cap­teurs per­met d’assurer la sûreté de fonc­tion­nement du véhicule autonome. ©️ Valeo

Prendre des décisions sûres et réactives

L’objectif pre­mier des voitures autonomes est de réduire les acci­dents de la route, dont plus de 90 % sont dus aux usagers. En évi­tant les prob­lèmes d’alcoolémie, de fatigue et de dis­trac­tion, la voiture autonome a tout ce qu’il faut pour réduire dras­tique­ment ces acci­dents. Mais le défi est avant tout dans l’acceptation sociale de la tech­nolo­gie. Un acci­dent causé par une voiture autonome sera con­sid­érable­ment moins toléré qu’un acci­dent causé par un con­duc­teur. Il est ain­si en général con­sid­éré que le risque d’accident pour un véhicule autonome doit être trois ordres de grandeur en dessous de celui d’un con­duc­teur humain (de l’ordre d’une chance sur un mil­lion par heure de con­duite), soit une chance sur un mil­liard par heure.

L’intelligence du véhicule doit donc être capa­ble de gér­er une diver­sité de cas d’usage extrême­ment élevée et d’y réa­gir de façon à la fois sûre et naturelle pour ses util­isa­teurs. Pour cela, dif­férentes approches exis­tent et sont en général combinées.

L’approche « clas­sique » con­siste à mod­élis­er l’envi­ronnement et le com­porte­ment poten­tiel des usagers et d’introduire dans les pro­grammes du véhicule un ensem­ble de règles que le véhicule doit respecter (s’arrêter au feu rouge, ne pas franchir une ligne con­tin­ue, etc.). Cela peut s’apparenter, pour un être humain, à l’apprentissage du « code » avant le pas­sage du per­mis de con­duire. Cette approche ne per­met cepen­dant pas de gér­er tous les cas d’utilisation, trop nombreux.

L’autre approche qui vient en com­plé­ment est celle de l’apprentissage (que l’on peut com­par­er aux heures de con­duite et à l’expérience d’un con­duc­teur). Les tech­niques d’apprentissage pro­fond per­me­t­tent alors de gér­er un ensem­ble de cas d’usage beau­coup plus grand. En pous­sant l’idée au plus loin, des con­cepts de véhicule autonome dit end-to-end ont été présen­tés, pour lesquels toute la chaîne de traite­ment depuis les don­nées cap­teurs jusqu’aux com­man­des volant et moteur est un gigan­tesque réseau de neu­rones entière­ment con­stru­it par apprentissage.


Les nouveaux acteurs de l’innovation

L’automatisation de la con­duite ouvre l’industrie auto­mo­bile à de nom­breux nou­veaux acteurs. Les équipemen­tiers tra­di­tion­nels ajoutent à leurs porte­feuilles des cap­teurs con­sid­érés comme néces­saires et acquièrent de l’expertise dans cer­taines briques logi­cielles. De nom­breuses start-up pro­posent des cap­teurs inno­vants per­me­t­tant de faciliter la per­cep­tion et la localisation.
On peut ajouter à ces acteurs proches de l’automobile des acteurs d’écosystèmes par­al­lèles : des géants de l’industrie de l’IT comme Intel et Nvidia investis­sent mas­sive­ment pour pénétr­er le marché auto­mo­bile avec des puces élec­tron­iques per­me­t­tant d’améliorer les algorithmes.
Les GAFA utilisent leurs atouts en infor­ma­tique pour avancer dans ce domaine. Des entre­pris­es de flottes de véhicules dévelop­pent des navettes autonomes et des taxis robots. Enfin, les acteurs de la 5G s’intéressent de près aux besoins des voitures autonomes et des four­nisseurs de cartes très pré­cis­es se développent.


Un écosystème en pleine mutation

Toute l’activité de développe­ment d’un véhicule autonome, de sa spé­ci­fi­ca­tion avec un ensem­ble de cas d’usage à sa val­i­da­tion sur des don­nées simulées, enreg­istrées ou en con­duite réelle, en pas­sant bien sûr par le développe­ment d’algorithmes de plus en plus fondés sur de l’apprentissage, néces­site donc une quan­tité de don­nées tou­jours plus grande. Il s’agit d’un véri­ta­ble défi pour les con­struc­teurs et équipemen­tiers qui ren­for­cent pour cela leurs équipes de Data Sci­ence. Le défi est d’autant plus grand que la don­née doit être « annotée » pour être exploitée, c’est-à-dire qu’une vérité ter­rain doit lui être asso­ciée, indi­quant l’état réel de l’environnement ou la déci­sion que le véhicule est cen­sé prendre.

Les pro­grès tech­nologiques de la voiture autonome s’accélèrent et l’écosystème s’agrandit. L’état de l’art des cap­teurs, des algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle et des cal­cu­la­teurs doit être maîtrisé et en même temps porté à un niveau de matu­rité et de sûreté auto­mo­bile suff­isant. Cela boule­verse les méth­odes de dévelop­pement tra­di­tion­nelles et demande aux acteurs de l’automobile de s’adapter afin de tenir compte d’un besoin éten­du en masse de don­nées et en méth­odes de val­i­da­tion effi­caces. C’est égale­ment une oppor­tu­nité pour eux d’étendre leur posi­tion­nement et pour des nou­veaux acteurs d’émerger à l’aide d’innovations judicieuses. 


Un changement de paradigme pour l’ingénieur

His­torique­ment, le développe­ment d’un véhicule néces­site une val­i­da­tion de sûreté por­tant essen­tielle­ment sur les défail­lances internes, notam­ment élec­tron­iques. La ques­tion que se posait l’ingénieur était :
« Mon sys­tème va-t-il con­tin­uer à fonc­tion­ner dans son état nom­i­nal ? » Cette ques­tion est tou­jours aus­si impor­tante pour le véhicule autonome mais ne suf­fit plus : il est main­tenant néces­saire de s’intéresser aus­si à l’environnement autour du véhicule et aux dif­férents événe­ments qui peu­vent s’y pro­duire. La ques­tion que l’ingénieur doit se pos­er est alors : « Est-ce que le sys­tème est suff­isant pour faire face à tous les événe­ments extérieurs pos­si­bles ? » Une telle val­i­da­tion est un énorme défi pour tous les acteurs de l’industrie auto­mo­bile, car le nom­bre de cas d’utilisation est infini.
De nou­veaux stan­dards sont donc en cours de développement.

Lire aus­si : https://www.lajauneetlarouge.com/equipementiers-et-constructeurs-un-partenariat-en-mutation/

Commentaire

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Jean-Fran­cois SILLIERErépondre
30 novembre 2019 à 8 h 06 min

Aujour­d’hui, con­traire­ment à ce que l’on peut lire, le niveau 2 est très loin d’être opéra­tionnel. Deux exemples :
— le régu­la­teur de vitesse avec la caméra qui, sur autoroute, prend les pan­neaux de lim­i­ta­tion des sorties,
— le main­tien dans la voie qui tente de s’op­pos­er à une cor­rec­tion impéra­tive face à un véhicule qui mord sur la ligne médiane..
Donc nous sommes encore très loin d’un véhicule autonome qui n’ex­is­tera vraisem­blable­ment jamais sauf sur des routes spé­ciale­ment conçues pour cela.

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